dimanche 15 juin 2025

Soldat du Roi

Je viens de trouver mon plus ancien soldat. Il se nommait Louis Billard, fils de Claude Billard ou Billiard et Denise Piedeloup (c'est un collatéral pour moi : je descends de sa sœur Denise). Il est né en 1687 à Villemareuil (Seine et Marne). Il était « soldat du Roi » (en l’occurrence Louis XIV d’abord puis Louis XV ensuite).

Il m’a été indiqué grâce à un message d’un inconnu (leplumey, de son identifiant sur Geneanet, que je remercie ici chaleureusement). Il m’a contacté via la messagerie de ce site pour me signaler ce soldat. Il a ajouté le lien direct vers le site Mémoire des Hommes où je trouve sa fiche dans le contrôle des troupes (GR 1 Yc 821) : 

Fiche Louis Billard, contrôle des troupes du Régiment du Roi © Mémoire des Hommes
 

Louis Billard a intégré le « Régiment du Roi », 4ème bataillon. Sa fiche précise sa parenté et son surnom : La Brye. Si je lis correctement ce document, il est dit natif de Villermorville, en Brie (d’où son surnom), juridiction de Meaux (et non Villemareuil, autant dire que je ne pouvais pas le trouver d’après son lieu de naissance !). Lors de la rédaction du registre il fait partie de la compagnie du Chevalier de Vallence (ou Valence), est âgé de 55 ans, mesure 5 pieds 4,5 pouces (soit 1,63 m) et ses cheveux sont châtains. Il n’a pas de signe distinctif (cicatrice, marque de petite vérole, tâches de rousseurs, etc…).

Il a été blessé au siège du Quesnoy.

Il s’agit de la ville du Nord en 1712, qui s’inscrit dans la guerre de succession d’Espagne (1701/1714). La ville, longtemps sous domination espagnole, est reprise par la France au milieu du XVIIème siècle, mais reste très affaiblie. En 1712 elle subit deux sièges, à quelques mois d’intervalle. Si les Français perdent le premier, ils sortent victorieux du second. On compte environ 300 morts ou blessés parmi les Français et sans doute autant du côté des Impériaux. L’échec du siège, couplé à la déroute de Denain qui a lieu en même temps, marque le déclin définitif de la coalition impériale et le retour en force de la France.

Néanmoins cette blessure reçue au Quesnoy n’a pas empêché Louis de poursuivre sa carrière militaire, puisqu’il sert encore pendant près de 30 ans.

Une mention complémentaire indique que Louis a servi 7 ans dans les lanciers.

Enrôlé le 7 juillet 1711 (à 24 ans), il est sorti du régiment « invalide » le 2 juillet 1741 (sans précision de ce qui l’a rendu invalide ni où il a été blessé).

 

En tant qu’infirme, il intègre l’Hôtel des Invalides à Paris, dont la construction est ordonnée par Louis XIV en 1670. Cette institution avait pour objectif d’assurer aide et assistance aux soldats des armées royales blessés, ou trop âgés pour servir, afin d'éviter de les voir mendier ou mourir dans l'indigence. Il comprend une église royale (l'Église du Dôme), un hôpital, des réfectoires, des logements, des cours, des jardins. Il pouvait accueillir environ 6 000 pensionnaires, soldats ou sous-officiers (pas d’officiers nobles qui étaient censés être soutenus par leurs familles ou des pensions de cour). Ils bénéficiaient de soins médicaux, de repas, et d'une pension. En échange ils devaient participer aux activités communautaires, y compris les prières, les repas en commun, et les cérémonies militaires. Les soldats mutilés n'accédaient aux Invalides qu'après de longues années de service dans l'Armée. Parmi les « pensionnaires résidents » on distingue les plus malades, qui logeaient et étaient soignés dans la partie hôpital, et ceux qui étaient mieux portant, qui travaillaient dans la manufacture pour confectionner des uniformes, des bas ou des souliers. Les plus valides étaient classés en « pensionnaires externes » assignés à la surveillance du territoire (dans des places fortes, garnisons ou dépôts militaires à l’arrière) ; ils recevaient une pension mais devaient assurer des postes de garde ou d’enseignement aux jeunes recrues. Tous devaient observer une discipline stricte et avoir une conduite irréprochable (pendant le service actif et ensuite pendant leur séjour aux Invalides).

Louis Billard y décède le 29 août 1751, âgé de 64 ans, comme me l'apprends la base de donnée de l'Hôtel des Invalides.

 

J’ai aussi trouvé Louis dans le registre de contrôle des troupes de l’époque précédente (GR 1 Yc 812) : sa fiche est moins complète, mais on retrouve bien Louis Billard, dit « Labry », de la juridiction de Meaux, cheveux châtains, 5 pieds 5 pouces (la taille est souvent arrondie). Il est déjà dans la 4ème bataillon, mais dans la compagnie de Compiègne (dit aussi Chevalier de Compiègne, capitaine au Régiment du Roi au moins entre 1722 et 1733, dont l’identité exacte reste incertaine – que l'on retrouvera au 3ème bataillon dans le registre suivant GR 1 Y 821). Louis est cependant dit enrôlé en juin 1728 et non 1711. La date de sortie n’est pas indiquée puisqu’il est encore en service dans le registre de contrôle suivant (cliquez ici pour accéder à l'inventaire des registres matricules d'Ancien Régime sur Mémoires des Hommes).

 

Mais pourquoi « leplumey » (Ivan Leplumey) m’a envoyé ce message ? Comme il me le précise, c’est en lien avec le projet pédagogique Mémoire des Hommes-INSA Rennes-IRISA (équipe Intuidoc de l’Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires à l’Institut National des Sciences appliquées). Enseignant-chercheur, il est le responsable du projet. Ignorant tout de cette opération, je transcris ici sa présentation trouvée sur le site Mémoire des Hommes : depuis 2021 il existe une étroite collaboration entre l’école d’ingénieurs de Rennes et le site du ministère des armées. Les étudiants, dans le cadre de leur projet pédagogique, ont conçu des programmes informatiques pour indexer les registres militaires d’Ancien Régime, importer les donner et créer des revues. Ces revues numériques sont réalisées avec des partenaires spécifiques, comme des archives départementales ou des cercles généalogiques. Les soldats indexés sont regroupés dans des revues adaptées au partenaire. Ainsi la revue costarmoricaine ne contiendra que des soldats des Côtes d’Armor. Un tri est aussi opéré par régiment, département, commune ou patronyme : il devient ainsi très facile de retrouver ses ancêtres soldats (voir les revues dans l'inventaire). Pour chaque soldat indexé, un lien redirige le lecteur vers le registre d’origine. Geneanet ou Ancestramil sont également partenaires de l’opération. Voir ici la présentation complète de ce projet.

