« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

lundi 19 septembre 2016

L'escargot est très très lent

Mais ne dit-on pas "rien ne sert de courir..."
Au début il y a Marguerite Valette. Je la connais depuis longtemps (sa fiche a été créée quand j’ai acheté la première version de mon logiciel de généalogie en 2009 ; ce qui signifie que je l’avais identifiée avant cette date, sûrement en remontant mon arbre, grâce à ses enfants). Et je peux dire que je la connais assez bien puisque j’ai trouvé son acte de naissance en 1698 à Conques (Aveyron), son mariage en 1716 et son décès en 1721 – sans doute décédée de suites de couches (un fils né 4 jours plus tôt) ; actes trouvés au fil du temps et des recherches. J’ai ainsi su qu’elle était la fille de Jean Valette (ou Vallette), qualifié tantôt de menuisier et tantôt de maître menuisier, et de Marie Burguiere, mariés en 1696 à Conques (identifiés en 2010).
Et pendant longtemps ça s’est arrêté là. Impossible de remonter plus haut.

  • Première étape :
Feuilleter les registres BMS à la recherche de la génération supérieure. Rien, absolument rien concernant la mère.
Mais une énigme concernant le père : je vois bien apparaître régulièrement un Jean Valette, menuisier qui plus est, mais marié à une certaine Paule Raouls (par ailleurs fille d’un autre couple de mes ancêtres). Ensemble ils ont quatre enfants. D’accord, c’était avant le mariage d’avec Marie Burguière, Paule étant décédée deux ans avant la seconde ( ?) union, mais le coup de l’homonyme parfait, on me l’a déjà fait (voir l'article Exploit ou fantôme ? – ça doit être le fait de mettre en enfant au monde alors qu’on est déjà morte qui m’avait mis la puce à l’oreille… !). De plus, dans l’acte de mariage Valette/Burguière, Jean n’est pas dit veuf, alors… Alors j’avais juste mis une note dans la fiche de « mon » Jean signalant cet « autre Jean ».
Après une rapide recherche,  je ne trouvais de famille pour aucun des deux Jean à Conques. J’ai donc commencé à faire « l’escargot » : compulser les registres des paroisses alentours pour voir si ce n’était pas un voisin plutôt qu’un paroissien de Conques. Chronophage (et un peu décourageante car vaine), cette démarche n’a rien donné non plus. Au bout d’un moment j’ai arrêté de tourner.

  • Deuxième étape :
Les archives départementales de l’Aveyron ont mis en ligne les registres notariaux pour Conques (entre autres) : très complets, ils s’étendent de 1179 (!) à 1770, hormis quelques failles spatio-temporelles (ils manquent en 1642/1688 et 1747/1755 par exemple). Du coup, pendant longtemps, je n’y étais plus pour personne, feuilletant les registres (virtuellement) page après page. C’est d’ailleurs quand il n’y a pas de répertoire, ni même d’en-tête à l’acte que tu te rends compte de leur importance. Manque de chance, le Jean Valette qui épouse Paule Raouls le fait en 1680, en plein dans une des lacunes des archives notariales ; dommage, un contrat de mariage m’aurait - peut-être - bien arrangé. Je ne trouve pas non plus de contrat de mariage pour les Valette/Burguière à Conques.

Accessoirement, si l’on peut dire, je compulse tous les registres notariaux de la paroisse, car après tout j’y ai aussi beaucoup d’autres ancêtres. Oui, oui, tous les registres mis en ligne, du moins à partir du moment où j'y ai identifié des ancêtres, fin XVIIème siècle.

Et là je tombe sur une autre énigme : de nombreux actes notariés de Me Flaugergues, notaire à Conques, sont signés par un Jean Valette, menuisier, apparaissant en tant que témoin ou protagoniste des actes.

Signature Jean Valette, acte notarié Conques, 1689 © AD12
Signature Jean Valette, acte notarié Conques, 1699 © AD12

Or « mon » Jean ne signe pas son acte de mariage avec Marie Burguière, pas plus que l’acte de naissance de sa fille l’année suivante. Ni le mariage d’avec Paule Raouls.

