« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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vendredi 8 avril 2022

#52Ancestors - 14 - Ollive Videlo

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 14 : Vérifier votre généalogie



Je distingue deux sortes d’éléments dans ma base généalogique :

  • Les événements (dates et lieux)
  • Les notes

 

Je tiens de mes études d’histoire une certaine rigueur vis-à-vis des sources. C’est pourquoi tout ce qui est entré en tant qu’événement a été vérifié d’abord, c'est-à-dire que j’ai consulté une source fiable qui prouve la véracité dudit événement. Si je ne trouve pas cette source alors je rentre l’info dans mes notes mais pas dans les événements.

Ainsi pour Ollive Videlo : elle est originaire de Mûr de Bretagne (22). Je l’ai identifiée en remontant les générations par sa fille. Je sais qu’elle a été mariée à Morice Le Masson et qu’ils ont eu 6 enfants. Je connais son acte de décès (en 1690) et une année de naissance approximative.

Sur Geneanet ce couple donne 180 résultats, dont une soixantaine donnent une date de mariage. La majorité de ces arbres donne comme date le 10 mars 1645 à Mûr. Cette date est probable, compte tenu du fait que le premier enfant du couple a été trouvé en 1646. Mais l’acte n’a pas été trouvé à cette date (ni ailleurs) dans les registres. Très peu d’arbres en ligne donnent leur source. Quand ils le font, c’est pour donner le nom d’un autre arbre en ligne.

N’ayant pas la possibilité de me rendre dans les Côtes d’Amor, je dispose de peu de solutions pour confirmer ou infirmer cette date. Genearmor, base en ligne fruit d’un partenariat entre le département et le cercle généalogique, ne donne aucun résultat.

J’ai donc inscrit ce mariage possible dans la note conjugale, ainsi que l’état des recherches effectué sur ce mariage introuvable, mais rien dans les événements.

Je n’exporte et mets en ligne que les événements, de ce fait mon arbre en ligne est fiable (hors erreurs involontaires comme des erreurs de frappe…).

Cette façon de faire me permet d’éviter d’avoir une liste longue comme le bras de données à vérifier. Et c’est plus satisfaisant pour moi de me dire que mon arbre est solide.

 

Bon après, je ne suis pas une machine : je ne suis pas à l’abri d’erreurs non plus, erreurs de transcription, de frappe ou carrément de branche !

 

En fait, je vérifie régulièrement ma généalogie… sans m’en rendre compte vraiment.

 

A l’occasion de la rédaction d’un article, je fais toujours un tour sur Geneanet pour voir si je ne pourrais pas glaner quelques informations nouvelles sur la personne ou le couple étudié. C’est l’occasion de :

  • vérifier les informations déjà en ma possession.
  • préciser l’environnement familial : mariages et enfants des frères et sœurs par exemple, qui n’ont pas été collectés de façon systématique quand j’ai commencé la généalogie.
  • faire de nouvelles découvertes grâce aux arbres en lignes par exemple.

Et bien sûr les recherches préalables à la rédaction de l’article peuvent apporter de nouvelles informations que je peux ajouter dans mon logiciel.

 

Je révise aussi ma généalogie au fur et à mesure des nouvelles mises en lignes sur internet : un nouveau fonds, c’est l’occasion de nouvelles recherches. Et les nouvelles recherches sont une manière évidente de vérifier sa généalogie : en confrontant des nouveautés aux données anciennes on s’aperçoit vite si une erreur s’est glissée dans les informations déjà enregistrées.

 

En panne d’inspiration, je check parfois ma généalogie : je prends la liste des patronymes et une par une je vérifie les infos que je possède déjà et je tente d’en recueillir d’autres par la même occasion.



vendredi 1 avril 2022

#52Ancestors - 13 - François Le Maux

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 13 : Sœurs  



François Le Maux est l’aîné. Il a eu un frère et huit sœurs. Né en 1761 au Quilio (22), de Mathurin Le Maux et Marie Le Corre.

Dès l’année suivante il voit naître une première petite sœur, Anne Marie. Sans doute n’en n’a-t-il pas eu conscience, compte tenu de son jeune âge. Mais ils ont vécu leurs premières années ensemble.

En 1766 François a 5 ans. Je l’imagine penché au-dessus du berceau, curieux, observant sa nouvelle petite sœur, Marie Françoise. L’expérience a dû avoir un goût de nouveauté puisqu’il était trop jeune pour se souvenir de la précédente naissance. S’est-il senti « grand frère » ? Lui a-t-on déjà donné quelques responsabilités dans la garde et la protection de ses jeunes sœurs ? A-t-il gonflé le torse, empli de fierté, en disant aux visiteurs de la maisonnée « voici ma petite sœur » ? Ou peut-être a-t-il quelque peu déchanté devant les vagissements du bébé : « Pffff ! Elle pleure tout le temps, maman ! ».

Pour ses 7 ans, maman lui a promis une surprise. Impatient François passe en revue ce que ça pourrait être : un jouet, un nouveau costume ? Mais deux semaines avant son anniversaire, branle bas de combat dans la maison : la surprise arrive plus tôt que prévu. Malgré sa grande imagination, il ne s’attendait pas à ça : une autre petite sœur ! Yvonne Perrine est arrivée le 10 janvier 1768.

Mais cette arrivée dans le monde fut rapidement troublée car le 18 janvier Marie Françoise, deux ans, s’est éteinte. François avait un peu de mal à se souvenir, mais il lui semblait que l’atmosphère était différente après la naissance précédente… Bien sûr, le nouveau bébé réclamait des soins comme sa sœur aînée, mais la joie n’était pas vraiment là depuis le départ de Marie Françoise. Hélas le climat ne s’éclaircit pas, bien au contraire, car à la mi-février c’est Anne Marie qui partit à son tour. François n’avait plus de petite sœur. Enfin, il y avait le bébé, mais on ne pouvait pas jouer avec elle comme il le faisait avec Anne Marie.

Maman ne mit pas longtemps à fabriquer un nouveau bébé, se dit François en la voyant avec son gros ventre. C’est que, maintenant, il avait l’habitude : à chaque fois qu’elle se déplaçait avec lenteur et difficulté, qu’elle s’asseyait pour souffler un peu, il y avait eu un nouveau bébé à la maison ! Et il avait raison : en septembre 1769 naquit Suzanne. François fixait la nouvelle petite sœur avec attention. Il se demandait combien de temps il allait la garder celle-là. Parce que les petites sœurs avaient une fâcheuse tendance à mourir vite !

La vie ne tarda pas à donner raison à François : en 1770 Yvonne Perrine décéda à son tour. Ne restait que la petite Suzanne.

