« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

jeudi 31 mai 2018

#Centenaire1418 pas à pas : mai 1918

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois de mai 1918 sont réunis ici.

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 

1er mai
Instruction par compagnie. Tir.

2 mai
Exercice de nuit.

3 mai
Instruction par compagnie.

4 mai
La 47e DI se déploie par voie de terre vers le Nord. Le bataillon fait étape sur Halloy. Départ à 7h. Itinéraire : Rubempré, Puchevillers, Beauquesne (Somme), Halloy (Pas-de-Calais).

Carte Villers-Halloy

5 mai
Étape sur Neuville-au-Cornet (près de Saint Pol). Départ 7h. Itinéraire : Lucheux, Ivergny, Beaudricourt, Estrée-Wamin (grand halte), Houvin, Moncheaux, Buneville, Neuville.

Carte Halloy-Neuville

6 mai
Travaux de propreté, installation au cantonnement.

7 mai
On a du mal à distinguer les soldats des civils, le front de l’arrière : c’est devenu une guerre totale. [1]

8 mai
Ordre de bataillon n°196 (cassation).

9 mai
Séjour à Neuville au Cornet. Instruction.

10 mai
La guerre n’a pas seulement détruit les maisons, les villes et les vies : elle a détruit les rêves, la foi et l’espoir. [1]

11 mai
Poursuite de l’instruction.

12 mai
Nous sommes toujours au cantonnement de Neuville au Cornet.

Neuville au Cornet © Geoportail

13 mai
Revue passée par le Général de Division en présence de deux Généraux canadiens.

14 mai
Préparatifs de départ. 32 gradés et chasseurs viennent grossir nos rangs.

15 mai
Le bataillon embarque en camion à 7h30 à Buneville (près de Neuville au Cornet) ; débarque à Bout de la Ville (près Fauquembergues, Pas de Calais) à 11h35. Nous cantonnons en différents mieux autour de Fauquembergues (St Martin, Bout de la Ville, Villametz).

Carte Neuville-Fauquembergues

16 mai
Les équipages, partis par voie de terre hier, nous rejoignent. Installation dans les nouveaux cantonnements.

17 mai
L’adjudant Verollet est inscrit au tableau spécial de la médaille militaire.

18 mai
Instruction par compagnie. Tir.

19 mai
Exercice de cadres de division.

20 mai
Exercice de cadres de groupe.

21 mai
Instruction par compagnie. Tir.

22 mai
Instruction par compagnie. Tir.

23 mai
Aucune note pour ce jour.

24 mai
Le sous-lieutenant Viallet est nommé au grade de lieutenant.

25 mai
Instruction par compagnie ; service en campagne et tir.

26 mai
Les exercices d’instruction par compagnie vont se poursuivre toute la semaine.

27 mai
Instruction par compagnie ; service en campagne et tir.

Soldats avec une mitraillette, 1917 © Gallica

28 mai
Instruction par compagnie ; service en campagne et tir.

29 mai
Instruction par compagnie ; service en campagne et tir.

30 mai
Instruction par compagnie ; service en campagne et tir.

31 mai
Instruction par compagnie ; service en campagne et tir.


[1] Documentaire Arte "14, des armes et des mots"


jeudi 24 mai 2018

#Généathème : Autour de la famille

J'ai choisi la famille Prost, étudiée sur trois générations, à voir et/ou à lire.
Pour ceux qui préfèrent voir, voici une infographie :

