« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 24 juillet 2015

Pierre His... Le Pierris... Le Pierry

Tranquillement je remonte les générations. Il faut dire que suis bien aidée par plusieurs facteurs : la mise en ligne des registres notariés de ce coin de l'Orne (la Ferté Macé, la Ferrière aux Étangs, Briouze...) sur Geneanet [ 1 ] et le défrichage - avant moi - de nos généalogies communes par Bruno Gogel et Odile Halbert. Le site des archives départementales quant à lui n'est, hélas, guère performant et je n'y vais qu'à reculons (aaah ! les systèmes de navigation et de zoom impraticables).
Me voilà donc arrivée à Pierre His, dont je retrouve le contrat de mariage daté de 1648, à la Ferté Macé. Il demeure en la paroisse de Lonlay le Tesson. Les registres paroissiaux ne peuvent plus m'aider : pas de registre antérieur à 1662. Ce sont donc les actes notariés qui me permettent de progresser plus loin dans le temps. Il est le fils de feu Jean et de Julienne Clouet (enfin peut-être, son patronyme est difficile à déchiffrer).
Je ne sais même plus pourquoi je regardais la carte de Cassini, quand soudain, comme souligné par un cercle de relief et de végétation, un lieu-dit nommé Pierre His m'apparaît.


Pierre His / Lonlay le Tesson, carte de Cassini © Gallica

Tilt ! Happy Dance ! Montée d'adrénaline !

Parmi le peuple de laboureurs et de vignerons qui forme ma généalogie, aucun n'a donné son nom à une terre (et inversement).
Bon, pour le moment rien ne prouve qu'il y ait un lien entre les deux. Mais quand même...
D'ailleurs Pierre est dit "de la paroisse de Lonlay le Tesson", sans précision sur son lieu d'habitation.
D'autre part, toujours dans ledit document, il est nommé "Pierre Hayet fils de feu Jean His", même si dans tous les autres documents il est bien nommé His.
Après plusieurs investigations, il apparaît que "mon" Pierre His était crochetier, c'est-à-dire un artisan qui fait des crochets pour les crocheteurs et les portefaix ou les bêtes de somme. Le crocheteur gagne sa vie à charger, décharger et porter des fardeaux sur et avec des crochets. Le portefaix charge et décharge les produits solides, à l'aide de crochets qui sont des instruments à deux grandes branches et à deux crochetons avec une sellette (tandis que ceux des animaux sont des supports fixés sur le bât pour retenir les charges). [ 2 ]
Il était illettré. En effet, sur les actes le concernant, il appose sa marque. L'Orne est le seul endroit de ma généalogie ou les illettrés sont invités à apposer leur marque, tant sur les documents religieux (actes de baptêmes, mariage et décès) que civils (actes notariés). Mais on voit bien que la marque de Pierre est personnelle : elle est identique sur tous les documents et n'est pas faite au hasard, ne ressemble pas aux autres marques.

"Signature" de Pierre His, 1693 © AD61

Je ne sais rien de son père et sa "dynastie" se termine avec sa fille (du moins dans ma généalogie).

La commune de Lonlay-le-Tesson fait actuellement partie du département de l'Orne et du diocèse de Séez, canton de La Ferté-Macé. Sa superficie est de 1 237 hectares. 
Lonlay-le-Tesson comptait, en 1709, 244 feux (ensemble des personnes vivant dans un même foyer). La fabrication et le commerce de la toile tenait une place importante dans l'économie du pays.
Le château, dont il ne reste plus qu'une partie, a été construit en 1773. Il fut vendu en 1825 à M. Clouet qui le convertit en ferme. Une partie du bâtiment abrita un temps la mairie et l'école de garçons.

Quant au village de Pierre His, au fils du temps son nom évolue. En 1881, on le nomme Le Pierris. Sur le cadastre napoléonien il est écrit Pierry. Forme qu'il a gardée de nos jours : Le Pierry.

Le Pierry / Lonlay le Tesson © Geoportail

Le Pierris est dit "appartenant à la famille His" dans la Notice sur la commune de Lonlay-le-Tesson [ 3 ]. Ce village relevait de la seigneurie du Bois-Manselet dont il formait une des "aînesses".
Le Bois-Manselet était un petit fief tenu noblement de la baronnie de Briouze, et ce dès le XVème siècle. Il s'étendait à la fois sur les paroisses de Ménil de Briouze et de Lonlay le Tesson. Sur le registre de ses pleds et gages-plèges [ 4 ] étaient inscrits, notamment, les tenants du Pierris.
Le manoir du Bois-Manselet était une sorte de vieux logis normand, construit au pied des collines boisées du Mont d'Hère. Le fief tomba en désuétude à l'extinction de la famille dans les années 1840.

En conclusion, difficile de dire que "mon" Pierre His avait un lien avec le lieu-dit dont les tenants semblent être plus élevés que de simples crochetiers. Néanmoins il n'est pas exclu qu'il soit apparenté à cette famille... En bref : p'tète ben qu'oui, p'tète ben qu'non
D'accord c'est une conclusion de Normand, mais après tout leur sang coule dans mes veines aussi...