François avait 10 ans lorsqu’il vit de nouveau le ventre de sa mère s’arrondir l’année suivante. « Encore une petite sœur ! » se dit-il. Il se désintéressa rapidement de la chose. Encore une petite sœur… dont il faudra s’occuper ! « Pfff ! » C’est dans la chaleur de juillet que naquit un nouveau bébé. Oh ! Surprise : c’était un garçon ! Est-ce qu’un garçon est vraiment différent d’une fille ? se demanda François. Hélas, il ne se posa pas longtemps la question : avec les premiers froids le petit Yves s’éteint à son tour. « Zut ! »

François guetta discrètement le ventre de maman. Maintenant qu’il savait qu’elle pouvait faire des petits frères, il avait hâte de la voir s’arrondir à nouveau. Ce n’est que deux ans après la naissance d’Yves qu’il fut exaucé. En juillet 1772 naquit… Françoise ! Quoi ? Encore une petite sœur ? Mais ça devait être un petit frère ! François fut déçu.

François avait 13 ans quand Marie Françoise (la deuxième) vint au monde. Maman le prit à part et lui dit : « Tu es grand maintenant, tu vas pouvoir m’aider avec tes petites sœurs. » François n’était que moyennement emballé par l’idée. Il trouvait qu’il le faisait déjà et il était un peu déçu que maman ne s’en soit pas aperçue. Lorsque Marie Françoise s’éteint à son tour en février 1776, il se sentit un peu responsable. Mais il n’eut pas longtemps pour s’appesantir sur la question : en août maman donna naissance à Marguerite. Craignait-elle de la perdre elle aussi ? François s’interrogea mais ne put déchiffrer son visage.

Il récapitula : c’était sa septième sœur. Cinq n’avait pas vécue (plus le petit frère). Il jeta un coup d’œil à Suzanne : du haut de ses 7 ans, c’est la seule qui avait survécu. Mais elle était encore bien jeune, il ne fallait pas crier victoire trop tôt.

En 1780 François fêta ses 19 ans. C’était un homme à présent. Fin septembre sa mère donna naissance à une dernière petite sœur, prénommée Françoise. Il n’eut pas beaucoup de temps pour s’y attacher : moins d’un mois plus tard elle avait déjà quitté ce monde. Elle fut celle qui eut la vie la plus courte.

Suzanne et Marguerite furent les seules sœurs de François à atteindre l'âge adulte.

Trois ans plus tard, François se maria. Il se demanda si lui aussi allait devoir enterrer 7 enfants…


samedi 16 mars 2019

#RDVAncestral : Le volume doré de Pontivy

Aujourd’hui j’ai rendez-vous avec Olivier Cadoux à Loudéac. Ce noble vieillard affiche 84 ans (ou "environ" car je ne connais pas véritablement sa date de naissance). Il est tranquillement assis devant son moulin, ses mains reposant sur une belle canne noueuse sans doute aussi vieille que lui.

- Ah ! mon petit, je vous attendais. Venez, prenez place ici à mes côtés.
Je m’assois donc sur le banc, un peu intimidée de me retrouver dans cette Bretagne de 1766.
- Que me vaut l’honneur de votre visite ?
- Et bien, je voulais parler avec vous de votre vie.
- Ahhh ! ma vie ! Mais qu’en dire ? Elle n’a pas beaucoup d’importance : je ne suis pas un seigneur ! Je ne suis pas quelqu’un d’important !
- Mais si voyons ! ce ne sont pas les titres qui font la valeur !
Mon indignation le fait rire.
- Mais par quoi commencer alors ?
- Et bien, parlez-moi de votre épouse, de vos enfants par exemple. Vous en avez eu sept je crois ?
- Vous êtes bien renseignée. J’ai rencontré ma femme lorsqu’elle avait 20 ans. J’en avais 11 de plus qu’elle. Je ne sais pas pourquoi elle m’a épousé, mais pas un jour je ne l’ai regretté. Ça fait 6 ans déjà qu’elle m’a quitté, mais j’ai décidé d’aller la rejoindre : assez de cette vie sans elle.
- Mais enfin, on ne décide pas de partir ainsi. Ce n’est pas à vous de choisir le moment.
- Peuh ! Il faudrait voir ça ! J’ai décidé, j’ai décidé, un point c’est tout !
Et pour souligner sa détermination, il frappa le sol d’un puissant coup de canne.
Le vieil homme étant sans doute fragile vu son âge, je ne voudrais pas provoquer un accident en attisant sa colère ; je change alors discrètement de sujet :
- Vous avez vécu ici à Loudéac, mais vos parents sont originaires… (J’hésite un instant car, bien sûr, il n’est pas question de parler de Morbihan et de Côtes d’Armor, ces concepts lui étant étrangers…) d’un autre pays ?
- Oui, c’est vrai : mon père a reçu les derniers sacrements quelques années après mon mariage, à Noyal-Pontivy [Morbihan], et ma mère une quinzaine d’année plus tard à Saint-Thuriau [Morbihan]. Elle était malade la pauvre.
- Et votre sœur Pauline est née à Neulliac [Morbihan] : vos parents ont beaucoup déménagé… Mais vous-même où êtes-vous né ?
- Ah ! Ah ! Ah ! Vous voudriez bien le savoir, petite curieuse ! Avez-vous exploré toutes les pistes ?
- [Soupir] Je vous ai longtemps cherché à Loudéac [Côtes d'Armor], avant de découvrir il y a très peu de temps seulement que vos parents n’étaient pas originaires de cette paroisse ! Alors ? Dites-moi ?
- Bah ! Ce n’est pas à moi de faire vos tâches ! D’ailleurs, je suis fatigué : je rentre.
Et avant que je n’ai pu dire quoi que ce soit, voilà mon gentil vieillard qui rentre, clopin-clopant, dans sa chaumine et me claque la porte au nez, révélant une force dont je ne le soupçonnais pas capable.

Un peu vexée d’être si grossièrement remerciée, je me dépêche d’aller jusqu’à Neulliac : sa sœur y née en 1691 comme je viens de le découvrir récemment. Olivier, lui, est censé être né en 1682 : peut-être était-ce dans la même paroisse ?
J’arrive à Neulliac : je me dirige aussitôt vers l’église. Je suis accueillie par le recteur Thepault.
- Que puis-je faire pour vous mon enfant ?
- Est-ce que vous avez le livre des naissances ?
Bien qu’un peu étonné par cette requête formulée par une étrangère à sa paroisse, le recteur me répond :
- Oui, bien sûr, dans la sacristie.

Nous nous rendons dans une petite pièce lambrissée de chêne contenant des placards et des coffres. Il flotte une bonne odeur d’encens et de cire de cierge pure. Un grand crucifix orne le mur, dominant la pièce. Sur le mur opposé une petite lucarne dispense une faible lumière. Le recteur ouvre un coffre et farfouille parmi les documents et répertoires qu’il contient. Il finit par trouver un registre aux ferrures dorées et le sortit. Les pages craquèrent un peu quand il l’ouvrit.

