« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

lundi 31 octobre 2016

#Centenaire1418 pas à pas : octobre 1916

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois d'octobre 1916 sont réunis ici. 

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
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1er octobre
Aucune note pour ce jour.

2 octobre
Notre Compagnie exécute, à la tombée de la nuit, la relève de la Compagnie de droite du 67ème RI.
Chaque Compagnie dispose de 2 sections dans la tranchée de tir et parallèle de départ ; 1 dans la tranchée de soutien (réserve de Compagnie) ; une dans les talus 1118 (réserve de Bataillon).
Les ordres de la Brigade laissent prévoir que nous sommes appelés à tenir le secteur pendant une période assez longue. Tout en conservant une attitude défensive, on étudie quelques avancées locales. 
 
Retour de tranchée, 1915 © Gallica

3 octobre
La 47ème DI est rattachée au 6ème Corps d’Armée.

4 octobre
Organisation du secteur du bataillon en centre de résistance : pose de fils de fer sous la forme d’un réseau brun continue en avant de la parallèle de départ.
Fils de fer © ecpad.fr

5 octobre
Un autre réseau de fils de fer est établi à contre pente et hors des vues de l’ennemi entre notre 1ère ligne et la ligne de soutien.

6 octobre
Amélioration continue de la parallèle de départ, de la tranchée de tir, de la tranchée de soutien, des boyaux de communication et des abris.

7 octobre
Autour de moi des soldats sans nom, obscurs manouvriers, creusent des tranchées, posent des caillebotis, tirent des barbelés.
Soldats construisant une tranchée, 1916 © Gallica

8 octobre
Rafales de mitrailleuses sur les tranchées et communications ennemies, tir de grenades sur les travailleurs.

9 octobre
Déjà le troisième anniversaire de ma mère que je manque. Son absence me pèse.

10 octobre
La 9ème compagnie et une section de la 7ème Compagnie sont relevées par une Compagnie du 11ème BCA.

11 octobre
Le reste du bataillon est relevé par le 11ème BCA.
Le bataillon devient réserve de Brigade. Avec la 7ème nous sommes disposés dans les talus NE et Sud de 9721.

12 octobre
Le Bataillon reste en réserve aux mêmes emplacements avec la même mission.

13 octobre
Le Bataillon fournit chaque nuit 130 travailleurs environ aux travaux d’organisation du secteur de la brigade.

14 octobre
C’est la première fois depuis le 14 septembre que nous pouvons nous doucher et laver notre linge, à tour de rôle, à Feuillères.

15 octobre
Quand on peut avoir un peu d’hygiène, c’est vraiment du luxe.
Barbier, 1915 © Gallica

16 octobre
Notre ration de pinard quotidienne est portée à un demi-litre, mais je ne sais pas si ça nous aidera à tenir plus qu’avant.

17 octobre
La gestion de l’approvisionnement va se compliquer.
Bordeaux, 1916 © Gallica

18 octobre
Aucune note pour ce jour.

19 octobre
Aucune note pour ce jour.

20 octobre
Reçu une lettre de maman : la famille d’Alphonse Jay a reçu la blague à tabac et la pipe du défunt. Comme seuls souvenirs.
Ils ont perdu leurs deux jumeaux.

21 octobre
Aucune note pour ce jour.

22 octobre
Quand tu as survécu aux combats intenses, ce n’est pas parce que tu étais valeureux, mais juste chanceux.

23 octobre
Nous allons être relevés cette nuit. Notre compagnie, la 8ème, sera relevée à 21h30 au cimetière de Cléry.
Nous gagnerons ensuite le camp n°2 entre La Neuville lès Bray et Suzanne où nous bivouaquerons.

24 octobre
Les trains font étape à Oresmaux – Saint Sauflieu.
Embarquement du bataillon en TM au camp n°2 à 9h30 ; arrivée à Cempuis à 19h.
Carte Cléry-Cempuis

25 octobre
Les trains rejoignent le bataillon à 15h.