J’ai continué néanmoins à compulser les archives notariales, pour voir si 1 + 1 = 1 (vous me suivez ?)*. Bref, ça m’a pris un moment mais à force de persévérance j’ai trouvé… le testament de la mère, Marie Burguière. Et dans ce testament une mention : celle de sa propre mère demeurant à Villecomtal (à près de 30 km de Conques). Je ne risquais pas de trouver sa famille à Conques, puisqu’elle n’y était pas originaire ! Grâce au legs de trente sols que Marie faisait à sa mère, j’ai pu retrouver rapidement toute sa famille à Villecomtal : père, mère, frères, sœurs, oncles, tantes et grands-parents (13 personnes en une journée). Franchement, pour 30 sols ça valait le coup !

Tweet du 09/09/2016 © M.Astié

Autre trésor dans ce testament : la mention d’une somme due dans la dot de Marie. S’il y a eu dot, il y a sans doute eu contrat de mariage. Ni une ni deux, j’ai cherché ledit contrat, mais cette fois à Villecomtal, où il attendait sagement que je le déniche depuis 320 ans… Je n’étais pas prête de le trouver à Conques, soit dit en passant. Sans plus attendre, je me suis attelée à sa transcription, un peu fébrile car espérant toujours résoudre le mystère de(s) Jean Valette. Le futur marié est bien dit menuisier de la ville de Conques… mais c’est tout !!! Ses parents ne sont pas cités. Les témoins ne font pas partie de son entourage proche. Il n’apporte rien dans la corbeille du mariage (ce que je n’ai, je crois, jamais rencontré encore), si ce n’est en fin d’acte un droit d’augment (ou gain de survie) à sa future épouse, comme c’est la coutume du pays. Quelle déception !
Mais en bas, tout en bas, qu’est-ce que j’aperçois ? La signature du futur époux : Jean Valette (qui signe Vallette). Et là pas de doute : c’est la même que celle qui apparaît au bas des actes de Me Flauguergues cités plus haut.

Signature Jean Valette, CM 1696 Villecomtal © AD12

  • Troisième étape : 
Je retourne examiner les actes Valette/Raouls sur la période où ils ont été mariés. Je m’aperçois que les parents dudit Jean sont cités dans l’acte de mariage avec Paule ! Ils sont dits de Rieutort : je ne risquais pas de les trouver à Conques non plus. Rieutort, Rieutort… c’est bien beau ça, mais c’est où Rieutort ? En continuant je trouve rapidement le mariage d’Étienne Valette, aussi menuisier, frère de Jean (les parents cités sont identiques). Tiens ? Ne serait-ce pas le parrain de Marguerite Valette, la fille de Jean, dont les liens de parenté ne sont pas précisés ? Mais dans l’acte de mariage d’Etienne, le curé est un peu plus bavard et précise que Rieutort est dans le diocèse de Mende ! En Lozère (actuelle) ! A 150 km de Conques ! Et bien je n’aurai pas assez de toute une vie à faire l’escargot pour arriver jusque là-bas !
A Rieurtort-de-Randon (nom actuel), il n’y a pas de registre en ligne antérieur à 1727 et pas (encore) d’acte notarié en ligne pour la période qui m’intéresse. Les recherches sur les ascendants de Jean (et d’Étienne) s’arrêtent là… pour le moment.

  • Conclusion :
Je pense aujourd’hui que les deux Jean Valette sont une seule et même personne. Le faisceau d’indices qui me fait penser cela est principalement influencé par les signatures de Jean, des dates concordantes et la présence d’Étienne. Donc, sauf mention précise qui viendrait me prouver le contraire, je viens d’adopter officiellement Jean Valette comme unique ancêtre. La recherche a été longue (plus de 7 ans), et encore : j’ai arrêté de faire l’escargot au bout d’un moment ; mais a, sans doute, trouvé une conclusion heureuse.



* J’ai concentré mes recherches dans la même paroisse : quand on reste sur place, ce n’est plus « l’escargot », alors c’est quoi ? La limace ? Faut dire que ça m’a pris du temps…


lundi 5 septembre 2016

Des Astié survivront-ils ?