[ 1 ] Notamment par titep48/Michel Petit et dozeville/Jean-Pierre Bréard, qu'ils en soient chaleureusement remerciés.
[ 2 ] Source : www.vieuxmetiers.org 
[ 3 ] Source : Notice sur la commune de Lonlay-le-Tesson par le comte Gérard de Contades, Le Mans, 1881; via Odile Halbert).
[ 4 ] Le plaid est une audience du tribunal. Le gage-plège était, en Normandie, une convocation extraordinaire que faisait le juge dans le territoire d'un fief pour différents motifs (élection d'un prévôt ou d'un sergent, règlement de rentes et redevances seigneuriales...).


vendredi 17 juillet 2015

Mon beau-fils est mon gendre

Cerdon, le 29 septembre 1719.
Jour triste et gris. Nous sommes tous réunis. Après qu'il ait reçu le viatique et l'extrême onction [ 1 ], nous voici suivant le cortège funéraire de mon époux Benoît Morel, montant en direction de l'église saint Jean-Baptiste. Après la cérémonie menée par le curé Ferrières, nous irons au cimetière attenant. Ce n'est pas une situation inédite pour moi : je suis veuve pour la deuxième fois.
Nos enfants se serrent contre moi. Du haut de ses 13 ans, mon aînée Félicité va pouvoir m'aider dans les tâches quotidiennes. Mais les autres sont si petits : les trois filles de 10 à 6 ans et le bébé, Charles, qui n'a qu'un an. Il dort tranquillement dans mes bras, innocent et étranger à tout ce qui l'entoure. Claude et Joseph, les frères de Benoît, sont ici aussi bien sûr. Leur soutien est précieux. Après le chagrin, l'inquiétude me gagne : comment va-t-on vivre tous sans son salaire de maître maçon et tailleur de pierre ?

Acte de décès de Morel Benoît, 1719 © AD01
"Le vingt neuf septembre est décédé Benoit Morel Maître Maçon aagé denviron quarante ans après avoir reçu le viatique et lextreme onction la sepulture de son corps été faitte le meme jour au cimetiere de cette paroisse et en la presance de Claude et joseph Morel freres dudit defunt de Cerdon illetres enquis
Ferrieres curé"


Cerdon, le 17 février 1722.
Jour gai et clair. Nous sommes tous réunis. A 41 ans me voilà encore jouant le premier rôle à la noce. J'épouse aujourd'hui Joseph Mermet. Mon troisième époux. La famille Mermet est une des familles éminente de Cerdon. Son père a même eu le privilège d'être inhumé dans la nef de l'église. Nous nous connaissons depuis longtemps, en particulier par sa première épouse, Françoise Chavent (son frère a été témoin de la naissance de plusieurs de mes filles).
Nos promesses de mariage ont été préalablement publiées aux prônes de nos messes paroissiales suivant les ordonnances de l’Église sans n'y apprendre aucun empêchement. Mon beau-père André Comte David m'a menée à l'autel, mon père nous ayant quitté alors que je n'étais qu'une petite fille. D'autres sont présents, parents et amis : Joseph, le frère de Benoît feu mon deuxième époux, toujours fidèle. Jean et Jean-Baptiste Mermet, les cousins de Joseph. Nous réunissons nos deux foyers : de mon côté, il me reste mes quatre filles, âgées de 15 à 7 ans. Du sien, il y a ses sept enfants, âgés de 17 à 3 ans. Nous voilà une nombreuse famille ! Les plus petits ont à peine connu leur mère, décédée des suites de couches du dernier-né en 1717.

Acte de mariage de Mermet Joseph, 1722 © AD01
"Le dix septieme fevrier mil sept cent vingt deux Joseph fils de feu Jean Aymé Mermet veuf de Françoise Chavent aagé denviron quarante trois ans, et Jeanne Claudine Chaney veufue en premieres nopces de jean Aymé Ravet et en secondes de Benoit Morel aagé denviron quarante cinq ans ont reçu la benediction nuptiale leurs promesses de Mariage prealablement publiees trois fois aux prônes de nos messes paroissiales suivant les ordonnances de Leglise sans apprandre aucun empechement civil et canonique audit mariage auquel ont este present Jean Mermet et Jean Baptiste Mermet cousins de lespoux et andré Contoz David beau pere de lespouse et Joseph Morel son beau frere tous de Cerdon, ledit espoux avec Jean Mermet et ledit Contoz David ont signe"


Cerdon, le 13 août 1722.
Jour terne et sombre. Nous sommes tous réunis. Le curé Ferrières est à nouveau passé à la maison pour administrer viatique et extrême onction. Joseph nous a quittés si brutalement. Nous n'avons même pas été mariés durant un an ! Je te garderai dans mes prières, Joseph. Me revoilà portant le deuil, montant vers le cimetière. J'ai à peine plus de 40 ans et je me sens bien vieille aujourd'hui. La chaleur de mon sang semble s'être dérobée. Claude et Joseph Chavent, les oncles des enfants du premier lit de feu Joseph, m'accompagnent. Je me retrouve à la tête d'une famille de onze enfants. Je ne pense pas que je me remarierai à nouveau. De toute façon, j'ai maintenant beaucoup trop de travail pour aller chercher un mari comme une jeune fille de 20 ans !

Acte de décès de Mermet Joseph, 1722 © AD01
"Le treizieme d'aout mil sept cent vingt deux est décédé Joseph Mermet qui etoit fils de feu Jean Aymé Mermet aagé denviron quarante trois ans apres avoir été muni du saint viatique et du sacrement de lextreme onction dont le corps a este le lendemain inhumé au cimetière de cette paroisse en presence de Claude et Jean Chavent tous de Cerdon illetrés enquis 
Ferrieres curé"


Cerdon, le 28 février 1724.
Jour radieux et éclatant. Nous sommes tous réunis. Cette fois, ce n'est pas moi qui joue le premier rôle : je marie ma fille première-née, Félicité. Elle épouse... Jean Louis Mermet, le fils de feu Joseph. Mon beau-fils est devenu mon gendre. Au moins, je sais où ils se sont rencontrés : sous notre propre toit ! A force de se côtoyer, ils ont noués de solides liens. On peut qu'ils ont eu tout le temps de se découvrir et que leurs sentiments sont sincères. Ils ont 18 et 19 ans. Toute la famille est réunie pour fêter ce joyeux événement. Même le sieur Berard, le châtelain de Mérignat est venu : tous les curateurs ne s'occupent pas aussi bien de leurs protégés... Ma mère aussi, bien qu'âgée de près de 70 ans, a tenu à suivre la noce et de monter jusqu'à l'église. Heureusement Jean et Antoine, les frères du marié, l'ont soutenue dans ce périple ! J'espère que ma fille aura meilleur destin dans son union que dans les miennes.

