« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mardi 28 janvier 2014

Une lettre... pour changer une vie

« Originaire de Saint-Amand-sur-Sèvre (Deux-Sèvres), la famille de Joseph Gabard exploitait une ferme à La Gidalière depuis plusieurs générations. Réformé pour faiblesse de cœur lors de la Première Guerre Mondiale, il resta à la ferme, tandis que ses deux frères aînés partaient au combat. Il assuma le travail de la ferme avec son père pendant les années de conflit. La paix revenue, son père lui dit pourtant "l'aîné va reprendre la ferme, toi tu n'as plus qu'à partir !". En effet, d'ordinaire, c'est l'aîné qui restait sur la ferme et les cadets partaient se marier et trouver du travail ailleurs. Les années de labeur sur la ferme comptèrent pour rien. C'est pourquoi il partit faire son apprentissage de boucher à Angers. C'est le premier Gabard à quitter La Gidalière depuis (au moins) la Révolution.»

« En 1924, Joseph Gabard travaillait à Angers. Il écrivait à Marie, la sœur de Flora *. Mais comme la première n’aimait pas écrire, c’est Flora (institutrice) qui répondait. Apprenant ce fait, il vint un jour à Châtillon, déclarant
"j’ai acheté une boucherie à Angers, marions-nous". Marie fut un peu déçue, mais Flora l’épousa. Joseph avoua par la suite que Flora lui avait plu dès le début, mais qu’il ne pensait pas qu’une institutrice put envisager de l’épouser, lui, un boucher. Il s’est décidé quand il a su que c’était elle qui répondait aux lettres. »

« Joseph et Flora avaient une boucherie rue Toussaint (n°42). Tout ce côté de la rue a été démoli par la municipalité pour dégager l’ancien mur des fortifications situé derrière la maison. La boucherie se composait du magasin, une salle à manger (les deux pièces étaient séparées par une porte vitrée), une cuisine, une petite cour où se situaient les toilettes. Des caves en sous-sol. Au premier étage étaient les chambres. Au deuxième habitaient des locataires. Au troisième (mansardé) logeait le commis et séchait le linge dans les greniers. La boucherie était ouverte, sans cloison ni porte, sur la rue. L’hiver il y faisait très froid. Flora était dans sa « caisse » (qui ressemblait à une petite cabine téléphonique), rendant la monnaie aux clients ou prenant les commandes. Elle souffrait moins du froid car elle avait une petite chaufferette sous les pieds. Le soir la boucherie était fermée par de grandes grilles. Deux rideaux rouges et blancs tirés à la fermeture isolaient la famille de la proximité de la rue. »

Boucherie Gabard, rue Toussaint à Angers, coll. personnelle

« En plus du métier de boucher, Joseph exerçait celui de marchand de bestiaux. Il était joueur de belote et un jour il gagna, en jouant à ce jeu contre un autre boucher, un cheval, une voiture et la tournée du boucher. Une tournée c’était un fond de commerce, l’autorisation de vendre de la viande au porte à porte, à la campagne (en l’occurrence entre La Bohalle et La Daguenière). C’était très rentable car les gens de la campagne achetaient les bas morceaux (il gardait ainsi les beaux morceaux, biftecks ou rôtis, pour les gens de la ville). »

« Tous les vendredis Joseph faisait la tournée de viande à La Daguenière et La Bohalle (à une quinzaine de kilomètres d’Angers). Joseph louait une ferme à La Morozière (St Lambert la Potherie) qui dépendait d’un château des comtes de Rorthays. Au début il y installa un couple de métayer, puis elle servit de maison de campagne à la famille. Cette ferme lui était utile pour son commerce de bestiaux. Le matin Joseph préparait les biftecks ou côtelettes, puis partait ensuite s’occuper de son commerce de bestiaux. Flora restait seule à la boutique. »

            C'est ma grand-mère qui m'a raconté ces fragments de l'histoire de ses parents. Lorsque les archives ne peuvent plus donner de renseignements, c'est la mémoire familiale qui prend le relais !! (pour paraphraser J. Bourillon).
    Il est amusant de voir que, sans cette correspondance à laquelle Flora a répondu pour sa sœur, mes arrière-grands-parents ne se seraient (sans doute) pas épousés et nos vies en eut été bien changées . . .


* Il s'agit bien de ma "petite mamie", la Flora que nous avons déjà rencontrée dans le billet Capable d'enseigner

 

 

jeudi 23 janvier 2014

Hélas monsieur...

. . . l'enfant se présente mal.
C'est ce que l'on a dû dire à Pierre Martin, marchand vigneron à Conques (Aveyron). Pourtant, jusque là, tout se passait bien. L'année précédente il avait épousé Marianne Amagat, la fille du tailleur d'habit. Bien sûr, il avait pris son temps pour la trouver (il avait 48 ans lors des noces) ; il faut dire qu'il avait mis toute son énergie dans son métier. Lui, le fils de sabotier, n'avait pas repris l'atelier familial, mais s'était investi dans le travail de la vigne. Et cela marchait bien. Et maintenant il le savait : c'était elle. Forcément elle. Les noces avaient eu lieu en mai 1758 et quelques mois plus tard leur union avait été bénie : le ventre de Marianne s'arrondissait doucement. Elle était si belle, avec juste ses 33 ans, rayonnante de bonheur.