Ma famille paternelle est originaire de Conques (en Rouergue). Le plus lointain ancêtre de cette lignée que j’ai pu identifier s’est marié en 1671. Il appartient à la 11ème génération. Avant ça… des lacunes de registres BMS et des registres notariaux. Les recherches se compliquent. Même si je ne désespère pas de trouver les générations précédentes un jour, pour le moment, ça s’arrête là.

Pour ceux qui l’ignorent, j’ai un patronyme que l’on doit sans doute à saint Astier, ermite du Périgord : fils d’une famille romaine, né au VIème siècle à Puy-de-Pont (Périgord). La légende veut que, devenu ermite, il réalisa de nombreux miracles donnant au lieu une certaine renommée. Après sa mort, son tombeau attirant la dévotion des fidèles, une abbaye fut bâtie au VIIIème siècle, autour de laquelle s'est établie une cité, Saint-Astier. D’après les spécialistes, ce patronyme viendrait d'un nom de personne qui pourrait correspondre au germanique Asthari (ast = lance + hari = armée), mais qu'il faut plutôt sans doute rattacher au latin Asterius (dérivé de "aster" = étoile), popularisé par divers saints, notamment ledit ermite du Périgord cité plus haut.

Le patronyme est très fréquent dans l'Ardèche et la Drôme, ainsi qu'en Auvergne.
- on en compte un peu plus de 93 700 en France en 1700,
- 74 800 en 1800,
- 30 000 en 1900 [1].
Des familles plus ou moins célèbres portent ce nom (je n’aurai pas renié Alexandre Astier et toute sa famille s’ils avaient voulus être de mes cousins, par exemple). Pour la première fois j’ai rencontré ce « nom » en prénom : Astier Nicolas, récent vainqueur olympique en équitation (bien sûr, vous aurez remarqué comme moi que son prénom est un nom et que son nom est un prénom…).

Mais, chez moi, petite originalité : mon nom s’orthographie sans le R final : « Astié ». Ce qui fait toute la différence ! Cette variante est portée surtout dans le Tarn et le Lot-et-Garonne. Du coup le nom se fait plus rare :
- un peu plus de 7 100 porteurs en France en 1700,
- 3 300 en 1800
- et seulement 1 300 en 1900 ! [1]


Une partie de la famille Astié (la mienne) - générations 2 et 3 - à Saint-Astie(r) © coll. personnelle

Et c’est alors que je me suis demandé combien de temps encore notre « originalité patronymique » pourrait se perpétuer.

Que les épouses, filles, sœurs, mères me pardonnent, mais je ne parlerai pas d'elles dans cet article (elles apparaîtront à peine, voire pas du tout, dans les extraits d'arbre mis en illustration !).

Génération 1 :
Dans ma famille proche (ce que l’on appelle la famille « nucléaire »), il n’y a qu’un fils, mon frère, mais il n’a pas d’enfant. C’est cuit pour nous.

Génération 2 :
Mon père a eu quatre frères :
  • L’aîné de mes oncles a eux deux fils, mais un seul a donné deux fils à son tour.
  • Le second a deux fils et un petit-fils.
  • Le troisième deux fils et deux petits-fils.
  • Le dernier n’a eu qu'une fille. Adieu le patronyme. A moins qu'elle ne choisisse de donner son propre patronyme à ses enfants, ce qui est maintenant possible. A ma connaissance ce n’est pas le cas.
Extrait arbre généalogique Astié générations -1 à 3

Si on résume il y a eu 7 fils dans ma génération (n°1), qui ont donné eux-mêmes 5 fils (génération n°-1 !) nés entre 1995 et 2010. Soit, pour le moment, 5 chances que le patronyme se perpétue de notre côté.

Génération 3 :
Mon grand-père était fils unique. Cela réduit le champ des recherches.

