« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

dimanche 31 mai 2015

#Centenaire1418 pas à pas : mai 1915

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois de mai 1915 sont réunis ici. 

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 

1er mai 

Séjour à Granges. 
Matin : exercice de combat de la Compagnie, déploiement, attaque d’une position, sous le feu de l’Infanterie ou de l’artillerie. 
Soir : exercices de détails.

2 mai
Séjour à Granges.
Matin et soir : repos.
Ordre de Bataillon n°38 : citation à l’ordre de la Brigade pour le sergent Ruffier d’Epernoux pour courage et énergie.

3 mai
Séjour à Granges.
Matin : marche de 20 km environ, sac et tenue de campagne complète. Soir : exercice de détail.

4 mai
Séjour à Granges.
Matin : service en campagne. Soir : exercice de détail.
Ordre de Bataillon n°39 : mutations.

"Au champ d'honneur, les coquelicots
Sont parsemés de lot en lot
Auprès des croix; et dans l'espace
Les alouettes devenues lasses
Mêlent leurs chants au sifflement
Des obusiers.


Nous sommes morts
Nous qui songions la veille encor'
À nos parents, à nos amis,
C'est nous qui reposons ici
Au champ d'honneur.


À vous jeunes désabusés
À vous de porter l'oriflamme
Et de garder au fond de l'âme
Le goût de vivre en liberté.
Acceptez le défi, sinon
Les coquelicots se faneront
Au champ d'honneur."


JohnMcCrae a écrit «Au champ d’honneur» il y a 100 ans, le 3 mai 1915 au cours de la Deuxième bataille d’Ypres

5 mai
Séjour à Granges.
Matin : exercice de Bataillon. Soir : travaux de propreté.
Ordre de Bataillon n°40 : décorations d’un caporal et deux chasseurs pour leurs belles conduites au feu et leurs graves blessures.

6 mai
Séjour à Granges.
Matin : service en campagne, installation d’une grand’garde, sentinelles. Soir : exercices de détail.

7 mai
Séjour à Granges.
Matin : déploiement de la Compagnie, marche d’approche, attaque d’une position ennemie sous les feux de l’infanterie et de l’artillerie combinés. Soir : exercice de détail.

8 mai
Séjour à Granges.
Matin : service en campagne, école de compagnie, déploiement, formations diverses d’approche. Soir : travaux de propreté.
Ça y est ! On repart au front !
Le Bataillon doit se tenir prêt à quitter Granges demain dans la journée ; des ordres ultérieurs seront donnés.

9 mai
Le Bataillon a quitté Granges et a été transporté en automobile au Collet. Départ : 15h30. Arrivée au Collet : 18h.
Le Bataillon, sous le Commandement du Capitaine Loire, est rassemblé dans une prairie à l’Est du Collet.
Trajet Granges / Le Collet
Relève du 297ème Régiment d’Infanterie au Sillackerwasen. Relève effectuée sans incident.
1ère et 2ème compagnies montent en première ligne.
3ème et P.M. en 2ème ligne.
4ème, 5ème et 6ème compagnies : nous restons en réserve.
Nous revoici sur les lieux des terribles combats de mars.
La disparition de mon ami Désiré me revient en pleine figure.
Je me décide à écrire à sa mère. Je lui dis qu’il n’a pas souffert. Je n’en sais rien, bien sûr, mais je ne peux pas lui raconter l’horrible réalité telle que je l’ai vécue.

10 mai
Le 23ème Bataillon de Chasseurs coopère à la défense du Sillacker.
Mêmes emplacements que la veille.

11 mai
La 6ème compagnie est détachée à Schiessloch.
Un peloton au Sud Ouest de Steinabruck, une section à Burgkoepfle, une section en réserve.
Pour les autres unités du Bataillon, mêmes emplacements.

12 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements.

13 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements.
Ordres de Bataillon n°41 et 42 : promotion, mutation et nominations.

