« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 23 mai 2014

#Généathème : Souvenirs de guerre

Daniel Astié épouse Marcelle Assumel-Lurdin en 1935 à Angers (49). Lorsque la seconde guerre mondiale éclate ils ont deux enfants : Françoise née en 1937 et Jean né en 1938. Il est employé de commerce.

Rapidement les conditions de vie se dégradent en ville. Le rationnement devient très difficile. Marcelle et ses deux jeunes enfants sont évacués "en sud Loire" : ils vont habiter à Martigné-Briand, petite localité de 1 600 habitants à 35 km au sud d'Angers, chez Rose, la sœur de Marcelle, et son mari André qui ont un garage. Jean se souvient avec gourmandise d'une découverte incroyable en ces temps de guerre : une tartine beurrée ! C'était peut-être une des premières fois qu'ils mangeaient du beurre.

Marcelle et ses 5 premiers enfants, 1945, coll. personnelle

Daniel est resté à Angers. Il a été réformé, probablement pour faiblesse de constitution. Il travaille pour une association (dont le nom s'est perdu dans les méandres de la mémoire) qui assiste les familles. Il est chargé de trouver des fermiers dans les campagnes angevines qui acceptent d’accueillir des enfants de la ville afin qu'ils puissent être nourris convenablement. Il organise des convois pour emmener les enfants à la campagne. Françoise se souvient du car complètement peint en blanc avec une grosse croix rouge dessinée sur le toit afin que le véhicule ne soit pas bombardé. L'association apporte son secours au travers de différentes actions, comme la distribution de lait en poudre dans les écoles.
Toujours à Martigné-Briand, Marcelle accouche de son troisième enfant, une petite fille appelée Odile. Celle-ci a souvent raconté qu'elle était née alors que ses parents n'étaient pas là !

La famille rentre ensuite à Angers, puisque lorsque Michel naît en 1942 ils sont tous réunis en ville.
Les enfants se rappellent des bombardements. Françoise raconte comment, dans l'église Saint-Laud, voisine de la gare, le curé se recule au moment de la communion et c'est alors qu'une bombe s'abat sur l'église (ratant sans doute la gare) décimant tous les fidèles assemblés dans l'église. Le curé reste seul survivant.
S'agit-il des bombardements de 1944 ? En effet, lors de la nuit du 28 au 29 mai, un déluge de fer et de feu s'abat sur le quartier Saint-Laud, les Alliés cherchant à ralentir la progression allemande en visant en priorité les nœuds ferroviaires, de Nantes à Tours. Pendant quarante minutes, plus de cent trente bombardiers emplissent le ciel, accomplissant leur cruelle mission. L'objectif est atteint. Mais autour de la gare et de ses matériels, totalement détruits, huit cents maisons le sont aussi, et près de sept mille partiellement. Dans les caves, dans les abris, dans les rues et les murs éventrés, on dénombre une multitude de victimes et de blessés. Dans le journal Le Petit Courrier des jours suivants, on fait état des travaux de déblaiement et des recherches des victimes, parmi lesquels les mineurs ardoisiers de Trélazé se distinguent particulièrement. Des bombes à retardement ralentissent la progression des recherches, tuant ou blessant les sauveteurs. "Partout les sinistrés sortent de leurs maisons ce qu'ils ont pu sauver et entassent dans les rues un pitoyable mobilier. Un lamentable exode se poursuit et les environs d'Angers hébergent de nombreux réfugiés".
Le 1er juin, le Petit Courrier rend compte des obsèques des victimes : on recense plus de 20 000 personnes lors des funérailles, pressées en l'église Saint-Serge et dans les rues alentours car l'édifice est trop petit pour accueillir la foule. L'évêque préside aux obsèques. Une centaine de cercueils s'alignent devant le maître autel et jusque dans le transept. "D'innombrables bouquets, gerbes et couronnes de fleurs garnissaient les cercueils".

Plus tard, Jean se souvient de la débâcle allemande. Il est à nouveau à la campagne, cette fois à Saint-Georges-des-Gardes. Malade, sa mère le soigne. Il ressent sa peur face aux convois de camions allemands qui passent devant la maison. Les fenêtres sont calfeutrées pour éviter que la lumière ne filtre à l'extérieur et attire l'attention. La tension est à son maximum lorsqu'un Allemand frappe à la porte.

Après la guerre, la famille travaillera pour  l'UDAF (Union Départementale des Associations Familiales). Celle-ci est née après-guerre, fédérant les diverses associations familiales pré-existantes (dont celle pour laquelle travaille Daniel).
La famille prend la gestion de la maison familiale installée au domaine du Hutreau, à Sainte-Gemmes-sur-Loire. A l’origine ce n’était qu’une closerie, dite « la Perrière » : exploitation agricole complète avec jardins, verger, terres labourables, prés, vignes, destinée à entretenir une famille de bourgeois citadins. Il reste deux bâtiments, "l'annexe" (dépendances) et le château de style Renaissance. De 1932 à 1952 : la société anonyme immobilière du Hutreau loue le domaine aux Ursulines d’Angers, pour en faire un établissement d’enseignement de jeunes filles. En 1944, la Gestapo fait du Hutreau son quartier général. Lors de la libération d’Angers ils s’enfuient précipitamment laissant le domaine en l’état. Les Ursulines reprennent l’enseignement au domaine, de 1944 à 1946. En 1947, le Hutreau devient l’une des quarante maisons familiales de vacances du Mouvement Populaire des familles. 

Daniel et Marcelle s'installent alors au Hutreau avec leurs 5 enfants (Christian, né en 1945 est venu agrandir la fratrie). Dès le lendemain, ils doivent accueillir une vingtaine de pensionnaires. Marcelle prélève ses propres économies pour faire les premières courses et doit très vite s'improviser cuisinière à grande échelle. Au cours des années, le couple va faire des travaux réguliers pour entretenir le domaine, notamment de peinture se souvient Jean. Mais la première action de Daniel est de jeter la baignoire où la Gestapo torturait ses prisonniers lorsqu’ils occupaient le château.

