« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 7 août 2015

Je me souviens

Je me souviens de mes trois sœurs, de leurs babillements, cris et rires qui ont peuplé et égayé la maisonnée. Marie, de dix ans mon aînée, aidant notre mère dans ses tâches quotidiennes.
Je me souviens du trajet entre notre maison à La Gidalière et l'école du village. Les 4 kilomètres à parcourir sous tous les temps me paraissaient parfois bien longs pour mes petites jambes.
Je me souviens des bêtes que je gardais, plus tard, dans le Pré Bas. Je préférais cela à l'école parce qu'au moins j'étais dehors.
Je me souviens que mon père me racontait cette grande Révolution qui a bouleversé notre temps. Commencée par des révoltes contre les seigneurs locaux ici, elle a fini par couper la tête du roi là-bas, à Paris.
Je me souviens des troubles qui ne tardèrent pas ensuite, ravageant le pays et divisant les familles. J'avais une quinzaine d'années et la violence des querelles opposant Bleus et Blancs me fascinait pourtant.
Je me souviens de la paix revenue. Mais rien n'était plus vraiment comme avant.
Je me souviens de ce triste jour d'hiver où j'ai enterré mon père Jacques. Ce sentiment de solitude soudain qui vous envahit. Et qui n'est rien à côté de celui que je lisais sur le visage d'Anne, née Gobin, ma mère.
Je me souviens du jour où j'ai repris la métairie de mon père : 36 hectares dépendants du château du Puy Jourdain. J'avais alors 22 ans.
Je me souviens de Françoise Paineau, venant vers moi qui l'attends devant l'autel de l'église de Saint-Amand. Cette église où j'ai été baptisé et où seront baptisés mes enfants.

Église de Saint-Amand-sur-Sèvre

Je me souviens de notre première-née Marianne Françoise l'année suivante. De sa naissance un jour d’août et de celle de nos 9 autres enfants ensuite.
Je me souviens du petit Pierre qui n'a vécu que 15 mois. Le premier de nos trois enfants que j'ai dû accompagner dans le tombeau familial.
Je me souviens du regret que j'ai ressenti de n'avoir pas eu le temps de mener mes filles à l'autel avant de disparaître. Mais je sais que mon épouse aura cette joie pour nous deux.
Je me souviens de ce jour de mai où je me suis sentir partir. Dire que je n'avais même pas 50 ans. Mon épouse devra assumer la métairie seule ainsi que nos sept enfants restants, âgés de 17 à 1 an. Je ne les verrai pas grandir. Puissent-ils connaître une belle vie.

Je me souviens de tout cela... mais qui s'en souviendra après moi ?


Jacques Gabard et Anne Gobin sont nos plus anciens ancêtres Gabard connus. L'absence des registres anté-révolutionnaires à St Amand (79) ne nous permettant pas de remonter cette branche plus loin. La ferme de la Gidalière restera dans notre famille jusque dans les années 1920.


6 commentaires:

  1. Très bel article, bien écrit. On a vraiment l'impression d'entendre parler votre ancêtre de ses souvenirs.

    RépondreSupprimer
  2. Trés joli article .... et je me demande si nous n'allons pas un de ces jours trouver un cousinage entre nous, entre les patronymes et les lieux. Bravo encore

    RépondreSupprimer
  3. -Très beau...
    -Merci Mélanie.

    RépondreSupprimer
  4. Merci pour ce récit de souvenirs
    nostalgiques et tendres
    De quoi avoir envie d'essayer

    Fanny-Nésida

    RépondreSupprimer
  5. Bravo Mélanie. Magnifique et émouvante façon de retracer la vie d'un ancêtre.
    Bonne continuation

    RépondreSupprimer
  6. Superbe article ,bravo,c' est très émouvant,

    RépondreSupprimer