« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 18 décembre 2015

Insultes prohibées

A force de lire des histoires bizarres sur l'origine des noms - en particulier ceux qu'on ne voudrait pas porter comme Nibard ou Gueunon - ça m'a donné envie d'aller voir s'il y en avait dans mon arbre. Las ! Rien de rien ! Ou tout juste un Soulard et un Cocu : pas de quoi casser trois pattes à un canard ! Quelle tristesse. Alors pour me venger de mes ancêtres qui n'ont reçu en héritage que des patronymes fort corrects, j'ai écrit un texte composé - presque - uniquement de leurs noms (facilement identifiables car ils apparaissent en majuscules).
Les patronymes n'ont pas d'orthographe, c'est bien connu, ce texte n'en a pas non plus (inutile d'alerter le Bescherelle), ce qui va très bien avec cette histoire tout droit sortie des âges.

Ambrogio Lorenzetti, Effets du bon et du mauvais gouvernement © Larousse.fr

Il y a fort fort longtemps :

Tel un PELERIN et son POULLAIN, BERTRAND le CLERC, tout GROS et GRAS qu'il était, marchait dans la VALLEE, les bras BALAND, à côté de son BEAU BODET du POITOU, juste FERRÉ, qui préférait la FRICHE des FOURRÉ DE LA LANDE aux ROCHER DUCHEMIN. Avisant la RIVIERE, il s'écria "SEBAULT !". Il voulait traverser mais, TROUILLARD, il avait peur de LABOUE et d'abîmer ses SOULIÉ. Il se GARDAT de tenter l'aventure. Sortant DESBOYS de BOULEAU et de SUREAU, il arriva au HAMEAU.

Par-dessus DESHAYES, il vit ALLAIN, LE JOLY BACHELIER, qui jouait au BALLON. Le TAVERNIER, nommé GUILLAUME, le regarda de BIAIS, puis lui dit BONJOUR et lui souhaita la BIENVENU. Il épousseta une MIETTE de FROMEN ou de MILLET de son GILLET, le dernier PATÉE de GORET au ROMARIN PESANT comme une PIERRE sur son estomac, tout en comptant sa MONET en bon LOUIS d'or. Sortant son COUTEAU, il découpa un PIGEON sur une PLANCHE, le farcit d'ANIS et l'arrosa de PINEAU avant de le cuir au CHALUMEAU. Un REZAU de QUENELLE entourait LE COCQ et LELIEVRE NOUÉ ensemble dans LE POT qui cuisaient. "Rien de DEBORDE DUFOUR" pensa-t-il. Satisfait, il se versa une BONNE rasade de PINARD. MICHELLE, avec qui il était en MENAGE, passait le BALLET dans les SALLES, tout en surveillant ses POUPIN JUMEAU, COLIN et GERMAIN, qui jouaient du HOCHET.

Plus loin GIRAUD, le BARBIER ROUX - BLANC comme un linge - livrait BATAILLE avec LE GRAND ETIENNE, MARECHAL FERRANT, pour lui faire une COUPPE sans l'ÉCORNÉ avec son outils TRANCHANT, comme la dernière fois où on lui avait DONNET le FERT pour le punir !

Près de la FONTAINE un GAILLARD, nommé PAUL CHIRAC, GUETTÉ LAPORTE de GREGOIRE le BAILLIF. Son NEPVEU HUBERT LAISNÉ avait un PACQUET CARRE pour sa BRU, un CADOS de NOEL : LAMOUREUX offrait un CHASLE à sa BEL amie.

Soudain le MESSAGER du PUISSANT DUC ANCELIN, précédé d'un PETIT PAGE, venu tout droit DUCHATEAU de la HAUTEVILLE, alerta la population : BERTRAND LECLERC, ANTOINE le BOTTIER, ALBERT le BOUVIER : tous s'approchèrent.
"- Le CHATELAIN a décidé LE DILHUIT JUIN année courante que le FELON, le JUDAS, nommé GUIBERT, n'ayant JAMAIS voulu mettre un GENOUST en terre devant le COMTE DAVID sera traîné derrière le cheval de LECUYER, DU GUÉ aux BORIES du MAS BRUN."
Mais le MUTIN s'était déjà BARRÉ ! TOUPLIN de CHEVALIER, VALET et COCHET partirent à sa recherche, DESMAREST DUBOIS DANIEL au GROZ CHASTEAUX, sans le CROISÉ. LE SEIGNEUR SERAIE très fâché.
"- JAY FAY le serment, les mains JOINTE et par LE ROY, de le MOUCHET à vue, lui et tout le pays, DELACOSTE à LAGARRIGUE !"