Daniel, fils de Daniel et Marcelle, naît au château en 1948, dans la chambre qu'occupent ses parents dans l'appartement du premier étage. Il est l'avant-dernier de la fratrie.

Détail du Hutreau, fenêtre cerclée de rouge: la chambre où est né Daniel, 
© D. Letellier


Daniel est mon père. Daniel et Marcelle étaient mes grands-parents.


Merci à mon père, mes oncles et tantes pour leurs souvenirs qui m'ont permis de rédiger cet article.

mercredi 21 mai 2014

Challenge AZ 2014

J-10 pour le Challenge AZ !
Le principe est simple : un article par jour et par lettre, suivant le fil de l'alphabet (sauf les dimanches * ) toujours sur le thème de la généalogie, bien sûr.

Calendrier Challenge AZ 2014

C'est grâce au Challenge AZ 2013 que j'ai découvert les blogs de généalogie : en tombant par hasard sur les articles des participants, j'ai ensuite navigué dans les divers blogs.

Et ça m'a donné très envie !

Envie de participer au challenge - mais découvert vers la fin du mois, trop tard pour y participer en 2013.
Envie d'écrire sur une passion - la généalogie.
Envie de transmettre - mes découvertes.

Et me voilà lancée dans l'aventure :
  • ouverture du blog en novembre 2013
  • première participation au Challenge AZ en 2014
Une production d'articles donc conséquente à venir (et à lire) . . . En espérant que vous y trouverez autant de plaisir que j'en ai eu à les écrire.


* Comme il manque un jour ouvrable en juin, le challenge commence exceptionnellement le samedi 31 mai.

jeudi 15 mai 2014

Décès originaux

Les actes de décès sont parfois émaillés de mentions précisant la cause du décès ou les lieux d'inhumation; c'est ce qui en fait "l'originalité". Cocasses ou tristes, informatives ou pleines de sous-entendus, voici un florilège de ces mentions : 

Cimetière de Conques, coll. personnelle


- la mort naturelle :
  • Le Joly Michel est décédé "d'une mort inopinée", selon son acte de décès en 1688 à Loudéac, mais heureusement « après s’être confessé depuis quelque temps [ . . . ] et avoir reçu l’extrême onction ».
 
Détail acte de décès Le Joly Michel, AD22

  • Hugon Humbert est décédé en 1732 à Apremont : « dans son lit ».
  • Testafort Henry est décédé en 1731 à Apremont : «  de mort naturelle ».

    - l'accident :
    • Monneret Clemence est décédée "par une chute" en 1720 à Viry.

    - la maladie :

    • Merlan Jeanne est décédée en 1725 de maladie, à la Chapelle sur Crécy, mais "après avoir reçu les sacrements de l'Église".
    • Alombert Goget François est décédé en 1775. Selon l'acte « Il est décédé à Villers les Bois "où il est venu pour peigner le chanvre, s'y est trouvé saisi d'une maladie delaquelle après avoir été muni des sacrements il est mort" (copie de l'acte de décès reçu par le curé de Lalleyriat qui "certifie avoir couché mot à mot sans avoir ni ajouté ni diminué l'acte mortuaire"). »
    • Collet Guillaume est décédé en 1705 à Merléac : "Les Saints Sacrements d'eucharistie de pénitence et d'extrême-onction luy ont été administrés pendant la maladie".
    • Ouvrard Magdelaine est dite "morte de contagion" le 28 septembre 1640 à Villevêque. L'époux de Magdelaine, Pierre, est lui-même décédé le 8 dudit mois (la cause du décès n'étant pas précisée). En parcourant les registres, on s'aperçoit qu'un autre couple est décédé de la même façon le mois précédent. Par ailleurs, on sait que la peste sévissait à Villevêque en 1640 : Selon Célestin Port, dans son Dictionnaire historique de Maine et Loire, "en 1640 la peste était sur la paroisse et le curé en fuite." C'est donc sans doute la cause de ces décès. 
    • Vigneron Mathurine est décédée en 1668 à La Gaubretière "après avoir reçu les sacrements requis au malade".
    • Daburon Aubin décède le 20 juin 1626 à Bauné, après 6 de ses enfants, tous décédés à moins d'un mois d'intervalle, âgés de 5 à 20 ans. La cause de ces morts n'est pas précisée, mais on sait que la peste sévit en Anjou à cette période aussi : c'est sans doute la cause de ces morts multiples.
    • Josso Mathurine est décédée en 1658 à Loudéac : "ayant préalablement reçu les saints sacrements de pénitence, eucharistiques et extrême onction en la dernière maladie par Maître Pierre le Bourgeois prêtre approuvé pour la confession."
    • Jegard Julienne est décédée en 1796 à Loudéac "après une maladie de langueur".

    - les noyés :

    • Gibert Pierre André est décédé par noyade le 22 avril 1834 à La Chapelle sur Crécy : "il a été noyé dans le Morin par accident au pont de Coude et n'a été retiré qu'hier" (le pont du Coude se trouve vers Tigeaux, à 5 km de La Chapelle). Selon l'acte de mariage de son fils il serait décédé le 11 décembre 1833 : est-il resté tout ce temps dans l'eau ? La mention "n'a été retiré qu'hier" pourrai le laisser supposer.
    • Pochet Jean Denis est décédé par noyade en 1792 à Guérard. Le rédacteur de l'acte de décès précise qu'il est "autorisé à donner une sépulture ecclésiastique" à la dépouille retrouvée le lendemain de sa noyade.

    - les lieux d’inhumation :
    • Le Dilhuit Jean est décédé en 1722, à Mûr de Bretagne, « chez Marguerite Baudic veuve de feu Guillaume Guilloux [ . . . ] et transporté par ses enfants en sa demeure au village de la Villeneuve [ . . . ] et a esté ensuite enterré [ . . . ] dans l'église paroissiale." Son épouse légitime est décédée 18 ans auparavant. On peut penser qu'il entretenait avec cette veuve des relations... particulières.
     