- C’est l’œuvre d’un relieur de Pontivy. Il est ancien, mais solidement cousu avec de la bonne ficelle. Il est fait pour durer ! Mais pourquoi cet intérêt ?
- Je recherche l’acte de baptême d’Olivier Cadoux, fils d’Olivier et de Marie Gainche, sans doute en l’an de grâce 1682. Son nom s’y trouve-t-il ?
- Oh ! oui, certainement, s’il est né dans cette paroisse, il y est forcément.

Volume ancien © lerelieurduchateau.com

Je m’approchais et prit le lourd volume entre mes mains. Le posant sur un coffre, je commençais à feuilleter les pages à l’écriture fine et lignes serrées. Je me rendis compte que je retenais mon souffle : outre la beauté de l'objet, j'avais au bout de mes doigts un morceau d'histoire, des vies qui commençaient, des petits morceaux de destin qui s'arrêteraient peut-être très vite ou bien longtemps après, donnant naissances à leurs tours. J'étais presque aussi émue que lorsque j'avais rencontré mon ancêtre Olivier quelques instants plus tôt. Au bout d’un moment, la lumière ayant baissé, je m’approchais de la petite fenêtre pour mieux voir les mots qui dansaient devant mes yeux : une succession de noms, de dates, mais point de trace de mon ancêtre.

- Hum, hum !
Le recteur toussa fort civilement derrière moi afin d’attirer mon attention :
- Je dois maintenant célébrer l’office.
Il jeta un regard vers le vêtement liturgique délicatement brodé déposé sur un coffre.

Étouffant un gémissement, car je n’avais pas trouvé ce que je cherchais, je refermais délicatement le magnifique ouvrage. Mais je me fis la promesse de continuer mes investigations : ce serait sans doute sur un ordinateur et les images que je verrai seront sûrement en noir et blanc. Il n'y aurait certainement aucun charme à ce visionnage. Et il est aussi fort probable que je ne consulterai plus le beau volume doré de Pontivy et n’entendrai plus le craquement de ses pages : ainsi va la vie. J'espère en tout cas qu'un jour je trouverai la naissance d’Olivier, comme j’ai retrouvé la trace de ses parents, bien longtemps après le début de mes recherches, quelque soit le support qui me révélera ce trésor.


jeudi 6 septembre 2018

Dispense pour les pauvres

Guillemette Le Tily (ou Le Tilly) était mariée à Marc Pierre. Ensemble ils eurent 5 enfants. Puis Marc décéda, en 1685. Son aîné a alors 11 ans, son cadet 5. Quelques années plus tard Guillemette se rapproche de Mathieu Le Denmat. Puis petit à petit ils se sont mis à se « fréquenter familièrement ». Tous sont de la même paroisse : Mûr de Bretagne (Côtes d’Armor).
Mais voilà, on commence à chuchoter, à jaser, à « malparler d’eux ». En 1688 ils décident donc de régulariser la situation et se fiancent officiellement. Ils s’accordent sur le mariage s’apprêtent à faire publier le premier ban. Or là, ô surprise, ils apprennent qu’ils sont parents ! Ou tout du moins qu’ils ont des parents en commun : un bisaïeul ou un trisaïeul. Mais c’est si loin : ils étaient « ignorants » de tout cela. Hélas il y a toujours des commères pour se rappeler ce genre de choses.
Il faudrait une dispense pour pouvoir se marier : après tout, ces parents communs on les a presque oubliés. Mais le sort s’acharne sur le malheureux couple : ils sont trop « pauvres et [n’ont pas] les moyens de recourir à Rome » pour obtenir la fameuse dispense. Alors ils se tournent vers leur curé, qui lui-même fait appel à l’évêque de Quimper. Celui-ci examine le cas avec la plus extrême attention, il tient compte des déclarations du curé et des témoins, « gens dignes de foy », que le couple a produit pour parler en sa faveur.
Enfin, la chance leur sourit : l’évêque leur permet de « contracter legitimement, et validement publiquement mariage ensemble en face d’Eglise nonobstant l’empechement du tiers au quart degré d’affinité qui est entre eux dont nous les dispensons pour les raisons cy dessus ». Et d’autre part, s’ils ont des enfants un jour, ceux-ci seront reconnus « legitimes et irreprochables ». Ouf ! Le premier mars 1688 Guillemette Le Tily et Mathieu Le Denmat se marient en l’église de Mûr.

Sur les registres en ligne figure ledit mariage… mais pas seulement. En fait près de trois pages du registre les concernent, qui évoquent trois actes différents :
- les fiançailles ; mention assez peu fréquente, mais on les retrouve parfois dans d’autres registres et/ou d’autres régions.
- l’acte de mariage proprement dit.
(- je passe sur les fiançailles que le curé recopie à nouveau par erreur, avant de s’apercevoir de sa bévue et de rayer ces lignes inopportunes)
- la dispense de consanguinité qui a été retranscrite à la suite des deux précédents ; ce qui est nettement plus rare (inédit pour moi en tout cas, mais que l’on retrouve plusieurs fois dans ledit registre).


  • Les fiançailles
On apprend donc par ce document que « les fiancailles [ont été duement] faites d’entre Mathieu le denmat et Guillemette le tily » [1] Guillemette est âgée de 30 ans et Mathieu 24. Un premier ban a été publié « sans opposition dans l’Eglise paroissiale dudit mur le denier Jour de fevrier mil six cent quatre vingt huict ». Le terme exact utilisé dans ce document est « bannie » ; terme que je n’avais jamais rencontré jusqu’à présent. Mais le couple a été dispensé « de deux autres bannies par Monseigneur levesque de quimper ».
Rappelons que la publication des bans est une procédure ayant pour utilité de rendre publique l'imminence d'un mariage, et ainsi de veiller à ce que toute personne soit à même de s'y opposer, en démontrant d'éventuels empêchements. Elle se fait en trois temps, en général par proclamation à l’office du dimanche (ou plus tard par voie d’affichage). La dispense du deuxième et/ou troisième ban est relativement courante, notamment lorsqu’il y a urgence à marier le couple (naissance imminente par exemple).
Le mariage dont il question ici a lieu en mars et la naissance du premier enfant en décembre ; il n’y avait donc pas véritablement urgence (mais le mariage a été consommé tout de suite !). A moins que ce soit là l’allusion qui se cache dernière la phrase sibylline de l’évêque dans sa dispense, mentionnant des raisons « à nous connues » - donc inconnue des autres : peut-être a-t-on déjà mordu dans le fruit… ou est-ce simplement un formule habituelle et mon imagination propre à s’enflammer !
Quoi qu’il en soit, on ne peut s’empêcher de remarquer que le premier (et unique) ban a été proclamé le dernier jour de février et que le mariage a eu lieu… le lendemain premier mars !