Ce 24 avril 1759, la nuit tombe. La soirée est fraîche. La neige a fondu il n'y a pas si longtemps et le brouillard monte, recouvrant la vallée étroite de l'Ouche. Le village de Conques semble flotter au-dessus d'une mer de nuage, lentement envahi par la pénombre. Marianne est dans sa chambre depuis plusieurs heures déjà. Pierre l'entend haleter et crier à travers la cloison. Il a bien tenté d'entrer, mais la matrone et les voisines réunies auprès de la parturiente l'en ont empêché. Enfin, la porte s'ouvre. Pierre pense que c'est fini, que l'enfant est né. Mais en voyant le visage soucieux de la matrone, il comprend qu'il se passe quelque chose d'anormal.
"J'y ai épuisé toute ma science. Il vaudrait mieux appeler Antoine Nolorgues."
Le chirurgien ? Alors la situation est grave. "Qu'on aille le quérir de suite." Il arrive rapidement, mais il n'est pas seul : le vicaire Rolland l'accompagne. 

Dans la maison tout est calme. Seuls les cris de Marianne percent le silence. Mais ils sont de plus en plus faibles. Pierre est dans la salle commune. La flamme d'une bougie perce les ténèbres. Il a beau chercher, fouiller dans sa mémoire, il ne se rappelle plus qui l'a allumée. Il ne pense qu'à une chose : cette phrase qu'a prononcée le chirurgien après un rapide examen de son épouse : "Hélas, monsieur, l'enfant se présente mal. La situation est très préoccupante. On risque de perdre et la mère et l'enfant." De toutes ses forces, il adresse ses prières à sainte Foy, la jeune sainte de l'abbaye, patronne de la ville. Les pèlerins viennent de loin pour la voir. Elle doit sûrement pouvoir faire quelque chose pour Marianne.

A présent tout est silencieux. On n'entend plus rien. Pierre se prend la tête dans les mains. Il ne sait pas ce qui serait le plus terrible : perdre cet enfant qu'il n'a même pas vu; ou perdre son épouse chérie qu'il a trop peu connue.

Enfin, le chirurgien et le vicaire sortent de la chambre. Sans un mot, Pierre les interroge du regard. C'est le vicaire qui prend la parole : "Votre épouse va bien. Elle est très fatiguée mais va se remettre. Malheureusement, nous avons perdu l'enfant. Pour le bien de son âme, nous avons pu le baptiser. Mais lorsque le chirurgien a enfin pu le mettre au monde, il était mort."
___

Est-ce que cela s'est passé ainsi ? Nul ne le saura jamais vraiment. Mais l'acte (de naissance et/ou de décès) peut nous le laisser supposer :


Registre BMS, AD12

Le 24e avril 1759 le sr nologues chirurgien
a baptisé par un pied un enfant de pierre martin et
marianne amagat mariés, et puis la tiré mort lequel
a été enseveli le 25e du mois present au convoy me
jean baptiste Rolland vicaire soussigné et pierre bonal clerc
qui requis de signer a dit ne scavoir


  • La présence du chirurgien montre que le travail a dû être long et que l'habituelle matrone n'y a pas suffit.
  • La naissance a eu lieu par le siège, les pieds en avant, comme l'indique l'acte : le bébé a été "baptisé par un pied" avant que le chirurgien ne le "tire" complètement hors du ventre de sa mère.
  • Cette naissance difficile n'a pas dû être une partie de plaisir pour la mère; sans parler de la douleur de perdre son premier-né.
  • Le vicaire, selon les usages, n'hésite pas à baptiser le bébé alors qu'il n'est pas encore véritablement né, pressentant la mort probable du nourrisson.
  • On ignore le sexe de l'enfant, non précisé dans l'acte. Aucun prénom n'est cité non plus.
  • Le bébé est effectivement mort-né. La mère a survécu.

Pierre Martin et Marianne Amagat auront encore deux enfants, les deux années suivantes; dont notre ancêtre Pierre Jean.

Une pensée pour Marianne et sa famille. Elle est mon sosa n°277.

samedi 18 janvier 2014

Si ce n'est Jean ce sera Denis (ou François)...

On a tous dans nos généalogies des "prénoms générationnels", qui nous paraissent un peu incongrus avec nos yeux d'hommes modernes (si je puis dire . . . ). Par exemple, du côté maternel, je trouve le prénom François donné à cinq générations de Roy (en premier ou second prénom).

Lorsque l'enfant décède, on redonne parfois le même prénom au nouveau-né suivant : ainsi Paveau Jean (lui-même fils de Jean) prénomme ainsi son premier-né Jean. L'enfant décède à 4 mois. Le père prénomme donc un autre fils Jean; qui décède lui aussi (à trois mois). Un troisième fils est prénommé Jean (qui décède à deux ans et demi). Ce n'est que le quatrième fils prénommé Jean qui va vivre jusqu'à l'âge adulte (il aura lui-même un fils prénommé Jean, décédé à l'âge de trois ans).

Parfois, le même prénom se retrouve non seulement sur plusieurs générations qui se suivent, mais aussi dans la même génération : Pochet Jean (père) a prénommé deux de ses fils Jean ; son petit-fils se prénomme, quant à lui, Jean Denis; son propre père se prénomme Denis et son grand-père Jehan. Pour distinguer les Jean de la deuxième génération, on les surnomme Jean « lesné » et Jean le Jeune. 

Au total on retrouve des Jean dans 6 générations de la famille Pochet (sans compter les Jeanne).


Les Jean Pochet de mon arbre


 

S'il y a une fille, on s'adapte ! Bourjot Denis prénomme sa fille Denise et deux de ses fils Denis.

Le record chez moi est détenu par Germain François et Mesenge Catherine qui ont prénommé une fille Françoise (née en 1717) et les quatre fils suivants François (nés de 1718 à 1724) !