« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 17 avril 2015

Des enfants exposés

Le berceau de mes ancêtres éponymes se situe à Conques en Rouergue (aujourd'hui département de l'Aveyron). En feuilletant les registres, j'ai rencontré un phénomène inédit (pour moi en tout cas) : la présence d'enfants exposés.

Ces enfants sont abandonnés à proximité de l’hôpital. De pères et de mères inconnus, on leur trouve des parrains/marraines et ils sont alors baptisés. Ces actes se ressemblent beaucoup en général, mais on peut distinguer quelques variantes : en voici quelques exemples, sur une décennie prise au hasard (1771/1782).

 Abandon d'enfant © Geneancetre

Lieu de dépôt de l'enfant : le plus souvent c'est l'hôpital de Conques
  • "a été trouvé exposé devant la porte de l'hôpital un enfant de père et mère inconnus" 
  • "a été trouvée exposée dans la rue de l'hôpital une fille à père et mère inconnus"
  • "a été trouvé exposé devant la porte de l'église un enfant à père et mère inconnus"
  • "a été trouvée devant la porte de l'hôpital une fille à laquelle nous avons donné le baptême"
  • "a été baptisé sous condition un enfant trouvé à nous présenté par l'hôpital" (cf. plus bas)
  • "a été baptisé un enfant trouvé de père et mère inconnus à nous présenté par l'hôpital de Conques" 
  • "trouvée devant la porte de l'hôpital de Conques"

Parfois les enfants sont trouvés plus loin :
  • "un enfant à père et mère inconnus qui a été trouvé exposé devant la porte de l'église"
  • "a été trouvé exposé dans la rue"
  • "fille trouvée au delà du pont de Conques"
  • "a été trouvée exposée au fond du faubourg une fille à père et mère inconnus"
  • "a été trouvée exposée au delà du pont de Dourdou une fille à père et mère inconnus"
  • "fille a père et mère inconnus exposée à la porte de monsieur le curé de Saint Marcel [paroisse voisine] dans la nuit du vingt et un au vingt deux [...] et a été remise et portée à l'hôpital de cette ville ledit vingt deux"
  • "fille a père et mère inconnus exposée à Calviguière [ ? ] paroisse de Saint Marcel [...] remise à l'hôpital de Conques"

Les parrains et marraines ont souvent des liens avec l'hôpital :
  • ce sont des pauvres dudit hôpital : Jeanne Chauri, Anne Gaillac, Joseph Calmel, etc...
  • des filles de l'hôpital ou "fille associée audit hôpital" : Marie Vidal, Marie Albespy
  • une femme veuve demeurant à l'hôpital [marraine non nommée]
  • des servantes audit hôpital : Marie Anne Garric, Anne Morisset
  • des marraines dites "restantes à l'hôpital de Conques" : Marie Jeanne Vidal, Jeanne Delagnes

Plus rarement, parrains et marraines n'ont aucun lien avec ledit hôpital :
  • Louis Carles, "de la présente paroisse"
  • Delphine Doumergue, "du faubourg"
  • Catherine Fraysse, "de la paroisse de Grandvabre"
  • et d'autres dont les liens ne sont pas précisés : Jean Teissonier, Marie Anne Planhol, Pierre Fabre...

Certains sont parrains ou marraines plusieurs fois :
  • Joseph Salesse et Jean Costes "pauvres de l'hôpital" - quatre fois
  • Pierre Chatelie "garçon à l'hôpital" (1774), "pauvre de l'hôpital" (en 1776 et 1777 : il n'est plus signalé comme tel les années suivantes) - cinq fois
  • Elisabeth Marc et Marguerite Garric, "servantes", puis "filles restantes audit l'hôpital" - trois fois
  • Catherine Selves "servante audit hôpital" - deux fois
  • Joseph Delagnes "demeurant audit l'hôpital" - trois fois
  • Catherine Landes "de la paroisse de Grandvabre" - deux fois

Lorsque l'enfant est une fille elle n'a pas de parrain, et inversement lorsque c'est un garçon il n'a pas de marraine.