14 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements.
La 3ème Compagnie est désignée pour relever une compagnie du 63ème Bataillon de chasseurs sur les pentes de l’Altmattkopf (1 blessé).
Sommets autour de Metzeral © aak-ansichtskarten.de

15 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements.
1 blessé.

16 mai
Défense du Sillacker.
Relève des Compagnies.
Nous (ceux de la 5ème) nous relevons la 2ème Compagnie à 12h.
La 4ème compagnie relève la 1ère à 20h.
Relève effectuée sans incident.

17 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements.
Des tirs continus de mitrailleuses ou de canons ennemis.
Une grande attaque se prépare. Pour cela, on entreprend des travaux sur toute la ligne, du Braunkopf à l’Altmattkopf : parallèles de départ, boyaux, abris, etc.
C’est une tâche pénible, dangereuse, mais indispensable, malgré les pertes régulières. [ 1 ]
Cette nuit deux de nos camarades ont été tués.

18 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements.
Ordre de bataillon n°43 : décoration.
En venant ici, je croyais que je verrai des soldats en perpétuelle alerte…
Je ne vois en fait que des travailleurs, terrassiers, bûcherons, charpentiers, ne tirant que peu de coups de fusil.

19 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements.
Fureur des supérieurs qui ont surpris le chasseur 1ère classe Delord en train de dormir à son poste.

20 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. 1 blessé.
Ordre de bataillon n°44 : rétrogradation du chasseur Delord qui, étant guetteur, somnolait au lieu d’assurer rigoureusement son service.
La sanction ne s’est pas fait attendre !
Ordre de bataillon n°45 : nominations diverses. 

21 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements.
Ordre de bataillon n°46 : citation.
Entouré sur toute sa lisière par un important réseau de fils de fer, le bois très touffu dissimule entièrement les organisations ennemies.
D’après les observations faites de l’Altmattkopf, il est cloisonné intérieurement par d’autres réseaux et paraît insuffisamment organisé. [ 1 ]

22  mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. 1 blessé.

23 mai
Défense du Sillacker.
Relève des Compagnies.
La 1ère compagnie relève la 4ème à 20h.
La 2ème compagnie nous relève (ceux de la 5ème) à 12h.
Relève effectuée sans incident. Un blessé.

24 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. 

25 mai
Aucune note (jour non mentionné [ 2 ]).

26 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. Un blessé.
On nous a promis du réconfort :
"Un quart de pinard tous les jours pour soutenir le moral des troupes" qu'il a dit le capitaine ! 

27 mai
Défense du Sillacker.
La 4ème compagnie relève la 3ème à 20h. Relève effectuée sans incident.
Mêmes emplacements pour les autres unités.
Ordre de bataillon n°47 : promotions et mutations.

28 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. Un blessé.
Le courrier arrive. Le sait-il, ce soldat, qu'il porte dans sa sacoche le bien le plus précieux du champ de bataille ?
Bureau de poste sur le front champenois, 1915 © centenaire.org
29 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. Deux blessés.

30 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. Un tué, trois blessés.

31 mai
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. Deux blessés, un tué.


[ 1 ] A. Bohly
[ 2 ] Dans le JMO du 23ème BCA



vendredi 22 mai 2015

Villevêque, d'hier à aujourd'hui

Si le berceau de mes ancêtres éponymes est à Conques (en Aveyron), le plus grand nombre d'ascendants a été trouvé à Villevêque, commune située à une quinzaine de kilomètres d'Angers (49).

Vue générale de Villevêque © cparama

38 branches différentes de mon arbre y ont vécu, soit environ 450 personnes. L'ancêtre le plus lointain y est né vers 1570; le dernier l'a quitté en 1891. J'y ai recensé 545 événements (dans le jargon généalogique, cela désigne les naissances, mariages et décès). Le premier acte trouvé date de 1617 : je n'ai pas pu remonter plus loin parce que... il n'y pas de registre antérieur à 1616 !
Autrement dit près de quatre siècles d'histoire.

