« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 23 octobre 2015

Mon arbre vieillit soudain de 100 ans

1570 est la date de l'acte le plus ancien trouvé à ce jour concernant un de mes ancêtres : c'est la naissance de Jean Ryondel à Samoëns (74). Quelques généalogies sur internet repoussent sa parenté encore plus loin, jusqu'à la toute fin du XVème siècle. Mais seuls les registres de baptême ont été conservés à Samoëns et de ce fait les liens de parenté sont, à mes yeux, difficiles à prouver; je ne les ai donc pas retenus pour le moment.
Et voilà qu'une nouvelle source vient, elle aussi, explorer le XVème siècle, sur une autre branche de mon arbre en Haute-Savoie, les Baud. Plusieurs sources, en fait.

Étant donné que la Savoie (au sens large) n'a été rattachée définitivement à la France qu'en 1860, on y trouve des documents spécifiques à son organisation particulière. 

Ainsi la "consigne des mâles" : c'est un dénombrement pour le service de l'armée du duc de Savoie. Connaître le nombre d'hommes qu'il pouvait mobiliser était important pour le duc. C'est pourquoi une organisation a été mise en place très tôt pour obtenir cette information. L'organisation la plus aboutie est sans doute celle de 1713. Les hommes concernés, ou qui le seront plus tard, sont répartis en 4 classes : 0 à 12 ans, 13 à 18 ans, 19 à 40 ans, plus de 40 ans. La consigne des mâles de 1713 (et années suivantes) pour la formation des régiments provinciaux devait être mise à jour tous les 6 ans. Même s'il ne concerne que les hommes, c'est un document très précieux pour les paroisses où il existe car les AD n'ont pas tous ces états qui n'ont certainement pas été faits régulièrement. Ce document de 1713 pallie les manques des registres paroissiaux.

Il existe aussi un document appelé "état des âmes" : c'est un dénombrement ecclésiastique dressé en 1783. Il a été demandé par le roi aux évêques pour connaître l'état détaillé et exact de la population des paroisses. Il devait contenir :
- les noms, prénoms et âges des personnes composant chaque famille (deux sexes)
- les étrangers habitant la paroisse
- la liste des personnes nées dans la paroisse mais qui l'ont quittée définitivement
- la liste des personnes qui sont absentes temporairement.
On ne sait pas ce qu'est devenue cette enquête car il n'y a rien aux AD mais il existe des documents dans les archives de certaines paroisses. De plus, certains curés ont continué à mettre à jour cette enquête très longtemps pour les aider à mieux connaître leurs paroissiens. [ 1 ]
C'est ainsi qu'il existe un "état des âmes des anciennes familles de Morzine", rédigé au début du XIXème siècle. Il commence par une notice historique qui retrace l'histoire de la paroisse, avec notamment des transcriptions d'actes anciens (1358, 1365, 1498, 1505...) qui ont marqué la vie de Morzine et où on retrouve les noms des anciennes familles de la paroisse. Le document se poursuit par une notice pour chaque famille.

Enfin, une troisième source me permet de progresser dans ma généalogie : c'est la notice généalogique de John Baud (né en 1887). Rédigée vers 1950, elle recense les anciennes familles de la vallée, leurs armoiries, sceaux et marques diverses. Les textes sont complétés par des arbres généalogiques.

