« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 21 octobre 2017

#RDVAncestral : le tuteur

Le temps est gris en ce froid mois de janvier 1760. J’aperçois la petite assemblée qui se serre autour d’un trou. Un trou béant et noir qu’il a été difficile de creuser dans cette terre gelée d’hiver. Antoine est là. Il fixe ce trou à qui l’on vient de confier le cercueil de sa belle-mère. Autour de lui ses demi-frère et sœurs, sa tante et d’autres qu’il ne semble pas remarquer, tant il est absorbé dans ses pensées en fixant ce trou.

Combien de fois s’est-il retrouvé devant un trou semblable ? Il se concentre pour essayer de se rappeler :
- sa mère, Jeanne Le Tessier. Il avait 8 ans, il ne s’en souvient pas très bien.
- son grand-père paternel François Courtin, l’année suivante.
- sa grand-mère maternelle, Jeanne Duffé ; il avait 13 ans.
Ses deux autres grands-parents, il ne les a pas connus.
- deux de ses frères aînés sont là aussi : le premier décédé à 8 jours, le second mort-né.
Deux ans après le décès de sa mère, son père s’est remarié avec Marie Rogue. C’est cette Marie qui repose là maintenant. Ensemble ils ont eu 10 enfants, mais cinq fois il a fallu revenir ici porter en terre ces petits êtres qui n’ont pas vécu.
- et puis l’année dernière c’était son père.
- et maintenant Marie.

Pendant qu’Antoine était plongé dans ses pensées, la cérémonie s’est terminée et chacun s’est retiré dans la discrétion. Il ne reste autour de lui que les enfants. Soudain, il sent qu’on lui tire la manche : c’est Perrine, sa demi-sœur, âgée de quatre ans. Elle pleure :
- Maman ! Je veux maman !
Antoine sort de sa torpeur. Ils sont six autour de lui, âgés de 16 à 4 ans : cinq filles et un garçon. 


Frise d'enfants © via 9decoeur.org

J’en profite pour m’approcher :
- Tu veux que je m’occupe des enfants ?
Il ne répond pas, toujours soucieux. Que va-t-elle devenir toute cette fratrie ?

Je le laisse à ses pensées et rassemble le petit groupe de bambins pour les ramener à la maison, au chaud. Perrine pleure toujours dans mes bras, appelant sa mère. Elle ne comprend pas bien ce qui s’est passé aujourd’hui et pourquoi sa maman ne vient pas la réconforter.
A quelques pas derrière nous, je remarque que le jeune Jacques Raveneau est toujours là. Il fixe Marie, l’aînée des enfants. Peut-être qu’elle ne restera pas longtemps avec ses frère et sœurs, finalement…

Antoine nous rejoint enfin à la maison. Il ne sait toujours pas qui va s’occuper de cette troupe.
- Le conseil de famille ne s’est-il pas réuni ? lui demandais-je.
- C’est pour demain. Mon oncle Pierre, celui de Tiercé, a proposé son aide. Le père de Marie Rogue est toujours de ce monde, mais il a 80 ans et il est bien fatigué maintenant. A mon avis, il ne passera pas l’année, alors s’occuper de petits enfants… La famille de ma mère demeure à Briollay et ne s’est pas précipité pour prendre en charge des enfants qui ne sont pas de leur sang. Mon oncle Jacques est prêtre à Gesté : il ne prendra certainement pas des filles chez lui, mais peut-être pourra-t-il nous aider financièrement. Mes autres oncles et tantes, je ne sais pas. Il reste Mathurine, la sœur de feue Marie qui était à l’enterrement aujourd’hui. Ma propre sœur, qui s’appelle aussi Mathurine, mariée depuis 10 ans, et moi. Ma femme et moi feront ce qu’il faudra, bien sûr, même si je ne sais pas trop comment…

Accueillir sa fratrie faute de parents pour s’en occuper, cela paraît naturel, mais je comprends l’embarras d’Antoine : comment recevoir six enfants d’un coup ? Sans parler des problèmes « techniques » : où les faire dormir, comment les nourrir… Même si Antoine est un fermier relativement aisé [1], ce n’est pas évident de faire face à ce type d’événement. D’autant que sa situation peut basculer du jour au lendemain, avec ces hivers rigoureux, les disettes et les famines qui se multiplient…

La nuit est maintenant tombée. Les enfants se sont endormis, même la petite Perrine qui a enfin cessé de réclamer sa maman… pour le moment.
Je me retire à mon tour, dans le silence de la maison, Antoine toujours plongé dans ses pensées, préoccupé par ses nouvelles responsabilités.


Marie, l’aînée des enfants, âgée de 16 ans, épousera l’année suivante Jacques Raveneau, de cinq ans son aîné. Pierre Courtin, son oncle de Tiercé, y est mentionné comme son tuteur.
Perrine, la cadette, se mariera 15 ans plus tard, « procédant sous l’authorité de son frère Antoine ».
Nicolas Rogue, le père de Marie, décèdera en octobre de la même année 1760, âgé de 80 ans.
J’ignore qui s’est occupé des quatre autres enfants et qui a été nommé leurs tuteurs.
Bien que mariés depuis 1757, je n’ai pas trouvé d’enfant né d’Antoine Courtin et de son épouse avant 1766 : hasard, recherches infructueuses ou est-ce parce qu’il occupait de ses demi-frères et sœurs ?