Génération 4 :
Il faut donc remonter à la génération précédente pour trouver à nouveau des fils; enfin des fils qui ont survécu à la Première Guerre Mondiale. Cette génération de mon arrière-grand-père compte 8 fils. Parmi eux :
  • Augustin mon ancêtre direct, donc, 
  • Deux fils décédés en bas âges (9 semaines pour l’un et 5 ans pour l’autre),
  • Trois Poilus Morts pour la France,
  • Louis, né en 1877, marié en 1914; et François né en 1884, marié en 1904 puis en 1942.
Bon, là, on tombe dans « le trou noir de la généalogie » : cette génération qui est trop vieille pour être encore connue des vivants et trop jeune pour apparaître librement dans les archives communicables. Il me sera difficile de savoir s’ils ont eu des fils, ayant eux-mêmes enfanté des mâles - enfants à chercher.
Extrait arbre généalogique Astié générations 3 à 5

Génération 5 :
Que des fils : on en compte 6.
  • Augustin mon ancêtre.
  • Trois fils, Adrien, Jean François et Louis, tous mariés.
  • Deux autres enfants, Antoine et Benoît, nés en 1859 et 1861.
Tous sont susceptibles d’avoir eu des enfants. Adrien n'a eu que deux fils qui ont survécu : l'un marié en 1909 et l'autre en 1920 - enfants à chercher; Jean François a aussi eu deux fils mariés (en 1907 et 1919) mais ceux-ci n'ont eu apparemment que des filles; le dernier, Louis, n'a eu que trois filles. 
Les parents ont déménagé au moins 8 fois : je n'ai pas retrouvé la trace des deux derniers enfants et j'ignore quand ils sont décédés ni s'ils se sont mariés (et ont enfanté) - enfants à chercher.

 Extrait arbre généalogique Astié générations 5, 6 et descendantes

Génération 6 :
5 fils, dont mon ancêtre Pierre et son petit frère décédé en bas âge. Mes ancêtres commencent à avoir la bougeotte et il devient difficile de les pister suite à leurs déménagements respectifs et fréquents. J'ai ainsi pu trouver trace des mariages des trois autres fils à Conques (en 1835, 1853 et 1859), mais si l'un est resté sur place (et a eu une seule fille), les deux autres disparaissent des radars - enfants à chercher.

Extrait arbre généalogique Astié générations 5 à 7 et descendantes
Génération 7 :
Deux fils seulement, dont mon ancêtre direct, Augustin. Les pistes de recherche se réduisent enfin. Son frère Pierre n'a que des filles.
 Extrait arbre généalogique Astié générations 6 à 8 et descendantes

Génération 8 :
4 fils, dont mon ancêtre Antoine et un fils mort en bas âge. Restent deux pistes à explorer : Pierre et Pierre (sic) ! Pour le moment  je n'ai pas trouvé leurs décès en bas âges ni leur mariage jusque dans les années 1770. Les recherches continuent...
 Extrait arbre généalogique Astié générations 7 à 9

Génération 9 :
4 fils :
  • Mon ancêtre Pierre
  • Guillaume, peut-être décédé en 1734
  • Jean, peut-être décédé en 1731 
  • Georges
D'après les dépouillements des registres de Conques (1698/1760) deux des quatre fils seraient décédés à 30 et 23 ans (forte supposition grâce aux témoins même si la parenté n'est pas formellement prouvée), mais ils n'apparaissent pas dans les relevés des mariages de la paroisse. Je perds la trace de Georges après sa naissance et ne le trouve pas dans les dépouillements cités ci-dessus ou ceux du Cercle Généalogique du Rouergue ; il n'est pas cité dans le testament de son père en 1732 : sans doute est-il décédé avant cette date, mais où...? Je n'ai pas encore eu le temps de compulser tous les registres d'état civil, mais pour le moment mes recherches sont vaines.

 Extrait arbre généalogique Astié générations 9 à 11

Génération 10 :
Mon ancêtre Jean n’a qu’un frère, Charles. Comme Georges, lors de la génération précédente, je perds sa trace très rapidement.

Génération 11 :
Mon plus lointaine ancêtre connu, le fameux Antoine Astié.

Signature d'Antoine Astié lors de son mariage, 1671 © AD12

Trois autres enfants Astié apparaissent dans les registres de l'époque (sont-ce les sœurs d'Antoine ?) :
  • Jeanne née en 1647, décédée l'année suivante,
  • Jeanne née en 1655,
  • Catherine née en 1659.
Mais pas de fils !