Extrait registre mariage, 1616, AD49


Ces ancêtres exerçaient des professions agricoles en majorité (définitions à consulter sur le lexique de généalogie) :
  • laboureurs, cultivateurs, métayers, fermiers, marchands et/ou marchands fermiers, closiers, propriétaire
  • vignerons, 
  • poulailler
Mais aussi d'autres types de professions :
  • drapier
  • tissier en toile
  • tailleurs d'habits
  • maréchal en œuvres blanches
  • couvreur d'ardoise
  • charpentiers
  • boulanger
  • syndic, procureur marguillier

La plus longue lignée villevêquoise est celle des Saulnier : 6 générations, depuis les années 1600 jusqu'à la Révolution; suivies de deux autres générations avec changement de patronyme (mariage par les femmes), jusqu'en 1813.

Aujourd'hui Villevêque compte un peu mois de 3 000 habitants (1 600 en moyenne au XIXème). Située sur la rive gauche du Loir, elle doit son origine à la résidence des évêques d'Angers, surplombant la ville. Forteresse élevée au XIIème siècle, elle perd son aspect défensif au milieu du XVème pour devenir une agréable résidence.

 
Ancienne résidence des évêques à Villevêque © bartko-reher-cpa.fr

Le musée-château aujourd'hui © businesspme.com

Aujourd'hui elle abrite la collection de Daniel Duclaux, industriel et amateur d'art éclairé qui a réuni des pièces du Moyen-Age et de la Renaissance. Son épouse a légué le château et la collection à la ville d'Angers. On peut y voir des tapisseries, des émaux limousins, des céramiques, une riche bibliothèque, etc... [ 1 ]

Mes ancêtres ont donc dû connaître :

Il est amusant de constater que, si les échanges et les rencontres sont nombreux avec la paroisse voisine de Corzé (12 branches cumulent des événements à la fois à Corzé et à Villevêque), ils sont beaucoup plus rares avec Soucelles (2 branches seulement), autre paroisse voisine, mais située en rive droite : le passage du Loir devait donc être beaucoup plus rare que les échanges rive gauche.

Mes ancêtres habitaient le bourg ou des lieux-dits, comme Craon, La Joulainerie, Les Humeaux, Reugnier et surtout l'Hôpitaux (le plus souvent cité).

S'il n'est pas toujours facile d'imaginer la paroisse du XVIème siècle, par manque de source précise, on peut en revanche faire quelques comparaisons avec son état du XIXème. En effet, pour cette période, il existe plusieurs cartes postales qui nous permettent de "voir" le Villevêque qu'a connu une partie de mes ancêtres. Et, si l'on excepte les inévitables quartiers de pavillons qui fleurissent de nos jours à proximité des grandes villes, on peut s'apercevoir que le centre bourg n'a pas beaucoup changé.

Tâchons de mettre nos pas dans les leurs...
  • La Rue Principale : cœur du village, où se tenaient probablement les foires autrefois, comme la foire de la Pentecôte.
Rue Principale © bartko-reher-cpa.fr

Rue Principale © GoogleMaps

On reconnaît très facilement la grande bâtisse blanche qui ferme la place et le bâti sur la gauche qui n'a guère changé, notamment la grande maison dont l'emprise au sol est un peu de biais.
  • La Rue Neuve: on donnait souvent ce type de nom aux artères percées lors d'une période d'expansion de la cité, signe de vitalité économique.

Rue Neuve © notrefamille.com

Rue Neuve © GoogleMaps
  • La Grande Rue : nom donné à l'artère principale, bien sûr, et souvent la plus commerçante.
Grande Rue © bartko-reher-cpa.fr

Grande Rue © Google Maps
  • Les moulins : Il y avait trois moulins à Villevêque dépendant du domaine propre de l’Évêché : le Moulin de Froment, le Grand Moulin, nommé ainsi car il possédait deux roues situé à proximité d'une porte marinière (aujourd'hui disparue) permettant la navigation sur le Loir et enfin le Moulin de Guichet, à l'emplacement du port actuel et détruit depuis. Les activités des moulins de Villevêque étaient surtout céréalières, il y avait également un moulin à foulon ainsi que des meules à papier et huile.[ 2 ]