État des âmes des anciennes familles de Morzine © Geneanet via fouderg
  • Génération 9
L'acte de mariage le plus ancien de la lignée Baud que j'ai pu trouver date de 1742; François Baud y épouse Jeanne Marie Tabrelet. Cet acte est filiatif : il me permet donc d'identifier la génération suivante sans difficulté.
  • Génération 10
L'acte de mariage de Claude Baud et Jeanne Depoté n'a pas été trouvé. Mais le testament de Claude permet de pallier ce manque car tous les membres de la famille y sont clairement cités, notamment sa mère; ce qui me permet d'être sûre des parents.
  • Génération 11
L'acte de mariage de Claude Baud et Nicolarde Breyse n'a pas été trouvé non plus (lacunes partielles des registres de mariage). Mais c'est là qu'intervient la première de ces sources savoyardes particulières : la consigne des mâles. Rédigée en 1713, elle recense Nicolarde, la mère (veuve),Claude le père (décédé) et Claude le fils.
  • Génération 12
Les difficultés commencent : il n'y a plus de registres de mariage ni décès et pas plus de tabellion [ 2 ] : aucun acte les concernant n'a donc été trouvé. Comment connecter Pierre Baud et Nicolarde Marullaz avec leur fils Claude ? C'est l'état des âmes de Morzine qui s'en charge. Il précise aussi que Pierre a été syndic en 1640. Mais rappelons que ce document a été rédigé au XIXème siècle. La question est donc : peut-on s'y fier ?
  • Génération 13
Pierre Baud et Françoise Brun se rattachent au précédent Pierre Baud, leur fils, par la même source. Elle est complétée par la notice généalogique de John Baud, elle aussi rédigée tardivement. On sait que les sources du XIXème siècle sont parfois sujettes à caution, inventant des explications ne reposant sur rien (ou juste une "filiation phonique" qui a l'air d'aller bien). Ces sources indiquent que Pierre (surnommé "le Grou Piar" : le Grand Pierre) a été syndic en 1596 et 1597 et conseiller de la communauté pendant de nombreuses années : "grâce au régime privilégié dont jouissait la vallée d'Aulps, gouvernée par une abbaye de cisterciens qui respectèrent les antiques coutumes [...] burgondes, nos ancêtres vécurent librement, s'étant organisés en communautés [...] élisant leurs administrateurs". Pierre le Grand "défendit avec énergie les intérêts de la communauté". John Baud semble s'appuyer sur des documents judiciaires et en particulier sur une affaire nommée le "procès de Taillabilité" (soutenu par les paroisses de Morzine et Saint-Jean contre l'abbé d'Aulps) - affaire qu'il gagna - ainsi que sur des cahiers des comptes et délibérations des syndics parvenus jusqu'à lui et montrant les nombreuses démarches de Pierre le Grand à Thonon, Evian, Lausanne, Chambéry, etc.... John ajoute que Pierre teste en 1618.
  • Génération 14
Les sources se raréfient pour Pierre Baud (ou Baud Mollie) et son épouse Jacquemaz dont le patronyme n'est même pas connu. Mais l'état des âmes poursuit la lignée.
  • Génération 15
L'épouse de Jean Baud Mollie n'est pas connue non plus. Mais il est dit qu'il a (au moins) deux fils et qu'il est décédé avant 1564.
  • Génération 16 
Selon la notice généalogique, Pierre Baud est cité dans un acte de 1520, sous le patronyme latin "Petrus Balli de Mollia".
  • Génération 17
Selon John Baud, la famille Baud est mentionnée dans "d’authentiques documents" à Morzine, au XVème siècle, sous le nom latin de Balli (ou Bally) de Mollia et dès le XIIIème siècle plus loin dans la vallée d'Aulps.
Jean Baud Mollie est le plus ancien représentant de cette lignée. Il est connu sous le nom latin de Johannes Balli de Mollia. Il fait partie des fondateurs de la première chapelle de Morzine, dans un acte daté du 26 juin 1498 - chapelle aujourd'hui détruite. Il est identifié comme "mestral de la confrérie du Saint Esprit" [ 3 ].
John Baud assure que la filiation de cette lignée est "certaine", établie "d'après des actes notariés ou les registres paroissiaux".
Toute la lignée est citée également dans l'état des âmes.
Ce Jean Baud Mollie est donc né vers 1450 ou 1460.

Les lecteurs attentifs auront remarqué, en bonus, le dessin des armoiries de la famille, qui se décrivent ainsi : "coupé, au premier un aigle éployé [ailes ouvertes], au second un bœuf passant [marchant]".

État des âmes des anciennes familles de Morzine, détail © Geneanet via fouderg

Les travaux de John Baud semblent assez vraisemblables. Je ne suis pas sur place pour aller vérifier aux archives si les documents qu'il cite existent encore.