Un long travail de recherche de généalogie descendante m’attend pour voir si mon patronyme si spécial (pour moi en tout cas) se transmettra encore à travers les âges…


[1] Source : Geneanet.
Merci à JP pour ses infos de généalogie descendante, lui qui est un lointain cousin... mais descendant d'une fille Astié !


lundi 22 août 2016

La petite boucherie de Jean

Jean Avalon vivait à Entraygues (Aveyron), à la fin du XVIIème siècle. Il était marié et avait trois enfants : Louis, Bonne et Bonne (sic). Il était boucher de profession. Alité "d'une certaine maladie corporelle de laquelle il croit mourir" mais jouissant toutefois de ses bons sens et entendements et d'une parfaite mémoire, bref sentant sa fin devenir proche, il avait fait venir le notaire pour rédiger son testament (décembre 1700). Il ne voulait pas, comme sa défunte épouse Bonne (re-sic), mourir ab intestat, c’est-à-dire sans avoir réglé ses affaires (et éviter les discussions entre ses enfants) en les couchant sur un testament en bonne et due forme. A son fils, trop jeune, il avait préféré désigner Simon Mommaton son gendre (époux de Bonne l’aînée), comme légataire universel. Tout était en ordre. Moins de quinze jours plus tard, il s’était éteint en son logis. Lors de son enterrement, il fut enseveli dans le tombeau de ses prédécesseurs au cimetière Saint-Georges, comme il le souhaitait.
A chacun de ses enfants il a légué 4 000 livres, ce qui représente une somme assez conséquente et nous laisse deviner une certaine aisance chez ce boucher d’Entraygues.

Trois mois plus tard, Simon utilise à son tour les services du notaire afin de régler ladite succession de feu son beau-père (avril 1701). Les possessions de Jean sont divisées en quatre lots : trois pour ses enfants et le dernier pour Simon son gendre.
Le document notarial qui nous renseigne sur ces faits n’est pas un inventaire après décès proprement dit (où toutes les possessions sont scrupuleusement notées et décrites (voir à ce sujet l’article d’Elise), mais les lots sont suffisamment bien détaillés pour nous donner une idée des possessions du boucher.

On peut y distinguer :
  • Les immeubles :
- deux maisons : une "rue droite" à Entraygues, l'autre "au devant de la porte supérieure de ladite ville",
- une "petite boucherie" (rue Droite), 

Entraygues, rue Droite © Delcampe
- une petite étable et grange,
- des chais,
- un "entier domaine" situé dans la paroisse voisine de Notre-Dame de Bez.
  • Les terres :
- des jardins,
- des vignes,
- plusieurs « chastaignal » (= châtaigneraies ?),
- des champs,
- des bois,
- des chanvriers (où on cultive le chanvre),
- des prés.
  •  Des meubles :
- plusieurs dressoirs,
- une "garderobe",
- des tables hautes,
- une petite table se fermant à deux battants,
- une "petite vielle table",
- des tabourets,
- une vieille escabelle (= siège bas, généralement à trois pieds),
- un banc,
- plusieurs maies à pétrir le pain,
- des "lits garnys" et un bois de lit,
- plusieurs caisses fermant à clé et de "vieilles caisses". 
  • Le linge, la vaisselle et les ustensiles :
- des chemises d'homme,
- "les habits du défunt à l'exclusion d'un manteau" -  ledit manteau est en fait dans un autre lot,
- des linceuls (= draps),
- une couverte (= couverture),
- des nappes,
- des serviettes,
- des landiers de fer (= chenets de cheminée) et une grille de fer (sans doute pour la cuisson dans la cheminée),
- des poêlons, poêle à frire, poêle à feu,
- des bassinoires (pour réchauffer le lit avant de s’endormir),
- petit mortier en métal à pilon,
- une cuillère de fer et une autre de cuivre,
- une lampe,
- de la vaisselle (sans précision),
- des pots de fer et d’étain, un pot de métal,
- des armes : un pistolet de ceinture et un vieux fusil,
- des cruches à huile,
- des chandeliers de laiton,
- des livres (si je lis correctement le document).
  •  Des outils :
- une faux pour couper les buissons,
- des fourches de fer, 
- des fessoirs (= arrosoir ou houe ?), 
- un panier,
- un tamis,
- une hache,
- un pressoir pour le suif,
- un peigne à peigner le chanvre,
- une corde,
- un crible (= tamis) à blé,
- un coin de fer à fendre le bois,
- des planches.
  •  Du bétail et des marchandises :
- des moutons et brebis avec leur laine,
- 144 livres d'étain,
- du cuivre pour 110 livres,
- une charrette de foin et de chanvre,
- un grand lard,
- de l’huile de noix,
- du seigle.
  • Les instruments spécifiquement liés à la boucherie :
- les "balances pour la boucherie",
- un "grand coffre qui est dans ladite boucherie",
- les couteaux de la boucherie,
- un tour de fer à tourner la broche,
- des poids, dont un lot de poids de balance se fermant dans lequel il y en a deux autres petits,
- un entonnoir de fer blanc,
- des tonneaux,
- des barriques,
- un seau.
  • Et enfin des archives :
- 45 documents dans le 1er lot,
- 44 documents dans le 2ème,
- 29 documents dans le 3ème,
- et 55 documents dans le dernier lot.
Soit au total : 173 documents (sans compter ceux passés pour acquérir les biens transmis).
Ces documents sont des obligations, des promesses, des transports.
  • Des éléments que je n'ai pas réussi à identifier (ou déchiffrer) :
- caral (cazal ?),
- nogarelle (nogarette ?),
- noguier (= un nogue : un baquet ?),
- cuissin à portefaix.