 Les Moulins © Mme Lemée

Les Moulins © panoramio
  • L'église : L’église St Pierre présente une nef unique du début du XIème siècle. Elle est couverte d’une voûte de lambris datée de 1771. La porte sud a été refaite au XIXème. Un beau et haut clocher fut accolé à la nef à la fin du XIème : trois étages dont deux décorés de fausses arcades, le troisième à baies géminées (doubles). Le chœur à chevet plat et à fenêtres ogivales est du XIIIème. L'église était entourée par une galerie extérieure sur deux côtés, au sud et à l’ouest, qui servait de porche à l’entrée principale et de lieu de rassemblement pour la "communauté des habitants" avant la Révolution. Celle-ci fut détruite en 1903 par le curé Budan avec l’accord de la municipalité de l’époque, afin d’en utiliser les matériaux pour la reconstruction des sacristies et la restauration du chœur. [ 1 ]
L'église © bartko-reher-cpa.fr

L'église © Google Maps

Cette église qui a vu le baptême de tant de mes ancêtres...

Villevêque aujourd'hui :

Vue générale de Villevêque © Mairie Villevêque

Peut-être qu'un jour j'irai moi aussi à Villevêque...


[ 1 ] Source : villeveque.fr 
[ 2 ] Source : moulindevilleveque.fr


vendredi 15 mai 2015

#ChallengeAZ : des sources pour une vie

Je ne sais pas si vous le savez, et si vous ne le savez pas c’est normal parce que je n’ai encore rien dit, mais cette année je participe à nouveau au ChallengeAZ au mois de juin 2015. Le principe est simple : un article par jour et par lettre (sauf les dimanches), suivant le fil de l'alphabet.

Et puisque je suis joueuse, et pour ma deuxième participation au ChallengeAZ, j’ai décidé d’ajouter une difficulté supplémentaire ! Comme si le défi du Challenge n’était pas suffisant en soi, j’en remets une couche. J’ai ajouté un fil conducteur (et même un double fil conducteur) : explorer la vie de Jules Assumel Lurdin à travers les sources ; ou comment exploiter un faisceau de sources pour éclairer la vie d’un aïeul.

Jules Assumel-Lurdin est mon sosa n°10. Pour les lecteurs avertis, vous aurez compris qu’il s’agit du père de ma grand-mère paternelle [ 1 ], mon bisaïeul donc.

Il apparaît dans les sources traditionnelles de la généalogie comme les actes d’état civil, mais aussi dans des sources plus variées : si je n’ai pas (encore) trouvé son contrat de mariage, je l’ai vu mentionné dans la presse, le Journal Officiel, les archives départementales de l’Ain, sa fiche militaire, et d'autres sources encore...

Des sources pour découvrir une vie...

Donc ça donnera à peu près ça :  


(Cliquez sur les flèches pour faire défiler le diaporama)


[ 1 ] Pour les autres voyez le système de numération en généalogie

Merci à toutes ces institutions qui mettent en ligne des informations nous permettant de retrouver ainsi notre mémoire perdue.
Clin d’œil à S. de Groodt dont je me suis inspirée pour les entames de ce Challenge.


vendredi 8 mai 2015

#Généathème : M comme militaire

Jean Maurice Borrat-Michaud est un des derniers représentants Suisse de ma généalogie [ 1 ]. Étant Française, je n'ai pas eu accès à l'état civil suisse. Mais je le connais grâce à l'AVEG (Association Valaisanne d’Étude Généalogique) qui m'a fourni l'ascendance complète de cette branche, basée sur leurs relevés - qu'elle en soit remerciée.

Jean Maurice est donc né en 1785 à Champéry, dans le Valais suisse (dizain [ 2 ] de Monthey). En tapant son patronyme dans le moteur de recherche de Geneanet, un article de Louiselle Gally de Riedmatten est ressorti [ 3 ]. D'après cette source, Jean Maurice est enregistré comme soldat valaisan au service de l'empereur Napoléon, sous le nom de Borrat (comme son frère aîné Jean Louis né en 1783). Cet ouvrage recense les soldats du Bataillon valaisan qui ont pu être identifiés dans les registres baptismaux (hors officiers).