  • Le mariage
Expédié par une simple phrase : « lesdits fiances ont estes par parolles de presant conjoints en mariage et ont reçus la benediction nuptialle pendant le St Sacrifice de la messe » [1]. Suivent les noms des témoins et la date : 1er mars 1688.


  • La dispense
Plus rare, la dispense de consanguinité a été recopiée à la suite dans le registre. L’Église en effet interdisait les mariages au sein de la même parenté, mais il existait des dispenses, lorsque les liens n’étaient pas trop proches. Ici, nous avons affaire à une dispense « du tiers au quart » ou autrement dit du troisième au quatrième degré. En droit canon on compte un degré par génération jusqu'à l'ancêtre (ou aux) ancêtre(s) commun(s). Un frère et sœur sont considérés du 1er degré ; des cousins germains du 2ème degré ; des cousins issus de germains du 3ème degré, etc... A l'origine l’Église interdisait les unions entre parents jusqu'au 7ème degré mais au XIIIème siècle la limite a été abaissée au 4ème degré. Une consanguinité du troisième au quatrième degré signifie que le parent commun n’est pas de la même génération pour les deux fiancés : pour l’un c’est un arrière grand parent, pour l’autre un arrière arrière grand parent.
L’affinité est autre motif d’interdiction de mariage : celle-ci est reconnue lorsque qu'il y a un rapport entre l'un des conjoints par mariage et les parents de l'autre conjoint. Ce que, de nos jours, on appelle communément la parenté par alliance ; quand un oncle veuf veut épouser une nièce de sa défunte femme par exemple.
Ici c’est une dispense un peu particulière, dite « pauperibus in contrahendis ». L’évêque disposait d'un droit pour dispenser ses ouailles qui étaient trop pauvres pour pouvoir payer, et obtenir, l'autorisation de mariage directement auprès du pape. C’est pourquoi ce fait est mentionné dans le document. Ces dispenses particulières devaient être recopiées dans les registres, ce qui nous permet aujourd'hui d’en prendre connaissance.
En effet, de nos jours les dispenses ordinaires sont conservées en série G aux archives départementales, ce qui nécessite un déplacement sur place pour pouvoir les consulter. Chacune est un véritable dossier d’enquête comprenant la « supplique » des fiancés (noms, prénoms professions, domiciles), la nature et le degré de l'empêchement, et pour les cas d'affinité et de consanguinité, un tableau de cousinage où figurent les ascendants de la lignée menant à l'ancêtre commun. Des témoignages viennent appuyer ces informations. Enfin, elle se clôt par l'accord de l’Évêque.
Cette dispense est datée du 26 février 1688 : elle autorise le couple à se marier, à reconnaître légitimes leurs enfants et à se passer des deux derniers bans avant le mariage officiel. Elle a dû avoir son petit effet car la proclamation du premier ban est restée « sans opposition ».

Outre l’intérêt des ces trois types d’actes, c’est la situation qui y est décrite qui est inédite et… assez cocasse je trouve, notamment à cause de l’ignorance des deux fiancés de leur « état consanguin » et la mention des cancans qui ont déclenchés toute l’affaire.


Extrait des registres BMS de Mûr de Bretagne © AD22

Transcription des actes :
Fiançailles en jaune
Mariage en rouge
Dispense en bleu
Erreur de transcription en vert 

Mathieu le denmat et Guillemette le tilly espousés
Lesquels [ ?] les fiancailles doubment faites dentre Mathieu le denmat et Guillemette le tily tous de la même paroisse de mur evesché de quimper ledit le denmat agé d’environ vingt quatre ans et ladite le tily d’environ trante ans, une bannie ausy estante faite sans opposition dans l’Eglise paroissiale dudit mur le denier Jour de fevrier mil six cente [sic] quatre vingt huict vue aussy la dispense de deux autres bannies par Monseigneur levesque de quimper Et apres avoir veu la dispense du quart degré qui est entre eux apres dont il sensuit une coppie apres aussy avoir veu le decret [ ?] du mariage dudi le denmat en datte du vingt et deuxiesme jour davril mil six cente quatre vingt sept y signé M. Lestrat commis vers moy soubsigné curé [… ?] lesdits fiances ont estes par parolles de presant conioints en mariage et ont receus la benediction nuptialle pendant le St Sacrifice de la messe par m[ess]ire Julien le mort en presance de Jacques quendiaz le vieulx, Louis le bruyant, Jan de la Crecholin le Jeune yves le bihas lesquels interpelles fors lesdits Crecholin denmat et bihas ont declares ne signer lesdits jour et an que devant et lesdites nopces ont estes faites le premier jour de mars audit an mil six cente quarte vingt huict Icy suit la coppie de la dispense
François de Coetlogon par la grace de dieu et du St Siege Evesque de quimper et compte de Cornouaille à tous ceux qui les presantes voyront…
Apres les fiancailles doubment faites dentre Mathieu le denmat et Guillemette le tily tous deux de la même paroisse de mur evesché de quimper ledit le denmat agé d’environ vingt quatre ans et ladite le tily d’environ trante ans, une bannie ausy estante faite sans opposition dans lEglise paroissiale dudit mur le denier Jour de fevrier mil six cente quatre vingt huict vue aussy la dispense de deux autres bannies par Monseigneur levesque de quimper Et apres avoir veu la dispense du quart
Voyront, scavoir faisons que suivant le pouvoir à nous concedé de dispenser du tiers au quart degré de consanguinité et daffinité simple et mixte cum pauperibus in contrahendis, par rescript Expedié à Rome le saiziesme avril mil six cente quatre vingt sept valable pour cinq ans signé a Episcopus portuen[sis ?] card[...]lis Ibo et scellé, Mathieu le denmat et Guillemette le tily tous eux de la paroisse de mur de nostre diocèse nous ayant deposé quils se veulent espouser non obstant l’empechement du tiers au quart degré d’affinité entre eux, quils nont sceu qu’apres les bannies faites pour cause qu’Ignorante ledit empechement, ils se sont frequenté familièrement et ont donné lieu de malparler d’eux, et quils sont pauvres n’ayant les moyens de recourir à Rome Nous apres avoir veu et receu les dispositions des tesmoins gens dignes de foy sur le contenu cy dessus avons donné et donnons permission auxdits Mathieu et guillemette le tily de contracter legitimement, et validement publiquement mariage ensemble en face d’Eglise non obstant l’empechement du tiers au quart degré d’affinité qui est entre eux dont nous les dispensons pour les raisons cy dessus et autres à nous connues et en vertu du mesme pouvoir Apostolique declarons leurs enfants legitimes et irreprochables (observant dailleurs les constitutions canoniques et ordonnances royaux) et ordonnons que la presante soit enregistrée sur le livre des mariages de leur paroisse à permis de nullité. fait à quimper ce jour Jour vingt sixiesme febvrier mil six cente quatre vingt huivt. De plus dispensons lesdits denmat et le tily de deux bannies signé sr Evesque de quimper et plus bas Jacques le furir p[rê]tre secretaire et scellé du sceau loriginal [… ?] vers moy soubsigné curé lesdits jour et an que devant rature dix lignes et demie du [… ?] au milieu de la page de lautre part escrit et renvoyé à la page neuf à veu [ ?] [… ?] lesdits jour et an que devant
[suivent les signatures]