Dans la revue dédiée à « Monsieur » (Louis-Stanislas-Xavier de France, comte de Provence, frère de Louis XVI, né en 1755, futur Louis XVIII), j'ai découvert un autre de mes collatéraux, René Bouguay (Bouguié dans mon arbre), pas de surnom, laboureur né à Saint Sylvain d'Anjou (Maine et Loire) en 1750. Sa fiche est visible dans le registre de contrôle des troupes du régiment de Monsieur (GR 1 Y 574). Il est alors dans le second bataillon, compagnie de Charpin. Enrôlé en 1778 et réengagé deux fois (1784 et 1786). Il mesurait 5 pieds 4,5 pouces, avait les cheveux et sourcils châtains très clair, les yeux bleus, le visage « quarré », nez pointu, bouche moyenne, menton rond, un signe à la joue droite et une petite cicatrice à la joue gauche.

 

Fiche René Bougay, contrôle des troupes du Régiment de Monsieur © Mémoire des Hommes
 

En 1711, époque où Louis Billard s’engage (sous le règne de Louis XIV donc), le recrutement militaire en France obéissait à un système complexe, mêlant engagement volontaire, contraintes sociales et pressions politiques. Le royaume étant alors engagé dans la guerre de Succession d’Espagne (1701/1714), les besoins en soldats étaient élevés.

Les Armées du Roi étaient organisées en régiments, qui portaient les noms de leur propriétaire puis par la suite celui de leur province ou ville de recrutement. Chaque régiment avait sa spécialité (infanterie, cavalerie, etc...) et était appelé à servir sur les champs de bataille selon les exigences militaires. Ils avaient également le rôle d'assurer la sécurité de leur province.

Un grand nombre de régiments sont créés sous Louis XIV (on passe de 33 en 1643 à 260 en 1712).

 

Il existait différents types de recrutements :

1. L’engagement volontaire (avec contrat d’engagement)

  • Principe : Les soldats s’engageaient pour une durée (souvent 4, 6 ou 8 ans).
  • Cible : Jeunes hommes pauvres, souvent ruraux, parfois des vagabonds ou sans métier stable.
  • Avantages offerts :
    • Prime à l’engagement (souvent payée par la ville ou le seigneur local).
    • Promesse de solde régulière, logement, nourriture.
  • Les engagés étaient souvent recrutés dans les provinces, puis envoyés à une place forte ou au dépôt du régiment.

 

Enrôlé volontaire, Louis a sans doute passé un contrat d’engagement devant notaire. Ce type de contrat était formaté et, si je n’ai pas trouvé celui de Louis, il devait ressembler à cela :

« Le 7 juillet 1711, Louis Billard, fils de feus Claude Billard et Denise Piedeloup, natif de Villemareuil en Brie, âgé de 24 ans, de son gré et libre volonté, s’est présenté en la maison commune et a déclaré vouloir s’engager pour le service du roi dans le régiment du Roi-infanterie, compagnie du sieur capitaine de Compiègne [en réalité j’ignore si c’était déjà lui le capitaine lors de son engagement, NDLR]. Lequel engagement est fait pour la durée de six ans, à commencer du jour de son arrivée au dépôt du régiment.
En contrepartie, il reçoit la somme de quarante livres tournois à titre de gratification, payée comptant par le dit capitaine, ainsi qu’un habit d’uniforme, un mousquet, et une paire de souliers.
Fait et signé en présence du sieur notaire et de deux témoins. »

 

2. Le tirage au sort (la milice)

  • Créée sous Louvois (en 1688), la milice provinciale fournissait des hommes tirés au sort pour le service. Elle ne faisait pas partie de l’armée régulière, mais formait une force de conscription provinciale, utilisée pour renforcer les troupes permanentes en temps de guerre.
  • Objectif : éviter de dépendre uniquement des engagés volontaires et constituer une réserve nationale bon marché (entretenir une armée permanente coûtait très cher).
  • Tirage au sort dans les paroisses : chaque paroisse devait fournir un nombre d’hommes, selon sa population. Les hommes valides entre 18 et 40 ans étaient inscrits sur une liste, puis tirés au sort publiquement.
  • Durée de service : 6 ans (variable selon les campagnes). Après ce service, le milicien pouvait être incorporé dans les troupes régulières (surtout les meilleurs éléments).
  • Exemptions : noblesse, clergé, bourgeois, étudiants, aînés de famille nombreuse…
  • Souvent mal perçue : les miliciens tirés au sort pouvaient payer un remplaçant, s’ils en avaient les moyens. Les classes populaires, en particulier, la voyait comme profondément injuste.
  • Déploiement : les miliciens servaient dans des régiments de milice spécifiques, mobilisés pour la défense du territoire et les campagnes extérieures en cas de besoin. Ce n’était pas une force permanente en temps de paix, mais réactivée en temps de guerre.
  • Régiment : ils sont organisés par Province (régiment de Bretagne, du Languedoc, etc…, composé d’un millier d’hommes environ).
  • Fin du système : critiquée pour son inefficacité militaire et sa dimension coercitive, elle est progressivement marginalisée sous Louis XVI. Elle est supprimée en 1789, puis remplacée par la levée en masse (1793).

 

3. Le recrutement forcé (enrôlement de force)

  • Origines : il existait déjà au XVIIème siècle, mais se développe massivement sous Louis XIV, en particulier à partir des années 1680, avec la montée des besoins militaires. On y recourait pour pallier le faible attrait de la carrière militaire (dure, mal payée et aux risques élevés), l’échec des levées de volontaires ou les désertions massives et à cause des besoins accrus en temps de guerre.
  • Méthodes de recrutement : beaucoup de recrutements étaient arbitraires ou abusifs, obtenus par le moyen de :
    • Rafles dans les villes : des arrestations massives étaient pratiquées dans les tavernes, foires, ports ou marchés.
    • Pressions exercées par les intendants, curés, seigneurs.
    • Envoi de « mauvais sujets » vers les régiments, ceux jugés « oisifs », « sans métier », délinquants ou mendiants.
    • Peine alternative à la prison : les cours de justice proposaient parfois le service militaire comme alternative à la prison ou en échange d’une remise de peine.
    • Dénonciation : familles ou communautés faisaient arrêter les « indésirables » qui étaient enrôlés.
    • Chasse aux déserteurs : ils étaient repris et réintégrés sous escorte, parfois dans un autre régiment.
  • Durée de service : elle pouvait être identique à celle des engagés volontaires (4 à 8 ans), mais pouvait aussi parfois être à vie (surtout en cas de « peine » ou en régiment étranger).
  • Affectation : les enrôlés de force étaient répartis dans les régiments existants, souvent dans les compagnies les moins valorisées ou les régiments étrangers, parfois dans des régiments « disciplinaires ». Ils pouvaient aussi être envoyés aux colonies (Antilles ou Louisiane), parfois dans les troupes de marine.
  • Effectifs : il est difficile de chiffrer exactement les enrôlements forcés, car ils n’étaient pas toujours recensés officiellement. Mais on estime que 15 000 à 20 000 hommes par an furent enrôlés de force dans les périodes de guerre intense.
  • Perception : l’enrôlement de force entretenait un fort mécontentement populaire, étant vu comme le symbole de l’arbitraire royal. Les faux certificats, évasions ou mutineries se multipliaient pour y échapper. Par ailleurs les enrôlés de force avaient mauvaise réputation dans l’armée : souvent indisciplinés, peu motivés, prompts à déserter.