Si l'on en croit ces sources un peu tardives - et j'ai tendance à les croire en effet -  mon arbre vient donc de vieillir d'une centaine d'années et 8 générations supplémentaires.




Ces recherches généalogiques et article n'auraient pas pu voir le jour sans la contribution de "fouderg" (arbre et registres en ligne sur Geneanet). Qu'il en soit à nouveau, publiquement, remercié.
[ 1 ] Source : savoyards-lyon.pagesperso-orange.fr
[ 2 ] Le terme de tabellion désigne dans les États de Savoie des XVIIe et XVIIIe siècles l'ensemble des actes insinués (c'est-à-dire enregistrés).
[ 3 ] Le mestral (ou maistral) est une sorte d'officier municipal au Moyen-Age. Ici, il s'agit donc sans doute d'un administrateur de la confrérie.

6 commentaires:

  1. Cela me rappelle une généalogie trouvée en Isère, rédigée de la même sorte et qui allait jusqu'au XVe siècle. Toute la question est la véracité des infos. Celles données par le curé semblent bien vraisemblable. Je ne savais pas qu'en Savoie de tels actes avaient été rédigés... très intéressant!

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  2. Probablement peu de recherches personnelles : je retrouve in extenso mon arbre - y compris ses lacunes - et toutes mes sources.
    "Votre" photo de l'état des âmes a bien le même plis que la mienne (No 82), ce document n'est pas aux AD mais c'est un document privé de la paroisse St Guérin de Morzine, John BAUD, l'auteur des "notices généalogiques" n'a jamais été curé de Morzine, il n'y habitait même pas.
    Bref, vive Geneanet et les registres et photos publiés par ses contributeurs.
    Je pense que vous ne supporterez pas longtemps ce message sur votre somptueux blog ...
    Jacques TABERLET

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  3. Bonjour,
    je suis assez étonnée de votre message, mais voici ma réponse. Tout d'abord, lorsqu'on publie librement ses données sur internet, il faut s'attendre à ce que d'autres s'en inspirent.
    C'est bien ce que j'ai fait et, si vous vous en souvenez, je vous ai d'ailleurs envoyé un message directement pour vous remercier du travail accompli et mis à la disposition de tous.
    En général, je préfère mettre en source le document de première main et non la personne qui l'a cité dans son arbre en ligne (sur Geneanet en l'occurrence) car il est parfois difficile de retrouver le premier qui en a parlé. Avant de publier une info, je vais toujours la vérifier : il se trouve qu'ici ce sont les registres que vous avez mis en ligne qui m'ont confirmé les informations trouvées.
    Si j'ai mal interprété l'origine de la photo, je m'en excuse, et m'en vais la corriger de ce pas.
    C'est toujours auprès des informations que vous avez vous-même mis en ligne à l'époque où j'ai rédigé cet article, que j'ai trouvé que John Baud était curé de Morzine : vous me dites maintenant qu'il ne l'était pas. Très bien, je vais corriger cela aussi.
    Enfin, concernant votre dernière phrase, je vous remercie pour les derniers mots, mais quand aux premiers c'est bien mal me connaître; la preuve...
    Je reste à votre disposition si vous souhaitez poursuivre la conversation.
    Très cordialement,
    Mélanie

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  4. Je suis totalement de votre avis au sujet des publications sur internet : je milite pour un accès libre, et suis avant tout très heureux de partager nos savoir librement. Mais j'ai sans doute plus de considération pour mes sources que vous.
    Pour le pedigree de John BAUD, vous trouverez sa carte de visite sur la dernière page (395, non publiée) de l'état des âmes de Morzine, car après avoir tourné les pages pendant de nombreuses années, il en a payé la rénovation. C'est lui aussi qui a rédigé les pages d'en tête (c'était un héraldiste avant d'être un généalogiste). voici sa carte :
    J.BAUD
    Officier d’Académie, Chevalier du Mérite Agricole
    Chevalier de l'Ordre Équestre du St-Sépulcre de Jérusalem.
    de l'Ordre de la Couronne d'Italie et de l'Ordre du Mérite Civil de Bulgarie.
    Chambellan d'Honneur de 1re classe de N.D. de Lorette. Croix de St Jean de Latran
    Secrétaire de l'Académie Chablaisienne
    Correspondant de la Commission des Monuments Historiques
    Membre de la Société Française d'Archéologie
    Membre agrégé de l'Académie de Savoie, de l'Académie Florimontane
    et de l'Académie Salésienne
    Château de CHATEL par USISENS (Haute-Savoie)
    et
    3, Avenue Jules Ferry
    THONON LES BAINS