[1] Le texte entre crochets a été « modernisé » pour faciliter la lecture et la compréhension.


samedi 16 décembre 2017

#RDVAncestral : la centenaire

Le silence est quasi religieux dans la maison de Loudeac (Côtes d’Armor) où je viens d’arriver. Il y a là plusieurs amis et voisins ; et puis deux générations d’une même famille, les Jouneau ou Jouniaux. Ou plutôt trois : les deux premières étant ici pour assister à la fin d’une troisième, leur aïeule à tous. On chuchote pour ne pas déranger la malade qui repose à côté. Chacun leur tour ils viennent faire leurs adieux. Car il est certain désormais que Mathurine va s’éteindre. La maladie l’a épuisée. Le vicaire est avec elle en ce moment : il doit très certainement la confesser une dernière fois et lui administrer les Saints Sacrement de Pénitence Eucharistiques et l’extrême-onction.

Je me fais toute petite dans un coin. Yvonne, la bru de Mathurine, me propose une collation… en attendant. Non loin de moi, je repère Jean. C’est le plus jeune fils d’Yvonne ; et c’est aussi mon ancêtre direct. Il a alors 10 ans. Il semble un peu perdu. Je me rapproche de lui. S’il est clair que les aînés ont compris ce qui se joue aujourd’hui, rien n’est moins sûr pour Jean. Je lui serre le bras, mais n’engage pas la conversation : je vois bien que ses yeux sont pleins et qu’au moindre tremblement les larmes déborderont. Il fixe la porte de la chambre de sa grand-mère.

Elle a toujours été là, sa grand-mère. Il ne peut concevoir qu’il en soit autrement. Même si les adultes le lui ont dit. Même s’il sait qu’elle est très vieille. Beaucoup plus vieille que n’importe qui. Dans deux mois ce sera son anniversaire. Il lui a préparé un cadeau : il lui a fabriqué une croix dans un morceau de bois que lui a laissé son père. Oh ! ce n’est pas la plus belle qu’il ai vue, mais enfin il a mis du temps à la faire, à cause des douces volutes qui la décorent et qui lui ont donné du mal pour qu’elles soient bien régulières. Et puis c’est lui qui l’a faite tout seul. Il a hâte de la lui donner. C’est pour ça qu’il ne faut pas qu’elle meure avant le mois de mars. Mais on n’est que le 8 janvier ! Jean serre les poings. Je m’apprête à le consoler, lorsque Julien, le père de Jean, s’approche de moi :
- Vous pouvez y allez si vous voulez…

Il m’entraîne à la porte de la chambre. Je reste sur le seuil, hésitante. Il me pousse gentiment et referme derrière moi. Mathurine est seule. Dans son lit. Sa respiration est lente. Difficile. Mais, sentant ma présence, elle ouvre ses yeux et me sourit. Son visage, plus ridé qu’un vieux parchemin, s’éclaire soudain.
- Allons ! Approchez-vous, n’ayez pas peur de moi.
Je suis surprise que le son de sa voix soit aussi claire alors que l’instant précédent elle semblait si menue, si fragile dans le grand lit. Elle a dû deviner ma surprise, car elle sourit et ajoute :
- Et bien ! je ne suis pas encore morte, alors causons un peu…
Je m’installe à son chevet. Elle émet un étrange petit rire avant de redevenir sérieuse.
- Je n’ai pas peur de la mort vous savez. J’ai fait la paix avec Dieu ; le vicaire vient de m’en donner l’absolution. Et puis, la mort n’est-elle pas la promesse de temps meilleurs ? De plus j’ai eu une longue vie. Elle fut marquée, comme tout le monde, par ses malheurs (la disparition de mes proches) mais aussi par de nombreux bonheurs (les naissances puis les mariages de mes enfants et petits-enfants). Vous avez vu comme ils sont nombreux à côté, amis et parents, pour me dire adieu ? N’est-ce pas le signe que je fus appréciée dans cette vie ?
- Si on le mesure à leur chagrin, sans aucun doute, grand-mère.
Elle sourit encore.
- Et savez-vous quel âge on me donne ?
- Oui, bien sûr : vous avez passé le centenaire il y a presque quatre ans !
Elle s’esclaffe.
- N’est-ce pas incroyable ? Si on m’avait dit que je vivrais si longtemps, je ne l’aurais sûrement pas cru ! Dire que je suis née sous le règne du roi Charles IX, vous savez, celui qui aurait été empoisonné comme disent les rumeurs. J’étais trop petite pour avoir connu le massacre de la saint Barthélémy, mais elle a frappé les esprits, hélas, et j’en ai souvent entendu parler. Et j’ai connu encore… Elle réfléchit… quatre rois après lui. Le règne de son frère Henri III a été marqué par les suites des guerres de religion et de brefs épisodes de paix. Les temps étaient durs. Ce qui n’a pas empêché le roi, dit-on, de fréquenter fort assidûment les belles femmes… voire de jeunes mignons ! Mais cela ne lui a guère porté de chance : assassiné à 38 ans ! En tout cas cette mort tragique a mis fin à une dynastie de roi. Quand à son successeur, le Bourbon tantôt protestant tantôt catholique, c’était encore un roi qui aimait les guerres. Les petites gens comme nous ont bien souffert et ne l’ont guère apprécié. La prospérité des ports bretons et le commerce de la toile de lin, si florissants, ont bien souffert de ces conflits de religion incessants. Si j’en suis si sensible, c’est que les seigneurs de Pontivy dont nous dépendons ici ont embrassé la religion prétendue réformée et leur château est devenu un refuge de huguenots ! Heureusement Louis XIII, successeur d’Henri IV était un roi très pieux. On l’appelait « le Juste », le saviez-vous ? Il avait le souci du bien-être de ses peuples et du salut de ses États. On l’a gardé 42 ans à la tête du royaume tout de même. Louis le Quatorzième, qu’on appelle le Dieudonné, a succédé à son père alors qu’il n’était qu’un enfant. Cependant cela ne l’empêche pas de tenir le royaume d’une poigne de fer, décidant de tout. Mais il semble qu’il ne veuille pas mourir lui non plus. Il est toujours là. Comme moi !
Son rire léger tinte encore une fois.