Acte de mariage de Mermet Jean Louis, 1724 © AD01
"Le vingt huitieme fevrier mil sept cent vingt quatre Jean Louïs fils de feu Joseph mermet assiste de sieur françois Berard chatelain de Merigna son curateur judiciellement pourvu agé d'environ vingt deux ans et felicité fille de feu Benoit Morel et de Jeanne Claudine Chaney sa curatrice agée denviron vingt ans ont reçu la benediction nuptialle attendu pour trois publications il ne nous a apparu aucun empechement ny civil ny canonique faitte au moins au deux des conciles et ordonnances du diocese, ont etes presents Jean Mermet oncle dudit jean Louïs avec Jean Baptiste Mermet son fils, ladite Claudine Chaney avec Andre Comte David marié en troisieme nopces avec Marie Berard ayeule de ladite epouse qui ont tous signes
Ferriere chanoine"

Cerdon © AD01

  • Jeanne Claudine Chaney est née en 1680 à Cerdon (01), mariée trois fois (avec Jean Aymé Ravet en 1698, dont elle a eu une fille - décédée en bas âge; Benoît Morel en 1704, dont elle a eu 4 enfants - dont un fils mort en bas âge - et Joseph Mermet en 1722), décédée en 1762.
  • Joseph Mermet est né en 1680 à Cerdon, marié deux fois (avec Françoise Chavent en 1703, dont il a eu 7 enfants; et avec Jeanne Claudine Chaney), décédé en 1722.
  • Félicité Morel est née en 1705 (décédée en 1781), mariée avec Jean Louis Mermet, né en 1704 (décédé en 1781). Ils ont eu 10 enfants.
  • Maître Jean Ferrieres, ancien chanoine et curé de Cerdon, fut enseveli le 10 février 1727.

[ 1 ] Viatique : Sacrement de l'eucharistie (corps du Christ) administré à un mourant : le pain de vie qu'est l'eucharistie est donné à un mourant qui se prépare au "voyage" qu'est le passage de la vie terrestre à la vie éternelle.
Extrême onction : Un des sept sacrements qui se confère en oignant des saintes huiles un catholique en péril de mort.

vendredi 10 juillet 2015

L'appel de ses ancêtres

Pendant plusieurs années consécutives, mes parents et moi avons pris l'habitude de partir en vacances sur les traces de nos ancêtres. Chacun avait sa tâche : je préparais les recherches généalogiques en amont, ma mère s'occupait du gîte qui nous accueillerait et mon père nous conduisait.
Nous avons ainsi visité Conques (Aveyron), berceau des ancêtres de mon père, puis Samoëns (Haute-Savoie) et Loudéac (Côtes d'Armor), ceux de ma mère. Pour les deux premiers, le but était surtout de dénicher les actes d'état civil qui n'étaient pas en ligne. Le dernier était purement touristique, avec l'idée tout de même de voir les lieux où mes aïeux maternels avaient vécu.

Or donc, en cette "année bretonne", ma mère avait présélectionné plusieurs hébergements possibles et me les avait envoyés pour me demander mon avis. Parmi eux, un gîte situé sur la commune de Saint-Caradec, au lieu-dit La Theilo (à une dizaine de kilomètres de Loudéac).

Je me suis toujours demandé si l'appel de ses ancêtres avait résonné en ma mère. Parce que oui, ses ancêtres ont bien habité La Theilo à Saint-Caradec ! Parmi tous nos ancêtres bretons habitant Loudéac ou les environs (Saint-Caradec, Cadélac, Le Quilio, Merléac, Mûr de Bretagne, Saint-Guen, Trévé), parmi tous les hébergements possibles, comment a-t-elle sélectionné ce gîte situé précisément dans ce lieu-dit ? Est-ce un simple hasard ? Ou y a-t-il autre chose ? Cela, nous ne le saurons jamais...

Extraits carte Cassini et vue aérienne La Theilo / Saint-Caradec © Geoportail

A partir de là, plus question d'aller voir ailleurs. Nous avons logé sur le lieu même où Corentin Le Goff a vu le jour en 1779. Je connais peu de chose sur ses parents, Olivier Le Goff et Marie Etienne. Mariés en 1775, ils auront (au moins) cinq enfants. Ils meurent tous deux en 1817, à sept mois d'intervalle. Corentin sera maçon, comme son père. 

Pourtant, en ce pays, beaucoup de nos ancêtres étaient tisserands ou tailleurs d'habit. On y travaillait "les toiles de Bretagne". Ce voyage nous a permis de découvrir cette activité (entre autres).

Reconstitution historique de tissus © auxfilsdelarz.fr

Du XVI au XVIIIème siècle, la culture du lin et du chanvre, la fabrication des toiles et leur exportation vers l’Angleterre, l’Espagne et ses colonies d’Amérique ont occupé une main-d’œuvre considérable et ont fait la richesse de toute la Bretagne [ 1 ].

Cette activité toilière a eu des conséquences importantes sur le plan économique (prospérité), démographique (augmentation de la population) et artistique (maisons de marchands, enclos paroissiaux, etc.).

Elle a placé la Bretagne au cœur d'un vaste système d'échange planétaire. Les graines de lin étaient importées de Lituanie, via la Baltique et les Flandres, par le port de Roscoff ; les toiles étaient exportées vers l'Angleterre et l'Espagne par les ports de Saint-Malo, Morlaix, Landerneau… De l'Espagne, où étaient implantés des marchands français, les toiles de lin et de chanvre gagnaient les colonies d'Amérique.

Lin en fleur © Wikipedia

La production des toiles de Bretagne a constitué une activité massive pendant tout l'ancien Régime et encore au début du XIXème siècle. Elle prenait la forme particulière d'une "manufacture dispersée" faisant appel à une main d'œuvre rurale travaillant à domicile à partir de matériaux cultivés dans les jardins.