 

4. Les officiers

  • Les officiers (lieutenants, capitaines, etc.) venaient quasi exclusivement de la noblesse, souvent par achat de charge ou faveur royale.
  • Les nobles n’étaient pas soumis au tirage au sort de la milice.
  • Ils entraient dans l’armée soit :
    • Par achat de commission, souvent très coûteuse.
    • Par lettre de recommandation, s’ils étaient d’une famille influente.

 

Les officiers (souvent les capitaines) étaient responsables du recrutement de leur compagnie. Ils finançaient en partie le recrutement, notamment en avançant la prime d’engagement. Certains avaient des réseaux locaux (notaires, curés, sergents, etc…) pour recruter dans leur province d’origine.

En temps de guerre, les pertes étant élevées, le recrutement était constant.

 

Le processus d'affectation des soldats dans l'armée royale d’Ancien Régime est lui aussi assez complexe. L’affectation à un régiment ou une garnison du soldat ne se fait pas forcément selon sa région d’origine. Elle pouvait être déterminée par plusieurs facteurs :

  • Le recrutement local : le capitaine est responsable du recrutement, soit en personne, soit par l’intermédiaire de recruteurs ou notables locaux. Il le faisait dans sa région d’origine ou dans une province favorable au recrutement. Les officiers choisissaient leurs recrues pour servir dans leurs compagnies.
  • Le choix du soldat : lorsqu’un homme s’enrôlait de son plein gré, ou comme remplaçant d’un milicien, il pouvait choisir, dans une certaine mesure, le régiment, selon les offres disponibles ou les relations locales. Les régiments « de prestige » comme le Régiment du Roi attiraient ainsi davantage de volontaires.
  • La disponibilité : les intendants affectaient les recrues à un régiment « en déficit ».

 

Ainsi, dans le régiment du Limousin, par exemple, on ne trouvera pas que des soldats originaires de cette région. Cette affectation non géographique rend complexe la recherche d’un soldat d’Ancien Régime. Dans la compagnie de Louis, sur une soixantaine d’hommes, on compte une vingtaine de régions d’origine différentes.

 

Louis Billard appartenait au Régiment du Roi, créé en 1663. Ce régiment d’infanterie est issu d'une réorganisation des forces militaires françaises sous Louis XIV, qui cherchait à renforcer et à moderniser l'armée royale. Son nom reflète son importance et son lien direct avec la monarchie : c’était l’un des régiments les plus prestigieux de l’armée, associée directement à la personne royale, un corps d’élite de l’infanterie de ligne d’Ancien Régime. Le régiment était souvent déployé en tête d’armée dans les batailles majeures et jouait un rôle crucial dans les stratégies militaires de l'époque. Il formait aussi souvent la garde d’honneur dans les cérémonies militaires. Il bénéficiait de privilèges spécifiques en raison de son association directe avec le roi, ce qui lui conférait un statut particulier au sein de l'armée. Sa discipline et sa tenue étaient parmi les plus strictes de l’infanterie.

 

Un régiment d’infanterie comptait en moyenne 1 500 à 2 000 hommes (les chiffres sont à prendre avec précaution car les effectifs variaient selon les périodes (guerre/paix), les pertes et les ordonnances royales).

Le Régiment du Roi était dirigé par un lieutenant-colonel (le roi lui-même étant le colonel en titre). Lorsque Louis s’engage, en 1711, c’est Louis Armand de Brichanteau, marquis de Nangis, qui est le lieutenant-colonel du Régiment. Il occupe cette fonction de 1702 à 1713.  Il est issu de la maison de Brichanteau, ancienne noblesse de robe et d’épée, très influente sous Henri IV et Louis XIII, héritier des terres de Nangis (en Brie), érigées en marquisat. Il deviendra ensuite lieutenant général des armées du roi et nommé Chevalier de l'Ordre du Saint-Esprit vers la fin de sa vie (distinction rare réservée aux plus hauts nobles du royaume). Il meurt en 1742.

Pendant le service de Louis, lui succèderont au poste de lieutenant-colonel le marquis de Pezé en 1719 et le duc de Biron en 1735.

 

Chaque régiment était divisé en bataillons. Contrairement à la plupart des autres régiments d'infanterie qui disposaient de deux ou trois bataillons, le Régiment du Roi conserva quatre bataillons (même après les réformes successives des armées), ce qui témoigne de son importance et de son prestige.

 

Les bataillons eux-mêmes étaient composés de compagnies, de 50 à 60 soldats chacune.

Le bataillon de Louis (le quatrième) avait 17 compagnies (une de grenadiers et 16 de fusiliers). Les compagnies étaient commandées par un capitaine. Le nom du régiment et de la compagnie, correspond au patronyme de l’officier en charge de cette unité. Le document GR 1 Yc 821 mis en ligne sur le site Mémoire des Hommes date des années 1730/1740. Louis sert alors dans la compagnie du capitaine nommé « Chevalier de Vallence ». Le rang de capitaine dans ce régiment était un poste de prestige, réservé aux nobles ou aux officiers très recommandés, mais dont les familles ne sont pas toujours clairement identifiées aujourd’hui. Le Chevalier de Valence, dont le prénom n’est pas précisé, est peut-être Jean Baptiste de Valence, issu d’une famille noble du Dauphiné, promu capitaine au Régiment du Roi-infanterie vers 1733, il est mentionné dans les « États militaires de France » comme capitaine en place au Régiment du Roi en 1736. Il est probablement encore en service en 1737/1740, mais sa trace disparaît ensuite (il peut avoir quitté le service ou avoir été promu ailleurs).

Dans la compagnie du Chevalier de Valence, selon ce document, 61 hommes ont été inscrits.

Les autres officiers (lieutenants, sous-lieutenants) et sous-officiers (sergents, caporaux) complètent l’encadrement du régiment.

 

Les soldats étaient divisés en :

  • Grenadiers : Soldats d'élite souvent choisis pour leur force et leur courage, utilisés pour les assauts et sièges. Chaque bataillon compte une compagnie de grenadiers.
  • Fusiliers : Soldats d’infanterie « ordinaires », équipés de fusils, formant la majorité des troupes. On compte 16 compagnies de fusiliers dans chacun des bataillons de ce régiment.
  • Tambours et fifres : responsables de la transmission des ordres sur le champ de bataille par le biais de signaux sonores.

 

Louis faisait partie des fusiliers, bien que sa fiche mentionne qu’il ait servi 7 ans comme lancier (soldat de cavalerie de ligne). La période de ce service n’est pas précisée.