Une estimation de chaque lot a été faite :
- lot 1 : valeur 3620 livres six sols;
- lot 2 : 3622 livres 8 sols;
- lot 3 : 3615 livres 12 sols 8 deniers;
- lot 4 : 3448 livres. Celui-ci (dévolu au gendre, rappelons-le) est un peu moins élevé car ledit gendre a touché la constitution dotale de 500 livres de Bonne Noel sa belle-mère, promise dans son contrat de mariage et qui lui appartient de plein droit, ce qui fait la différence.
Soit un total d’un peu plus de 14 305 livres.

Il y a donc plusieurs maisons, garnies de meubles, de vaisselle, de linge...; le tout plutôt en bon état visiblement. Rien qu'avec ce partage de 1701, on devine que Jean a réussi et devait, sans doute, faire partie des notables locaux.
C'est pourquoi l'expression "la petite boucherie" située Rue Droite m'a interpellée : elle ne devait pas être si petite que ça. Ou alors elle devait très bien rapporter vu le legs laissé par Jean à son décès !




lundi 1 août 2016

Un trésor dans notre maison

D'aussi loin que je me souvienne, il y a dans notre maison un trésor. Chaque membre de la famille avait la mission, lors de ses voyages, de rapporter un exemplaire de la monnaie locale. Au bout d'un moment, il a fallu faire une boîte pour conserver le pécule qui commençait à grossir. Ce que fit mon père :

Trésor © coll. personnelle

De tout temps, l'idée était de sceller le trésor dans une maçonnerie de la maison... pour que d'éventuels descendants le redécouvrent façon archéologue mettant la main (enfin) sur une légende familiale.

Dans ce trésor, il y a :