Dans le pays de Loudéac le lin tissé prenait le nom de « Bretagnes légitimes ». Longtemps les ateliers sont demeurés traditionnels. Ils se composaient de métiers à tisser, installés dans la maison près d'une source de lumière, de bobineuses ou de mécanismes à préparer les canettes.

Le travail du lin commence à la mi-juillet par l’arrachage des plants par la racine. Le lin est ensuite mis à rouire au ruisseau ou dans des cuves maçonnées. On fait tremper les plants une dizaine de jours afin que l’eau dissolve la gomme et agglutine les fibres. Ensuite on égrène le lin à l’aide d’un peigne en acier puis les tiges sont liées en bottes. L’égrenage se pratiquait parfois avant le rouissage. Les graines servent à la semence suivante ou à la fabrication d’huile. Puis on procède à l’écouchage, qui consiste à gratter les fibres avec un morceau tranchant de verre ou de fer pour en éliminer les impuretés. Les fibres courtes servent d’étoupe pour le calfatage des bateaux ou, mélangées à de l’huile, au bouchage des bouteilles de vin (à une époque où le bouchon de liège n’existe pas encore). Les filassiers vont ensuite, de ferme en ferme, mettre en place les filasses sur des cadres de bois. Les femmes filent au fuseau dans un champ ou près d’un de la cheminée et parfois au rouet à main ou à pédale. Les bobines sont alors mises bout à bout et posées sur un dévidoire qui permet de confectionner des écheveaux. Ces derniers sont acheminés chez le teilleur qui confectionne la toile.

Tisserand © tibihan-locronan.com

A Loudéac, l’industrie du lin et le commerce qui y était lié connurent leur apogée au XVIIIème siècle puis déclinèrent pour disparaître à la veille de la guerre 1914/1918.

A la simplicité de cette production succédait une intense activité d'exportation reposant sur des marchands dont la prospérité se repère aujourd'hui encore dans des constructions ostentatoires. Il peut être classé selon trois catégories :
  • un patrimoine lié à la production et au traitement des plantes à fibre, ainsi qu'à la production de toiles : routoirs, maisons buandières (ou « kanndi »), maisons de paysans-tisserands, manufactures, etc. 
  • un patrimoine lié au commerce des graines et des toiles : maisons de marchands toiliers, hôtels de négociant, halles, etc. 
  • un patrimoine indirectement lié à cette activité.

Outre une richesse individuelle, l'activité toilière est à l'origine d'un enrichissement collectif par le biais des offrandes faites aux fabriques des paroisses. Cet enrichissement et la concurrence entre paroisses expliquent notamment l'édification d'églises somptueuses et d'enclos paroissiaux dans le Finistère.

L’essoufflement de cette activité est sans doute aussi une des causes de l'émigration des Bretons. C'est ainsi que trois générations plus tard la descendante de Corentin Le Goff, Ursule Le Floch, s'installera en Ile de France. Mais ça, c'est une autre histoire...



[ 1 ] Source : www.linchanvrebretagne.org



vendredi 3 juillet 2015

#ChallengeAZ : en conclusion...



Je ne sais pas si vous le savez, et si vous le savez c’est que j’ai bien accompli mon ouvrage, mais grâce à la diversification des sources il est possible de découvrir de nombreux aspects de la vie de ses ascendants.

La famille Assumel sur les bords de Loire, vers 1927 ( ?) © coll. personnelles
De gauche à droite, au premier plan : Marcelle (ma GM), Raymond, Anne, Robert, Roger
A l’arrière-plan, Marie Gros, Jules Assumel Lurdin et Marie-Rose


J’ai beaucoup aimé faire ce ChallengeAZ. 
Parce qu’en accumulant les sources, j’ai pu assez bien cerner la vie de Jules, mon bisaïeul. Au-delà des traditionnels naissance/mariage/décès, j’ai pu mettre au jour des moments de son existence et de sa personnalité, comme autant de pièces d’un puzzle qui s’assemblent et finissent par former un portrait précis. De grands instants de sa vie ou de brefs détails du quotidien. Parfois cocasses, parfois tristes. La vie, en somme.

Peut-être, aussi, vous ai-je donné quelques idées ou quelques pistes pour vos propres recherches : si tel est le cas, alors tant mieux.

Merci au moteur de recherche de Geneanet, à Gallica, aux Archives Départementales de l’Ain, de la Vendée, de la Haute-Savoie, du Maine et Loire et de Paris, aux Archives Nationales, à la tradition orale familiale, à Wikipedia, à ma tante, à sa cousine et à Google Maps  pour toutes ces trouvailles.
Sources : tradition orale familiale, france-inflation.com, presse en ligne, état du personnel des eaux et forêts (Ministère de l’Agriculture), fiches militaires, photos coll. personnelle, code forestier, carte postale ancienne, nature-extreme.forumactif.com, état civil, documents familiaux, Google Maps, listes électorales, listes de recensements, Journal Officiel, dictionnaire historique Pommerol, actes notariés, dossier Assumel-Lurdin (Ministère de l’Agriculture).

mardi 30 juin 2015

#Centenaire1418 pas à pas : juin 1915

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois de juin 1915 sont réunis ici. 

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 


1er juin
Défense du Sillacker. 
Situation du 23ème Bataillon au 1er juin :
En 1ère ligne : 1ère Compagnie au Sillackerwasen, en liaison avec le 24ème BC.
2ème Compagnie sur les pentes du Sillackerkopf, face à l’Eichwaeldle.
4ème Compagnie sur les pentes du Sillackerkopf, en liaison avec le 47ème BC.
6ème Compagnie : un peloton au SO de Steinabruck, une section au Burgkoepfle.
Peloton de mitrailleuses : une section dans la tranchée du centre face à 830, une autre dans celle de gauche face au vallon de l’Altenhof.
En réserve : 3ème et 5ème Compagnies, dans le vallon au bas du Schiessroth, une section de la 6ème à Schiessroth.
Poste de commandement au Sillackerkopf.
Cuisines, mulets, ravitaillement près du lac de Schiessroth.
Schéma défense du Sillacker © JMO 23ème BCA
On les dit enthousiastes de partir au front. Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font… 

2 juin
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. Un tué, deux blessés.