Le GRANDHOMME REDESSANT du FORTIN en JUILLET tout armé, la BREYSE dans les yeux. LAURENT LE BRETON et ROBERT LANGEVIN plaident pour l'apaisement.
Dans LE VERGER, un MERLE PELÉ PERCHER sur un POIRIER BRANCHU, siffle DESCHAMPS à un PAPILLON. LOISEAU VOLAND a un RAMEAU d'olivier dans le BECOT. L'ire du MARQUIS BAYSSE d'un coup.

En souvenir, SIMON LE PEINTRE immortalisa la scène. Ce que je METAIS décidé à voir, en venant DUPORT en GABARD : la CHARNIÈRE DELAPORTE DUMOULIN ne grinça pas. DURANT un long moment, j'observais LEBEAU tableau, sentant la SEVE de mes ancêtres...


Texte réalisé avec 91 des 1 313 patronymes de mon arbre.



vendredi 11 décembre 2015

Laurent est-il Roland ?

Le moyen le plus sûr de progresser dans ma recherche généalogique, est de repérer la génération supérieure dans un acte de mariage. Par exemple, lorsque Marguerite Thiberge se marie (avec Pierre Le Masson en 1653 à Morannes - 49), elle est dite fille de Laurent Thiberge et de Marie Roger. Grâce à cette indication de filiation j'identifie rapidement son acte de naissance en 1626, toujours à Morannes.

Mais là où cela se gâte, c'est à la génération des parents, Laurent et Marie. En compulsant les registres, je m'aperçois que Marguerite est la seule fille de Laurent Thiberge et Marie Roger. Par contre, Roland Thiberge et Marie Roger ont, à la même époque, cinq enfants (nés entre 1614 et 1636). Il n'y a pas d'acte de mariage aux noms de Laurent/Marie ni Roland/Marie (pas de registre de mariage antérieur à 1617 à Morannes). Ayant déjà trouvé plusieurs couples homonymes au fur et à mesure de mes recherches, j'avais donc abandonné là cette piste, ne pouvant pas prouver que Laurent était en fait Roland.

Reprenant aujourd'hui mes investigations, je commence par chercher l'acte de décès de Laurent : rien.
Un coup d’œil sur Geneanet pour voir ce qu'il s'y dit : 5 généalogistes font figurer ce couple dans leurs arbres, dont deux donnent une date de décès pour Laurent. Chic ! Je vais voir aussitôt à la date du 30 avril 1653 à Briollay : et là je trouve l'acte de décès... de Roland !

Un acte de décès peu ordinaire, d'ailleurs :

Acte de décès multiple, Briollay, 1653 © AD49

"Le 1 et le 2 jour du mois de may furent inhumés en le cimetiere
de briollay ceux dont les noms suivent cy apres s'estant par un funeste
accident noyés dans les eaux sur ledit marais de cette paroisse
de briollay
en premier Jean bochier, perinne huet, la veusve --- --- ---
deux fils de tourteau dont je ne sais les noms, Mathurine nai--
catherinne plessis, la fame dEstienne Sale et son fils age environ qu--
Louise Sale, Roland Tiberge Anthoine Gautier, René preau--
christophle beron, Jacques solber, Jean Roger, Francoise pichonneau
Adam bastau et sa fame perrine Matiguone, Magdeleine pinson, Mag--
Masse, Marie Morillon Julien Maubert et sa fame Pierre Geslot
et sa fame, Jeanne Chevrier la veusve le Masson et Jacque le
Masson son fils, Mathurin closier, René Ritouet, Isabel Au[diot]
veusve feu Giles Ritouet, Jean Landais perrine olivier, Jean lig---
et sa fille, Jean olivier et barthelemy son fils, louise colombeau
Jacqe claire, ---- piron et son fils René piron,

C'est donc une quarantaine de personnes qui se sont noyées ce jour-là. Et le fameux Roland compris. On n'a pas de détail sur ce "funeste accident", mais l'on sait que - plus tard - un bac traversait la Sarthe (grâce au Dictionnaire historique de Célestin Port, édité en 1876), rivière qui borde des parcelles nommées "Les Marais" : s'il existait déjà à cette époque, c'est peut-être ce bac qui s'est renversé provoquant cette noyade massive.

En élargissant un peu la recherche, près d'une vingtaine de généalogies incluant le couple Roland/Marie supplémentaires ressortent. Ils confirment le décès dudit Roland et les naissances trouvées dans les registres, dont celle de "ma" Marguerite.

Alors : Laurent est-il Roland ? Comment le savoir ?