[1] Antoine Courtin, quelques années plus tard, signera le cahier de doléances de Villevêque (en 1789). Pour pouvoir y prétendre, il devait être Français, âgé d'au moins 25 ans et compris dans le rôle des impositions ; ce qui signifie qu’il n’était pas parmi les plus miséreux. Sur les 300 feux que comptait alors la paroisse, une cinquantaine de personnes ont été réunies au moment de la messe dominicale, pour rédiger ces cahiers de doléances. Une vingtaine l’ont signés, dont notre Antoine, mais il n’a pas fait partie des 4 députés qui sont allés représenter la paroisse à la réunion qui s’est tenue par la suite à Angers. Pour en savoir plus, voir l’article paru à ce sujet sur le blog en cliquant ici.

samedi 14 octobre 2017

Projet Philomène #2 : Philomène Assumel-Lurdin

Parti d’une remarque sur les réseaux sociaux (« on a tous une mémé Philomène »), le projet a pris corps : les descendants des « mémés Philomène » ont alors rédigés des billets racontant leur(s) Philomène(s). 
Sainte Philomène a été « mise à la mode » par le curé de St Jean d’Ars (Ain) en 1837 ; pour en savoir plus sur la sainte, voir ici grâce à l'article d'Antequam. Pour retrouver tous les billets des « mémés Philomène » écrits par les généablogueurs, cliquez ici ou ici pour les situer sur la timeline.
Dans mon arbre je compte deux Philomène, nées dans l’Ain aux XIX et XXème siècle : voici la seconde (qui est aussi la petite-fille de la Philomène #1).


___

Philomène ne parle plus, mais elle pense : ses pensées sont indiquées en italique.

- Voilà Marcelle ! Vous êtes bien installée dans votre fauteuil ?
C’est à moi qu’elle parle ? Pourquoi elle m’appelle Marcelle ? Je m’appelle Philomène, comme ma grand-mère. Je ne sais même pas qui c’est, cette femme !
- Je vous allume la télé !
Elle est bien gentille cette dame, mais qu’est-ce qu’elle fait chez moi ?
- Voilà. On se revoit tout à l’heure.
Philomène regarde autour d’elle.
Mais où suis-je ? Ce n’est même pas ma maison ici ! Et où sont mon mari et mes enfants ? Pourquoi je suis toute seule ici ?
Elle regarde la télévision, sans vraiment la voir.
Cette machine fait un bruit horrible. Mais arrêtez ça ! Je préfère la radio : c’est plus calme. Ah ! les soirées autour du poste, tous réunis. C’était bien.
Sur le mur il y a des photos, mais elle ne sait pas qui sont ces gens.
Hi ! Hi ! Hi ! Je me rappelle le scandale quand on a été chez le photographe avec mes sœurs. Ou plutôt quand on est sorties : le photographe avait osés prendre des clichés avec mon dos à moitié dénudé ! C’est papa qui n’a pas été content ! Hi ! Hi ! Hi !

Marcelle Philomène Assumel-Lurdin, 1934 © Coll. personnelle

Ah non ! papa n’était plus là. Ça devait être maman alors qui était en colère. Je ne sais plus. En tout cas il y a eu un sacré tapage !
Marcelle regarde autour d’elle : elle ne sait pas si c’est le matin ou l’après-midi. Une comptine lui trotte dans la tête.
Je ne me souviens plus si c’est maman qui nous la fredonnait ou si je la chantais aux petits. Les générations se mélangent dans ma tête, les époques se mêlent et s’entremêlent. Les souvenirs se brouillent : je ne sais plus.
- Re-bonjour Marcelle, c’est encore moi !
Pourquoi elle dit « encore » ? Cette dame est charmante mais je ne l’ai jamais vue !
- Vous avez de la visite : c’est votre fils qui vient vous voir.
Mon fils ! Qu’est-ce qu’elle raconte ! Ce monsieur n’est pas mon fils. Mes enfants sont encore petits et les derniers ne savent à peine marcher. Elle raconte n’importe quoi !
- Bonjour maman. Comment vas-tu aujourd’hui ?
Philomène regarde à nouveau par la fenêtre, n’écoutant son visiteur que d’une oreille. Elle sourit en pensant à ses enfants. Et puis soudain elle regarde cet homme qui est son fils droit dans les yeux et une larme perle à ses paupières. Lui aussi la fixe : il se passe quelque chose. Ils se prennent dans les bras, très émus. Et puis soudain, c’est fini. Marcelle est repartie.
Comme je suis fatiguée. Et ce monsieur qui n’arrête pas de parler. Il est bien gentil, mais je voudrais qu’il s’en aille maintenant. Je vais fermer les yeux un moment, comme ça il partira peut-être, croyant que je me suis endormie.
Mais où je suis ici ?
- Alors Marcelle ? C’était bien cette visite ?
Marcelle ? Visite ? De quoi elle parle ? Qu’est-ce qu’elle raconte ?.
- Vous avez de la chance : une de vos filles hier, un de vos fils aujourd’hui : vous avez souvent des visites n’est-ce pas ?
Je ne comprends rien à ce qu’elle dit ! Je n’ai vu personne depuis des jours !
- Il vous a raconté ses vacances ?
Les vacances. Je me rappelle de vacances au bord de la mer, à vélo, avec notre bébé. C’étaient nos premiers congés payés.
Elle regarde par la fenêtre.
Où est la pelouse ? Il y avait bien une pelouse ? … Non c’était un parc je crois. Je ne sais plus…
Je m’ennuie. Personne ne vient me voir.
Dehors il n’y a pas de montagne. J’habite aux pays des montagnes. Ou bien est-ce près d’un fleuve ? Ou dans un château ? Je ne sais plus…
- C’est l’heure du dîner : ce soir c’est du poisson.
Je n’aime pas le poisson.
- Vous vous rappelez ce que vous avez mangé ce midi ?
Ce midi j’ai pas mangé. Rien depuis ce matin. Ils sont bien aimables ici, mais ils ne nous donnent rien à manger. Chez moi c’était mieux. Mais où je suis ici ?
- Le hachis parmentier, vous vous rappelez ?
De toute façon, je n’aime que les quenelles sauce Nantua, comme les faisaient ma mère. C’était son pays. C’est là que je suis née… Enfin, je crois…
Marcelle détourne la tête.
- Il faut manger Marcelle !
Pfff ! Elle m’embête ! C’est aux enfants qu’on dit ça ! Bon, allez, pour lui faire plaisir alors.
Je crois que j’ai des frères et sœurs …
Soudain Marcelle se met à pleurer.
Raymond ! mon petit frère ! il est à l’hôpital : il a eu un accident de vélo. Il va mourir, je le sens. Il faut que je prévienne maman et papa !
Marcelle s’agite. Bien que paisible la plupart du temps (ce qui la rend très appréciée du personnel), l’aide soignante n’arrive pas à la calmer. Elle appelle du renfort. Finalement ils réussissent à coucher Marcelle.
C’est la nuit ? Où suis-je ? Ce n’est pas mon lit ? Je suis seule. Où est mon époux. Je n’entends pas les enfants. Ce n’est pas ma maison. Depuis quand suis-je ici ? Pourquoi j’y suis ? Je ne me rappelle plus. Je suis si fatiguée. Je voudrai que tout cela s’arrête…