3 juin
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. Un tué.
Ordres de bataillon n°48 et 49 : mutations et nominations.

4 juin
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. Deux blessés.
Je ne compte plus les blessés et les morts que j’ai vu, mais je ne m’habitue pourtant pas à l’horreur de cette guerre. [ 1 ]

5 juin
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. Deux blessés.
Un croquis pour toi maman : La Marmite. 
"La marmite", extrait du "Carnet de guerre" de Ernest Gabard [ 2 ] © Delcampe 
Il ne s’agit pas de victuailles, mais un « gros noir » qui fait beaucoup de dégâts.

6 juin
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. Deux blessés.

7 juin
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. Quatre blessés.
Toujours la même litanie des civières qui redescendent avec leurs tristes charges.

8 juin
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. Un tué.
Ordre de bataillon n°50 : promotions.
L’Italie est entrée en guerre à son tour. Cela changera-t-il notre destin ?
Le Petit Journal, supplément illustré, du 6 juin 1915 © Gallica
On les dit enthousiastes de partir au front. Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font…

9 juin
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. Deux tués, un blessé.

10 juin
Défense du Sillacker.
Mêmes emplacements. Un tué.
Ordre de bataillon n°51 : décorations. Notre adjudant Jean Carrère au eu la médaille militaire (entre autres).

11 juin
Séjour au Sillacker.
Relève des Compagnies : quatre compagnies (toutes sauf la nôtre) sont relevées par celles du 133ème RI.

12 juin
Séjour au Sillacker.
Notre Compagnie, la 5ème, va être relevée sur la rive gauche du ravin de l’Altenhof par une compagnie du 46ème Bataillon de Chasseurs.
Ordre de bataillon n°54 : mutations.

13 juin
Séjour au Sillacker.
Mêmes emplacements.

14 juin
Séjour au Sillacker.
Mêmes emplacements.
Les préparatifs d’attaque se sont intensifiés : le combat est imminent.
Le but est l’enlèvement de Metzeral et la chute possible par le barrage de la vallée de la Fecht, de toute la défense allemande au Sud de cette vallée. [ 3 ]
Metzeral © AD68
La préparation d’artillerie par pièces lourdes a été assez facile à exécuter sur les têtes arrondies du Braunkopf et de la cote 830.
Au contraire, sur les bois de l’Eichwald, aux organisations masquées et aux pentes très fortes, ce mode de préparation a dû être abandonné.
Les engins de tranchées feront presque exclusivement la besogne. [ 4 ]

15 juin
Ça y est : c’est pour aujourd’hui. Les ordres nous sont donnés.
La 47ème Division doit attaquer sur le front : Braunkopf, Eichwald, cote 830.
Le 23ème Bataillon de Chasseurs disposant de 4 Compagnies, de 2 sections de mitrailleuses et d’une de génie est chargé d’enlever l’Eichwald.
La 1ère Compagnie sur la rive gauche d’Altenhof est chargée d’assurer la liaison entre le 6ème et le 23ème BCA.
On nous donne le dispositif d’attaque : les 3ème et 4ème Compagnies attaqueront en première ligne.
La 3ème a pour mission de sauter sur la lisière de l’Eichwald et de progresser avec son peloton.
La 4ème doit traverser l’Eichwald Nord et nettoyer tout le terrain entre le sentier de la ferme de Pfeiferberg et le ruisseau d’Altenhof.
La 5ème (nous) avec à sa tête le capitaine Mounier suivra la 3ème, la renforcera et assurera le nettoyage des tranchées.
La 6ème attendra dans la tranchée de départ, prête à se porter en renfort à la suite de la 5ème.
La section de mitrailleuses Durand aura une pièce prête à suivre la 5ème pour se porter au Blockhaus dès qu’il sera occupé.
La section de mitrailleuses Martin appuiera l’attaque de la 4ème.
La 1ère flanquera la marche de la 4ème et progressera pour faire la liaison avec la 6ème.
La 2ème, enfin, est réservée à la disposition du Colonel commandant la Brigade au col du Sillacker.