 

Le Régiment du Roi en 1711 n’est pas représenté précisément dans des portraits contemporains, il est donc difficile de savoir comment était l’uniforme que portait Louis. Mais il avait probablement un habit en drap de laine bleu roi avec doublure et parements rouges (revers, collet et manchettes) et boutons dorés (sans marque ni numéro, qui n’apparaissent qu’à la Révolution), long jusqu’au genou. Sous l’habit il devait porter une culotte en toile ou drap et un gilet, le tout blancs ou écrus. Il devait être coiffé d’un tricorne en feutre noir garni d’un galon de fil d’or. Il devait être équipé d’un fusil à silex avec baïonnette à douille et d’une cartouchière. Sa gibecière en cuir devait transporter des provisions et d'autres effets personnels (indications données par les ordonnances générales d’habillement, notamment celle de 1690, confirmée par des circulaires de 1704, 1709 et 1711).
Dans les années 1770 l’uniforme semble avoir été modifié (habit blanc, parements bleus).


Tentative de représentation, aidée par l’IA et Photoshop

(parce que l’IA toute seule c’est pas encore ça)

 

Les plus anciens de la compagnie de Louis ont été enrôlés en 1708, les plus récents en 1741. Parmi eux, sont notés :

  • décédés : 25
  • invalides : 3
  • désertés : 3
  • encore en service dans le régiment : 17
  • transférés : 5
  • congédié : 8

 

Le soldat nouvellement enrôlé devait se rendre au dépôt du régiment, souvent une place forte importante (Lille, Metz, Strasbourg…). Ce dépôt était aussi le lieu de formation, d’équipement, de logement temporaire.

Là, il était enrôlé officiellement, inscrit dans les contrôles (registres), et intégré à une compagnie.

Une fois organisé, le régiment était déployé en garnison ou en campagne selon les ordres royaux et du ministère de la Guerre.

Le Régiment du Roi recrute dans tout le royaume, via des officiers très dispersés géographiquement. Ses garnisons habituelles étaient dans des places fortes du Nord et de l’Est (Lille, Valenciennes, Metz, Strasbourg, parfois Paris).

 

Le Régiment du Roi a été très engagé dans la guerre de succession d’Espagne. Ce conflit a opposé plusieurs puissances européennes de 1701 à 1714, et dont l'enjeu était, à la suite de la mort sans descendance du dernier Habsbourg espagnol la succession au trône d'Espagne et, à travers elle, la domination en Europe. Dernière grande guerre de Louis XIV, elle permit à la France d'installer un monarque français à Madrid : Philippe V (petit-fils de Louis XIV), mais avec un pouvoir réduit et un renoncement théoriquement définitif, pour lui et pour sa descendance, les Bourbons d’Espagne, au trône de France.
Sous la Révolution le Régiment du Roi deviendra le 105e régiment d’infanterie de ligne.

Guerre de succession d'Espagne, bataille de Malplaquet 1709 © Leloir Maurice 

Au total, entre 400 000 et 700 000 hommes ont perdu la vie dans cette guerre. On peut même monter jusqu’à 1,2 million si l’on inclut les civils liés aux destructions et pillages dans le sillage de l’armée. Néanmoins les chiffres sont difficiles à déterminer à cause des registres militaires parfois incomplets, les registres civils détruits, les morts civiles dues aux famines et aux épidémies liées au conflit, et les différentes méthodes de calcul utilisées par les historiens. Certains estiment que pour un soldat tué au combat, un autre mourait des suites de ses blessures et encore 3 autres de maladie.

 

Le Régiment du Roi est ensuite engagé dans la guerre de succession de Pologne (1733/1738) avec, notamment, des combats en Lorraine, sur le Rhin, contre les Impériaux. Après le décès du roi de Pologne en 1733, deux candidats s'opposent pour lui succéder, le trône de Pologne étant électif : son fils, Frédéric II Auguste, devenu électeur de Saxe par hérédité, et Stanislas Leszczynski, qui est devenu le beau-père de Louis XV en 1725. Le premier est soutenu par la Russie et l'Autriche et le second par la France. Le conflit électoral polonais deviendra une guerre civile et internationale.

Puis la guerre de Succession d’Autriche (1740/1748), conflit qui opposa la Prusse, la France, la Bavière, la Saxe et l'Espagne à l'Autriche et à l'Angleterre, et qui eut pour principal enjeu les terres héréditaires des Habsbourg d'Autriche et la succession au trône impérial.

 

Louis Billard, un soldat ordinaire du Roi dans une époque troublée et violente.

 

 

 


samedi 24 mai 2025

Détournement de fonds

J’ai découvert une nouvelle pépite dans un acte notarié. Elle concerne Jean Amagat mon ancêtre à la Xème génération (sosa 554). Il était tailleur d’habits à Conques (Aveyron) au XVIIIème siècle. En qualité de maître (comme on le qualifie au moins depuis 1701), il appartenait à la confrérie des tailleurs de la ville. Je n’ai malheureusement pas pu trouver l’acte d’admission dans ladite confrérie. Mais si je comprends bien l’acte qui nous intéresse aujourd’hui, il a détourné des fonds appartenant à la confrérie des tailleurs !

 

Acte notarié, 1728 © AD12

 

La scène se passe en l’an 1728 et le seizième jour du mois de décembre avant midy, régnant Louis Roy de France et de Navarre [il s’agit de Louis XV], dans la ville de Conques en Rouergue. Se trouvent assemblés par devant Me Flaugergues, notaire royal, Jean Carnus, Antoine Murater, Guillaume Vidal, Victor Lafon et Jean Laborie maitres tailheurs dudit Conques et composant avec Jean Amagat aussy tailheur l’entier corps des confrères de la confrérie de Sainte Lucie érigée en l’église de ladite ville.

Les maîtres tailleurs ici assemblés délibèrent sur le fait que Jean Amagat a joui et possédé en jouissance, depuis de longues années, les biens et revenus concernant ladite confrérie, qu’il affecte de retenir.

 

Mon ancêtre aurait-il détourné les biens de la confrérie ? C’est ce qu’il semble, d’après ce document.

 

Suivant l’ancien et louable usage et suivant les statuts de ladite confrérie, il a fait dire des messes à la chapelle de Sainte Lucie qui est dans la grande église dudit Conques.

 

Est-ce un reproche des confrères ? le texte n’est pas très clair à ce sujet. On ne saura pas davantage ce que l’on reproche à Jean Amagat, l’acte notarié ne s’étendant pas sur la question.

 

Néanmoins les confrères désirent remédier aux abus pratiqués par ledit Amagat. Ils souhaitent pourvoir un bon employ desdits revenus de la confrérie. A ces causes ils ont unanimement résolu et délibéré que ledit Lafon, en qualité de leur sindic nommé par présent acte, agisse incessamment contre ledit Amagat.

Le syndic est la personne élue ou désignée pour gérer les affaires et défendre les intérêts de la confrérie.

Les confrères décident de contraindre le fautif, par les voix et les rigueurs de la justice, de représenter et remettre entre les mains dudit Lafon tous les actes concernant ladite confrérie desquels ledit Amagat est détenteur. De même il doit rendre des comptes concernant les revenus et fruits qu’il a perçus. A ces fins ledit Lafon, en qualité de sindic, a fait tous les actes requis et nécessaires en jugement ou autrement, avec promesses d’avoir pour agréable tout ce qui doit être fait, requis et consenti. Les confrères l’approuvent et ratifient si besoin, avec pouvoirs audit Lafon, de constituer, procurer, élire domicile et autres clauses à ce requises et nécessaires. Les susdits délibérants ont requis le présent acte audit notaire pour servir en ce que de besoin. Le tout concédé, fait et récité en présence de témoins.