26 octobre
A 6h30 départ par la gare de Crèvecœur de 40% de l’effectif en permission de 7 et 9 jours.
A 16h embarquement de l’EM, SA, 7ème Cie et TR du bataillon avec la Cie de mitrailleuses du 11ème.
Départ à 20h20.
A 20h embarquement des 8ème (la mienne), 9ème Cie et TC. Départ à minuit.

27 octobre
Voyage en chemin de fer.
Itinéraire : Noisy le Sec, Troyes, Bar s/Aube, Neufchâteau, Mirecourt et Epinal.

28 octobre
Débarquement du 1er train à 6h30 à Laveline-devant-Bruyères, du 2ème à 7h30 à Bruyères.
Carte Cléry-Bruyères
Cantonnement à Frémifontaine : EM, SA, 8ème et 9ème Cie à Ville-Basse, CM et 7ème Cie à Ville-Haute.

29 octobre
Me voilà revenu dans les Vosges !
Repos pour certains, départ en permission pour d’autres (une trentaine).
Bruyères, vue générale © Delcampe

30 octobre
Installation dans les cantonnements. Exercice par compagnie.

31 octobre
Le bataillon se remet à l’instruction : maniement d’armes, assouplissement des unités, tir. Etude du nouveau règlement sur le combat des petites unités. Nouvelle organisation intérieure des compagnies conformément à la note annexe à ce règlement. Instruction des cadres et des spécialistes.
Exercice de combat de la section, de la compagnie et du bataillon.


samedi 15 octobre 2016

#RDVAncestral : le souffle de Jeanne

Cet article inaugure un nouveau thème mensuel : le #RDVAncestral (rendez-vous ancestral) dont le principe est la rencontre avec un ancêtre - voir sur la page dédiée de ce blog.


Le feu crépite dans la cheminée de la maison de Ladrech, paroisse de Saint-Marcel. Assise sur ma chaise, je n'ose bouger de peur de déranger Jeanne qui est allongée dans son lit. J'entends à peine son souffle, faible et irrégulier. Plusieurs fois j'ai retenu le mien, tendant l'oreille, croyant que le sien s'était éteint. Mais non. La couverte en laine continue de se soulever; à peine mais encore et encore. La maison est silencieuse : je ne sais pas comment six enfants âgés de 13 à 3 ans peuvent faire aussi peu de bruit. De temps en temps j'entends des pas, des murmures dans la pièce voisine. Mais tout est dans la retenue. Chacun garde le silence, dans l'attente. Même l'atelier de Géraud est silencieux : aucun bruit de coupe, de râpe, de creusement. Plane, paroir et tarière ne chanteront pas aujourd'hui. Aucun sabot ne sortira de l'atelier.

Ladrech (La Drech), paroisse de Saint-Marcel (aujourd'hui Conques), carte de Cassini © Géoportail

Dans le silence de la maison, je repense à ces trois semaines passées. A ces jours tragiques de février en particulier. Ces moments de souffrance. Combien d'heures à souffler, gémir puis crier véritablement ? A prier pour cet enfant qui ne veut pas venir ? Les mains crispées sur les draps de lin du lit garni. Ces draps apportés en dot lors de son mariage en 1697 et que l'on appelle ici "linceuls"... La douleur qui vrille le ventre, le dos, le corps tout entier. La lassitude puis l'épuisement qui augmentent au fur et à mesure. Presque deux jours complets à souffrir pour Jeanne.

Jeanne Besague, la matrone venue en aide à la parturiente, n'a pas pu la soulager malgré sa longue pratique et son expertise. Bien sûr elle a vite compris que l'enfant se présentait mal. Mais pendant longtemps elle a pensé que la mère, au moins, pourrait s'en sortir. Hélas, dans la nuit du 9 au 10 février on a craint véritablement pour la vie de l'enfant à naître et celle de sa mère. Alors que seule la main du bébé était visible, et pour sauver son âme, Jeanne Besague l'a baptisé, comme elle en a le droit et le devoir quand l'enfant est en danger de mort. Le travail a encore duré plusieurs heures et ce n'est qu'au petit jour que le nourrisson a été tiré complètement du ventre de sa mère. Sans vie. C'était un fils. Dès le lendemain il a été mis en terre au cimetière de la paroisse. Sans même lui avoir attribué un prénom.