      1. des billets 
Billets © coll. personnelle

- des marks : monnaie allemande ; 4 billets, édités par la Reichsbanknote en 1920 (un) et 1922 (les trois autres) ; valeur totale : 3 600 marks.
- des intis : ancienne devise du Pérou (avant 1991) ; 1 billet édité par la banque central reserva des Perù, de 1987 ; valeur : 50 intis.
- des dirhams : monnaie du Maroc (ici, même si le dirham a cours aussi dans d’autres pays) ; un billet édité par la banque du Maroc portant la date 1970/1390 ; valeur : 10 dirhams.
- des djinarevs : monnaie de (l’ex-)Yougoslavie ; 2 billets des années 1980 et un 3ème écrit en cyrillique mais sans mention de pays identifiable (1991). Valeur totale : 1 100 (ou  1200).
- des couronnes : monnaie de la République Tchèque (ou Tchéquie) ; 2 billets de 1988 et 1997 ; valeur : 20 dvacet et 50 padesat (les nombres se disent 20 dvacet, 30 třicet, 40 čtyřicet, 50 padesát, etc…).
- des roupies : monnaie de l’Indonésie ; un billet édité en 1992 ; valeur : 1 000 roupies.
- des lires : monnaie de l’Italie ; un billet édité en 1982 ; valeur : 1 000 lires
- des dollars « note » hell bank note ») : forme de papier joss (ou « argent fantôme » : feuilles de papier à usage de pratiques religieuses asiatiques, imprimées pour ressembler à un billet de banque). Les notes ne sont pas un officiellement reconnu monnaie, leur seul but étant d'être offert comme offrande au défunt ; pratiqué par les Chinois et plusieurs cultures d'Asie orientale, en usage depuis au moins la fin du XIXème siècle. Valeur totale : 30 000 dollars.
- des dollars américains, ou plutôt un seul : le fameux billet d’un dollar, daté de 1993.
- des zlotys : monnaie de la Pologne ; un billet édité en 1986 ; valeur : 100 zlotys.
- des pounds : monnaie de la Grande-Bretagne, aussi appelée livre sterling ; un billet édité en 1990 ; valeur : 5 pounds.
- des francs africains : édité par la banque centrale des états de l’Afrique de l’Ouest – pas de pays précisé ; un billet édité en 1986 ; valeur : 1 000 francs.
- des francs belges ; deux billets (non datés) ; valeur : 200 francs.
- des francs français : édité par la banque de France ; deux billets édités en 1997 et un en 1974 ; valeur : 30 francs. Et une mauvaise photocopie d’un billet de mille francs français.
- des francs … particuliers : édité par la banque des Pieds Nickelés ; un billet édité en 1990 ; valeur : 127 francs.
Billet de 127 francs édité par la banque des Pieds Nickelés © coll. personnelle

- des pesetas : édité par la banco del monopoly de Madrid ; 5 billets édités en 1962 ; valeur : 25 000 pesetas.

Pas de fortune à l’horizon : ces billets ne valent que quelques euros aujourd’hui.
Comment tous ces billets sont-ils arrivés là ? On ne le sait même plus ; car non, nous n’avons pas visité tous ces pays. Des amis ? Des amis d'amis ?

      2. des fèves

Que font-elles ici ? Curieux trésor !
Parmi elles, celle d’un uhlan, qui m’interpelle en tant que généalogiste…
Fève uhlan © coll. personnelle

Pour mémoire, le uhlan est, dans les armées slaves et germaniques, est un cavalier armé d’une lance; similaire au lancier des armées françaises.

      3. des pierres

- une rose des sables
- un quartz
- une (fausse ?) améthyste
- une pièce bleu veinée (sans doute un simple morceau de verre !).

     4. des pièces

Les pièces du trésor © coll. personnelle

Elles sont originaires de tous les pays : Pays-Bas, Italie, Grande-Bretagne, Espagne, Grèce, Afrique de l’Ouest, Allemagne, Danemark, Maroc ( ?), États-Unis, Tchécoslovaquie, Canada, Belgique, Portugal, Indonésie ( ?), Russie, Autriche, Irlande, Luxembourg, Hongrie, Suisse, Jamaïque, Lituanie, Brésil, Inde. Soit 25 pays.

Certaines pièces sont écrites en arabe, en cyrillique, en jawi (alphabet arabe adapté pour écrire la langue malaise et indonésienne). C'est pourquoi je reste indécise sur leur pays d'origine (marqué par quelques points d'interrogation).

Il y a quelques belles pièces (niveau valeur, s'entend), dont une pièce de 100 francs :

Pièce de 100 francs en argent, 1988 © coll. personnelle

Et quelques curiosités, dont un "bon pour un franc" édité en 1923 par la chambre de commerce et d'industrie :

Bon pour un franc, 1923 © coll. personnelle

C'est ce que l'on appelle une monnaie de nécessité : c'est un moyen de paiement émis par un organisme public ou privé et qui, temporairement, complète la monnaie officielle (pièces et billets) émise par l'État quand celle-ci vient à manquer. Ce type de monnaie prend place généralement durant des périodes économiquement troublées : guerre, révolution, crise financière, etc... De 1920 à 1927, l'État lui-même frappa trois pièces en bronze d'aluminium portant la mention « bon pour » 2 francs, 1 franc et 50 centimes, ainsi que « Chambres de Commerce de France » et non « République Française ».

