« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

lundi 11 juillet 2016

Ambiance bizarre au mariage

En fait, l'ambiance est plutôt bizarre au contrat de mariage car l'acte de mariage en lui-même ne révélait rien de particulier.
Mais lors de la rédaction du contrat de mariage deux mois avec la noce (en avril 1744), quelques mentions sortent de l'ordinaire et m'ont fait suspecter une situation peu commune.
  • Les lieux :
La famille du futur est originaire d'un village successivement appelé Lougarde, Loupgarde, Leugarde, paroisse de La Capelle Neuve Eglise (aujourd'hui Florentin la Capelle). Celle de la fiancée est de Conques en Rouergue (Aveyron). Les deux lieux sont distants d'une quarantaine de kilomètres. Les limites paroissiales de ce secteur ont beaucoup changé au fur et à mesure du temps.

 Extrait carte de Cassini Conques-Lougarde © cassini.ehess.fr
  • les protagonistes :
- la famille du futur : le fiancé se nomme Antoine Banide. Il est charpentier. Ses parents sont Jean Banide et Jeanne Besombes. Lui est originaire de La Capelle, elle d'un peu plus loin : de Saint Symphorien de Thénières. Le père est tantôt dit "travailleur" tantôt "brassier". La famille n'est pas très bien connue car les registres ne nous sont pas tous parvenus (pas de registre antérieur à 1737 pour La Capelle, lacunes pour St Symphorien). Quatre enfants ont été identifiés (Antoine, Jean, Jeanne et François*), mais la fratrie est peut-être plus étendue. L'ordre de naissance n'est pas connu. Au moment du mariage d'Antoine, son père Jean a environ 72 ans, ce qui n'est pas si mal; sa mère 67. Antoine, quant à lui, a déjà 39 ans.

- la famille de la future : la fiancée se nomme Marie Raouls. Elle est née en 1719 à Conques. Ses parents sont Jean Raouls et Margueritte Valette; cette dernière est peut-être la fille Jean Valette, un notable de Conques (mais sa parenté n'a pas encore été formellement prouvée). Jean Raouls est tisserand puis sarger. Il se sont mariés en 1716, ont eu trois enfants, puis Margueritte est morte en couches suite à la naissance du dernier en 1721. Jean se remarie deux ans plus tard avec Anne Durieu (la fille du maître organiste de Conques), dont il aura 6 enfants. Il meurt en 1738, soit 6 ans avant le mariage de nos fiancés. Il ne reste donc que la belle-mère, Anne. Marie a 14 ans de moins que son fiancé.

- les témoins : classiquement, dans les contrats de mariage, les fiancés sont assistés de leurs parents. S'ils sont orphelins de père, de mère, ou des deux, ils peuvent se doter eux-même, éventuellement selon les instructions du/des testaments des parents s'il y en a eu. Ici, le fiancé (dont les deux parents sont encore vivants, rappelons-le, même s’ils habitent un peu loin et sont déjà âgés) est assisté de François son frère et Guillaume, un ami. Ses parents ne sont pas présents. La fiancée (qui n'a plus que sa belle-mère) est entourée de son jeune frère Pierre, garçon cordonnier (en apprentissage donc), et Joseph un cousin vigneron de Conques. Anne Durieu n'est pas présente.
  • les faits :
- François Banide est en charge de la constitution de la dot de son frère : respectant "lordre verbal" de sa mère, il promet 33 livres, payables en plusieurs fois. Cette somme est donnée par la mère ("pour droits legitimaires maternels" selon la formule consacrée). Le père, lui, donne 30 livres, toujours par ordre verbal. Cette donation intervient après celle de la mère, dans une époque où le mâle a toujours la priorité, c'est déjà curieux. 63 livres c'est relativement peu, mais les parents sont d'évidence assez modestes (ce que l'on devine grâce aux métiers exercés par le père).

- Orpheline de ses deux parents, Marie constitue sa dot elle-même, autorisée par son frère présent, Pierre. Elle apporte dans la corbeille 200 livres ! Rien à voir avec son futur époux. Le niveau de vie de sa famille est clairement plus élevé. Est-ce de là que vient le malaise que j'ai ressenti lors de la transcription du contrat de mariage ?
Sont aussi détaillées des dispositions pour Pierre, le jeune frère : les futurs époux devront lui assurer le payement de 200 livres (en plusieurs termes, dont le premier est prévu lorsqu'il aura atteint sa majorité).
La fiancée obtient aussi la maison de sa mère, Margueritte Valete, même si celle-ci n'est pas en bon état, comme il a été constaté par des hommes de l'art : "apres prealable appretiation faitte par prudhommes cognoisseurs testal de la maison de lheredite de ladite feue valette leur commune mere qui menace de ruines imminentes requerant de reparations ugeantes, de meme que les planches en entier". Et elle est en droit d'exiger les meubles de feue sa mère, même ceux dont sa belle-mère "peut etre detentrisse comme sestant emparee apres le deces dudit raouls son mari". Il est donné pleins pouvoirs aux futurs mariés pour intenter une action en justice contre ladite Anne si celle-ci s'oppose à ces clauses. Ambiance...

Ce n'est donc pas la différence sociale des deux familles qui est à l'origine du malaise, mais plus probablement les relations de Marie et de sa belle-mère Anne.

Une célèbre méchante belle-mère © cinechronicle.com

Après la mariage, la nouvelle famille Banide s'installera à Conques et si Pierre Raouls restera fidèle aux côtés de sa sœur (témoin d'acte la concernant et parrain d'une de ses filles), on n'entendra plus parler d'Anne Durieu...


* Remarquons au passage l'originalité des prénoms entre les parents et les enfants...

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