En 1798, le Valais (région bilingue de Suisse à la fois de langue française et allemande) est occupé par l'armée française. En 1802 il devient une "République libre et indépendante", sous le protectorat des républiques française, cisalpine et helvétique; sa capitale est Sion. Dès cette époque, Napoléon pense à recruter des Valaisans, qui viendraient renforcer l'Armée française. Ce n'est en fait qu'en Octobre 1805 (16 Vendémiaire an 14) qu'une Capitulation (c'est-à-dire un contrat) est signée entre l'Empire français et la République suisse pour fournir un Bataillon d'environ 660 hommes, que l'on réunirait à Turin. 

Mais le Valais est assez pauvre (en particulier de dizain de Monthey qui se trouve dans une grande détresse économique) et fournit déjà des hommes à d'autres unités suisses en Europe : le recrutement s'avère difficile. Les recruteurs utilisent alors tous les moyens pour remplir leurs contingents : l’enrôlement se fait parfois "sur un verre de vin", quand ce n'est pas sur des méthodes plus radicales encore (mise aux fers ou au secret); on considère que près de la moitié des recrues est enrôlée sous la contrainte. Cependant cela ne suffit pas : les effectifs sont alors réduits à cinq Compagnies de 83 hommes chacune. Et c'est finalement à Gênes, un an plus tard, que l'on commence à voir arriver par petits groupes des contingents de Valaisans.

La formation du Bataillon s'y déroule de septembre à novembre 1806. Jean Maurice s'y engage le 13 novembre 1806, sous le n° de matricule 144, à l'âge de 21 ans. Le Bataillon est formé à la fin du mois de novembre, sous le commandement de Charles de Bons (nommé dès le 10 juillet 1806).

L'uniforme est composé d'un habit de drap rouge foncé, avec un collet, revers et parements blancs. La doublure, la veste et les culottes sont également de couleur blanche. Le rouge était une des couleurs traditionnelles des troupes suisses au service français, et le rouge et le blanc celles de la République valaisanne. Des boutons jaunes émaillent l'uniforme, gravés des mots Bataillon valaisan au centre et Empire français sur le contour. L'uniforme est complété par un shako français de feutre noir (couvre-chef en forme de cône tronqué avec une visière) à bande du haut, bourdalou (tresse) et renforts en V de cuir noir orné d’un aigle de laiton. L'équipement et l'armement seront identiques à ceux des soldats de l'infanterie de ligne française.
Uniforme de grenadier et officiers du Bataillon valaisan, © D. Davin

Le Bataillon est, évidemment, composé uniquement de Valaisans. Les engagés doivent être âgés au minimum de 18 ans et au maximum de 40. La taille minimum requise est de 1,68 m (5 pieds 2 pouces). Aucune infirmité n'est tolérée. L'hygiène buccale est aussi contrôlée. Ils prennent un engagement de 4 ans. A l'issue, ils pourront quitter le Bataillon ou en contracter un nouveau. Le prix d'engagement est de 180 francs par recrue.

Ces troupes servent une puissance étrangère, tout en restant soumises à la juridiction de l’État d'origine : ils ont donc un statut assez proche de l'immunité diplomatique, avec leur propre justice, leur liberté de culte et leurs propres officiers (contrairement aux mercenaires, par exemple).

Selon l'article de Louiselle de Riedmatten, Jean Maurice est dit baptisé à Val d'Illiez (ville distante de moins de 4 km). A noter : aucune recrue ne déclare être de Champéry (d'ailleurs elle affirme qu'il n'existe plus de registre de baptême entre 1782 et 1786). Cependant, après vérification, les sources ne sont pas révélées très fiables : le soldat pouvait ainsi donner comme lieu de naissance le chef-lieu du dizain et avoir été en réalité baptisé dans une autre paroisse. 16 recrues originaires de Val d'Illiez s'engagent dans le Bataillon (selon l'estimation, il y a entre 11 et 12% de la population du dizain de Monthey nés entre 1782 et 1786 qui s'engagent).