Je fais le tour de tous les actes concernant les possibles frères et sœurs de Marguerite : leur père est toujours prénommé Roland. Idem pour l'acte de décès de Marie Roger, dite veuve de Roland Thiberge en 1670. En bref, c'est seulement dans les actes de naissance et de mariage qu'il est nommé Laurent.

C'est l'acte de décès d'une sœur de Marguerite (prénommée Madeleine) qui laisse penser que Laurent et Roland sont la même personne : en effet l'un des deux témoins est Pierre Le Masson. Si ses liens de parenté ne sont pas précisés, on reconnaît néanmoins la signature de l'époux de Marguerite.

J'adopte donc Roland (et tous ses enfants)... jusqu’à preuve du contraire !





vendredi 4 décembre 2015

Les morts sur la montagne

Faisant écho à l'article de Benoît Petit (sur son blog Mes racines familiales) intitulé série de noyades à Chaumont-sur-Tharonne j'ai aussi rencontré une série de décès accidentels, liés cette fois à la haute montagne, trouvés dans les registres de Samoëns (74).

 Samoëns, retour de l'équipe chargée d'ouvrir les chemins en hiver © Hier à Samoëns

C'est l'époque où des officiers d'état civil sont nouvellement nommés et n'ont pas encore compris qu'un acte de décès n'est pas un roman (et tant mieux pour nous, généalogistes !). Très disert, François Duboin, "membre du conseil général de la commune de Samoën, département du Monblanc", décrit avec moult détails ces trois décès de 1794 ("An Second de la République Française une et indivisible").
  • Le premier est daté du 26 germinal an II (15 avril 1794) : il a été trouvé un "cadavre sur la montagne de Bostant" (Tête de Bostan, 2 403 m d'altitude). A l'époque les autorités se déplaçaient sur les lieux du décès : ledit François Duboin, accompagné du secrétaire greffier et de trois hommes servant de témoins dument assermentés, se rendent au village des Allamands, "distant d'une heure et demi environ dudit bourg de Samoën". Il y découvre une femme "couchée la face contre la neige, ayant sur son corps une chemise de toile mellée avec un corset et un juppon de drap de pays, avec des bas de laine gris et un mouchoir d'indienne, avec encore un mauvais tablier d'indienne rayé bleu dans lequel était enveloppé un morceau de pain gros, ayant ses souliers dans les poches". La "morte sur la montagne" est reconnue par les témoins comme étant Françoise Biord, épouse de François Gindre, mais "il ne s'y est rien trouvé ni aucun objet autour de son corps qui peut faire présumer le sujet de sa mort".
  • Le deuxième est rédigé un mois et demi plus tard (13 prairial / 1er juin). C'est en fait un acte rétroactif : le juge de paix du canton "est comparu en la salle publique de la maison commune" pour produire un procès verbal "par lui dressé le vingt six avril 1793 vieux style [ 1 ] au sujet de Jean Baptiste Brissay, prêtre et chapelain de Taninges mort sur le territoire du village de la Mollutaz distant du bourg de Samoën de six heures vu la grande quantité de neige ce qui empêche de la traverser". Deux témoins déclarent "avoir trouvé un cadavre reconnu de tous les assistant pour être celui dudit prêtre", divers papiers trouvés sur lui attestant de son identité : ses lettres de prêtrise, son extrait de baptême, une espèce de formule de serment, une liste contenant des dus à un habitant dudit Taninges "et plusieurs autres indices qui ne laissent pas ignorer sa connaissance".
  • Le dernier de la série date du jour suivant : le même juge de paix revient produisant un autre procès-verbal rédigé le 26 mai 1793 "qu'il a dressé sur le rapport" d'un habitant de la commune voisine de Vallon. Il s'est transporté, avec son greffier, "au-delà de la montagne appelée la petite ...?". Il y a "trouvé un cadavre, couché à la renverse, attachés par la cuisse, avec sa ceinture, reconnus par les assistants pour être celui de Claude Morel de Taninges". Ils n'ont "trouvé autour dudit cadavre aucun objet qui puisse faire présumer le genre de mort".

Comme d'habitude, chaque indice distillé dans les sources soulève beaucoup de questions : pourquoi Françoise Biord avait-elle ses souliers à la main ? Pourquoi le père Brissay avait-il emporté son extrait de baptême dans sa poche ? Pourquoi Claude Morel s'était-il fait un garrot avec sa ceinture ?

Pour tout cela, la montagne a gardé ses secrets !



[ 1 ] Le "vieux style" désigne l'ancienne façon de compter les dates, c'est-à-dire avant la mise en place du calendrier révolutionnaire en 1792, et qui sera à nouveau adopté en 1806.