___


Ce texte est une fiction, mais qui se base sur des événements réellement vécus. En effet, Marcelle Philomène Assumel-Lurdin, épouse Astié, a vu sa mémoire partir en lambeau à la fin de sa vie (elle nous a quittés en 2013). Les griffes d’Alzheimer se sont refermées sur elle, comme sur son époux quelques années avant elle. C’étaient mes grands-parents. Comment a-t-elle vécu ses derniers temps ? Se rendait-elle compte ? En tout cas pour nous ce fut une double épreuve. Une pensée pour elle ainsi que pour ses enfants et les membres de notre famille toute entière, durement éprouvés, qu’elle a cessé petit à petit de reconnaître quand nous lui rendions visite…


samedi 7 octobre 2017

Projet Philomène #1 : Philomène Prost

Parti d’une remarque sur les réseaux sociaux (« on a tous une mémé Philomène »), le projet a pris corps : les descendants des « mémés Philomène » ont alors rédigés des billets racontant leur(s) Philomène(s). 
Sainte Philomène a été « mise à la mode » par le curé de St Jean d’Ars (Ain) en 1837 ; pour en savoir plus sur la sainte, voir ici grâce à l'article d'Antequam. Pour retrouver tous les billets des « mémés Philomène » écrits par les généablogueurs, cliquez ici ou ici pour les situer sur la timeline.
Dans mon arbre je compte deux Philomène, nées dans l’Ain aux XIX et XXème siècle : voici la première (qui est aussi la grand-mère de la Philomène #2).


Les trois enfants sont  là : Joseph (54 ans), Marie Félicie (47 ans) et Marie Virginie (42 ans). Ils trient les vêtements, les effets, les papiers. Philomène Prost, leur mère, a été mise en terre ce matin.

Un dialogue commence entre les trois « grands enfants » de la disparue :
- Quelle longue vie elle a eue : elle a quand même vécu 85 ans !  Je n’ai pas eu connaissance d’un membre de notre famille qui ait vécu aussi longtemps.
- En tout cas, elle fait sûrement partie des records, c’est sûr !
- Vous avez remarqué : papa et maman sont décédés le même jour, un 14 septembre, à 30 ans d’intervalle !
- Dire qu’elle est restée veuve pendant toutes ces années.
- Je n’avais que 12 ans quand papa est mort, fait remarquer Marie Virginie, la plus jeune. C’est curieux qu’elle ne se soit jamais remariée.
- Elle a été tellement affligée de son décès, qu’elle n’a pas eu la force d’aller le déclarer à la mairie : c’est notre oncle qui s’en est chargé.
- Oui, mais j’étais là, ajoute Joseph Hippolyte, l’aîné, et je me rappelle que le maire l’a qualifiée de « dame » dans cet acte.
- Tiens !
- Qu’est-ce que tu as trouvé ?
- Des vieux papiers : ici il y est mentionné une vente, en 1888 pour 726 francs, et deux acquisitions, datées de 1898 et 1909, pour une valeur de 615 francs, soit au total 1 071 francs.
- Tu sais à quoi ça correspond ?
- Non, pas vraiment. Il n’y a pas de détail ici.
- Oh ! Son acte de naissance : vous saviez qu’en fait elle s’appelait Marie Philomène ?
- Vraiment ? Mais on ne l’appelait que Philomène pourtant ! Je me rappelle même l’agent recenseur, lorsqu’il venait à la maison, il inscrivait bien « Philomène » seulement, et puis après la mort de papa c’était « Philomène veuve Gros [de son nom d’épouse], cultivatrice, chef de ménage ».
- C’est vrai !
- Elle a été aussi tisseuse et même ouvrière en soie, le saviez-vous ?
- Je ne sais pas pourquoi elle s’est mariée aussi tard : en février 1873 elle avait déjà 29 ans. Ce n’est pas tout jeune…
- Bah !moi aussi je me suis mariée à cet âge, réplique Marie Félicie !
- Oups ! ben moi, je n’avais que 24 ans… complète Marie Virginie.
- Elle attendait peut-être le retour de papa : souvenez-vous, pendant la campagne de 1870, il avait été fait prisonnier à Sedan, avec le 79e régiment de ligne où il était affecté. Il est resté 8 mois en captivité ! Le temps qu’il revienne, qu’il soit officiellement démobilisé et que le mariage soit conclu entre les familles, ça prend du temps.
- Je ne trouve pas de contrat de mariage dans ses papiers : je crois qu’il n’en n’a pas été fait.
- Oh ! Regardez : maman a signé son acte de mariage mais elle a inversé deux lettres : « Phiolmene » au lieu de « Philomène » !