Ordre de rendre des comptes et de remettre toutes les pièces concernant la confrérie, menace de recours en justice : la réunion des confrères a dû être houleuse !

 

Cet acte notarié est une photographie à l’instant T. Il suscite autant de questions sans réponses. Que s’est-il passé vraiment avant cette délibération ? Et surtout que s’est-il passé après ? Jean Amagat a-t-il obéi aux injonctions des confrères ? A-t-il pu rester dans la confrérie ? Je ne lui retrouve pas ensuite le titre de « maître », mais cela ne signifie pas qu’il l’ait perdu (c’est peut-être juste un hasard). Socialement, il ne semble pas déclassé par cet épisode (deux de ses filles épousent des marchands par exemple).

Quoi qu'il en soit, cet acte soulève un coin de voile sur la vie de mon ancêtre qui m'a donné furieusement envie d'en savoir davantage. Un jour peut-être...

 

 

 

samedi 26 avril 2025

Faire la généalogie de sa maison

Vous faites la généalogie de vos ancêtres, mais avez-vous pensé à faire la généalogie de votre maison ? Complémentaire, elle permet de découvrir le cadre de vie de vos ancêtres ou simplement l’histoire d’un lieu qui vous est cher. 

 

Ma maison familiale actuelle a connu beaucoup de transformations depuis les années 1980. Et avant cela, nous savons qu'elle est issue de deux anciennes maisons réunies

Reconstitution des deux maisons © D. Astié

 

Mais comment en savoir davantage sur leur histoire ?

Si vous êtes propriétaire, les premières informations sont à chercher sur votre acte d’achat : vous y trouverez, entre autres, l’identification des parties (le vendeur et l’acquéreur), la désignation des biens et leur situation, notamment les numéros de parcelles inscrites au cadastre, l’origine de la propriété (les propriétaires antérieurs au vendeur), le prix de vente.

Si vous êtes locataire, vous pouvez demander ces informations à votre propriétaire.


Rappelons que l’on distingue les biens meubles et immeubles : les premiers peuvent être déplacés tandis que les second sont fixes ; ils regroupent tout aussi bien les maisons que les terres, prés, vergers, etc...

 

La généalogie d’un immeuble ressemble beaucoup à celle que vous faites avec vos ancêtres : vous partez d’une base, un de cujus (la maison 0), à une date donnée (l’acte d’achat par exemple) et vous recherchez à remonter les précédents propriétaires (et les dates de cessation du bien). 

Si l’état civil est la première source pour faire votre généalogie familiale, le cadastre est le document de base pour une généalogie immobilière. Il permet de faire l’histoire d’une propriété (chronologie des propriétaires, évolution de la surface, date de construction, évolution du bâti).

 

Donc, grâce à votre titre de propriété, vous disposez du numéro de parcelle cadastrale de votre maison. Pour être clair, voici un exemple : ma propre maison familiale en Creuse.

Désignation du bien : une maison d’habitation sise sur la commune de Faux la Montagne, élevée sur terre-plein d’un rez-de-chaussée de deux pièces et salle de bains, combles aménageables au-dessus. Construite en pierre, couverte de tuiles. Cour et jardin attenants. Le tout figurant au cadastre de ladite commune de la manière suivante :

  • Section : BV
  • N° 109
  • Lieu-dit Mercier-Ferrier
  • Nature : Sol et maison
  • Contenance : 7 ares 50 centiares

Ø À noter : Le cadastre actuel est en libre accès sur internet : vous pouvez facilement y retrouver votre parcelle sur le plan.

 

Mes parents achètent cette maison en 1991.

  • Origine de la propriété : Ces immeubles appartiennent à Mlle Laveix* par suite de l’acquisition qu’elle en a faite de Mlle Buchou* reçu par Me Pigerol, notaire à Gentioux, en 1986, publié au bureau des hypothèques d’Aubusson.
  • Origine antérieure : ces immeubles appartenaient à Mlle Buchou* au moyen des acquisitions qu’elle en avait faites, savoir : la maison d’habitation et ses dépendances cadastrées section BV n°109, au terme d’un acte reçu par Me Orluc, notaire à Peyrelevade en 1980, publié au bureau des hypothèques d’Aubusson.
  • Originairement ces immeubles appartenaient conjointement et indivisément et chacun pour moitié à M. Fleitou Adrien et Mme Fleitou Marthe, épouse Forest, demeurant à St Merd les Oussines et Tarnac. Ils dépendaient à l’origine des succession confondues de leurs parents, Fleitou Léonard et Barette Anna, en leur vivant demeurant à Mercier Ferrier, où ils sont décédés, l’épouse en 1918 et l’époux en 1938, laissant pour seuls héritiers leurs trois enfants (M. Fleitou Adrien et Mme Forest Marthe susnommés et M. Fleitou Marcel, décédé à Ussel en 1972, laissant pour seuls héritiers ses frère et sœur germains).

 

 

Donc, grâce à cet acte de vente, je dispose déjà de 5 « générations » :

  • Mes parents en 1991
  • Mlle Laveix* en 1986
  • Mlle Buchou*en 1980
  • Les enfants Fleitou en 1938
  • Les parents Fleitou avant leur décès en 1918 et 1938.

 

Comme l’état civil, le cadastre n’est que la colonne vertébrale d’une généalogie : à vous de l’étoffer ensuite, de lui donner corps et chair. Ainsi dans mon exemple, je vais examiner les familles qui ont vécu dans cette maison avant nous : qui étaient-ils ? quels métiers faisaient-ils ? combien étaient-ils à vivre dans cette maison ?

Puis, petit à petit, on élargit le cercle : se renseigner sur le bâti rural pour comprendre comment sont construites les maisons du pays (les matériaux, les formes, les usages), quelle était l’économie locale souvent source d’influence du bâti (ici on s’attachera par exemple à l’histoire des maçons creusois), la géographie (village à mi-hauteur des collines, usage des droits d’eau, etc…).

Bien sûr, si vous avez la chance de pouvoir récolter la mémoire des anciens du voisinage, vous pourrez ainsi d’enrichir l’histoire de votre maison (dans mon cas l’incendie de 1934 qui a détruit le quartier, par exemple).

 

Continuons à remonter le fils de l’histoire. Si le cadastre actuel est mis à jour presque en temps réel, les versions antérieures ne l’étaient que périodiquement. Précédent notre cadastre contemporain, c’est le cadastre dit « napoléonien ». Nommé ainsi à cause de la loi de 1807 de Napoléon Ier qui en a prescrit la réalisation, il a en fait été réalisé, suivant les communes, entre 1808 et 1850.