Malgré son incroyable énergie, Mathurine est fatiguée. Après un silence, elle ajoute :
- Cette fois, je crois que Dieu en a assez de me voir sur cette terre. Je ne lui en veux pas et lui rend grâce de la belle vie qu’il m’a accordée. Je crois que j’ai été à peu près honnête toute ma - longue - vie. Si j’ai fais du mal à quelqu’un c’est sans le vouloir. C’est pourquoi je pars l’esprit en paix.
Un sanglot m’échappe soudain.
- Allons ! Allons ! Ne pleurez pas. Embrassez-moi plutôt et allez ! vous pouvez appeler mes enfants pour que je leur dise un dernier adieu.

Enfants, brus, gendres, petits-enfants et compagnes ou compagnons se serrent dans la chambre de la centenaire. Guillemette tient la main de sa mère en sanglotant silencieusement. Un peu plus tard, Mathurine serra légèrement plus fort la main de sa fille et ferma les yeux. Presque aussitôt, sa respiration cessa. C’était fini.

On me pria de rester pour la veillée de la défunte, mais je déclinais. Dans la nuit, je m’en retournais chez moi, heureuse d’avoir eu cette étrange et singulière rencontre avec la seule centenaire de mon arbre, même si c’était au soir de sa vie.


Acte de décès de Mathurine Le Floc, 1677 © AD22

Mathurine Le Floc aagée de cent quatre ans de cette ville est décédée en la communion de nostre mere Saincte Eglise l’huictiesme jour de janvier mil six cents septante et sept apres avoir reçu en sa derniere maladie les Saints Sacrement de penitence eucharistiques et extreme onction de moy soussigné vicaire de Loudeac Le corps de ladicte deffuncte a esté inhumé le lendemain dans le chœur de cette eglise. ont assisté au convoy Julien Jouneau fils Guillemette Jouneau fille et Pierre duault gendre de ladite deffuncte qui ne signent

 ___

Mathurine avait-elle véritablement 104 ans ? Un acte de naissance, daté de mars 1573, semble être celui d’une Mathurine Le Floc.

Acte de naissance de Mathurine Le Floc ?, 1573 © AD22 (vue 49/386)

Hélas, le document est très large, l’écriture très petite et la numérisation de trop basse qualité pour être sûre qu’il s’agit bien de l’acte de naissance de Mathurine, d’une part, et que cela soit celui de « ma » Mathurine de l’autre ; son ascendance restant par ailleurs inconnue, faute de registre conservés.
Si quelqu'un peut confirmer (ou non) cet acte de naissance, je suis preneuse...


samedi 15 juillet 2017

#RDVAncestral : le mendiant

Je suis avec Suzanne. Nous faisons face à l’enclos paroissial de l’église du Quillio. Suzanne s’est arrêtée, indécise. Je respecte son silence. Son hésitation. Elle regardait fixement l’ensemble de bâtiments de granit. Je savais qu’elle ne voulait pas venir ici ; je lui avais un peu forcée la main. « Je n’en suis pas capable » m’avait-elle dit. Mais j’avais insisté. Et nous étions ici maintenant. Je regardais à mon tour : le muret de pierre, les colonnes de granit supportant le portail en fer forgé surmonté d’une croix, la placette délimitée par le muret et au fond l’église avec sa forêt de pinacles décorant le porche et les angles de l’église. A l’extrémité ouest, le clocher, tout blanc, couvert d’une toiture en ardoise et dominé par un coq en métal.

Le Quillio, enclos paroissial © le-quillio.fr

Brusquement Suzanne fit demi-tour, me laissant seule sur la place. Je ne lui en voulais pas. Je pensais ne même pas que nous arriverions jusque là, pour tout dire. Elle avait quitté cette paroisse depuis longtemps : étaient-ce les hasards de la vie ou les mauvais souvenirs qui s’y rattachaient ? Je n’avais pas osé lui poser la question.
Finalement, je traversais la place et franchis le portail. L’office était terminé mais quelques personnes flânaient encore ici et là, par petits groupes, devisant tranquillement, s’accordant un moment de repos avant le reprendre le labeur quotidien. 

Je ne le vis pas tout de suite, mais je savais où le trouver : il était toujours au même endroit, m’avait dit Suzanne. Je pris mon temps pour m’approcher. Effectivement, dans la pénombre profonde du porche, je commençais à le distinguer. Au début ce n’était qu’une ombre, puis la silhouette se fit plus nette. Il était assis, le dos au mur, les jambes repliées sous lui. Il était si concentré qu’il ne me remarqua pas au début. Il comptait les quelques piécettes que la charité des paroissiens lui avait octroyée au sortir de la messe. Je m’arrêtais à bonne distance pour le contempler sans l’offenser. Ses vêtement n’étaient que guenilles, la barbe lui mangeait les joues, ses cheveux étaient hirsutes et sales. Un profond sentiment de tristesse m’envahit. J’avais sous les yeux la misère. Non pas la misère ordinaire, mais celle d’un de mes ancêtres. Etait-ce pour cela qu’elle me touchait particulièrement ? 

Yves le Corre était le frère de la grand-mère de Suzanne. Il mendiait là depuis plusieurs années. L’affaire était un peu compliquée, et je n’avais pas su démêler le vrai du faux dans les différentes versions de son histoire que j’avais entendues : est-ce que sa famille l’avait abandonnée ? Est-ce lui qui avait refusé leur aide ? Y avait-il eu fâcherie irrémédiable ? Ou juste un désespoir qui vous entraîne vers l’abîme ? Il n’avait pas dû avoir une enfance très heureuse. Ses parents avaient été mariés 10 ans et avaient eu 4 enfants, dont une petite fille qui n’avait pas vécu. Puis sa mère mourut des suites d’une longue maladie alors qu’Yves n’était âgé que de 7 ans. Son père s’était rapidement remarié et un garçon était venu agrandir la fratrie dès l’année suivante. Les années avaient passées et ce n’était qu’à 43 ans qu’il s’était finalement lui-même marié. Puis il était devenu veuf à son tour.
Et aujourd’hui, à près de 80 ans, il était là. Seul. A mendier sous le porche de l’église. 

Je comprenais Suzanne qui ne voulait pas venir. Ne pas voir ce spectacle désolant. C’était le frère de sa grand-mère - un parent relativement éloigné, donc - mais ça devait lui déchirer le cœur de le voir ainsi.

Est-ce parce qu’il avait fini de compter ses pièces, ou m’avait-il aperçu du coin de l’œil ? Il releva la tête et tendit son bras vers moi. Sans un mot. Juste un pauvre sourire qui n’éclairait pas sa triste face. Dans sa main, une coupelle en argile dans laquelle tintaient quelques pièces. Je me penchais vers lui. Nos regards se fixèrent, intensément. Je lui mis dans la main de la monnaie que j’avais prévue à cet effet. Je gardais un moment sa main dans les miennes, sans que mes yeux ne quittent les siens un seul instant. Combien de temps cela a duré, je ne saurais le dire. Mes émotions se bousculaient. C’était un moment très fort. Est-ce qu’il perçu quelque chose de particulier, moi qui étais sa descendante ? Nous avons l’air aussi ému l’un que l’autre. 