Dans deux cas, les marraines sont elles-mêmes d'anciennes filles exposées, habitantes dudit hôpital.

Une seule fois, il est fait mention d'une lettre accompagnant l'enfant... mais comportant bien peu d'informations (sinon l'essentielle) : "avec un billet portant quelle n'était point baptisée".

En général deux témoins complètent l'assemblée; ce sont souvent Pierre Chatelie (lorsqu'il n'est pas lui-même parrain) et Antoine Lagarrigue. Ce dernier est cordonnier. Tous les deux signent les actes.

Trois enfants sont "baptisés sous condition". Le baptême efface le pêché originel. Un enfant mort sans baptême est condamné à errer éternellement dans les limbes. C’est pourquoi il faut le baptiser au plus vite (en général le jour même) : quelque soit le temps, il faut se rendre à l'église la plus proche. Un enfant mort-né ou en danger de mort à la naissance est "ondoyé" par la sage femme ; acte qui lui ouvre le ciel en cas de décès (c’est l’une des raisons pour lesquelles la sage-femme était nommée par le curé et prêtait serment). Ensuite, le prêtre baptise le nouveau né "sous condition" : il suffit que les témoins attestent qu’ils ont aperçu un mouvement du cœur, un semblant de respiration, le tressaillement d’un doigt, un souffle L’enfant mort, retrouve la vie quelques instants, le temps de recevoir le baptême. [ 1 ]

On ignore l'âge de la plupart de ces enfants exposés. Seuls deux actes précisent que l'enfant est "âgé d'environ trois ou quatre mois" et "d'environ un an". Ils n'ont sans doute en général guère plus de quelques jours car, lorsqu'ils décèdent, on compte à partir dudit baptême considérant qu'ils viennent de naître.

Exceptionnellement, ce sont des jumeaux qui ont été trouvés : ainsi "le 14 octobre 1777 ont été trouvés deux garçons de père et mère inconnus". Deux "pauvres dudit hôpital" leur ont été attribués comme parrains.

Entre 1771 et 1782 ces enfants exposés représentent 46 des 243 baptêmes enregistrés sur les registres, soit près de 19 % [ 2 ]; ce qui est tout de même assez conséquent.

Quel aura été l'avenir de ces enfants ? Difficile de le dire. On sait néanmoins que les enfants jumeaux exposés en 1777 "ont été donnés à l'hôpital".
L'un d'entre ne survivra pas, puisqu'à la date du 18 octobre de la même année il est signalé le décès "à l'hôpital d'un enfant [...] âgé de deux ou trois jours".
Sans doute les autres ont-ils suivis le même chemin, car, sur ces 46 enfants, sur la même période, 18 ont été retrouvés et signalés "décédés à l'hôpital"; ce qui nous laisse supposer que ces enfants y sont élevés. Une seule enfant est signalée "décédée au village de Camaly sur la présente paroisse"; âgée de deux mois et demi, était-elle placée en nourrice ?

Qu'est-ce qui fait qu'il y a tant d'enfants exposés à Conques ? Est-ce le fait que c'est un lieu réputé de pèlerinage ? Est-ce une histoire de climat rigoureux ou de disette particulièrement sévère à cet endroit, à cette époque ?
L'histoire ne le dit pas. Puissent certains d'entre eux avoir survécu et avoir eu une vie plus belle qu'elle n'avait commencé.


[ 1 ] Source : le blog de Geneanet.
[ 2 ] Ce chiffre ne prend en compte que les enfants exposés; les enfants illégitimes nés de pères inconnus ont été comptabilisés avec les naissances "normales".

vendredi 10 avril 2015

Maison, broussailles et bois sapin

Les Archives de Haute-Savoie ont récemment mis en ligne les mappes sardes.

Ce sont des plans parcellaires réalisés entre 1728 et 1738, sur ordre du roi Victor-Amédée II de Piémont-Sardaigne (rappelons que la Haute-Savoie n'est rattachée à la France qu'en 1860 suite au traité de Turin), désireux de réformer et moderniser le système fiscal de son royaume. Il s'agissait d'établir une mesure fiable, sinon équitable, des biens fonciers, par catégorie et par parcelle, afin de mieux lever l'impôt foncier, la taille.