Acte de naissance/décès de Martin Xxx, 1713 © AD12

Ce triste événement nous a tous rappelé la naissance d'un fils précédent, 8 ans plus tôt. La sage-femme avait aussi dû baptiser ce fils en danger de mort et qui n'avait finalement pas vécu. Il n'avait pas été prénommé non plus. Terrible répétition. Mais au moins Jeanne s'était remise. Elle avait même pu mettre au monde les deux Pierre, en 1705 et 1709. Cette fois-ci c'est différent. A-t-elle perdu trop de sang ? Est-ce parce qu'elle est trop âgée (41 ans) ? Trop fatiguée après ces 8 grossesses ou la maladie de l'année dernière qui l'a maintenue dans son lit lui faisant craindre pour sa vie et terminer ses jours et, ainsi, faire rédiger son testament ?

Toujours est-il que Jeanne est restée alitée depuis ces couches dramatiques. Trois semaines durant lesquelles nous l'avons vue dépérir petit à petit. Maintenant elle semble perdue au milieu de ce grand lit, plus légère et évanescente qu'une plume. On dirait qu'elle devient transparente. Elle n'a rien mangé depuis avant-hier, rien bu depuis la veille. Elle n'en n'a plus la force. Respirer représente déjà un effort épuisant pour elle.

Nous le savons tous. C'est la fin. La tristesse habite cette maison. Le malheur s'apprête à frapper à la porte. Le curé est venu cet après-midi lui donner les derniers sacrements. Il a recommandé son âme à Dieu, à la Vierge Marie et à tous les saints et saintes du paradis les priant d'être ses intercesseurs. En a-t-elle eu seulement conscience ?

C'est officiellement le second jour de mars 1713 que Jeanne Raols, épouse Martin, nous a quittés dans un dernier souffle imperceptible. Elle a été enterrée le même jour dans le cimetière paroissial, ses honneurs funèbres faites selon la coutume du pays. Huit messes basses de requiem seront dites en l'église dudit Saint Marcel en sa mémoire. Pourvue qu'elle ait trouvé le repos de l'âme.



lundi 3 octobre 2016

Les voies de la généalogie sont impénétrables

Mon frère m'a prêté les cinq premières saisons d'une série à succès (surnommée GOT pour les amateurs, mais cela n'a pas beaucoup d'importance pour le sujet qui nous occupe). Arrivée à la cinquième saison, je prends le coffret, composé d'une "enveloppe" plastique et du coffret contenant les DVD proprement dit. Et là, un objet s'échappe de ladite enveloppe : je jongle pour le récupérer sans lâcher pour autant enveloppe et coffret. C'est alors que je reste interdite un moment : dans ma main droite le coffret, dans ma main gauche une vieille photo :

"Café de la tante Louise", date non connue © coll. personnelle


Je la retourne : c'est une photo-carte postale comme on en faisait beaucoup au début du XXème siècle, à cinq sous pièce. Elle est un peu découpée, sans doute pour cadrer parfaitement le motif du recto. Au verso je reconnais l'écriture de feue ma grand-mère : "le café de la tante Louise Greff sœur du père d'André" (= son époux). Il s'agit donc de sa belle-tante; je ne sais pas si l'expression se dit mais enfin...


Mais enfin que fait la tante Louise sur le trône de fer ??? Je sais que les relations entre ma grand-mère et sa belle famille n'étaient pas au beau fixe, mais on ne peut tout de même pas les comparer avec celles de la série en question !
J'appelle mon frère : ça le fait bien rire mon histoire, mais il n'a aucune idée de comment cette photo est arrivée là. Échappée d'un carton lors du récent déménagement des affaires de ma grand-mère après son décès ? Impossible à dire.