Signature Philomène Prost, 1873 © AD01

- Ça  devait être l’émotion !
- Sur nos actes de mariage elle ne signait que « Prost » ajoutèrent en cœur les filles.
- Vous vous rendez compte quand même : elle est née sous la Monarchie de Juillet et le règne de Louis-Philippe, a connu successivement la Second République avec Louis Napoléon Bonaparte, le Second Empire avec Napoléon III, s’est mariée sous la Troisième République, a vécu sous 10 Présidents avant de s’éteindre sous le mandat de Gaston Doumergue !
- Et tous ces bouleversement de la société : les soubresauts politiques, mais aussi la Révolution industrielle, l’école obligatoire, la séparation des Églises et de l’État, les inventions comme la voiture, la Grande Guerre.
- Pourtant, il reste si peu de choses d’elle. Nous ne savons pas comment elle a vécu tous ces bouleversements, nous ne l’avons jamais questionné.
- Nous n’y avons même jamais pensé !
- Comme je le regrette aujourd’hui.
- Combien de fois je l’ai vue inquiète lorsque j’étais malade « de l’albumine » en 1912 [1] songea Marie Félicie.
- Elle s’inquiétait toujours.
- C’était une mère…
- Notre mère.


Marie Philomène Prost est née le 3 mars 1843 à Martignat (Ain). Elle a épousé Alphonse Élie Frédéric Gros le 22 février 1873 à Martignat et est décédée le 14 septembre 1928, toujours à Martignat. Ensemble ils ont eu trois enfants. Elle est mon sosa n°23, c'est-à-dire la grand-mère de ma grand-mère paternelle. Tous les détails mentionnés dans cette scène imaginaire sont issus des sources que j'ai pu trouver la concernant.


[1] L'albumine est la principale protéine du sang, soluble dans l'eau et fabriquée par le foie. Elle empêche la fuite de l'eau contenue dans le sang (plus précisément le plasma) vers les tissus, où elle est susceptible d'entraîner des œdèmes (collection d'eau dans les tissus). Un niveau inférieur à la normale d'albumine peut être un signe de maladie des reins ou du foie.


samedi 30 septembre 2017

#Centenaire1418 pas à pas : septembre 1917

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois de septembre 1917 sont réunis ici.

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 

1er septembre
Ordre de bataillon n°169.

2 septembre
Aucune note pour ce jour.

3 septembre
Aucune note pour ce jour.

4 septembre
Le sous lieutenant Barthe est nommé lieutenant à T.T.

5 septembre
Manœuvre de Division : attaque d’une position ennemie, combat de rupture après une préparation d’artillerie. C’est la fin de la mission auprès des Américains.

6 septembre
Demain départ de la Division du camp de Gondrecourt. L’instruction des troupes américaines confiées au Bataillon s’est poursuivie activement pendant 2 mois. Elles ont bien compris nos méthodes de combat ; il ne leur manque plus que la pratique.

7 septembre
Départ du Bataillon par voie de terre à 4h30. Itinéraire : Rozières, Badonvillers, Vouthon-Haut. Cantonnement à Vaudeville (Meuse) pour nous, dans les Vosges pour d’autres.

Carte Gondrecourt-Vaudeville

8 septembre
Étape de Vaudeville à Liffol-Villouxel. Départ à 5h30. Itinéraire : Chermisey, Sionne. Arrivée au cantonnement à 10h ; nous à Liffol (Vosges), les autres à Villouxel.
Ordre de bataillon n°170.

Carte Vaudeville-Liffol

9 septembre
Repos. Travaux de propreté, nettoyage du cantonnement.

10 septembre
En prévision des prochaines opérations le Général commandant la 47e DI prescrit la reconduction des pelotons de coureurs.

11 septembre
Le Capitaine Pouzonne prend le commandement de notre Compagnie.

12 septembre
Le 1er train embarque E.M., Cie mitrailleurs… à Liffol à 21h30.

13 septembre
Nous embarquons dans le 2e avec la 6e, 7e et 9e à 5h30. Itinéraire Bar le Duc, Revigny, Vitry le François. Débarquement à Vitry le Ville, cantonnement à Dampierre sur Moivre.

Carte Liffol-Vitry

14 septembre
Reconnaissance du secteur. Nous avons traversé des zones complètement dévastées.

Ferme en ruines, Oise, 1917 © Gallica

15 septembre
Étape de Dampierre à Tilloy et Bellay. Départ à 5h. Notre Cie cantonne à Auve. Le bataillon est placé en réserve au 12e C.A.

Carte Vitry-Tilloy

16 septembre
Repos.

17 septembre
Reconnaissance du secteur. De retour dans la Marne.

18 septembre
Exercices divers.

19 septembre
Révision rapide de l’instruction. Étude de combat à la grenade.

20 septembre
Le sous lieutenant Roux va auprès du commandant de 4e groupe de chasseurs afin de se familiariser avec le secteur lorsque le Bataillon fera relève.

21 septembre
Exercices divers, tirs.

22 septembre
Nouvelle réorganisation de la compagnie d’infanterie.

23 septembre
Repos.

24 septembre
Exercices.

25 septembre
Travaux au camp d’aviation de Neuf-Bellay.

26 septembre
Poursuite des exercices.

27 septembre
Le bataillon fait mouvement sur le camp G où nous allons cantonner. Nous nous y rendons en deux colonnes jusqu’à Somme-Suippes à 19h.
Nous sommes dans la 1ère colonne, sous le commandement du Capitaine Jarrier.

28 septembre
Reconnaissance des positions par les officiers. Nous relevons la 1ère Compagnie du 11e bataillon dans les organisations du Voussoir.

29 septembre
Dans la nuit nous avons quitté le camp G pour Perthes les Hurlus. Notre Compagnie reste en réserve. Relève effectuée sans incident.

Perthes les Hurlus © laurent59.canalblog.com

Nous entreprenons immédiatement la réfection des dommages causés par le bombardement ennemi la veille de notre relève. Le secteur se montre calme, malgré quelques obus et crapouillots. Un chasseur de notre compagnie est blessé par éclat d’obus.