Après de longs travaux de repérage, bornage et cartographie sur le terrain par des équipes de géomètres, calculateurs et estimateurs, les plans définitifs furent tracés sur papier aquarellé, et plus tard monté sur tissu. Leur taille est très variable : de quelques m² à 66 m² pour le plus grand.

Les mappes constituent donc un des plus anciens cadastres d'Europe puisqu'il remonte au premier tiers du XVIIIe siècle. Les plans sont accompagnés de différents registres cadastraux :
  • Les livres de géométrie : ils énumèrent les parcelles dans l'ordre des numéros portés sur la mappe; c'est pourquoi on les nomme également livres des numéros suivis.
  • Les livres d'estime : rédigés avec l'aide des estimateurs, ils reprennent la description des parcelles par numéros suivis en les classant par "mas" (lieux-dits), en les affectant d'un "degré de bonté" (productivité) et en précisant la nature des cultures et le rendement annuel.
  • Les tabelles préparatoires : appelés également cadastres minute, ces livres représentent un état plus élaboré car refondant les données des livres d'estime, ils leur adjoignent les contenances des parcelles en mesures de Piémont et de Savoie Propre, mais ils les classent cette fois par ordre alphabétique des propriétaires.
  • Les tabelles alphabétiques : ces livres sont constitués par un ou plusieurs forts registres oblongs, solidement reliés en parchemin et formés de feuilles du cadastre imprimées, très soigneusement et clairement calligraphiées.
  • Les cottets à griefs : cahiers contenant les réclamations formulées par les intéressés lors de l'affichage dans la communauté, du cadastre préparatoire. Ils sont généralement annexés aux livres d'estime ou aux tabelles préparatoires.

Ces documents fournissent des informations sur le nom et statut des propriétaires, la superficie des parcelles et leur degré de bonté, la nature des cultures, etc... Certains volumes ont disparu, mais un grand nombre subsistent.
L’administration sarde se heurta très vite à la difficulté de tenir à jour les mutations foncières. Les mappes restent néanmoins l'instrument de référence jusqu'à la mise en œuvre des cadastres français dans les années 1860.

Le statut du propriétaire est classé en cinq catégories : Noble, Ecclésiastique, Bourgeois, Communier, Forain.
Le degré de bonté de la parcelle en comporte trois : 0 pour une terre de nul produit, 1 pour une excellente parcelle, 2 pour une moins bonne, 3 pour une parcelle médiocre.
L'estime précise la nature des cultures : vin, froment, blache [ 1 ], fève, cavalin [ 2 ], foin de bœuf [ 3 ], foins de cheval [ 3 ], etc...

C'est ainsi que j'ai découvert que mon ancêtre Taberlet Pierre, demeurant en la paroisse de Morzine, possédait :
  • 3 maisons, pour un total de 470 m², à Culet, Le Grand Mas et La Combe au Jean
  • 14 champs (fèves, cavalin, foin de bœuf), pour un total de 18 314 m², à Culet, Le Grand Mas, Le Nant de l'Isle, Chantarel, Les Grangettes
  • 1 pré marais, 218 m², à Culet
  • 6 pâturages (foin de bœuf essentiellement), pour un total de 8 034 m², à Culet, Le Grand Mas, Chantarel, Les Grangettes
  • 1 murgier [ 4 ], 101 m², à Culet
  • 4 prés (fèves, cavalin), pour un total de 11 017 m², à Culet, La Combe au Jean, Le Ravaret
  • 2 jardins, 195 m², à Culet, La Combe au Jean
  • 1 pré verger, 202 m², au Grand Mas
  • 2 bois sapin, 7 857 m², à Picarron, Le Ravaret
  • 1 place et grenier, 101 m², La Combe au Jean
  • 2 granges, 138 m², aux Grangettes, Le Ravaret
  • 1 place, 72 m², aux Grangettes
  • 1 broussaille, 243 m², aux Grangettes
  • 2 marais, 6 261 m², aux Grangettes
Total : 41 parcelles, 53 223 m².