Extrait carte État-major © actualites-grande-guerre


En exécution des ordres donnés, à midi, les différentes unités occupent leurs emplacements dans les tranchées de départs, boyaux d’accès ou en réserve.
L’attaque est prévue pour cet après-midi.
16h30 : l’attaque est déclenchée.
La 3ème Compagnie part à l’assaut avec un entrain remarquable. Le mouvement se fait par pelotons successifs. Malgré un feu très violent, la gauche de la 3ème a franchi le réseau extérieur de fils de fer mais vient se heurter sous bois à un second réseau très épais, encore intact et installé devant une grande tranchée en pierre sèches. Les Allemands lancent une pluie de grenades à main.
Avec la 5ème nous nous élançons, vigoureusement entraînés par nos officiers.
La section du Lieutenant Baudouin va renforcer la gauche de la 3ème Compagnie.
Après nous être désespérément accrochés au sol, nous menons un énergique combat au fusil et à la grenade.
Le Capitaine Mounier, sous un feu violent, dirige notre Compagnie par gestes, tranquillement, comme à la manœuvre ; il tombe mortellement atteint, refuse les soins de son ordonnance, et continue en mourant à exciter l’attaque au cri de « En avant ! Toujours en avant ! ».
Le Sous-Lieutenant Celié est tué presque aussitôt. Nous progressons malgré tout et nous nous mêlons à la ligne formée par la 3ème Compagnie.
Sur la droite, les Allemands essayent de déborder notre aile.
La fusillade est intense. Les grenades pleuvent sans répit au-dessus de ceux d’entre nous qui sont couchés devant l’ouvrage ennemi.
La situation devient critique. L’attaque, qui a réussi à droite, a échoué à gauche.
Malgré un feu meurtrier, nous franchissons le réseau extérieur, mais nous sommes arrêtés sous bois par le second réseau. Nous devons nous retrancher sur place, cherchant à nous y maintenir, malgré les lourdes pertes que nous subissons.
Des vagues d’assaut tentent de passer coûte que coûte. Plusieurs chasseurs tombent, la cisaille à la main, dans les fils de fer en essayant d’y ouvrir des brèches. D’autres, courageusement, cherchent à renouveler la tentative et tombent à leur tour. Dès lors, cramponnés au sol, nous creusons des trous individuels et plutôt que de reculer nous nous faisons faucher devant les fils de fer dans un alignement tragique. A mes côtés, je vois Achille Juery, soldat 2ème classe originaire de l’Aveyron, s’écrouler. A un mètre près c’était moi ! S’enterrer pour survivre, s’enterrer au risque d’être définitivement enterré par un obus.
Les chefs de sections sont tous tués ou blessés. Alors ce sont les sergents, les caporaux, puis de simples chasseurs qui prennent le commandement des fractions pour continuer le combat.
Les pertes sont lourdes.
L’attaque est alors arrêtée sur tout le front, en face d’une organisation impossible à repérer sous bois et que la préparation d’artillerie a laissée intacte. En raison de la situation défavorable formée par l’avance irrégulière des troupes et de l’impossibilité de coordonner leur action, ordre nous est donné de se replier sur la ligne de départ Nous y préparerons une nouvelles attaque.
Nous commençons à refluer vers le premier réseau de fils de fer. Le plus difficile est d’en retrouver les brèches qui nous permettent de les franchir. Beaucoup n’y parviennent pas.
Les plus chanceux arrivent enfin à la tranchée de départ. D’autres restent accrochés au sol dans des trous d’obus. Ferdinand Ausseil est de ceux-là. Je ne le reverrai plus.
Le vacarme assourdissant, le sang, la douleur, les morts…
Des jeunes gens qu’on avait connu et estimés, disparus à jamais.
Les Allemands, sortant de l’Eichwald, esquissent une poursuite à coup de grenades.
Finalement ils ne dépassent pas le réseau de fils de fer extérieur derrière lesquels nous nous sommes ralliés.
L’action a duré une heure quinze environ.
Devant cette situation critique, l’ordre est donné de regagner les tranchées de départ.
Le feu est d’une violence inouïe.
Les autres compagnies connaissent aussi de nombreuses difficultés, sont arrêtées et parfois même obligée de se replier.
Un moment l’intention du chef de Bataillon est de renouveler l’attaque sur l’Eichwald, notamment avec les débris de notre Compagnie. Un ordre de la brigade en arrête l’exécution.
A 18h le bataillon se réorganise sur ses positions. Avec la 6ème Compagnie et ceux qui restent de la 3ème et de la nôtre, nous devons tenir la tranchée de départ. Les autres sont déployés autour du Sillacker.
Nous sommes soumis à un violent bombardement de l’artillerie ennemie. Nous tentons d’avancer, sous un feu croisé de mitrailleuses. Nos officiers sont tous blessés. Nous nous couchons et ouvrons le feu.
C’est une succession de quelques bons en avant et de reculs stratégiques.
A la nuit (20h), nous nous replions entièrement pour réoccuper nos tranchées de départ.

Metzeral © coll. Paul Ehkirch


Nuit du 15 au 16 juin
Enfin un peu de calme. L’ennemi ne tente aucune réaction.
Quelques Chasseurs, avec beaucoup de courage et de dévouement, vont en avant de la ligne et à proximité de la ligne ennemie rechercher des blessés ou les corps des officiers ou chasseurs tués. Il y a quelques heures ils étaient eux-mêmes sous le feu, réchappant à la mort ils y retournent pour chercher nos camarades.
Les compagnies d’attaque ont perdu plus de la moitié de leur effectif. Cela traduit l’acharnement de la lutte, la ténacité et la bravoure de tous les chasseurs. Cet effort sévère a eu au moins pour résultat, outre les pertes infligées à l’ennemi, d’interdire l’intervention des Allemands de l’Eichwald.
Je cherche en vain le sergent fourrier Charles Claude MATHIEU. Encore un disparu.

16 juin
Dès le jour le Chef de Bataillon fait mettre de l’ordre dans les unités  et les réorganise.
L’attaque d’hier ayant montré l’impossibilité de faire sur l’Eichwald des concentrations de feux d’artillerie et de tirs de destruction suffisants, le rôle du bataillon est d’aider par ses feux les attaques exécutées sur le Braunkopf et 830.
La 6ème occupe la tranchée de départ. La 3ème celle au-dessus de la route avec le 133ème RI. La 2ème est à la lisière du bois. Nous restons en réserve derrière le poste de commandement. Les 1ère et 4ème n’ont pas bougé.
A 11h arrive l’ordre suivant : une attaque préparée par un bombardement sera déclenchée dans la journée en vue d’encercler l’Eichwald.
Le 23ème BCA fera une démonstration par le feu, se tenant prêt si les Allemands fléchissent à exploiter le succès en se lançant sur le bois.
L’attaque de l’Infanterie aura lieu à 13h.
A 12h, en exécution de l’ordre donné, les Compagnies ouvrent un feu d’une extrême violence sous les lisières de l’Eichwald.
Nous brûlons chacun, en moyenne, 400 cartouches.
L’ennemi répond par une fusillade assez nourrie et par un bombardement intermittent de nos tranchées.
Metzeral, bombardements 15 juin 1915 © pierrewesternfront


Nuit du 16 au 17 juin
Jusqu’à minuit, l’ennemi a lancé de nombreuses fusées éclairantes et tiré quelques coups de feu.