30 septembre
Quelques obus et rafales de mitraillettes.

samedi 23 septembre 2017

#Généathème : Si nous faisions le point ?

Un généathème particulièrement difficile à traiter pour moi, voyez plutôt :
- Faire le point sur nos projets de début d’année ?
Je n’en avais aucun : je me connais, ils n’auraient jamais été tenus de toute façon (ça, c’est comme les bonnes résolutions du 1er janvier…)
- Où en sommes-nous ?
Nulle part en particulier, partout à la fois !

En plus, je ne suis pas très adepte des bilans : le dernier sur ce blog date de... 2013 (voir ici) !

En effet, je peux bien l’avouer : je n’ai aucune organisation dans mes recherches ! Je ne dis pas que je ne classe pas correctement mes documents, que je ne crée jamais une personne dans mon arbre sans en avoir vérifié l’existence réelle (ou quelques fois probable, mais dans ce cas j’y ajoute une note) ou que…

Mon bureau ? © yahoo.com

Bref, comment je fonctionne ? Un peu au hasard. Beaucoup, au hasard.
Je ne fais pas la course au sosa les plus nombreux ou les plus anciens, mais si j’en trouve, c’est tant mieux. Par contre la recherche de stars ne m’intéresse absolument pas ! J’erre au jour le jour. Au pif, comme on dit.

J’utilise volontiers les alertes de Geneanet, qui m’avertissent lorsqu’il y a des arbres en ligne sur leur site ayant des ancêtres communs avec moi. Mais bien souvent je passe plus de temps à éliminer des pistes fantaisistes (un mariage après le décès de la personne ou, dans le même arbre, deux parentés différentes citées pour la même personne au fur et à mesure de ses mariages successifs). Les déposants d’arbres en ligne ne sont pas tous très rigoureux, de toute évidence. Néanmoins, j’ai parfois plus de chance et cela me permet d’avancer dans mes recherches : je me concentre alors sur le petit bout de branche que je viens d’exhumer et explore toutes les possibilités, les différentes sources potentielles.

Comme je ne tiens pas de journal de recherche (rôôôô….), je fais tout immédiatement : numérisation, ou copies d’écran pour les documents en ligne, nommage, rangement, ajout de la/des personne(s) et source(s) dans l’arbre, note(s) s’il y a lieu. Comme je suis assez têtue, je reste sur « le nid » récemment trouvé jusqu’à épuisement (des sources, pas de moi !).

Par contre, j’ai renoncé à y inclure les témoins : je me suis longtemps demandé si je devais le faire lorsque je me suis aperçue que j’avais un témoin particulier qui revenait très souvent, sur deux générations ; vue l’antique mode qui voulait qu’on donne le même prénom au fils et au père, impossible de les distinguer. Alors j’ai (assez vite) arrêté, d’une part pour une question de lisibilité, d’autre part parce qu’ils sont trop souvent difficiles à identifier. Néanmoins, si je les retrouve plusieurs fois, je mets une note dans la fiche des personnes concernées.

Je suis attentive aux nouvelles mises en ligne (j’habite dans une région où je n’ai aucun ancêtre : travail à distance obligatoire), ce qui m’offre parfois de nouvelles pistes de recherche. Mais je suis inévitablement limitée par l’absence de mise en ligne de certaines sources, en premier lieu l’état civil/paroissial (adieu branche jurassienne !).

Autre piste de recherche : les sujets imposés. J’aime participer aux Généathèmes (la preuve !), RDVAncestral ou ChallengeAZ. Bien souvent ces articles sont l’occasion de recherches complémentaires.

Quand je manque « d’inspiration », je reprends tout mon arbre par ordre alphabétique et je cherche des nouveautés qui m’auraient échappées, pouvant relancer la machine. Au début je ne cherchais que mes ancêtres directs ; puis quand je me suis retrouvée en bout de branche sans filiation ou que j’ai épuisé tous les registres conservés et me suis retrouvée bloquée, j’ai commencé à m’intéresser aux frères et sœurs, premiers ou seconds mariages. Bien souvent, cela m’a permis de débloquer les générations supérieures (parents cités dans l’acte de mariage du frère alors qu’ils le l’étaient pas dans celui de mon ancêtre par exemple). Et puis, cela donne du corps à la généalogie : un seul ancêtre connu c’est tout à fait différent d’une fratrie de douze enfants dont dix sont décédés en bas âge.

C’est ainsi que mon arbre est plutôt étoffé (plus de 10 300 personnes). Mon arbre est complet jusqu’à la G8 comprise (sauf la fille-mère qui me fait un large trou à partir de G6). A G9 je me heurte à la Révolution Française et aux nombreuses disparitions de registres pour la branche Vendée/Deux-Sèvres. Mais côté paternel (Aveyron, Anjou) je suis complète jusqu’à G10. Ma (non) méthode a l’air assez efficace !

Bon, si, quand même, il y a bien un projet : le « pas à pas » de mon arrière-grand-père Jean-François Borrat-Michaud, que je suis au jour le jour durant le conflit de la Première Guerre Mondiale : je m’y tiens… depuis trois ans ! Je publie un ou plusieurs tweet(s) par jour, en fonction de l’actualité hebdomadaire (à retrouver sur son compte @jfbm1418), et un récapitulatif mensuel sur ce blog (dans l’onglet #Centenaire1418).  Quelques fois je suis un peu lasse, notamment lorsque les sources d’informations se font plus rares, mais bon, je suis quand même tranquillement assise dans mon canapé tandis que lui était dans les tranchées, alors je ne peux décemment pas me plaindre ! … Mais vivement qu’il meure ou que la guerre se termine, tout de même, que je puisse reprendre une vie normale ! ;-)

Bref, on peut tout à fait faire de la généalogie en papillonnant, en improvisant au jour le jour… tout en se réservant des rendez-vous au long court.

samedi 16 septembre 2017

#RDVAncestral : un arbre bien emmêlé

Le temps étant frais et par trop incertain, on a fait de la place dans la grange, installé des tréteaux et posé des portes dessus pour faire office de tables. Des draps de lit ont servi de nappe. Des toiles de couleurs vives ont compété la décoration. La soirée est maintenant bien avancée. Si trois mariages ont eu lieu en l’église de La Verrie en ce jour de février 1744, deux couples ont fait la noce ici : Jacques Pasquier et Jeanne Piet, tout le deux veuf et veuve d’un premier mariage, ainsi que Mathurin Pasquier, fils de Jacques, et Marie Blin, fille de Jeanne.  

