« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 10 juillet 2015

L'appel de ses ancêtres

Pendant plusieurs années consécutives, mes parents et moi avons pris l'habitude de partir en vacances sur les traces de nos ancêtres. Chacun avait sa tâche : je préparais les recherches généalogiques en amont, ma mère s'occupait du gîte qui nous accueillerait et mon père nous conduisait.
Nous avons ainsi visité Conques (Aveyron), berceau des ancêtres de mon père, puis Samoëns (Haute-Savoie) et Loudéac (Côtes d'Armor), ceux de ma mère. Pour les deux premiers, le but était surtout de dénicher les actes d'état civil qui n'étaient pas en ligne. Le dernier était purement touristique, avec l'idée tout de même de voir les lieux où mes aïeux maternels avaient vécu.

Or donc, en cette "année bretonne", ma mère avait présélectionné plusieurs hébergements possibles et me les avait envoyés pour me demander mon avis. Parmi eux, un gîte situé sur la commune de Saint-Caradec, au lieu-dit La Theilo (à une dizaine de kilomètres de Loudéac).

Je me suis toujours demandé si l'appel de ses ancêtres avait résonné en ma mère. Parce que oui, ses ancêtres ont bien habité La Theilo à Saint-Caradec ! Parmi tous nos ancêtres bretons habitant Loudéac ou les environs (Saint-Caradec, Cadélac, Le Quilio, Merléac, Mûr de Bretagne, Saint-Guen, Trévé), parmi tous les hébergements possibles, comment a-t-elle sélectionné ce gîte situé précisément dans ce lieu-dit ? Est-ce un simple hasard ? Ou y a-t-il autre chose ? Cela, nous ne le saurons jamais...

Extraits carte Cassini et vue aérienne La Theilo / Saint-Caradec © Geoportail

A partir de là, plus question d'aller voir ailleurs. Nous avons logé sur le lieu même où Corentin Le Goff a vu le jour en 1779. Je connais peu de chose sur ses parents, Olivier Le Goff et Marie Etienne. Mariés en 1775, ils auront (au moins) cinq enfants. Ils meurent tous deux en 1817, à sept mois d'intervalle. Corentin sera maçon, comme son père. 

Pourtant, en ce pays, beaucoup de nos ancêtres étaient tisserands ou tailleurs d'habit. On y travaillait "les toiles de Bretagne". Ce voyage nous a permis de découvrir cette activité (entre autres).

Reconstitution historique de tissus © auxfilsdelarz.fr

Du XVI au XVIIIème siècle, la culture du lin et du chanvre, la fabrication des toiles et leur exportation vers l’Angleterre, l’Espagne et ses colonies d’Amérique ont occupé une main-d’œuvre considérable et ont fait la richesse de toute la Bretagne [ 1 ].

Cette activité toilière a eu des conséquences importantes sur le plan économique (prospérité), démographique (augmentation de la population) et artistique (maisons de marchands, enclos paroissiaux, etc.).

Elle a placé la Bretagne au cœur d'un vaste système d'échange planétaire. Les graines de lin étaient importées de Lituanie, via la Baltique et les Flandres, par le port de Roscoff ; les toiles étaient exportées vers l'Angleterre et l'Espagne par les ports de Saint-Malo, Morlaix, Landerneau… De l'Espagne, où étaient implantés des marchands français, les toiles de lin et de chanvre gagnaient les colonies d'Amérique.

Lin en fleur © Wikipedia

La production des toiles de Bretagne a constitué une activité massive pendant tout l'ancien Régime et encore au début du XIXème siècle. Elle prenait la forme particulière d'une "manufacture dispersée" faisant appel à une main d'œuvre rurale travaillant à domicile à partir de matériaux cultivés dans les jardins.

Dans le pays de Loudéac le lin tissé prenait le nom de « Bretagnes légitimes ». Longtemps les ateliers sont demeurés traditionnels. Ils se composaient de métiers à tisser, installés dans la maison près d'une source de lumière, de bobineuses ou de mécanismes à préparer les canettes.

Le travail du lin commence à la mi-juillet par l’arrachage des plants par la racine. Le lin est ensuite mis à rouire au ruisseau ou dans des cuves maçonnées. On fait tremper les plants une dizaine de jours afin que l’eau dissolve la gomme et agglutine les fibres. Ensuite on égrène le lin à l’aide d’un peigne en acier puis les tiges sont liées en bottes. L’égrenage se pratiquait parfois avant le rouissage. Les graines servent à la semence suivante ou à la fabrication d’huile. Puis on procède à l’écouchage, qui consiste à gratter les fibres avec un morceau tranchant de verre ou de fer pour en éliminer les impuretés. Les fibres courtes servent d’étoupe pour le calfatage des bateaux ou, mélangées à de l’huile, au bouchage des bouteilles de vin (à une époque où le bouchon de liège n’existe pas encore). Les filassiers vont ensuite, de ferme en ferme, mettre en place les filasses sur des cadres de bois. Les femmes filent au fuseau dans un champ ou près d’un de la cheminée et parfois au rouet à main ou à pédale. Les bobines sont alors mises bout à bout et posées sur un dévidoire qui permet de confectionner des écheveaux. Ces derniers sont acheminés chez le teilleur qui confectionne la toile.

Tisserand © tibihan-locronan.com

A Loudéac, l’industrie du lin et le commerce qui y était lié connurent leur apogée au XVIIIème siècle puis déclinèrent pour disparaître à la veille de la guerre 1914/1918.

A la simplicité de cette production succédait une intense activité d'exportation reposant sur des marchands dont la prospérité se repère aujourd'hui encore dans des constructions ostentatoires. Il peut être classé selon trois catégories :
  • un patrimoine lié à la production et au traitement des plantes à fibre, ainsi qu'à la production de toiles : routoirs, maisons buandières (ou « kanndi »), maisons de paysans-tisserands, manufactures, etc. 
  • un patrimoine lié au commerce des graines et des toiles : maisons de marchands toiliers, hôtels de négociant, halles, etc. 
  • un patrimoine indirectement lié à cette activité.

Outre une richesse individuelle, l'activité toilière est à l'origine d'un enrichissement collectif par le biais des offrandes faites aux fabriques des paroisses. Cet enrichissement et la concurrence entre paroisses expliquent notamment l'édification d'églises somptueuses et d'enclos paroissiaux dans le Finistère.

L’essoufflement de cette activité est sans doute aussi une des causes de l'émigration des Bretons. C'est ainsi que trois générations plus tard la descendante de Corentin Le Goff, Ursule Le Floch, s'installera en Ile de France. Mais ça, c'est une autre histoire...



[ 1 ] Source : www.linchanvrebretagne.org



2 commentaires:

  1. -Je réagit à" l'appel des ancêtres",de votre maman,car j'ai aussi souvent eu le sentiment que cette maison (que nous habitons depuis plus de 40 ans), m'avait appelée...puisqu'elle était au XVII e ,celle de mes cousins Bardoul et Destriché,ce que j'ai découvert bien plus tard ,avec surprise et émotion !
    M@g.

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  2. Ce soir,je "réagis",à ma grosse faute de français !
    Bonne soirée,et continuez de nous enchanter sur ce blog.

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