17 juin
Dans la matinée, les coups de feu sont plus rares.
Des patrouilles lancées par la 4ème Compagnie ne peuvent aborder les tranchées allemandes d’où partent des coups de feu.
A 11h une patrouille d’Infanterie a pu s’approcher de l’Eichwald sans recevoir de coup de feu. Le 23ème BCA envoie aussitôt des patrouilles sur le bois, qui est déserté par l’ennemi. Ils ont abandonné leurs positions ! Seules restent quelques patrouilles d’arrière-garde, qui sont faites prisonnières.
Le Bataillon se met immédiatement en mesure de pénétrer dans l’Eichwald, pour en gagner la lisière Sud avec objectif ultérieur Altenhof (à côté de Metzeral). Quelques patrouilles poussent jusqu’aux premières maisons de Metzeral en flammes.
Avec la 3ème nous sommes placés en soutien à la limite Sud de la clairière intérieur de l’Eichwald.
L’artillerie allemande exécute un violent tir de barrage sur l’ensemble de l’Eichwald, provoquant quelques blessures parmi les chasseurs.
Vers 14h, l’ordre suivant nous parvient :
Des fractions du 11ème Bataillon de Chasseurs occupent Altenhof. Portez-vous sur ce village pour le 11ème  et continuez la progression dans la direction de Metzeral.  En conséquence la 6ème Compagnie se portera immédiatement sur Altenhof. La 1ère la rejoindra au plus vite. Les autres Compagnies conserveront provisoirement les emplacements qu’elles ont organisés à la lisière Sud de l’Eichwald.
Dans Altenhof, la situation est intenable : le bombardement est intense, les maisons brûlent.
L’ordre est donné de maintenir, de jour, que deux postes à l’extérieur du village (1 sergent et 6 hommes par poste). A la nuit les Compagnies occuperont le village.
Une section est laissée dans les dernières maisons à l’Ouest du village, barrant le chemin venant de Steinabrück encore occupé par l’ennemi.
Metzeral, champ de bataille © coll. Paul Ehkirch

Nuit du 17 au 18 juin
Calme. Aucune alerte. Le Bataillon reçoit pour mission d’occuper Altenhof. L’ennemi canonne sans relâche le fond de la vallée et tient encore solidement le cimetière et les quartiers Sud de Metzeral.

18 juin
Le Bataillon conserve ses emplacements.
La 6ème pousse deux sections à la lisière est d’Altenhof, mais devant la violence du bombardement, elle est obligée de les faire rentrer.
Un service intermittent de patrouille est organisé.

Nuit du 18 au 19 juin
Calme. Aucune alerte.

19 juin
Dans la matinée, le Bataillon s’organise et continue son service de surveillance d’Altenhof par des patrouilles et deux postes fixes.
Dans l’après-midi, l’ordre parvient qu’une attaque va être effectuée sur Metzeral.
Un bombardement préalable est dirigé sur la lisière Ouest de Metzeral, face à Altenhof.
Le 23ème BCA, partant de Pfeiferberg, attaquera dans la direction du Bois Noir et Altenhof Nord.
Le 133ème RI, descendant la rive droite de la Fecht, devait attaquer à droite. Mais il ne se trouve pas en mesure d’attaquer le jour même. Le 22ème Bataillon effectuera une reconnaissance offensive, profitant de la pluie et du brouillard, et le 23ème BCA appuiera cette attaque par son feu. L’objectif est de détruire les mitrailleuses ennemies qui pourraient se révéler sur les pentes de l’Anlass-Wasen.
L’attaque doit être déclenchée à 18h30 et être menée avec rapidité. Elle prendra le caractère d’une attaque de nuit.
L’attaque semble d’abord réussir. La progression, au début, est assez facile. Mais après avoir débouché à Altenhof, le 22ème bataillon est accueilli par un feu violent de mitrailleuses. En raison des pertes subies, il doit se replier. L’attaque est suspendue.
Metzeral en feu © pages_1418


20 juin
Vers 11h le Bataillon doit être relevé sur ses emplacements par le 22ème.
Le mouvement s’effectue sans incident. Notre compagnie et ceux de la 3ème sommes mis au repos au Sillacker, tandis que la 1ère, la 2ème et la 3ème vont au lac de Shiessroth.
Enfin, on peut souffler un peu.
Je m’aperçois que j’ai oublié l’anniversaire de mon père le 30 mai dernier. Pourtant je pense beaucoup à lui. Le reverrai-je ?
Je rencontre un gars du 28ème BCA qui me raconte : "Sur la route se trouve le cimetière, et je peux vous dire qu'il ne fait pas bon s'en approcher. Aussi hier après l'avoir copieusement marmité toute l'après midi, il a été décidé qu'on essayera de l'enlever au milieu de la nuit. Quand le canon se tait, les clairons sonnent la charge, et avec des hurlements de sauvages, nous nous avançons à la baïonnette sur les créneaux. Jamais je n'oublierai ce spectacle, tout Metzeral était en feu, on y voyait comme en plein jour, les Boches qui n'avaient pas été occis gueulaient de peur derrière les tombes et se laissaient tuer comme des mouches, et selon LA TRADITION DES CHASSEURS, IL NE FUT PAS FAIT DE PRISONNIERS......" [ 5 ]
Metzeral en ruines © Chtimiste