Il a pour but de prélever la taxe foncière sur les biens bâtis et non bâtis en respectant la nature et la qualité du sol (pré, jardin, vigne, étang, maison...). 

 

Ø À noter ! Il existe un changement de sectionnement entre le cadastre contemporain et le cadastre napoléonien.

Même si le cadastre contemporain reprend généralement les mêmes sections que celles du cadastre napoléonien, leur organisation interne n’est pas la même. Pour connaître la correspondance entre le numéro de sectionnement contemporain et le numéro de sectionnement napoléonien, il existe parfois des « tables de correspondance entre le nouveau et l’ancien numérotage des parcelles » (si on a de la chance).

À défaut, il est nécessaire de se reporter directement au plan ou de revenir à l’entrée propriétaire et chercher dans la table alphabétique de la matrice des propriétés, commencée en 1911.

 

 

Le cadastre napoléonien est composé de plusieurs types de documents (selon les époques et les lieux, les dénominations peuvent varier légèrement) :

1) les plans eux-mêmes :

  • le tableau d’assemblage représentant l’ensemble de la commune.
  • les planches, classées par sections,  détaillant les parcelles - Attention, pour chaque section, il peut y avoir plusieurs feuilles).

2) une documentation « littérale » ou « cadastrale » :

  • les états des sections : registres qui présentent, par section (A, B, C, etc.), chacune des parcelles rangées dans l’ordre numérique, précisant pour chacune d’elles le nom du propriétaire.
  • les tables alphabétiques des propriétaires : tables qui indiquent toutes les parcelles possédées par un même propriétaire et renvoient à un numéro de folio, ou numéro de page, dans les volumes des matrices (les folios sont appelés cases à partir de 1882).
  • les matrices des propriétés foncières : registres qui rassemblent au nom de chaque propriétaire les parcelles qu’il possède sur le territoire communal. À partir de 1882 elles seront nommées matrices des propriétés bâties et non bâties.
  • les registres d’augmentation et de diminution : chaque parcelle qui subit une transformation (regroupement ou division) sont recensées par années puis par propriétaires.

 

Ainsi grâce aux tables vous pouvez avoir une vision globale des possessions de votre ancêtre.

Grâce aux matrices, vous pouvez analyser plus finement ces possessions.

Grâce aux plans vous pouvez les situer dans l’espace.

 

 

Où trouver le cadastre ?

 

Certains sites internet des archives départementales ont mis en ligne le cadastre napoléonien (en général dans la sous-série 3 P).

Comme les registres paroissiaux, la situation peut être très différentes selon les communes : une documentation précoce et riche ou beaucoup plus tardive et lacunaire.

Ø Attention ! Veillez bien à ce que l’ensemble des documents du cadastre soit en ligne, pas seulement des plans. En effet, si les plans ont été mis en ligne depuis assez longtemps déjà, ils sont néanmoins quasi inutilisables en généalogie s’ils ne sont pas accompagnés de la documentation écrite : ils peuvent vous donner une idée de l’environnement de vos ancêtres, mais sans les matrices on ne peut pas situer leurs possessions dans cet environnement. Si la documentation écrite n’est pas en ligne, il faudra vous rendre en salle de lecture.


C’est le cas, par exemple, en Maine et Loire : seuls les plans sont disponibles sur le site des archives en ligne.

Ø Mon astuce : j’ai pu consulter l’ensemble de la documentation sur le site des archives municipales d’Angers.

Là, j’ai trouvé :

  • Le plan de 1810, les tables et matrices
  • Le cadastre rénové une première fois en 1840 (plan et documentation écrite)
  • La mise à jour en 1882 (documentation écrite)
  • La mise à jour à partir de 1914 (existe mais n’est pas en ligne)

Pour ma commune creusoise, la situation est différente. Sur le site des archives départementales, je trouve :

  • Le premier cadastre, réalisé en 1833/1834 seulement : les plans, les tables et matrices
  • La mise à jour de 1882 (pas de plan rénové et seules les matrices bâties ont été conservées)
  • La mise à jour de 1911 (tables et matrices)
  • Le cadastre dit « rénové » – réalisé entre 1968 et 1975 – existe mais seul le plan est consultable en ligne

Enfin, n’hésitez pas à vous rapprocher de votre mairie qui a (peut-être) conservé sa collection cadastrale.

 

Gardez néanmoins à l’esprit que c’est une documentation cadastrale : elle ne constitue pas une preuve de propriété. Par ailleurs, comme dans toute recherche, il est important de croiser les sources. Les dates portées dans les matrices ne sont pas à proprement parler les dates des changements de propriétaires mais celles du changement de contribuable. La plupart du temps, quand les déclarations sont faites dans les règles au fisc, il faut compter deux ans entre l’acte (vente, don, succession…) et sa prise en compte par le cadastre. Mais j’ai pu constater, dans un cas extrême, la présence d’un propriétaire au cadastre qui était mort depuis près de 90 ans ! De toute évidence, la mise à jour n’avait pas été soigneusement faite par les services fiscaux. De même, les plans ne sont pas toujours justes au mètre près ! Cependant, le cadastre fournit une quantité d’informations et constitue ainsi une source très précieuse pour faire l’histoire de votre bien.

 

Comment procéder ?

Étape 1 : localiser votre bien

  1. Vous savez où se situe votre parcelle et connaissez son numéro : vérifiez son emplacement sur le plan de la section correspondante et n’oubliez pas de faire une copie pour enrichir votre généalogie immobilière.
  2. Vous savez où se situe votre bien, mais vous ignorez le numéro de parcelle : consultez d’abord le tableau d’assemblage de la commune et trouvez la lettre de section qui correspond à la zone géographique où se situe la parcelle. Reportez-vous au plan de la section souhaitée et identifiez la parcelle.
  3. Vous ignorez où se situe votre bien : reportez-vous à la table des propriétaires. Elle vous donnera la liste des parcelles possédé par votre ancêtre et son numéro de folio.


Ø À noter : Au départ, les tables sont classées dans l’ordre alphabétique, mais avec l’ajout progressif de nouveaux noms, ce classement alphabétique ne tient plus et les noms sont ajoutés par ordre chronologique pour chaque lettre.

 

Pour illustrer cette recherche, je reprends l’exemple de ma maison familiale. La parcelle BV109 du cadastre moderne correspond à deux maisons réunies, n°467 et 468 de la section C du cadastre napoléonien.


Je les retrouve bien sur le plan de 1833, seul plan disponible en Creuse.

 

Plan cadastral 1834 © AD23
Plan cadastral, 1833 © AD23

Ø À noter : les parcelles étant très étroites, il n’y a pas la place d’inscrire les chiffres 467 ou 468 en entier : ne figure donc que la décimale, 7 et 8, sur le plan.

 

Les parcelles sont identifiées et localisées : il me faut maintenant remonter le fil du temps. Grâce aux informations fournies par mon acte de vente, je peux me démarrer mes investigations par le cadastre de 1911.

 

Étape 2 : la recherche dans la documentation écrite


Cadastre de 1911

L’origine de la propriété, indiquée dans l’acte de vente, mentionne M. Fleitou Léonard - et Mme Barette Anna son épouse - décédés respectivement en 1938 et 1918.