Je suis à un bout de la tablée. Alors que les autres dansent autour de moi, je griffonne un bout d’arbre généalogique pour essayer de m’y retrouver :
- Jacques Pasquier a d’abord épousé Marie Cousseau en 1711. Ils ont eu 7 enfants, dont Mathurin né en 1716. Puis Marie est décédée en 1739.
- De son côté Jeanne Piet a épousé René Blin, dont elle a eu au moins quatre enfants, en particulier une fille prénommée Marie.
- Après il y a donc Mathurin qui épouse Marie, tous deux enfants des premiers lits desdits précédents.
Il y a deux Marie dans l’histoire, sans compter que le curé a prénommé Jeanne en début d’acte de mariage et Marie à la fin [1]; je sens que cela ne va pas me faciliter les choses…

J’essaye d’interpeller Jacques ou Mathurin pour en savoir un peu plus sur leur vie : est-ce Mathurin est journalier comme son père ? Comment les deux familles se sont-elles rencontrées ? Pourquoi ils ont décidé de se marier tous les quatre le même jour ? Mais ils sont tout à la fête et ne prêtent pas attention à moi.

Je me replonge dans mon croquis. Bon, ce cas de figure n’est pas unique : les paroisses sont petites, on fréquente les mêmes endroits, les mêmes gens et inévitablement on se rencontre. Qui de l’œuf ou de la poule (c'est-à-dire des parents ou des enfants) a rencontré en premier son futur conjoint, je ne peux pas le dire… L’originalité, la petite touche en plus, c’est que les deux mariages ont eu lieu le même jour.

Deux mariages le même jour… Cela me rappelle quelque chose… Le père de Jacques, Maixent, ne s’est-il pas remarié lui aussi ?

Entièrement concentrée sur des liens familiaux pas tout à fait ordinaires, je n’entends pas François s’approcher de moi. François est le frère de Mathurin (le fils de Jacques, donc) ; il est aussi mon ancêtre direct. Il regarde par-dessus mon épaule le schéma que j’ai esquissé au fil de mes pensées, un sourire mystérieux aux lèvres. Mais il retourne à la fête avant même que je n’ai eu le temps de lui poser la moindre question. Je regarde mon dessin en fronçant les sourcils : qu’a vu François que je n’ai pas remarqué ?

- Ah ! mais il en manque ! Il faut ajouter la génération précédente ! C’est bien ça : le père de Jacques, le grand-père Maixent, s’est aussi remarié : avec Françoise, la mère de Marie – la grand-mère de Mathurin et François, donc !

Je n’y pensais plus ! Françoise Landreau a en effet épousé en première noces Mathurin Cousseau, en 1678. Un mariage d’amour ? Peu probable : elle avait 12 ans et lui 27 ! D’ailleurs je n’ai pas trouvé d’enfant né de leur union pendant les sept premières années de leur vie commune ; ce qui s’explique sans doute par l’âge de la mariée. A partir de là ils ont eu 7 enfants, dont Marie née en 1691. Mathurin décède en 1707. Françoise se retrouve seule avec encore plusieurs enfants à charge, dont la plus petite n’a pas trois ans. D’où, probablement, les secondes noces.
Maixent, quant à lui, avait épousé Perrine Brosset en 1685, dont il avait eu 6 enfants. L’une n’avait pas vécu, la dernière avait 9 mois quand Perrine est décédée en 1710. Son fils Jacques avait alors 20 ans.

Et on retrouve le même schéma que précédemment : Jacques fréquente Marie, Maixent fréquente Françoise et tout les quatre finissent par aller s’épouser… le même jour tant qu’à faire, en 1711. Maixent et Françoise ne semblent pas avoir eu de descendance (il faut dire qu’ils avaient déjà 49 et 45 ans)… et 12 enfants au total, âgé de 21 à 1 an ; ce qui faisait bien assez à s’occuper.

Donc, ça donne à peu près ceci :

 Arbre simplifié (quoique) des Pasquier, leurs épouses et leurs enfants

Aujourd’hui, jour de noces de Jacques et Mathurin, Maixent et Françoise ne sont plus : ils sont décédés respectivement en 1723 et 1732.

Marie s’approche de moi. Elle ressemble tellement à sa mère qu’on les confondrait presque. Mais je n’ai pas le temps de lui faire signe qu’elle est déjà repartie, entraînée dans une ronde joyeuse. J’aurai aimé lui demander comment sa mère avait rencontré son beau-père – et second époux. Raté !

Maixent était donc le « double beau-père » de feue Marie (Marie Cousseau, vous suivez ?). Ou plutôt il était à la fois son beau-père parce qu’il était le père de son premier époux, Jacques, et parâtre parce qu’il est le second époux de sa mère Françoise. J’aimerai bien savoir comment elle l’appelait : par son prénom ? Mon père ? Beau-père ?

J’aperçois Jeanne et je me demande quel est son véritable prénom. Mais elle est au centre d’une nuée de voisines et d’amies, qui l’engloutissent presque : impossible d’aller lui parler directement et de satisfaire ma curiosité.

La noce touche à sa fin. Au final, je n’ai pu approcher aucun des mariés… Le rendez-vous est quelque peu manqué. Mais j’ai eu toute la soirée pour trier les fils d’une pelote bien emmêlée !