Le 29 mai 1808, le Bataillon quitte Gênes pour Perpignan. Il y arrive le 13 juillet. Mais il n'y reste pas puisqu'il prend aussitôt la direction de l'Espagne. Il y est incorporé dans l'armée de Catalogne, au 7ème Corps.

Lors du siège de Gérone le Bataillon perd un tiers de ses effectifs. Les batailles se succèdent : Bascara (11 avril 1809), La Jonquière (octobre 1810). Pierre Blanc devient le nouveau chef de corps en février 1810. Peu de sources décrivent précisément la vie de corps, selon Louiselle Gally de Riedmatten, et encore moins s'intéressent à la vie de ces soldats, de leurs origines et de leur destin à l'armée (hormis les "rolles ou revues de compagnies" qui recensent les soldats, lorsqu'ils existent ou ont été conservés; ce qui n'est pas toujours le cas). 

De fait, difficile de savoir pourquoi Jean Maurice s'est engagé : emprise de l'alcool, après une dispute avec les parents ou la petite amie, échapper au mariage ou aux ennuis judiciaires, ou encore motif économique (subvenir à ses besoins ou à ceux de sa famille, fuir la misère du pays...), envie d'être soldat, de voir du pays ?

Fin 1810, alors que le Bataillon est cantonné à La Jonquière, les soldats apprennent qu'ils font désormais partie intégrante de l'Empire français et qu'ils doivent prêter serment de fidélité à l'Empereur. Le Valais vient en effet d'être annexé à l'Empire, formant le nouveau département du Simplon (par décret du 12 novembre 1810). Ce département existera jusqu'en 1813 seulement. Devenu français, une troupe étrangère n'a plus lieu d'être : le Bataillon valaisan est dissous le 16 septembre 1811 et intégré au 11ème régiment d'infanterie légère nouvellement créé. Il quitte l'Espagne à destination de l'Allemagne.

On ne sait pas à quelle date Jean Maurice quitte le Bataillon. Est-il parti à la fin de son engagement de 4 ans ? On constate toutefois que 21 % des enrôlés ont été congédiés avant le délai légal, pour inaptitude, blessure ou plus rarement pour conduite morale douteuse. D'autres sont rayés du contrôle des troupes, prisonniers ou déserteurs. On estime que, en fait, la durée moyenne passée au corps est d'un an et huit mois seulement (chiffre à relativiser, car la mort d'un grand nombre de soldats - 40% de l'ensemble du Bataillon en 5 ans - fait baisser considérablement cette durée). Rares sont ceux qui ont prolongé leur contrat. La brève période d'engagement suggère sans doute que le service dans le Bataillon valaisan n'est pas envisagé comme une carrière militaire à suivre, mais plutôt comme une étape de courte durée, une expérience momentanée. De retour on pays on "reprend le cours de sa vie", son métier (ou celui de son père).

Une chose est sûre, Jean Maurice se marie à Val d'Illiez le 3 décembre 1811 avec Milleret Patience. Soit il est rentré de façon temporaire, soit de façon définitive. Sa fille Marie Justine naît le 14 novembre 1814 à Champéry. Elle est la mère de Joseph Auguste (le père n'est pas connu).

J'ignore tout du reste de sa vie, sinon qu'il s'éteint à Champéry le 8 décembre 1848.


[ 1 ] Il est le grand-père de Joseph Auguste, celui qui a franchi la frontière et s'est installé en Haute-Savoie. C'est donc l'arrière-grand-père de Jean François Borrat-Michaud, autre soldat bien connu de ma généalogie dont je suis le parcours pas à pas lors de la Grande Guerre.
[ 2 ] Dizain : division territoriale du Valais, en quelque sorte l'ancêtre du district actuel.
[ 3 ] Article paru dans Vallesia (le bulletin annuel de la Bibliothèque et des Archives cantonales du Valais, des Musées de Valère et de la Majorie)