Finalement c’est l’arrivée du curé, un quignon de pain à la main, qui nous sépara. Je partis vite, écrasant une larme au coin de l’œil : je savais que d’ici la fin de l’année il trouverait la mort, par une nuit froide de décembre. Le curé de la paroisse écrirait sur le formulaire pré-rempli du registre de décès qu’il n’avait pas survécu au-delà de quatre heures du matin, il mettrait « mendiant » à côté de « profession » et que les deux témoins cités dans cet acte seraient un colporteur et un laboureur.

Ces quelques lignes ne disaient rien. Et pourtant elles disaient tout : la pauvreté, la solitude, l’absence familiale…La triste fin d’une pauvre vie.


Rencontre avec Yves le Corre, frère de mon ancêtre Marie, mendiant, décédé le 30 décembre 1815 au Quillio (Côtes d’Armor).


vendredi 11 septembre 2015

Décédé chez la veuve d'à côté

Que s'est-il passé en 1722 au village de la Villeneuve (paroisse de Mûr de Bretagne, 22) ? Une note sibylline du curé dans un acte de décès m'alerte et me fait mener l'enquête.

Avant d'en venir aux faits proprement dit, examinons le contexte :
En 1695 Jean Le Dilhuit épouse Olive Guitterel à Mûr de Bretagne. Il a une trentaine d'années (les sources ne sont pas toutes d'accord sur l'année exacte de sa naissance) et Olive a 23 ans. Ensemble ils auront six enfants, dont trois fils et une fille mort-née. En 1704, alors qu'elle n'a que 32 ans, Olive décède. Bien qu'à la tête d'une famille de cinq enfants, âgés de 8 à 3 ans, Jean ne semble pas s'être remarié (en tout cas pas à Mûr).

Jean décède à son tour, une vingtaine d'années plus tard. Mais voici le fameux acte de décès :

Acte de décès de Jean Le Dilhuit, Mûr de Bretagne, 1722 © AD22

Jean le Dilhuit aagé denviron soixante et trois ans décédé chez 
Marguerite Baudic veuve de feu Guillaume Guilloux du village de
Auquinian paroisse de Neuliac le vingt et unieme jour du mois de janvier 
mil sept sept cens vingt et deux et transporté par ses enfants par ses
enfants (sic) en sa demeure au village de la Villeneufe paroisse de
Mur, a esté ensuite enterré {le vingt et quatrieme} par moy soussignant Recteur dans leglise
paroissiale dudit Mur et ont assisté au convoy Estienne Ledilhuit
Guillaume Le Dilhuit ses fils marie Le Dilhuit Susanne le Dilhuit
ses filles et Claude Ralle qui ne signent lesdits jours et an que dessus
interligne vingt et quatrieme approuvé
yves le berre Recteur de Mur

Jean n'était donc pas chez lui lorsqu'il a quitté ce monde; c'est le moins qu'on puisse dire. Mais ses enfants ont ramené son corps fissa à la maison !

Ce court texte est plein de non-dits :
  • la relation qu'entretenaient Jean et la veuve Guilloux,
  • la réaction des fils face au lieu de décès, plutôt original, de leur père, 
  • la location d'un attelage, s'ils n'en possèdent pas (on ignore leur métier),
  • le retour du corps à la maison - la maison légitime,
  • la réaction de l'entourage, des voisins, du curé,
  • l'emplacement du tombeau : avec sa défunte épouse légitime ? Ses parents ?

Aussitôt, mon imagination s'enflamme et vient combler les trous : l'intimité entre le veuf et la veuve, la stupéfaction des fils apprenant le lieu de décès de leur père, le retour à la maison et l'organisation des obsèques.

Bien sûr, la veuve Guilloux est peut-être juste l'épicière du coin. Et le décès de Jean chez elle, tout à fait anodin. Néanmoins, je ne peux m'empêcher de penser qu'ils entretenaient des relations particulières. A cause de la mention du curé qui a souligné ce lieu de décès peu ordinaire et aussi à cause de son tremblement (un tremblement intellectuel, j’entends, avec la répétition des termes "par ses enfants" et l'oubli de la date rajoutée en interligne : était-il perturbé en rédigeant l'acte ?).

Puis je me suis intéressée à la fameuse veuve. Après l'avoir vainement cherchée (notamment sur Genearmor), j'ai essayé de la retrouver par sa paroisse. Malheureusement j'avais du mal à l'identifier : aucun nom ne semblait correspondre dans les Côtes d'Armor. Aux grands maux les grands remèdes, j'ai élargi la recherche à toute la Bretagne. Et c'est là que j'ai identifié la veuve et sa paroisse.

Auquinian est un village de la paroisse de Neulliac (aujourd'hui dans le Morbihan), distant de Mûr de 10 kilomètres - les paroisses sont voisines, malgré le changement de département actuel.

Marguerite et Guillaume ont eu au moins deux enfants, nés en 1706 et 1707. Plus surprenant, un acte de décès de Guillaume Guilloux a été trouvé... mais en 1730; un acte paraissant vraisemblable (avec mention de deux beaux-frères plausibles) mais qui vient contredire l'état de veuvage de Marguerite en 1722. Je penche plutôt pour un homonyme décédé en 1730 (notamment parce que sa fille se mariant en 1726 est dite "décrétée de justice" [ 1 ] et que le décès de la mère n'a pas été trouvé avant ce mariage : c'est donc le père qui est décédé).

Me voici ainsi épluchant les registres de Neulliac, à rebours : je trouve finalement un autre Guillaume Guilloux, décédé en 1720. Les témoins sont moins convaincants, mais la date correspond mieux. Sans certitude, je l'adopte; car enfin il y a peu de chance que Jean se soit trouvé chez son "amie" si celle-ci était encore mariée !

Où se sont-ils connus ? L'histoire ne le dit pas. Ils n'apparaissent ni l'un ni l'autre comme témoins de leurs actes familiaux respectifs. J'ignore quel métier ils pratiquaient.

Et en fin de compte, je ne saurais jamais quelles relations entretenaient Jean et Marguerite. Peut-être que je me suis laissée emporter par mon imagination ? Ou y avait-il vraiment une histoire entre eux ?