[1] Et un autre curé la prénomme Renée lors de son décès !


jeudi 7 septembre 2017

La médaille mystérieuse

Tout commence par un sms de ma tante : ces deux photos et cette courte phrase « ça t’intéresse ? ».
 

Photo de la médaille mystérieuse et de la rosette © Coll. personnelle

Photo de sa boîte © Coll. personnelle

Quoi ? Un objet ayant appartenu à notre famille ! Je fais un bond sur ma chaise jusqu’à me cogner au plafond ! Bien sûr que ça m’intéresse… mais… heu… c’est quoi, au fait ?
Ma tante m’explique qu’elle a retrouvé cette boîte au fond de l’un de ses tiroirs, par hasard, et s’est dit : « tiens, ça pourrait intéresser Mélanie ». 
Pendant un instant, j’ai espéré que c’était la croix de guerre de mon arrière-grand-père Jean-François Borrat-Michaud, que je suis pas à pas durant la Première Guerre Mondiale (voir le détail de ce projet ici) et que j’aimerais bien voir un jour. 
Mais rapidement je distingue sur ladite médaille une femme tenant un enfant. Je pense donc plutôt à une médaille de la famille. Cependant, n’en ayant jamais vue, je pense tout d’abord que cela ne semble pas trop correspondre à l’inscription sur la boîte « Ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociales ».

Caractéristique de la médaille :
- RUBAN : Largeur de 32 mm. Rouge ponceau avec au centre une raie verticale vert lumière de 11 mm. Rosette, aux couleurs du ruban, traversée verticalement d’une bande verte, pour les médailles d’Argent et d’Or. Le diamètre de la rosette étant respectivement de 18 mm et 27 mm.
- INSIGNE (« ma » médaille fait partie du premier modèle, ensuite modifié en 1985) : Étoiles à huit branches en bronze, argent ou or suivant l’échelon et du module de 36 mm, avec une partie centrale ronde. Gravure de Léon Deschamps (« Léon Deschamps fecit »).
Sur l’avers : l’inscription  FAMILLE  FRANÇAISE  entoure une mère portant son enfant.
Sur le revers : l’inscription  LA  PATRIE  RECONNAISSANTE [1] surmontant un emplacement destiné à la gravure du nom du titulaire, est entourée par la légende  REPUBLIQUE FRANÇAISE et MINISTERE DE L’HYGIENE.

Je lance une bouteille à la mer Twitter pour essayer d’en savoir plus. La bouteille est vite trouvée et j’ai plusieurs pistes à explorer :
- envoyé par @ValdyLyly, sur le site france-phaleristique.com je retrouve le visuel de ma médaille, signalée "médaille de la famille française". Ma première intuition était bonne.
- envoyé par @gazetteancetres, des infos sur les médaille de la famille française via Wikipedia. Il n’y a pas d’illustration, mais des informations complémentaires au premier site, notamment sur l’historique de ces médailles, les conditions d’obtention et les bénéficiaires potentiels. Or la médaille d’argent dont je viens d’hériter est attribuée aux familles ayant 6 ou 7 enfants (cf. plus bas) : elle n’a donc pas pu être attribuée à ma grand-mère Borrat-Michaud qui n’en n’a eu que 5.
- @guepier92 me conseille d’aller faire un tour sur Gallica : il y a retrouvé son arrière-grand-mère médaillée de bronze.

Les bénéficiaires :
La médaille de la famille est une décoration créée par décret du 26 mai 1920 sous le nom de « médaille d’honneur de la famille française », pour honorer les mères françaises ayant élevé dignement plusieurs enfants. Ces médailles de la famille comportent trois échelons selon les nombre d’enfants élevés (bronze : quatre ou cinq enfants élevés ; argent : six ou sept enfants élevés ; or : huit enfants élevés et plus).
Il existe différentes catégories de personnes concernées :
- Celles qui élèvent ou ont élevé dignement de nombreux enfants ;
- Les personnes élevant ou ayant élevé pendant au moins deux ans un ou plusieurs orphelins de leur famille,
- Les veufs de guerre élevant ou ayant élevé au moins trois enfants,
- Les personnes qui ont rendu des services exceptionnels dans le domaine de la famille (responsables d’associations familiales par exemple).
- Etc...
A noter : La médaille peut être décernée à titre posthume si la proposition est faite dans les deux ans du décès de la mère ou du père. La médaille de bronze est attribuée aux veuves de guerre qui, ayant au décès de leur mari trois enfants, les ont élevés seules.
L’attribution peut se faire au profit de l'un ou l'autre des parents,  ou bien encore des deux parents ensemble s'ils en ont fait la demande.
Depuis le texte initial de 1920, ces médailles ont connu de nombreuses modifications : formes, noms, bénéficiaires, etc…

Le Ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociale :
C’est l’ancêtre du Ministère de la Santé. L'Assistance et de l'Hygiène publique dépendait tout d’abord du Ministère de l’intérieur et la Prévoyance sociale était rattachée à celui du Travail. Le ministère de la Santé publique est créé en 1930, réunissant ces deux branches. Par la suite il va connaître différentes évolutions d’attribution et de nom (on lui rattache ou lui enlève successivement, la Famille, l’Éducation Sportive, les Affaires sociales, etc…).
Au cours de son histoire, le Ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociale a décerné plusieurs types de décorations :
- la médaille de l’hygiène (destinée à récompenser les personnes bénévoles, ainsi que les personnels des hôpitaux, hospices, dispensaires et sanatoriums),
- la médaille de la prévoyance sociale (récompensant les services désintéressés rendus à la prévoyance sociale par les personnels des commissions et des conseils d’administration ou de direction des œuvres de prévoyance sociale)
- ainsi, entre autres, que la fameuse médaille de la famille française. Créée au lendemain de la Première Guerre Mondiale, elle visait à souligner le rôle joué par les femmes pendant le conflit, alors que les hommes étaient mobilisés : « La République doit témoigner d'une manière éclatante de sa gratitude et de son respect envers celles qui contribuent le plus largement à maintenir par leur descendance, le génie et la civilisation, l'influence et le rayonnement de la France » (selon le Ministre créateur de ladite récompense). Les candidatures et propositions se font à la mairie du lieu de résidence. Le dossier doit y être accompagné de diverses pièces administratives (notamment des extraits d’actes civils). Le maire de la commune doit porter un avis sur le formulaire de demande ; tout avis autre que favorable ne peut être pris en compte. Le dossier passe ensuite en commission et, s’il y a lieu, la médaille est attribuée par le Préfet.