Est-ce un signe de psychogénéalogie ? En tout cas, le virus est aussitôt attrapé : comment retrouver le café de la tante Louise ?
J'ai mis très longtemps à m'intéresser aux collatéraux de mon arbre : au début j'étais préoccupée par la seule recherche de mes ancêtres directs. Puis, une fois bloquée (en fin de branche par exemple), je me suis aperçue que de passer par les frères et sœurs pouvaient permettre de progresser là où la situation semblait dans une impasse (parents cités dans un acte de mariage par exemple...). Alors petit à petit j'ai aussi recensés les collatéraux.


Cette tante Louise est donc la tante de mon grand-père (et la sœur de Jean-François Borrat-Michaud, soldat de la Grande Guerre, mon arrière-grand-père que les adeptes de ce blog connaissent bien). Elle est née en 1892 à Samoëns (74) où habitait sa famille depuis plusieurs générations. Je la retrouve mariée à Joseph Greff en 1919 à Paris et décédée en 1976 à Levallois-Perret (92); grâce aux mentions marginales de son acte de naissance.


Sur la photo, peu d'indice à première vue. Un groupe de personnes, dont une femme marquée d'une croix : la probable tante Louise. Une moto. La devanture du café cadré très serré. Comme Louise a l'air d'avoir passé sa vie en région parisienne, je suppose que le café est à Paris. Au dessus de la porte une inscription, peu lisible. Sur la vitrine, d'autres inscriptions plus nettes : "déjeuners et dîners", "café et liqueurs", "salle au 1er" et surtout "téléphone 281 Lagny".
Une petite musique commence à trotter dans ma tête : "le 22 à Asnières". Je me demande si le 281 à Lagny peut ressembler au 22 à Asnières. Pour moi, Lagny ne signifie rien, au premier abord (et je me crois toujours à Paris, rappelons-le). Je n'ai pas eu beaucoup l'occasion de faire des recherches généalogiques à Paris. Je lance donc un message sur Twitter pour savoir si à partir d'un numéro de téléphone (visiblement ancien) on peut retrouver une adresse.


Grâce à de nombreux retweets les premières pistes se dessinent : tout de suite Sophie (@gazetteancetres) pense à Lagny sur Marne (en Seine et Marne, donc : adieu Paris !). La chaîne de Twitter se poursuit jusqu'à Claudie (@claudiegb) qui identifie très vite le café au 19 rue du Chemin de fer.

Café, 19 rue du Chemin de fer © Delcampe, via Claudie

Vue les coiffures des dames, on est ici à une époque plus ancienne. Les inscriptions en vitrine ont légèrement changé, mais la devanture est bien similaire.
Deux jours plus tard Claudie m'envoie un nouveau cliché et une précision : il s'agit de la rue du Pont de fer qui est le début de la rue du Chemin de fer - en partant de la gare / pont sur la Marne (ce qui met le restaurant à Thorigny sur Marne, commune limitrophe de Lagny).

Café Dingremont © via Claudie

Dingremont ! C'est le nom que je n'arrivais pas à déchiffrer au-dessus de la porte (mais quand on sait ce qu'on doit chercher c'est toujours plus facile à trouver). D'après Claudie c'est une famille connue à Lagny. Je ne l'ai pas trouvé sur le recensement de 1911 (dernier en ligne), mais il apparaît dans l'annuaire de 1923. Les investigations se poursuivent...

Aujourd'hui, il y a toujours un café au 19 rue du Chemin de fer, mais il a un peu changé...

Tabac © Google street view

Et voilà comment une série à succès et une photo littéralement tombée entre mes mains m'a menée sur une enquête passionnante. Peu d'indices au départ, mais une chaîne d'entraide très efficace.
Ce que j'aime la généalogie et les généalogistes !