21 juin
Il ne reste rien de Metzeral.
A 11h30 les 2 et 6ème Compagnies sont alertées et reçoivent l’ordre de gagner Altenhof, où elles ont mission de soutenir éventuellement l’attaque du 22ème Bataillon sur Metzeral où il a pénétré.
Le village est bombardé. Les dernières maisons brûlent.
A 14h30 les 1ère et 4ème Compagnies arrivent à leur tour, prêtes à soutenir l’attaque qui progresse très faiblement.
Les bombardements sont continuels.
Ordres de bataillon n°55 et 56 : cassations. Deux sergent sont cassés de leurs grades et remis soldat 2ème classe. Tout le monde n’a pas la même tenue au combat.
Ordre de bataillon n°57 : félicitations. « Officiers, sous-officiers, caporaux, chasseurs, votre chef de corps salue avec un profonde émotion, mais aussi une réelle fierté tous les braves tombés dans l’Eichwald et autour d’Altenhof… tous les disparus du 15 juin ont été retrouvés morts à leur poste d’honneur, prouvant une fois de plus qu’au 23ème on ne se rend jamais.
On sait faire son devoir jusqu’au bout…
Après le Reichackerkopf, l’Eichwald et Altenhof brilleront dans un reflet de gloire à l’historique du Bataillon. Soyez fiers de votre succès ! Tous vos chefs sont fiers de vous et la Patrie sera contente.
Signé le Chef de Bataillon Rosset. »
Metzeral en ruines © autourde-overblog.com


Nuit du 21 au 22 juin
Les Compagnies organisent leur position, aucune alerte.

22 juin
L’artillerie ennemie bombarde violemment les maisons Nord d’Altenhof.
A 11h l’ordre est donné au Bataillon de gagner ses emplacements de repos à Schiessroth et au Sillacker. Le mouvement s’effectue lentement sans incidents.
Cette mise au repos a pour but de nous réorganiser.

23 juin
Emplacement du Bataillon :
1ère, 2ème, 4ème et 6ème Compagnies au lac de Schiessroth.
3ème et 5ème Compagnies au col du Sillacker.
Poste de commandement, liaison, poste de secours à Sillacker.
Cuisines et approvisionnement à Schiessroth.
Le Bataillon se nettoie et se réorganise.

24 juin
Repos
Distribution d’effets.
Lavage et nettoyage des hommes, brossage des effets, astiquage des armes et de l’équipement.
Bain général ! Quel plaisir de tomber boue et poussière enfin !


Après le bain, 1915 © Gallica

Ordre de bataillon n°58 : 53 nominations et 4 mutations, suite aux blessés ou morts au champ d’honneur lors des combats de Metzeral.
8 de ces nominations concernent notre Compagnie, la 5ème, pour remplacer nos officiers et sous-officiers disparus.

25 juin
Repos aux emplacements indiqués.
Nettoyage.

26 juin
Repos, travaux de propreté.
Ordre de bataillon n°59 : félicitations. On nous lit le message du colonel Lacapelle.
« Chasseurs,
Après huit jours de combats continuels et acharnés vous avez rejeté les Allemands sur Muhlbach et la rive droite de la Fecht.
Malgré la force de leur organisation offensive, malgré le feu de leur Infanterie et de leur artillerie, malgré un bombardement violent qui trahissaient leur inquiétude et leur colère, vous avez enlevé à la baïonnette et occupé des positions formidables, forçant l’ennemi à reculer partout, lui infligeant des pertes sensibles.
Près de 1 000 prisonniers, dont plusieurs officiers, un matériel considérable […] sont restés entre nos mains.
Vous pouvez être fiers de ce succès remarquable qui prouve votre courage et votre vaillance. Vous êtes toujours l’élite de l’Infanterie Française […]. Alors que vos chefs sont tombés, vous savez puiser dans votre amour de la Patrie, dans votre sentiment du devoir, dans votre cœur de Chasseur, le courage et la volonté d’avancer quand même et d’enfoncer vos baïonnettes dans le dos de vos adversaires.
Saluons ceux d’entre vous qui sont tombés glorieusement pour la France. Leur mort a été adoucie par la vision de la Victoire et leur âme, en s’envolant, a entendu la voix de la Patrie qui leur disait merci. […]
Vivent les chasseurs.
Vive la France !
Signé Lacapelle »
Colonel Lacapelle © appl

Ordre de bataillon n°60 : 86 nouvelles nominations.

27 juin
Repos, travaux de nettoyage et de propreté.
Ordre de bataillon n°61 : cassation pour manque de courage.

28 juin
Repos, travaux de propreté.
Réorganisation des Compagnies.

29 juin
Le Bataillon est alerté à 8h : les 3ème et 5ème Compagnies doivent se tenir prêtes à partir à 14h.
Nous partons finalement à 20h45 pour Pfeiferberg en réserve et la disposition du Commandant du 22ème Chasseurs.
La nuit se passe sans incident.
Nous rentrons à notre bivouac au col du Sillacker à 4h du matin.

30 juin
Le Bataillon est toujours alerté.
Le Bataillon fournit 100 hommes de corvée à la disposition du commandant du 22ème Chasseurs pour transport de matériel.
Les compagnies fabriquent des rondins et des piquets pour porter aux premières lignes.
Ordres de bataillon n°62 et 63 : citations à l’ordre du jour du Bataillon des gradés et chasseurs qui se sont particulièrement distingués dans les combats du 15 au 22 juin 1915.
Ordres de bataillon n°64 et 65 : nomination et mutation.




[ 1 ] Inspiré d’A. Perry « Au temps des armes »
[ 2 ] Rien à voir avec les nombreux Gabard de ma généalogie : Ernest Gabard (1879/1957) est un artiste de Pau, notamment connu pour ses sculptures. Mobilisé en 1914 dans un régiment d'infanterie, il réalise les aquarelles du "Carnet de guerre" entre novembre 1915 et avril 1916, instantanés de la vie quotidienne sur le front. 
[ 3 ] Source : http://actualites-grande-guerre.blogspot.fr/2011/11/23e-bca.html
[ 4 ] Historique du 23ème BCA 
[ 5 ] Extrait d'une lettre d'un Chasseur Alpin du 28e BCA qui décrit le combat du Braunkopf et la prise de Metzéral  des 15- 20 juin 1915, via  pages1418.mesdiscussions.net