Informations précises et précieuses car le testament de Pierre ne m'a signalé aucune de ces possessions.

Aujourd'hui les deux premières maisons de Pierre ont été remplacées par un vaste club de tennis (une dizaine de courts). A l'emplacement de la troisième il y a bien une maison, mais la parcelle semble avoir évolué et le bâti doit être plus récent. Le grenier attenant a, quant à lui, disparu.

Exemple de localisation d'une de ses maisons sur la carte moderne et la mappe :



 
Mappe et carte moderne des possessions de Taberlet Pierre © AD74


Pachon Claude François est un peu moins possessionné : 28 parcelles, pour un total de 20 116 m².

Avec Baud Claude, j'ai eu moins de chance. Le moteur de recherche m'indique en effet plusieurs Claude : 

  • Claude fils de feu Claude dit Parvay, 
  • Claude et Jean fils de feu Claude, 
  • Claude fils de feu Claude et ses frères. 
Moi-même, dans ma généalogie, je compte déjà deux Baud Claude, fils de Claude (le premier ayant aussi un frère prénommé Claude !). Il m'est donc impossible de déterminer si les résultats de la requête correspondent à un ou plusieurs de mes ancêtres.


  • Les plus de cette mise en ligne :
- Les registres recensant les propriétaires et renseignements divers (numéros de parcelles, surfaces, occupations) accompagnent les plans. Les autres services d'archives se contentant de mettre en ligne les plans, sans les matrices, ce qui ne sert à rien : si on ne peut pas identifier les propriétaires des parcelles, inutile de les voir.
- Un état précis des possessions de nos ancêtres.
- La comparaison entre l'état ancien et l'occupation du sol actuelle.


  • Les moins de cette mise en ligne :
- Comme pour l'état civil [ 5 ] les mappes numérisées ne couvrent pas la totalité du département : sur les quatre communes qui m’intéressent, trois ne sont pas numérisées.
- Un seul clic pour identifier les parcelles de votre ancêtre c'est bien, mais après il faut 5 heures pour les trouver sur la mappe ! En effet, l'option "localiser" renvoie à une Google map moderne, mais pas sur les plans originaux; qui sont souvent des documents vastes et donc assez long à ouvrir avec un niveau de zoom suffisant pour voir les numéros de parcelles.
- Le mode d'emploi qui les accompagne n'est pas complet. Un certain nombre de termes ne sont pas définis et restent obscurs.
- Le cartel qui s'ouvre sur la carte (moderne donc) associé à la parcelle comporte des informations qui restent elles aussi totalement mystérieuses : degré de bonté : 2, estime 1 : foin de bœuf, quantité 1 : 6. Il faut aller chercher ailleurs la traduction de ces précieuses informations.
- Une recherche facile et multicritères, mais en tapant un patronyme le moteur de recherche indique parfois "aucun résultat" : ne pas s'y arrêter car en cliquant sur "rechercher" on obtient tout de même des résultats.
- A chaque recherche, une fenêtre s'ouvre signalant que le script ne répond pas. Si on ne le débogue pas correctement, la localisation de la parcelle s'ouvre sur un emplacement situé en plein milieu de l'océan près d'Hawaï !

A mon sens, cette mise en ligne des mappes sardes est une très bonne initiative, mais la mise en œuvre reste un peu limitée, notamment au niveau des explications pour les profanes et quelques problèmes techniques.



[ 1 ] Variété de roseaux qu'on utilise comme litière ou dans l'alimentation du bétail; Synonyme de blachère.
[ 2 ] Mélange de céréales.
[ 3 ] Fourrage.
[ 4 ] Tas de pierres provenant de l'épierrement du sol.
[ 5 ] Une annonce de la mise en ligne de tout l'état civil de l'arrondissement de Bonneville m'a mise en joie... avant la douche froide : par exemple deux tables de la fin du XIXème seulement sont en ligne pour la commune de Samoëns. Bien décevant.

vendredi 3 avril 2015

Mes arrière-grands-parents étaient lapidaires

Mon arrière-grand-père Jules Assumel-Lurdin et son épouse Marie Gros ont été (entre autres) lapidaires. Ouvriers lapidaires.
C'est l'occasion de faire un zoom sur ce métier.