      Acte de décès de Le Dilhuit Jean, AD22
    • Lors de son décès, en 1765 à La Cornuaille, le corps de Gilberge Denise  a été "levé, conduit au couvent des Augustins de Candé et y inhumé".
    • Allory Jean est décédé en 1648 à Cheviré le Rouge et il est "inhumé dans la fosse de sa défunte première femme" (elle-même décédée  en 1639; la seconde lui survit jusqu'en 1673).
    • Batejat Anne est décédée en 1768 à Bez Notre-Dame (Campouriez) et elle est, elle aussi "ensevelie au cimetière de l'église paroissiale dud Bez au tombeau de ses parents et predecesseurs".
    • Baudin Jean Jacques est décédé en 1709 à Cerdon et il a été "inhumé en la nef de l'église de cette paroisse près la chapelle".
    • Coconnier Louise est décédée en 1664 à Aviré et elle a été "inhumée en l'église d'Aviré au-dessus de la petite porte proche [du] benitier".
    • Nicod Thérèse est décédée en 1718 à Viry et elle a été enterrée "dans le cimetière de l'église de Viry derrière la sacristie".
    • Peytier Pierre est décédé en 1698 à Samognat et il a été "enterré en la place de ses prédécesseurs après avoir reçu les sacrements que doit recevoir un chrestien".

    - les curiosités :
    • Perret Marie Humberte est décédée "à 20 h du matin" en 1739 à Taninges.
    • Le décès de Guilliot François est curieusement signifié : "le 29 [mai 1695 à Samoëns] a commencé l'anniversaire de François, fils de feu François Guilliot mort dehors". Dans le même registre des décès figurent d'autres mentions semblables. A-t-il disparu ("mort dehors") et considère-t-on au bout d'un moment qu'on peut légitimement le déclarer mort et entreprendre "l'anniversaire" du décès ?
    • Lors du mariage de Baudin René et Poisbleau Louise, à Saint Mesmin en 1806, les témoins du mariage "ont tous assuré par serment ne savoir ni où ni quand les parents [desdits mariés] sont décédés".
    • Marolleau Hilaire : Dans son acte de décès, en 1789, à Nueil les Aubiers, il est fait mention qu'il était présent "un très grand nombre d'autres parents et amis" : la formule, rare, montre-t-elle sa popularité ?
    • Le Dilhuit Etienne est décédé en 1737 "dans la paroisse de Neuliac sur le grand chemin de Pontivy à Corlay et la levée du cadavre ayant été faite par les juges dudit Pontivy le lendemain [ . . . ] comme il est conté par la lettre missive du sieur Reteux dudit Neuliac qui a gardé par devers lui la permission des juges dudit Pontivy par eux à luy donné après avoir fait la levée dudit cadavre lequel suivant aussi permission [ . . . ] pour recevoir la sépulture ecclésiastique, a été enterré dans le cimetière de cette église paroissiale".
    • Après le décès de Raisne Toussainct, à Jarzé en 1650, on "célèbre à son intention un trentain", c'est-à-dire trente messes traditionnelles célébrées pendant trente jours et sans interruption, pour la délivrance des défunts.
    • Viau Françoise est décédée trois jours après son époux, à Pellouailles-les-Vignes, en 1631. Dans le registre, son acte de décès et celui de son époux se suivent. Elle n'est pas nommée, mais seulement dite "la femme dudit bougard". Elle est décédée en même temps que "trois de ses enfants" (ils ne sont pas prénommés).
    • Martin Pierre et Amagat Marianne ont un premier enfant en 1759 à Conques; mais la naissance se passe mal : "le chirurgien a baptisé par un pied un enfant de Pierre Martin et Marianne Amagat et puis la tiré mort, lequel a été enseveli". On remarque la présence d'un "chirurgien" (et non la matrone ou sage-femme habituelle) : l'accouchement a donc dû être long et difficile pour qu'on fasse appel à un praticien. En on comprend pourquoi : l'enfant se présentait par le siège, les pieds en avant. La mort du nouveau-né a dû être pressentie avant l'expulsion car le baptême a lieu alors que le bébé n'est pas encore complètement né. En effet, une fois sorti, la mort a été constatée. (cf. article Hélas monsieur . . . sur ce blog).



    samedi 3 mai 2014

    Elu maire à l'unanimité... ou presque

    En cherchant tous les enfants qu'a eu mon ancêtre François Guetté, je suis tombée sur une formulation peu commune (en tout cas inédite pour moi)  :


    Acte de naissance de Marie Guetté, AD79

    "Le douze avril mil huit cents sept est né de moi maire sousigné et de jeanne merlet mon épouse à huit heures du matin un enfant de sexe féminin a la quelle j'ai donné le prénom de Marie et ce en presence de joseph jamart tisserand agé de vingt six ans et de jean chaillou domestique agé de cinquante les quels ont déclaré ne savoir signer de ce enquis. le mot douze refait approuvé -
    guetté maire"

    Aussitôt je quitte la recherche d'enfants pour me pencher sur cette histoire de maire !

    En effet, pour ceux qui ne sont pas familiers avec ce type d'acte, la formule est plutôt "par devant nous M. Xxx maire de cette commune officier de l'état civil est comparu M. Yyy lequel nous a présenté un enfant de sexe féminin né aujourd’hui de lui et de Mme Zzz son épouse". Or là, l'enfant est né "de moi et mon épouse". 
    Et c'est comme ça que j'ai découvert que mon ancêtre était maire de la commune de Saint-Amand (79).

    Je remonte le temps en observant à la loupe la signature au bas de chaque acte, à la recherche de la mention "guetté maire" qu'il appose discrètement en tant que maire de la commune. Je peux remonter comme ça jusqu'à frimaire an XIII (novembre 1804) et, dans l'autre sens, jusqu'à fin 1812.