Le Journal Officiel
Chaque bénéficiaire fait l’objet d’une publication dans le Journal Officiel. C’est ici que j’ai une chance de débusquer laquelle de mes ancêtres s’est vue attribuer la fameuse médaille. Ce JO est numérisé sur site de la Bibliothèque Nationale de France, Gallica. Or, si le site Gallica est merveilleux et contient des richesses insondables, son moteur de recherche est, hélas, insondable lui aussi. Ainsi, après plusieurs tentatives de recherches sur différents mots-clés, j’ai abandonné devant le résultat obtenu : 943 pages trouvées ! J'avoue ne pas avoir eu le courage de toutes les compulser...
Abandon par KO : je ne sais toujours pas à qui a été attribuée cette médaille.

Enfin la médaille…
Après plusieurs jours, la médaille arrive enfin entre mes mains. Je suis surprise par la petite taille de la boîte, notamment (9,3 x 4 cm). Cette boîte qui a vécu, c’est indéniable : elle est usée, mais l’écriture sur le couvercle reste lisible.
A l’intérieur la médaille, l’épingle pour l’attacher et la rosette assortie.

Mais un détail m’intrigue : à l’emplacement du nom de la bénéficiaire, il n’y a qu’un emplacement vide. Donc de deux choses l’une : ou cette médaille a été attribuée mais le nom de sa bénéficiaire n’a pas été gravé ou cette médaille n’a, en fait, jamais été décernée officiellement. Comme je ne sais pas quand et comment elle est arrivée dans ma famille, il m’est difficile de déterminer laquelle de ces affirmations est correcte.
Mais un jour peut-être…
 

Ma tante pense que la médaille lui vient de feue sa mère; mais comment celle-ci l'a eue, cela reste mystérieux ! De toute évidence, ce n'est pas grand-mère qui en a été bénéficiaire, puisqu'elle n'a eu que 5 enfants.

Alors, d’où lui vient-elle ?
- Ses parents à elle, le couple Gabard/Roy, n’ont que 4 enfants.
- Ses grands-parents paternels, le couple Gabard/Benetreau, ont eu 9, de 1893 à 1912; soit avant la première attribution de ces médailles, à partir de 1920 [2].
- Ses grands-parents maternels, les Roy/Bregeon n’ont eu que 5 enfants. Encore trop court !

Mon grand-père, son mari, était fils unique. La médaille n’était donc pas pour sa mère !
- Ses grands-parents paternels, les Borrat-Michaud/Jay, ont bien eu 6 enfants, mais 5 nés hors mariage (pour une médaille de la famille, c’est pas super super…) dont trois décédés avant l’âge d’un mois.
- Chez ses grands-parents maternels, les Macréau/Le Floch, je compte 8 enfants (au moment où  je rédige la première version de cet article, en 2017) : ce serait, en l’état de mes recherches, des candidats sérieux.
 
Sans preuve cependant, l'histoire s'arrête ici... Je n'ai pas résolu mon énigme : à qui a été attribuée cette médaille de la famille ?
 
___
 

Edit 2023 :

Les archives de Seine et Marne viennent de mettre en ligne plusieurs titres de presse ancienne : je fais donc une recherche avec le patronyme des mes AAGP, les Macréau. Et là, surprise ! Le premier résultat qui sort est la mention de la médaille de la famille attribuée à Ursule Le Floch, épouse Macréau !

Le Briard, édition du 20 mai 1924 © AD77

Pas de doute possible ! Même si je journaliste s'est trompé de prénom (lui attribuant, chose curieuse, celui de sa sœur jumelle Marie Rose qui vit en Bretagne), c'est bien du couple Macréau/Le Floch que provient cette fameuse médaille. 
 
Mais si l'énigme est enfin résolue, la surprise est de taille : car en continuant mes recherches dans la presse ancienne je découvre deux avis de naissance, portant la fratrie à 10 enfants et non 8 comme je le pensais alors ! L'une de ces enfants n'a pas vécu mais l'autre oui : Jeanne Louise, née en 1913, est décédée en  2002. J'en avais même une photo, dite par erreur à "Jeanne, cousine d'André" (c'était la tante de mon grand-père et non sa cousine). Cette enfant m'avais échappée, en particulier parce qu'elle n’apparaissait pas dans les recensements familiaux. Après quelques recherches je me suis aperçue qu'elle avait été élevée par une autre sœur d'Ursule, Marie Joseph Le Floch, épouse Chauvoix; que je peux suivre en Ile et Vilaine en 1921 et dans le berceau familial de Loudéac (Côtes d'Armor), en 1931.

Du coup, avec une date plus précise, je retourne sur Gallica : mon aïeule figure bien au Journal Officiel, édition du 15 mai 1924 (avec la même erreur de prénom).
 
 

Et voici comment, plusieurs années après l'enquête initiale, j'ai enfin résolu l'énigme de la médaille mystérieuse !




[1] Dans la version actuelle la « patrie reconnaissante » a été remplacée par « République française ».
[2] Décret officiel de création sur Gallica


Sources : Wikipedia, france-phaleristique.com, Gallica