[ 1 ] Décrété(e) de justice : dit de l'un des époux qui est mineur et orphelin de père ou de mère. Spécifique à la Bretagne. Ce consentement (dit "décret") est reçu devant le juge du lieu où le mariage doit être célébré. L’opération, d’après la coutume de Bretagne, requiert en outre l’avis de 12 parents paternels ou maternels. Selon l’avis rendu par les parents, le juge "décrétait" ou non le mariage, en suivant l’opinion des personnes présentes.

vendredi 10 juillet 2015

L'appel de ses ancêtres

Pendant plusieurs années consécutives, mes parents et moi avons pris l'habitude de partir en vacances sur les traces de nos ancêtres. Chacun avait sa tâche : je préparais les recherches généalogiques en amont, ma mère s'occupait du gîte qui nous accueillerait et mon père nous conduisait.
Nous avons ainsi visité Conques (Aveyron), berceau des ancêtres de mon père, puis Samoëns (Haute-Savoie) et Loudéac (Côtes d'Armor), ceux de ma mère. Pour les deux premiers, le but était surtout de dénicher les actes d'état civil qui n'étaient pas en ligne. Le dernier était purement touristique, avec l'idée tout de même de voir les lieux où mes aïeux maternels avaient vécu.

Or donc, en cette "année bretonne", ma mère avait présélectionné plusieurs hébergements possibles et me les avait envoyés pour me demander mon avis. Parmi eux, un gîte situé sur la commune de Saint-Caradec, au lieu-dit La Theilo (à une dizaine de kilomètres de Loudéac).

Je me suis toujours demandé si l'appel de ses ancêtres avait résonné en ma mère. Parce que oui, ses ancêtres ont bien habité La Theilo à Saint-Caradec ! Parmi tous nos ancêtres bretons habitant Loudéac ou les environs (Saint-Caradec, Cadélac, Le Quilio, Merléac, Mûr de Bretagne, Saint-Guen, Trévé), parmi tous les hébergements possibles, comment a-t-elle sélectionné ce gîte situé précisément dans ce lieu-dit ? Est-ce un simple hasard ? Ou y a-t-il autre chose ? Cela, nous ne le saurons jamais...

Extraits carte Cassini et vue aérienne La Theilo / Saint-Caradec © Geoportail

A partir de là, plus question d'aller voir ailleurs. Nous avons logé sur le lieu même où Corentin Le Goff a vu le jour en 1779. Je connais peu de chose sur ses parents, Olivier Le Goff et Marie Etienne. Mariés en 1775, ils auront (au moins) cinq enfants. Ils meurent tous deux en 1817, à sept mois d'intervalle. Corentin sera maçon, comme son père. 

Pourtant, en ce pays, beaucoup de nos ancêtres étaient tisserands ou tailleurs d'habit. On y travaillait "les toiles de Bretagne". Ce voyage nous a permis de découvrir cette activité (entre autres).

Reconstitution historique de tissus © auxfilsdelarz.fr

Du XVI au XVIIIème siècle, la culture du lin et du chanvre, la fabrication des toiles et leur exportation vers l’Angleterre, l’Espagne et ses colonies d’Amérique ont occupé une main-d’œuvre considérable et ont fait la richesse de toute la Bretagne [ 1 ].

Cette activité toilière a eu des conséquences importantes sur le plan économique (prospérité), démographique (augmentation de la population) et artistique (maisons de marchands, enclos paroissiaux, etc.).

Elle a placé la Bretagne au cœur d'un vaste système d'échange planétaire. Les graines de lin étaient importées de Lituanie, via la Baltique et les Flandres, par le port de Roscoff ; les toiles étaient exportées vers l'Angleterre et l'Espagne par les ports de Saint-Malo, Morlaix, Landerneau… De l'Espagne, où étaient implantés des marchands français, les toiles de lin et de chanvre gagnaient les colonies d'Amérique.

Lin en fleur © Wikipedia

La production des toiles de Bretagne a constitué une activité massive pendant tout l'ancien Régime et encore au début du XIXème siècle. Elle prenait la forme particulière d'une "manufacture dispersée" faisant appel à une main d'œuvre rurale travaillant à domicile à partir de matériaux cultivés dans les jardins.

Dans le pays de Loudéac le lin tissé prenait le nom de « Bretagnes légitimes ». Longtemps les ateliers sont demeurés traditionnels. Ils se composaient de métiers à tisser, installés dans la maison près d'une source de lumière, de bobineuses ou de mécanismes à préparer les canettes.

Le travail du lin commence à la mi-juillet par l’arrachage des plants par la racine. Le lin est ensuite mis à rouire au ruisseau ou dans des cuves maçonnées. On fait tremper les plants une dizaine de jours afin que l’eau dissolve la gomme et agglutine les fibres. Ensuite on égrène le lin à l’aide d’un peigne en acier puis les tiges sont liées en bottes. L’égrenage se pratiquait parfois avant le rouissage. Les graines servent à la semence suivante ou à la fabrication d’huile. Puis on procède à l’écouchage, qui consiste à gratter les fibres avec un morceau tranchant de verre ou de fer pour en éliminer les impuretés. Les fibres courtes servent d’étoupe pour le calfatage des bateaux ou, mélangées à de l’huile, au bouchage des bouteilles de vin (à une époque où le bouchon de liège n’existe pas encore). Les filassiers vont ensuite, de ferme en ferme, mettre en place les filasses sur des cadres de bois. Les femmes filent au fuseau dans un champ ou près d’un de la cheminée et parfois au rouet à main ou à pédale. Les bobines sont alors mises bout à bout et posées sur un dévidoire qui permet de confectionner des écheveaux. Ces derniers sont acheminés chez le teilleur qui confectionne la toile.

Tisserand © tibihan-locronan.com

A Loudéac, l’industrie du lin et le commerce qui y était lié connurent leur apogée au XVIIIème siècle puis déclinèrent pour disparaître à la veille de la guerre 1914/1918.

A la simplicité de cette production succédait une intense activité d'exportation reposant sur des marchands dont la prospérité se repère aujourd'hui encore dans des constructions ostentatoires. Il peut être classé selon trois catégories :
  • un patrimoine lié à la production et au traitement des plantes à fibre, ainsi qu'à la production de toiles : routoirs, maisons buandières (ou « kanndi »), maisons de paysans-tisserands, manufactures, etc. 
  • un patrimoine lié au commerce des graines et des toiles : maisons de marchands toiliers, hôtels de négociant, halles, etc. 
  • un patrimoine indirectement lié à cette activité.

Outre une richesse individuelle, l'activité toilière est à l'origine d'un enrichissement collectif par le biais des offrandes faites aux fabriques des paroisses. Cet enrichissement et la concurrence entre paroisses expliquent notamment l'édification d'églises somptueuses et d'enclos paroissiaux dans le Finistère.

L’essoufflement de cette activité est sans doute aussi une des causes de l'émigration des Bretons. C'est ainsi que trois générations plus tard la descendante de Corentin Le Goff, Ursule Le Floch, s'installera en Ile de France. Mais ça, c'est une autre histoire...



[ 1 ] Source : www.linchanvrebretagne.org