    Saint-Amand-sur-Sèvre est une commune des Deux-Sèvres ayant tout juste un peu plus de 1 000 habitants en 1806. La commune se trouve à la frontière de la Vendée, au bord de la Sèvre nantaise, dans un triangle entre Les Herbiers, Cholet, et Bressuire. C'est le berceau d'une des branches principales de mon arbre. La légende raconte que saint Amand naquit le 7 mars 594 au pays d'Herbauges, c'est à dire dans la région des Herbiers. Ayant été admis, à peine sorti de l'enfance, dans un monastère de l'Ile d'Yeu, il en chassa, après une brève prière, un serpent de taille prodigieuse, terreur de la population, et qu'on ne revit jamais plus. Il meurt en 675. Sa fête est célébrée dans le diocèse de Poitiers le 8 février. A la mort du saint, la paroisse prend le nom de Saint-Amand et se met sous son patronage. Saint-Amand, comme les autres communes du canton, prit une part très active aux guerres de Vendée, à cause du refus absolu de la conscription lors de la levée en masse qui est décidée en mars 1793 pour aller défendre les frontières de l'Est menacées et surtout du refus de la "constitution civil du clergé" à laquelle la plupart des prêtres refusent de prêter serment.

    Le terme de maire est ancien, puisque c'est un curé de Saint Germain des Prés qui l'utilise le premier au IXème siècle (sous la forme "maior"). Comme les campagnes, les villes sont placées sous l'autorité d'un seigneur. Cette autorité est de plus en plus mal ressentie par les bourgeois qui désirent s'en affranchir, car elle entrave les activités commerciales et le développement des villes. A partir de la fin du XIème siècle, les bourgeois s’unissent et forment une "commune". Ils obtiennent du seigneur des avantages mis par écrit dans une charte. Un conseil gouverne la ville. Il est composé d’échevins (terme du Nord de la France) ou de consuls (Sud de la France). 

    A la Révolution, les paroisses sont remplacées par des communes : le , l'Assemblée nationale constituante décrète "qu'il y aura une municipalité dans chaque ville, bourg, paroisse ou communauté de campagne". Le 14 décembre 1789, la Constituante vote une loi créant les municipalités ou communes désignées comme la plus petite division administrative en France. "Les officiers et membres des municipalités seront remplacés par voie d’élection. Le chef de tout corps municipal portera le nom de maire". Pour être électeur il fallait être citoyen actif, c'est-à-dire qu'il fallait payer un impôt au moins égal à la valeur locale de trois journées de travail. Pour être élu, il fallait être encore plus aisé et payer un impôt au moins égal à dix jours de travail. Le maire était élu pour deux ans. Le vote ne se déroulait pas selon la formule actuelle d’une urne mise à disposition de chaque électeur isolé, mais dans le cadre d’assemblées correspondant au maximum à 4 000 habitants.

    Les fonctions propres au pouvoir municipal sont :
    - de régir les biens et revenus communs des villes, bourgs, paroisses et communautés ;
    - de régler et d’acquitter celles des dépenses locales qui doivent être payées des deniers communs ; 
    - de diriger et faire exécuter les travaux publics qui sont à la charge de la communauté ;
    - d’administrer les établissements qui appartiennent à la commune, qui sont entretenus de ses deniers, ou qui sont particulièrement destinés à l’usage des citoyens dont elle est composée ;
    - de faire jouir les habitants des avantages d’une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics. 

    On compte alors environ 44 000 communes. Toutes ces communes ont le même statut, avec un conseil municipal élu par les habitants et un maire. Une maison commune, la mairie, devait être construite pour accueillir les réunions du conseil et l’administration municipale. 

    On notera, ce qui intéresse particulièrement les généalogistes, que le 20 septembre 1792, le registre des naissances, des mariages et des décès tenu par le curé de la paroisse passe sous la responsabilité d'un officier public élu. Un mariage civil a été institué et célébré dans les mairies ; la cérémonie n’était pas très différente de celle célébrée à l’église, la phrase "Au nom de la loi, je vous déclare unis par les liens du mariage" remplaçait celle du prêtre ("Au nom de Dieu, je vous déclare unis par les liens du mariage"). Les prêtres durent remettre à la mairie leurs registres des baptêmes, des mariages et des enterrements. Ce recul de prérogatives de l’Église n'était pas bien accepté partout et, dans l’ouest et au centre du pays, des prêtres furent relativement réfractaires. 

    A l'époque de François Guetté, mon ancêtre, les lois de 1789 ont déjà été modifiées. Le coup d’état du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799) a amené Bonaparte au pouvoir, instituant le Consulat (1799) puis le Premier Empire (1804). Très rapidement, il a instauré une loi changeant complètement le système d’instauration des maires, beaucoup moins démocratique puisque l’élection du maire est supprimée : celui-ci est dorénavant nommé. Maires et conseillers deviennent donc des fonctionnaires (sans rétribution), choisis sur une "liste de confiance", par le Premier consul pour les communes de plus de 5 000 habitants, par le préfet pour les autres. La "liste de confiance" est établie dans chaque commune par élection. A compter du 2 pluviôse an IX (22 janvier 1801) le maire est chargé seul de l’administration de la commune et les conseillers ne seront consultés que lorsqu’il le jugera utile. En 1802 (ans X-XI), les "listes de confiance" sont supprimées pour être remplacées à nouveau par le suffrage censitaire. Les conseillers sont nommés pour dix ans et le maire et son adjoint pour cinq ans.

    Revenons à François Guetté : il a donc été nommé par le préfet (et non pas élu à l'unanimité, donc). Mais à quelle date ? Selon un tableau affiché dans la mairie *, il ne serait maire que de 1806 à 1812 : en 1803/1804 le maire est Pierre Bremaud, en 1805 Bignonnet et de 1806 (seulement) à fin 1812 François Guetté. Mais, comme on l'a vu plus haut, on le voit rédiger les actes d'état civil en tant que maire dès novembre 1804. Il aurait donc exercé ses fonctions pendant 8 ans. Difficile de dire s'il a exercé un ou deux mandats. Il semble que les élections n'ont pas toujours été organisées aux dates prévues dans toutes les communes. 