Je cherche le nom Fleitou dans la table alphabétique du cadastre de 1911 pour connaître son numéro de compte (appelé case, nouveau nom du folio depuis 1882).

Ø À noter : Dans le cas d’un couple marié, les biens sont mentionnés au nom du mari, quand bien même il s’agit de biens propres de l’épouse (ou de sa veuve).

 

En Limousin, il existe beaucoup d’homonymes : sur cette table, trois propriétaires se nomment Léonard Fleitou ! Il faut donc vérifier quel est le bon.

Chaque volume des matrices est organisé selon le n° d’ordre des cases.

Le « bon » Léonard est celui de la case 125. Pour en être sûre, la case porte le nom du propriétaire, son lieu d’habitation et parfois son métier (ça peut aider à l’identification et, quoi qu’il en soit, enrichir votre histoire immobilière). Et bien sûr, on retrouve la parcelle C467 parmi les possessions du compte !

 

La maison C468 appartient à un autre propriétaire : il va falloir faire une autre recherche pour elle.

Ø À noter : les matrices sont évolutives : le nom est rayé lorsque le bien change de mains (ce qui permet de connaître les propriétaires successifs).

 

Dans les volumes de cette période, on trouve plusieurs cases (donc plusieurs comptes) par page.

 

Case 125, Fleitou © AD23

 

Sur une case on trouve :

  • Le n° de la case actuelle et celui de l’ancienne (ici 125 et 156) ; ce qui évite un passage par la table si l’on a besoin de se référer à l’ancienne matrice.
  • Le nom du propriétaire du compte.
  • Les 4 colonnes des mutations : l’année d’entrée et de sortie du bien sont notées. Les colonnes « tiré de » et « porté à » indique le n° du compte du précédent propriétaire et celui du suivant lorsque le bien sort du compte.
  • Le bien est ensuite identifié par son n° de section et de parcelle, le lieu-dit ou la rue où il se trouve.
  • La nature de la parcelle : maison, pré, verger, etc…
  • Son revenu (n’oublions pas que le cadastre est un document à visée fiscale).
  • Les ouvertures imposables : pendant longtemps on a payé des impôts sur les portes et fenêtres, d’où cette précision ; cela permet aussi de se faire une idée du bâtiment.

Ø À noter : cette indication nourrit l’histoire de votre maison (un bâtiment comprenant une seule ouverture et un autre 15 ne signifie évidemment pas la même chose), ne la négligez pas !

 

Ici, la parcelle C467 est située à Mercier-Ferrier. C’est une maison. Elle est entrée dans le compte du propriétaire (Fleitou veuve) lors que la création du registre. Elle est passée à son fils en 1921. Elle est sortie en 1943. Une mention complémentaire indique qu’elle était tombée en ruine dès 1941. À l’origine elle valait 7,50 fcs, puis 12,50 fcs en 1926. Elle avait 1 à 2 ouvertures (soit une porte et une fenêtre).

Ø À noter : la tradition orale signale qu’après le décès du dernier propriétaire, la maison est restée vacante. Non utilisée ou louée, elle est déclarée comme ruine au cadastre. C’est ce qu’a acheté Mlle Buchou* en 1980.


On notera que ce propriétaire possédait deux autres maisons (parcelles C329 et C469) au même lieu.


Pour remonter plus loin l’histoire de cette parcelle, il faut se rendre dans les matrices précédentes, soit en passant par la table, soit en se rendant directement au n° de l’ancienne case s’il est indiqué (ici 156).

 

Cadastre de 1882

Les matrices bâties de 1882 se présentent de la même façon : plusieurs cases par pages.

 

Case 156 Laluque/Fleitou © AD23

 

Sur la case 156 on retrouve bien la parcelle C467, maison située à Mercier Ferrier, valant 7,50 fcs, comportant 1 à 2 ouvertures. Elle est tirée du compte 426.

Une nouvelle colonne est apparue sur cette matrice : la classe. Il s’agit de la valeur de la parcelle, représenté par un chiffre. Plus on est proche du 1, plus la valeur est haute. Ici c’est un 7 : la maison n’était donc pas d’une très grande valeur.

 

On voit sur cet exemple les précédents propriétaires de la case : la veuve Fleitou en 1908, son mari avant elle et Laluque Antoine le Jeune avant eux. En effet, la mère de Léonard Fleitou se nommait Marie Laluque, fille d’Antoine (le Jeune : son frère aîné se prénommait aussi Antoine). Cette parcelle s’est donc transmise de génération en génération depuis le XIXème siècle. Pour en être sûr, on le vérifie sur les matrices précédentes.

 

Cadastre de 1834

Dans les matrices de 1834, on se reporte au folio 426. À cette période il n’y a qu’un compte par page (compte qui peut se poursuivre sur plusieurs pages, donc plusieurs folios, si le propriétaire possède un très grand nombre de parcelles).


Folio 426 Laluque © AD23

 

Le folio 426 appartient bien à Laluque Antoine le Jeune, à Mercier Ferrier. Les folios ont une présentation légèrement différente des cases. On retrouve néanmoins le nom du propriétaire, l’identification des parcelles, la nature de la propriété.

Ø À noter : la mention « sol » désigne le terrain sur lequel une maison est construite. Il peut être associé à la maison ou dissocié d’elle (chacun peut avoir un propriétaire différent), en particulier à partir de la mise à jour de 1882 où sont séparés les propriétés bâies et non bâties.

 

Au revenu, s’ajoute la colonne de la contenance, indiquant la taille des parcelles.

Ø À noter : la contenance s’exprime en arpents, perches et mètres – équivalent aux hectares, ares et centiares postérieurs.

 

Notre parcelle C467 a été acquise en 1840, tiré du folio 88. Elle est portée à la case 156 (on en vient en effet) en 1882.

Rendons-nous donc au folio 88 pour voir le précédent propriétaire.

 

Folio 88 Brugère © AD23

 

Il s’agit de Brugère Pierre. D’après mes recherches généalogiques, on sort pour la première fois de la famille Laluque/Fleitou.

La date d’entrée et le folio d’origine de la parcelle C467 ne sont pas indiqués : cela signifie que c’est le premier propriétaire lors de la création du registre.

Elle sort bien en 1840 vers le folio 426, comme on vient de le voir.

Dans les années 1840 il y a donc eu une vente entre Brugère et Laluque (puisqu’ils ne sont pas de la même famille : le bien ne s’est pas transmis par succession familiale). On rappelle que la date indiquée dans le cadastre n’est pas forcément la date de mutation, mais celle de la mise à jour par les services fiscaux.

Pour continuer l’histoire de la maison, il faut chercher la mutation auprès d’un notaire par exemple (acte de vente) ou du service des hypothèques.

 

 

Recherche inversée

 

Vous vous rappelez ? Ma maison familiale actuelle est composée de deux maisons réunies, à l’origine. Les parcelles C467 et C468. On vient de remonter le parcours de la première. Voyons maintenant la seconde.