L'ouvrier lapidaire est un tailleur de pierres précieuses (sauf le diamant : travail qui était réservé au diamantaire). Le mot lapidaire vient du latin "lapis" qui signifie pierre. On distingue les pierres précieuses (agate, diamant, émeraude, grenat, topaze, etc...) des pierres semi-précieuses (jade, onyx, etc...). De nombreuses croyances ou superstitions sont liées aux pierres et à leur (supposé) pouvoir. Elles peuvent protéger (de la maladie, de la mauvaise ivresse...) ou porter bonheur. Chaque pierre est associée à une période de l'année; ainsi un mari volage, lorsqu'il offrait un diamant à son épouse en avril, s'épargnait des scènes de ménage ! [ 1 ]

Les lapidaires étaient aussi parfois appelés cristalliers ou "perriers de pierres natureus". Ils aimaient à se distinguer des "perriers de verre" qui fabriquaient et travaillaient des pierres artificielles.

Cette tradition de taille de pierre se retrouve dans le Nord de l’Ain et le Haut Jura. Elle remonte à une époque où les horlogers catholiques genevois, fuyant la Suisse et le calvinisme à partir du XVIème siècle, s'installent par-delà la frontière. Ils s'étaient installés comme agriculteurs ou éleveurs et, comme pendant les mois d’hiver ils ne pouvaient travailler la terre, ils ont repris leur métier, la taille de pierres. A l'origine, ce métier était utile à la confection des mécanismes des montres. 

Ce "métier" étant un travail temporaire, saisonnier, c'est pourquoi on le trouve associé à d'autres métiers. Dans le cas de Jules Assumel-Lurdin, il est dit "lapidaire" en 1896 (lors d'un recensement) et la même année cultivateur (sur sa fiche militaire).

C’est donc une activité annexe au travail de la terre, un précieux complément de ressource, qui s’inscrit parfaitement dans la petite industrie de montagne que l’on pratiquait à domicile à l'époque. Ce métier ne nécessite pas d’outillage très important (on peut s’installer dans la cuisine par exemple), ni une grande force; c’est pourquoi les femmes exercent ce métier couramment. C'est le cas de Marie Gros, donc, en 1916. On utilise alors un simple établi avec une grande roue (mesurant de 40 à 50 cm) entraînée par une courroie une meule de bronze (pour la taille) ou de carborundum (pour le polissage). Avec sa main gauche, l’ouvrier fait tourner la grande roue qui entraîne la meule. 


Lapidaire, D. Chatry

Si la taille des pierres précieuses (émeraude, rubis, saphir, topaze) est assez bien rémunérée (environ 15 francs/jour), celle des pierres synthétiques (strass) l’est environ dix fois moins. L’une et l’autre de ces activités sont néanmoins vues comme pénibles, voire dangereuses pour la santé à cause des poussières dégagées par les meules.


En 1901 Jules est dit "patron" (dans les listes de recensement) et il semble employer - uniquement - son jeune frère, de six ans son cadet (bien que le prénom du patron ne soit pas cité, mais on ne retrouve pas d’autre employé l’ayant comme patron dans la commune). Cet accès au "patronat" ne signifie pas forcément qu’on soit passé à une échelle plus "industrielle" (utilisant une force hydraulique comme force motrice) : les "lapidaires en chambre" employaient parfois plusieurs personnes. 

Plus tard, Jules sera dit cultivateur (1896, 1902) et scieur (1905, 1906) avant de devenir, d'une façon plus durable, garde forestier (à partir de 1905). Mais ça, c'est une autre histoire...


[ 1 ] G. Boutet : La France en héritage, éd. Omnibus