    Il est né en 1765, a eu quatre épouses et 9 enfants. Demeurant au hameau de la Doutière, il était qualifié tantôt de bordier, plus rarement de cultivateur. Le bordier est plutôt situé en bas de l'échelle agricole en général. Mais pour être élu il devait tout de même être assez aisé. De ses fonctions municipales à Saint-Amand, et en l'absence d’archives complémentaires à consulter, on ne connaît que son rôle d'officier d'état civil. C'est le seul maire de ma généalogie (en l'état actuel des connaissances). Il est mon sosa n°228.



    * dont on a connaissance via le site MairesFranceGenWeb

    samedi 26 avril 2014

    Cahier de doléances

    Qu'elle ne fut pas ma surprise de reconnaître, au détour d'une page, la signature d'un de mes ancêtres, Antoine Courtin


    Je feuilletais alors le cahier de doléances de la paroisse de Villevêque (49).
    Les cahiers de doléances : vous vous rappelez ? Ce sont ces registres dans lesquels les assemblées chargées d'élire les députés aux États généraux notaient vœux et doléances. Cet usage remonte au XIVème siècle. Mais les cahiers de doléances les plus notoires restent ceux de 1789.  

    Les cahiers de doléances du tiers-états sont pour la plupart rédigés le dimanche, jour de la messe, où tous les villageois se retrouvent. Ils peuvent y exprimer, de manière plus ou moins personnalisée, les revendications et attentes des habitants des communautés rurales et des paroisses.  
    C'est d'ailleurs ce que nous indique le procès verbal d'assemblée de la paroisse : "en l'assemblée convoquée au son de la cloche, en la manière accoutumée, sont comparus sous le parvis de l'église de ce lieu, ou se tiennent ordinairement les assemblées de cette paroisse" devant le procureur de la châtellenie. Une cinquantaine de personnes présentes sont listées. "Tous nés français ou naturalisés, âgés de vingt cinq ans, compris dans ledit rôle des impositions, habitants de cette ditte paroisse de Villevêque, composée de trois cent feux. Lequels pour obéir aux ordres de sa majesté, portée par les lettres données à Versailles le vingt quatre janvier 1789 pour la convocation et tenue des Etat généraux de ce Royaume [ . . . ] dont ils nous ont déclaré avoir une parfaite connaissance tant par la lecture et publication cy devant faite au prône de la messe de paroisse de ce jour par monsieur le vicaire de cette paroisse et l'affiche qui vient d'en être faite à l'issue de la ditte messe de paroisse au devant de la porte principale de l'église, nous ont déclaré qu'ils allaient d'abord s'occuper de la rédaction de leur cahier de doléances, plaintes et remontrances, et en effet ayant vacqué, ils nous ont représenté ledit cahier qui a été signé par ceux desdits habitants qui scavent signer"

    Ils ont ensuite élu leurs députés, représentants de la paroisse et porteur dudit cahier à l'assemblée qui se tiendra au palais royal d'Angers le 16 mars suivant afin de "proposer, démontrer [ . . . ] tout ce qui peut concerner lesdits besoins de l'Etat, la réforme de l'abus, d'établissement d'un ordre fixe et durable dans toutes les parties de l'administration la propriété générale du royaume et le bien de tous et un chacun des sujets de sa majesté".

    Les États Généraux sont une assemblée composée des représentants des trois ordres (noblesse, clergé et tiers-état). Ils n'avaient plus été sollicités depuis 1614. En 1789, ils sont convoqués pour trouver une solution à la grave crise financière, politique et sociale qui sévit dans le royaume.

    Le cahier de doléances de la paroisse de Villevêque est composé de 16 pages.

    Cahier de doléances de la paroisse de Villevêque, AD 49

    "Cahier de vœux, plaintes et doléances des habitants de la paroisse de Villevêque par eux rédigé dans leurs assemblées générales tenue ce jour dimanche huit mars mil sept cent quatre vingt neuf".

    On y recense 53 articles :
    • la majorité des articles concerne les finances et les impôts (11 articles)
    • 8 articles concernent la justice
    • 6 articles concernent le clergé
    • 6 articles concernent la tenue des États Généraux
    • 5 articles concernent le commerce 

    Les autres sujets abordés sont la création des lois, l'administration, le commerce, la liberté, la presse, entretien des orphelins, la mendicité. 

    L'article 2 fait allusion aux catégories de personnes qui doivent composer ces État généraux : "Que des huit Députés que le tiers Etat a droit et nomme pour les Etats généraux, soient choisis, savoir deux dans la classe des notables bourgeois, deux dans celle des négotiants ou Marchands, deux dans celle des agriculteurs et deux enfin parmi les artisans, observant qu’il y ai au moins deux qui soient habitants de la campagne, en ce que soit des personnes honnestes, instruites et d’une Probité à l’Epreuve et connue sans que pour représenter le tiers Etat on puisse être aucuns nobles, anoblis, privilégiés ni financiers."  

    On notera que la royauté et la noblesse ne sont pas (encore) remises en question, puisque les articles 7 et 30 souhaitent "Qu’il soit fait une loi qui établisse et assure irrévocablement les droits du Roy et ceux de la nation" et "Que les nobles puissent faire toute Espece de commerce et exercer tout les arts libéraux, sans déroger ni être privé de leurs privilèges".

    On retrouve des articles "classiques", sur la liberté de la presse par exemple : "Que la liberté de la presse soit établie à la charge par les auteurs de signer leurs manuscrits qui resteront entre les mains de l’imprimeur pour leur sûreté, et par les imprimeurs de mettre leurs noms sur les imprimés." (article 10).