J’ignore à qui elle appartenait. Je vais donc illustrer une recherche à partir d’un n° de parcelle, méthode utilisée lorsqu’on ne connaît pas son propriétaire, depuis le début du cadastre jusqu’à aujourd’hui.

 

Cadastre de 1834

Première étape : l’état des sections. Ce registre est classé par section puis n° de parcelle. Il va nous indiquer le propriétaire correspondant.

État des sections © AD23

Dans la section C de Mercier Ferrier, la parcelle 468 appartient à « Nauche Jean Antoine maçon à Mercier ».

La parcelle C468 est une « maison, écurie et cour ». Elle mesure 91 m (centiares). D’une valeur de 7 (la dernière catégorie) et d’un revenu de 1,07 fcs. Elle a 2 ouvertures imposables. On notera qu’il existe une parcelle C468 bis : un jardin.


Direction la table des propriétaires pour avoir plus de détails sur les possessions de cet Antoine Nauche.

 

Liste par ordre alphabétique des propriétaires © AD23

 

Je le trouve dans la liste par ordre alphabétique : sous son nom sont regroupées toutes ses parcelles (sans plus de détail : pour en savoir plus il faut se rendre au folio indiqué).

Ø Attention : il existe plusieurs types de tables. Ne pas confondre le n° d’ordre (ici 187) et le n° de folio (n°316) qui est donné par la table.


Table alphabétique des propriétaires par folio © AD23

 

La table donne le folio 316 mais surprise : je ne trouve pas la parcelle C468. Elle n’est pas loin, heureusement : je la retrouve au folio 319 qui appartient bien à Antoine Nauche (mais pas à Jean, aussi titulaire du folio 316) : les services fiscaux ne sont pas exempts d’erreurs !

 

Folio 319 Nauche © AD23

 

Pas de date d’entrée pour la parcelle C468 : elle était en possession d’Antoine Nauche dès la création du cadastre en 1834. On voit que la « maison » est différenciée du « sol, écurie et cour ». Ces parcelles connaissent chacune un destin particulier : la première sort en 1882 et va au compte 219 B (ce B indique qu’il s’agit des matrices bâties, donc le cadastre mis à jour en 1882 – ce que confirme la date de sortie), la seconde en 1884 seulement et au compte 856.

Ø À noter : des abréviations peuvent se glisser dans les colonnes des matrices : retrouvez ci-dessous leurs significations

 

Liste des abréviations les plus courantes de la documentation cadastrale :

  • P : Partie de. À la suite du numéro de la parcelle, ce p indique que cette parcelle a fait l’objet d’une division (uniquement dans les matrices du cadastre napoléonien)
  • VP : Voie publique. La parcelle est passée en voie publique.
  • DP : Domaine public
  • NB : Indique un n° de folio d’origine dans la matrice des propriétés non bâties
  • B : Indique un renvoi vers une case de la matrice des propriétés bâties
  • EB : Évaluation du bâti (évaluation fiscale à l’année indiquée)
  • AC / Augon con : Augmentation construction
  • Transfon : Transformation
  • Don / Demon / Démolon : Démolition
  • Recon : Reconstruction
  • Bt ral / Batt rural : Bâtiment rural
  • RB / R + année : Révision bâti; indique que la valeur fiscale a été révisée, en cas de division ou de réunion du bien
  • NI : Non imposable
  • Sol / Sol de mon : Sol de maison
  • Rectif. / Rec. : Rectification de la valeur imposable
  • DA : Document d’arpentage (conservé par le service du Cadastre)
  • BND : Bien non délimité : la parcelle appartient à plusieurs propriétaires suivant des proportions déterminées mais sans que les limites en soient connues

 

Comme l’autre maison familiale, elle est classée dans la plus basse catégorie (la 7). Dimension et revenu sont précisés.

La parcelle de sol C468 est transmise à Ruby Antoine (les recherches généalogiques de cette famille m’ont appris que c’est le petit-fils de Nauche Antoine). Il n’y a pas d’indication de sortie.

Ø À noter : lorsque vous examinez le folio d’un propriétaire, regardez bien si une même parcelle n’apparaît pas deux fois : en effet lorsqu’une parcelle est divisée en deux cela implique une nouvelle mutation, donc une nouvelle ligne dans le folio.

 

Cadastre de 1882

La maison C468 est donc transmise au compte 219 p64. Ce compte appartient toujours à Nauche Antoine, puis à Ruby Antoine son petit-fils.

Il n’y a pas d’indication de sortie : où va cette parcelle ?

Ø À noter : lorsqu’on passe du cadastre de 1834 à 1882 ou de 1882 à 1911 les transmissions ne sont pas forcément systématiquement précisées. Il vous faudra peut-être un peu de créativité pour retrouver votre parcelle !

 

Cadastre de 1911

Je tente au plus simple : je recherche le dernier propriétaire sur le cadastre de 1911. Effectivement je retrouve la C468 dans le compte de Ruby Antoine, case 272 (à défaut j’aurais pu la chercher chez son fils ou son gendre, dans l’hypothèse d’une succession familiale). Elle est notée « démolition totale » en 1961.

C’est en effet une parcelle nue que mes parents ont acquise. La boucle est bouclée.

 

Augmentation / diminution

 

Il existe une autre source dans la documentation cadastrale : le tableau des augmentations et diminutions (tableau annuel des modifications de la masse imposable).


Augmentations, 1888 © AD23

 

Il permet de connaître l’évolution du parcellaire :

  • Augmentations : construction et agrandissement de maisons.
  • Diminutions : démolition de maisons, transformation de maisons en bâtiments agricoles, incorporation de parcelles à la voie publique.

Ces volumes sont classés par année puis par propriétaire. Ces indications peuvent préciser l’histoire de votre bien (transformation d’un fournil en maison d’habitation par exemple).

 

 

 

Vous avez maintenant toutes les clés pour entamer la généalogie de votre maison !

 

Ø À noter : il existe localement des plans ou des documents proches du cadastre à l’époque révolutionnaire ou sous l’Ancien Régime qui peuvent vous permettre de prolonger l’histoire de votre bien (compoix, état général des fonds, mappe sarde, etc...).

 

Pour poursuivre la recherche avant le cadastre il existe plusieurs pistes :

  • les actes notariés (à la recherche d’une vente ou d’un partage successoral passé devant notaire par exemple).
  • le contrôle des actes, mis en place par Louis XIV en 1693. C’est une procédure fiscale qui visait à faire payer des droits à chaque fois qu’était passé un acte devant notaire ou lors des successions. Après la Révolution on l’appelle l’enregistrement. Cela ne donnera pas le détail de la mutation, mais la date et le notaire concerné.
  • l’hypothèque. Les registres de formalités vous renseigneront sur les mutations entre vifs, hors successions, retranscrites intégralement. À partir d’un patronyme, il est possible de retrouver la copie d’un acte passé entre vendeur et acquéreur d’un bien immobilier.

 

 

 * Les noms ont été modifiés pour garantir leur anonymat.