     5. des « faussaires »

- des médailles agricoles,
- des jetons taxiphone, Shell ou PTT (1937) :

 Jetons divers © coll. personnelle

- des pièces éditées par les stations essence BP : « collection rois de France », sesterce gaulois…
- des boutons de culotte,
- des pièces du Reader digest (magazine mensuel de type familial et généraliste),
- un sou fétiche, édité par la banque de Picsouville :


Un sou fétiche © coll. personnelle
- une médaille religieuse,
- un écu français de 1993 :


Écu © coll. personnelle

Dans la perspective de l'Union économique et monétaire, soucieux de marquer son soutien à la construction de l'Europe, l’État français a été le premier État, en 1989, à émettre des emprunts long terme libellés en écus. Ils seront ensuite remplacés par l'euro que nous connaissons aujourd'hui.
- une pièce "artistique" (dont l'habile tailleur est resté inconnu) :


Shilling découpé selon le motif © coll. personnelle

- des illisibles
Pièce illisible © coll. personnelle

Trop anciennes ou ayant vécu trop d'aventures, ces pièces ne sont plus identifiables, du moins pour la néophyte que je suis.

Ces pièces sont en argent, en aluminium, cuivre, bicolores (inox, laiton).

Pièces de 20 et 10 francs bicolores © coll. personnelle

Ces pièces que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître...

Au total (boîte comprise) le trésor pèse 4,109 kg.

On peut y suivre l’évolution du franc (français) :
- les dernières pièces avant l’euro,
- pour l’anecdote, une pièce d’un franc datée de l’année de ma naissance (ça marche comme le vin ou pas : ça se bonifie avec le temps ? ça porte bonheur ?),
- les « anciens francs »,
- les pièces de la guerre, frappée « travail, famille patrie », qui fleurent bon le Maréchal...


Un franc, 1944 © coll. personnelle

- les plus anciennes datent de la première guerre mondiale : 1916, 1917, 1918 :
Pièce de 25 centimes, 1917, et 5 centimes 1918 © coll. personnelle

- et même une de 1906 :

Pièce 5 centimes, 1906 © coll. personnelle

La plupart des pièces sont rondes, certaines sont percées au milieu et quelques unes polygonales.

Pièces polygonales marocaine (?), française et britannique © coll. personnelle
La plus petite a un diamètre de 1,4 cm (un franc de l’Afrique de l’ouest de 1980), la plus grande 4 cm (50 francs français en argent de 1979).

La plus petite et la plus grande © coll. personnelle

Mon père s'est enthousiasmé pour une pièce à moitié effacée, selon lui la plus ancienne du trésor :

Pièce Louis XV © coll. personnelle

Retrouvée sur internet, en voici la description : "jeton laiton Louis XV :
- avers : mention « LUD XV DG FR ET NREX », buste du roi au centre (profil gauche)
- revers : mention « vis animi cum corpore crescit » (la force de l'esprit grandit en même temps que le corps), Hercule de face s’appuyant sur son arc au centre."

Je ne suis pas assez experte en numismatique, mais visiblement un jeton n'est pas une monnaie et donc n'a pas de valeur faciale et pas de cours légal. Adieu trésor antique !

La pièce la plus ancienne semble être plutôt une pièce italienne (véritable celle-ci), datée de1866 :

Pièce de 10 centimes italiens © coll. personnelle

Bientôt ce trésor sera effectivement scellé dans une niche spécialement conçue pour lui dans le parement d'un mur de la maison que mon père est en train de refaire.
Je ne sais pas si un jour il sera trouvé, mais en tout cas pour faire cet article, j'ai fait un beau voyage géographique, historique et même religieux (voir plus haut les "dollars note")...