    On pense "Qu’il seroit avantageux pour tout le Royaume qu’il n’est qu’une seule loy coutumière qui seroit rédigée d’après l’Equité et la Raison pour cet effet il faudroit que chaque province fit le sacrifice d’une partie de ses us et coutumes anciennes à l’avantage d’avoir une loy unique" (article 21). C'est le début de la fin pour les langues régionales !


    Le volet social se préoccupe des orphelins et des "filles du monde" : "Qu’il soit Etabli dans chaque province et dans la ville capitale, un hopital d’enfants trouvé ou orphelins lesquels seront Reçus à l’age de trois ans accomplis, jusqu’au quel temps des paroisses ou ils auront été trouvés ou sur lesquelles ils seront nés, seront obligés de les faire nourrir et entretenir à leurs dépens." (article 27); "Comme aussi qu’il soit Etabli une maison de force pour la punition en Correction des filles du monde de chaque province." (article 28).

    En dehors des grandes préoccupations sur les impôts ou les biens du clergé, on a aussi des préoccupations plus locales, comme : "Que les chemins publics soient entretenus et réparés par les municipalités, lesquelles aussi profiteront des arbres plantés sur iceux." (article 46).

    Les inquiétudes d'aujourd'hui ont des racines anciennes : chômage, sécurité . . . : "Qu’il soit Etabli dans chaque paroisse un Bureau de charité lequel sera composé De la municipalité et au moins de deux femmes ou Demoiselles charitables de la paroisse et sera daté de l’Excédant du Revenu de biens Ecclesiastiques et pour faire cesser absolument la mandicité il sera défendu de faire aucune aumônes particulières, à peine par ceux qui en Recevront, d’être privés de l’aumônes publiques de la paroisse. Et pour faire entièrement disparaître l’oisiveté il sera Etabli des ateliers et travaux de charité tan pour les hommes et femmes que pour les enfants, de manière que quelqu’un qui Refuseroit ou negligeroit de travailler seroit privé des aumônes de la paroisse, et se trouveroit sans Ressource, puisque par le Reglement qui seroit [ . . . ] à cet Egard, toute personne qui seroit trouvée mendiant soit dans sa propre paroisse ou dans toute autre, seroit Emprisonnée pendant trois mois pour la première fois, pendant un an pour la seconde, et condamnee aux travaux publics pour la troisième." (article 47).

    Pris d'un remords soudain, les rédacteurs du cahier ont rayé intégralement l'article 49 : "Que les communautés d’habitants qui sont en Bonne possession de joüir des communs situés dans l’étendüe de leur paroisse, soient confirmés dans la propriété, possession et joüissance d’iceux, sans être obligé de Représenter leur titres de propriété, la plupart Etant dans l’impossiblité de le faire ou parce que les titres leur ont été enlevés par les seigneurs sous de vains pretextes, ou parce qu’ils ont été perdus lors des Recherches que le Roy a fait faire en différents temps, notamment en les années 1550 et 1640 desquels communs elles jouiront et laquelles aviseront [suivent des mots rayés] pourront partager entre tous les usages ou les laisseront en commun, selon qu'elle le croiront plus avantageux pour le bien de leur communauté, sans que les seigneurs puissent y avoir d'autre droit que leur par afferente audit partage, s'il ne produiront des titres en bonne forme (et qui ne soient pas des aveux) qui leur donnent d'autres droits et don la datte soit antérieure à 1500 ."

    "Fait et arreté au dit Villevêque, le dit jour et an"

    Suivent une vingtaine de signatures, dont celle d'Antoine.


    Signature d'Antoine Courtin à la fin dudit cahier de doléances, AD 49



    Antoine Courtin est tantôt qualifié de fermier ou closier. Son père était qualifié d' "honnête homme marchand fermier", mais le fils ne semble pas avoir poursuivi les activités de marchand de son père. Il est mon sosa n°318.



    dimanche 13 avril 2014

    Vénale et superficielle

    Comme je suis vénale et superficielle, je ne m'intéresse qu'aux stars dont je puisse être la descendante. C'est d'ailleurs bien le (seul ?) intérêt de faire de la généalogie, si l'on tient compte d'une récente émission de télévision qui a consacré un dossier à la généalogie. Je suis donc tous les jours connectée à Geneastar.

    La première célébrité (star ?) à laquelle je me suis intéressée est Marie Louise Jay (*). 

     Marie Louise Jay, women-equity

    Bon, les moins de vingt ans ne peuvent pas savoir, mais c'est (bien sûr) celle des fameux "Cognacq-Jay", co-fondatrice de la Samaritiane. Depuis tout temps, on dit chez nous qu'on est de la même famille. Elle est originaire de Samoëns en Haute-Savoie (comme ma famille maternelle), où elle est née le 1er juillet 1838 (et décédée à Paris en 1925). A 15 ans, elle part tenter sa chance à Paris. Vendeuse à La Nouvelle Héloïse, magasin pour Dames, elle rencontre Ernest Cognacq, également vendeur. En 1872, ils se marient, et s’associent pour faire prospérer le commerce qu’Ernest Cognacq a établit en 1867.
    Ensemble, ils fondent « La Samaritaine ». Le succès est immédiat. Entre 1905 et 1910, le magasin de mode devient un véritable empire avec l’acquisition de quatre bâtiments de style Art Nouveau rue de Rivoli. En 1925, l’entreprise compte 8 000 employés, pour une surface commerciale de 47 000 m², répartie entre différents bâtiments et différents types de clientèle.

    A la tête d'une immense fortune, sans enfant, Marie-Louise et Ernest se consacrèrent à des activités caritatives, via la création d’une fondation, qui gère plusieurs établissements philanthropiques situés à Paris et en Savoie (crèche, pouponnière, maison de retraite pour les salariés de la Samaritaine, maternité et logements sociaux). Le couple rassemble, entre 1900 et 1925, une collection d’œuvres d’art, qu’il expose au dernier étage de la Samaritaine Luxe.