    Concernant l'état des âmes, c'est à mon avis Le Concile de Trente (1542-1563) qui a rendu obligatoire la tenue de registres de baptême, de mariage et de décès et dans ceux de mariage, l’obtention d’une dispense doit y être mentionnée pour qu’un mariage consanguin soit valable. Cette dernière obligation a conduit à l’émergence d’un nouveau registre, appelé « Etat des âmes », dont le premier modèle connu est celui de Charles BORROME vers 1574 et dans lequel le clergé consignait les éléments généalogiques de ses ouailles dans le but (entre autre …) d’un contrôle des consanguinités.
    L'état des âmes de Morzine a probablement été ouvert vers 1800, comme ceux des paroisses environnantes, et rédigé de manière contemporaine, donc assez fiable. Mais à Morzine, le curé J. PISSARD, féru d'histoire locale (voir son bulletin paroissial dès 1912) a doublé son volume 100 ans plus tard par ses recherches généalogiques, donc moins fiables, puis John BAUD a fait de même 30 ans plus tard. Il convient donc de rester prudent à la lecture, selon l'écriture que l'on peut reconnaître ...
    Les éléments antérieurs à 1750 ne sont quasiment jamais d'époque, et pour le reste il y a de nombreuses contradictions avec les registres paroissiaux et l'état civil.
    Et pour les notices généalogiques de John BAUD, celles restants à la cure de Morzine ne sont qu'un pâle reflet de sa généalogie familiale détenue par ses héritiers qui hélas ne souhaitent pas la rendre publique.
    Cordialement, JT

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  5. Bonsoir,

    A propos de John Baud. Ce personnage nous renseigne lui-même sur ses origines et ses orientations. Il occupe une bonne place (page 23) dans un curieux "Annuaire mondial de la chevalerie" édité en 1952 par des amateurs d'une époque où, selon eux les personnes de qualité se devaient être armés d'une flamberge et se faisaient adouber par d'autres du même tonneau...

    John J. Baud, comte de Châtel, né le 24 novembre 1887 à Coudrée, Sciez (Hte Savoie). il demeurait à Thonon-les-Bains, historien etc... secrétaire de l'Académie Chablaisienne, membres de plusieurs autres sociétés françaises et étrangères (je résume), porteur de plusieurs titres et décorations, certaines plausibles (Mérite Agricole, off. Instruction publique), d'autres de pure fantaisie : Ordre du lion des Ardennes (son grand maître a vu sa condamnation en cassation en 1968 !), St Sauveur et Ste Brigitte de Suède (sortie de l'imagination d'un Italien nommé Vincent Orléans né à Casoria (Italie) en 1907, Epée de Chypre, hospitaliers de St Jean, prieuré du Danemark (un faux ordre) etc...

    Les armories qu'il prétend porter, augmentées d'une curieuse couronne à sept perles dont trois grosses, exposées sur un manteau fourré d'hermine (comme les ducs et princes) entourées des décorations laissent assez perplexe et sans préjuger de la qualité de ses recherches entraîneraient à les considérer avec la plus grande prudence.

    Cordialement,

    Dominique Delgrange
    Secrétaire général SFHS (Société française d'héraldique et de sigillographie, Paris, siège social aux archives nationales).

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    Réponses
    1. Bonsoir,
      merci pour ces précisions sur John Baud qui, visiblement, devait être un sacré personnage. En espérant que ses recherches ne soient pas trop fantaisistes...
      Mélanie - Murmures d'ancêtres

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