    Ils n'oublièrent jamais le village natal de Marie Louise. Il y a un peu plus de 100 ans, en 1906, Marie-Louise créa le jardin botanique de la Jaÿsinia. Plus que le simple témoignage de son attachement à son village, la Jaÿsinia est un lieu unique, sculpté sur le flanc montagneux sud dominant le village de Samoëns. 

    Comme je suis vénale : j'ai bien repéré qu'ils n'ont pas eu d'enfants et qu'il y a de nos jours des opérations immobilières importantes. C'est le moment ou jamais !
    C'est là qu'intervient le talent du généalogiste : prouver sa parenté (sous entendu : pour faire valoir ses droits). 
    Ni une ni deux, j'observe à la loupe mon ascendance du côté Jay :
    - Antoinette Adélaïde (première ancêtre Jay)
    - Jean François Edouard
    - Joseph Marie
    - Jean François
    - François
    - Claude
    - Nicolas François
    - Humbert
    Bon, là on est déjà rendu en 1595. Redescendons un peu :
    - Humbert
    - Nicolas
    - Bernard
    - Louis
    - Jean Joseph
    - Aimé
    - Marie Louise, épouse Cognacq
         . . .
    Bon, ben finalement, heureusement que je ne suis pas si vénale et superficielle que ça ! Parce qu'il faut remonter à Humbert pour trouver un ancêtre commun. 
    Autant dire que :
    • pour faire valoir ses droits sur la Samaritaine, c'est un peu mince
    • pour dire qu'elle est de notre famille, c'est un peu mince aussi 

    Mais en fait, ça m'est bien égal. Parce que je ne fais absolument pas ma généalogie pour trouver des "stars" parmi mes ancêtres. Je suis tout aussi fière de ce petit peuple humble et laborieux, ces laboureurs et vignerons, ces bordières et filles de peine. C'est grâce à eux que je suis là et mon plaisir est de les rencontrer. Qu'elle qu'ait été leur vie. Ils sont un peu de la mienne aujourd’hui.



    ( * ) A noter : Au pays, son nom s'orthographie Jaÿ et se prononce Ja-i.


    vendredi 4 avril 2014

    #Généathème : Lettre à l'enfant

    Trouvé dans une pile de vieux documents, au fin fond du grenier, une lettre sur papier jauni :

    Lettre, PhotoPin

    " Cher enfant,

    je ne te connais pas, car tu n'es pas encore né(e). Mais je t'imagine pourtant facilement. Tu es sûrement en train de lire cette lettre sur le banc que mon père a installé sous l'alisier blanc, là où ma mère aimait s'installer. Là où je t'écris aujourd'hui. 
    Pourquoi cette lettre, me diras-tu ? Simplement parce que ma vie s'éteint tout doucement. J'aurai souhaité te dire tout cela de vive voix, mais cela ne se fera pas. Alors me voici, couchant sur le papier ces quelques lignes. Je ne sais pas bien par où commencer, à vrai dire . . . Je n'ai pas vraiment l'habitude de ce genre de chose. 

    Ma vie a passé comme un souffle d'air à la surface d'un lac, troublant à peine la surface de l'eau. Je n'ai jamais eu de grandes ambitions, sinon d'avoir une belle vie, d'être un homme bien. 

    J'ai vu le jour dans ce fier pays, à l'ombre de la montagne de Retord. Mon père, Claude, m'a prénommé Jean. C'était il y a près de quatre vingt dix ans déjà. Mais en fait, je ne sais pas exactement quand je suis né ! C'était quelques années après le rattachement des pays de l'Ain à la France [*]. Ce fut un siècle troublé : des tensions avec nos voisins savoyards, les épidémies et famines qui les accompagnent; mais aussi les impôts qui accablent les petites gens comme nous, pauvres laboureurs.

    Je ne sais pas encore combien de temps je pourrai rester dans cette maison des Gallanchons. Mais une chose est sûre : si je suis aujourd'hui détenu d'une certaine maladie, je jouis toutefois de mes bons sens, jugement, entendement, non troublés par la grâce du Bon Dieu. Craignant le péril de la mort, considérant en la fragilité de ce monde, et que toutes personnes est sujet a mourir une fois, et rien plus certain, et incertain que l'heure et avènement d'icelle mort, à ces cause je fais cette lettre et je me retourne un moment sur ma (longue) vie.

    De ma jeunesse, il n'y a pas grand chose à dire tant j'ai l'impression que ma vie n'a vraiment commencé lorsque j'ai rencontré ma future épouse, Estiennette. Je me rappelle de mon impatience, lorsque nous avons passé ce contrat de mariage chez Maître Devaux, à Montanges. J'avais grand hâte de la ramener à la maison. Elle était si belle.

    Elle m'a donné cinq beaux enfants : mon unique fils, que j'ai prénommé Jean comme moi, et quatre adorables filles : Claudine (ma petite Clauda), Marie, Benoîte et enfin Izabeau.
    Même si le travail est dur, ensemble la vie est belle.

    A force de labeur, j'ai fait prospérer la maison de mon père, cette maison qui consiste en une cuisine et deux chambres; avec ses trois cours et la petite pièce de pré clos, appelée le verger; la grange du côté de bise; le pré et le courtil autour; les terres et chènevières, dont les prés de Grosnid et sa petite maison, aujourd'hui indivise, mais qu'il faudra sans doute partager un jour.

    Si tu as besoin d'en savoir les détails, tu pourras te référer aux titres et papiers que je conserve. Ils consistent en 16 pièces : les deux testaments que nous avons rédigé en commun avec Estiennette, "l'assinat [**] du mariage de Bernardine Jacquinot fait en sa faveur" par moi après son mariage avec mon fils Jean, notre contrat de mariage avec Estiennette, trois quittances, le contrat de mariage de ma fille Marie, un contrat de vente, un partage entre moi et mes frères, un contrat d'assinat en faveur de mon épouse Estiennette, trois documents de procédure contre les fils d'Annibal Thomasset, et deux reconnaissances de dettes. [***]

    Finalement, je crois avoir bien réussi mon rêve, puisqu'on m'a surnommé "Bon garçon". Surnom que j'ai transmis à mon fils, qui fut aussi une belle âme.

    Malheureusement, mon Jean nous a quitté. Les enfants ne devraient jamais partir avant leurs parents. La douleur est trop grande.
    Je laisserai Bernardine, sa veuve, maîtresse gouvernante et usufruitière de tous et un chacun, des biens meubles et immeubles. Je la coucherai sur mon testament, pour qu'elle n'ai pas de compte à rendre, ni d'être accusée de spoliation des effets délaissés par moi à Claude et François Buffard mes petits-fils pupilles et mineurs âgés d'une dizaine d'années. 

    Peut-être, à ton tour, tu utiliseras la crémaillère à une branche et quatre boucles avec un petit crochet en dessous qui est dans ma cheminée et pèse environ dix livres. Les deux chaudrons de cuisson rouge un peu usés seront-ils toujours là ? Les deux pots de fer, dont l'un est un peu cassé au bord seront sans doute trop abîmés, tellement on les a utilisés.

    Dans la cuisine, tu trouveras un bassin à beurre de cuisine rouge tout neuf, une poêle a frire de peu de valeur, une lampe assez bonne, un poids à peser.
    Il y a aussi un fusil et un pistolet assez bons.

    Le linge est composé de quinze draps de lit de toile mêlée, assez bons, trois nappins de toile cordée, cinq couvertes de lit desquelles sont moitie laine et fillet bien usées, et les trois autres appelées talixches, l'une étant neuve, et les deux autres de peu de valeur. Peut-être mettras-tu mes habits de serge de pays : une casaque, un haut de chausses et une paire de bas, mon chapeau, et mes solliers qui sont de peu de valeur, mes quatre chemises. A moins que mon Estiennette ne les donne à quelques parents qui en auraient plus besoin.

    Les trois chalets de bois sapin sont de peu de valeur, mais pourront te servir. Comme les deux greniers du même bois, l'un presque neuf et l'autre de peu de valeur, dans lesquels s'y est trainé soixante mesures d'orge et douze mesures de blandon, treize mesures de fèves, une mesure de vesces, une mesure d'avoine et trois de lentilles; et une petite arche du même bois de peu de valeur. Tu auras aussi les quatre sacs propres d’avoir le blé et farine, assez bons, et environ trente livres de chanvre peigné.

    Tu auras de quoi travailler nos terres avec l'outillage que je te laisse. Tu verras, même s'il est un peu usé, il m'a servi fidèlement : les trois tarares, petits et gros qui sont assez bons, deux haches et une cognée assez bonnes, une petite doloire presque neuve, six fossoux [ **** ] assez bons, quatre rappes, deux desquelles sont de peu de valeur, une herse garnie de dents de fer presque neuve, une charrue garnie de ses fers et chariot asses bonne. Deux scies, l’une de trois pieds et demi et l'autre de trois, assez bonnes. Une gouge, deux alênes, un marteau avec une enclume propre a battre les faux.

    Tu prendra bien soin de nos bêtes, j'en suis sûr : les quatre bœufs à poil rouge, deux étant âgés de cinq ans et les deux autres petits âgés de trois ans; les cinq vaches mères toutes de poil rouge; la génisse de deux ans, du même poil; les trois veaux d’un an, aussi au poil rouge, l’un mâle et les deux autres femelles; les neuf chèvres mères au poil blanc et leurs trois petits chevreaux d’un an, du même poil; et enfin les trois brebis, une de laine noire et les deux autres blanches.
    Toi aussi, à ton tour, tu garniras les solliers de la grange de tout le foin et paille nécessaire pour l’entretien et la nourriture du susdit bétail pendant le reste de l'hiver. 

    C'est là tout notre bien. Il peu sembler de peu de valeur et bien usé, mais représente tout de même mille livres, suivant l'estimation qui en a été faite, à savoir huit cent livres pour les biens immeubles, et deux cent pour les meubles. Je ne sais pas ce qui te parviendra, mais sache que c'est là notre vie, notre quotidien.

    Le moment venu, je recommanderais mon âme à Dieu le créateur, à la Glorieuse Vierge Marie, et à tous les saints et les saintes du paradis, à ce que par leur intercession ils soient colloqués parmi les membres des Bienheureux jusqu’au jour de la Résurrection générale.

    Je voudrai et espèrerai la sépulture de mon corps au cimetière de l’église paroissiale d'Ardon au tombeau de mes prédécesseurs, lesdits Buffard. Quant a mes obsèques, funérailles, œuvres pies je les remettrais et confieraient à la volonté et à la discrétion de mes héritiers, lesquels je les prie de s'en acquitter le plus honorablement qu'il leur sera possible.

    Je voudrai qu’il soit dit, et célébré pour le repos de mon âme, sept messes, dites incontinent après mon décès, à savoir trois grandes et quatre petites, payables par lesdits héritiers après la célébration d’icelles. 

    Je souhaite que cette lettre te parvienne sans que rien n'y soit changé, emportant le témoignage de la vérité. 

    Fait dans ma maison d’habitation audit lieu des Gallanchons,

    Jean Buffard dit Bon garçon "


    Jean Buffard (père) était mon sosa n°2612.
    Article réalisé à partir de son testament (1704), l'inventaire de ses biens réalisé par sa bru après son décès (1707), et le partage de ses biens par ses petits-fils Claude et François (1735).


    [* Ce rattachement a eu lieu en 1600. Jean Buffard est né vers 1617]
    [ ** assinat = constitution de rente sur un immeuble : don par lequel un père fait part de son bien à ses enfants en leur assignant de quoi se marier] 
    [ *** tous ces documents ont été rédigés entre 1676 et 1702]
    [**** fossoux = fossoir ? : sorte de houe pour labourer les vignes]