Pour les plus curieux, voici le détail à lire :
  • Génération n°1
- les grands-parents sont originaires de Martignat, petite commune de l'Ain dont le bourg se situe à 500 m d'altitude et compte environ 650 habitants. Nés sous l'Ancien Régime, ils se marient en 1798. Ils auront 4 enfants, dont les trois premiers meurent en bas âge. Cultivateurs et propriétaires, ils ne savent pas signer. Cependant, ils ne devaient pas vivre dans l'indigence car ils laissent un héritage relativement important : en effet, même si nous n'avons pas de détail sur leurs possessions, nous savons que le mobilier est évalué à 71 francs et 41 francs pour le revenu des immeubles (soit 112 francs). Marie Françoise meurent en 1832, à 69 ans et François en 1840, à 70 ans.
  • Génération n°2
- les parents : mon ancêtre Jean Marie est donc le seul survivant de sa fratrie. Né le 9 frimaire an XIV, ou le 30 novembre 1805, il fait sa vie à Martignat, comme ses parents. Cependant on le voit d'abord exercer le métier d'aubergiste (1828/1838), avant d'être dit cultivateur (1852/1860), puis enfin, au moment de son décès, rentier. Instruit, on le voit signer plusieurs documents. En 1827, il épouse une fille de cultivateurs de Cerdon, commune située à une vingtaine de kilomètres au sud ouest de Martignat, nommée Marie Moillie. Ils sont alors âgés de 21 ans et sont tous les deux descendants du couple Louis Bondet et Claude Robin (à la 7ème et 8ème génération). Ensemble, ils auront cinq enfants (cf. ci-dessous). Lorsque Marie meurt, en 1882, à 77 ans, elle laisse à ses enfants un patrimoine évalué à 132 francs. Lorsque son époux décède à son tour, l'année suivante (à l'âge de 78 ans), l'héritage a légèrement fondu : il n'est plus que de 125 francs.
  • Génération n°3
- les enfants : Rompant avec la tradition familiale, l'aîné, Auguste, se fait gendarme. Du fait de son métier, il déménage souvent : on le voit dans le Loiret, la Sarthe et le Loir et Cher notamment. On lui connaît deux enfants, mais vu ses nombreux déménagements, d'autres ont pu nous échapper. Il meurt à 60 ans dans le Loir et Cher.
La seconde, Célestine, reste à Martignat. Elle est ouvrière en soie, profession courante dans ces régions de l'Ain, qui peut s'exercer soit en manufacture soit en complément d'une activité agricole plus classique. Elle décède à 21 ans, sans s'être mariée.
Le troisième, Jean Baptiste, naît à Martignat. En 1886 il est dit cultivateur dans cette commune. Il épouse alors une fille de Montréal la Cluse, commune voisine, mais on perd leur trace ensuite. Ils ne semblent pas avoir eu d'enfants dans aucune des deux communes et leurs décès n'ont pas été trouvés d'après les ressources en lignes.
La quatrième, Marie, est aussi ouvrière en soie. Elle fait sa vie à Martignat, où elle se marie en 1864. Elle mettra au monde trois enfants. Son décès n'a pas été trouvé.
La dernière, enfin, Marie Philomène, est la grand-mère de ma grand-mère. J'ai déjà raconté son histoire à propos du "projet Philomène". Cultivatrice, elle est elle aussi restée à Martignat. Instruite, elle signait son nom, même s'il lui arrivait d'intervertir deux lettres de son prénom parfois ! Elle épousa Alphonse Gros dont elle eu trois enfants. Elle mourut en 1928 à l'âge canonique de 85 ans, ce qui fait d'elle l'une des plus âgée de mes ancêtres.


samedi 19 mai 2018

#RDVAncestral : Né post mortem

Le petit groupe marchait tranquillement le long du chemin, les muscles endoloris après une longue journée de travail. Fatigués mais heureux. Je les avais rejoint, mais je me faisais discrète car contrairement à eux je n’avais pas passée une journée harassante aux champs, et je ne voulais attirer sur moi ni regards de jalousie, ni railleries. Au fur et à mesure des sentiers qui quittaient le chemin principal, quelques personnes quittaient le groupe sur un « à demain ! » joyeux afin de regagner leurs propres fermes. Plus on s’éloignait des champs où grossissaient chaque jour le tas de bottes moissonnées, plus le groupe s’étiolait. Je marchais en silence à côté de René, resté un peu en arrière du groupe, perdu dans ses pensées. Je respectais son silence, me faisant encore plus discrète qu’avant, si cela était possible.

Devant nous, la forte carrure de son frère Jaques, plus âgé que René de trois ans. Volubile, il marchait en remuant les bras et en s’esclaffant : il devait raconter une anecdote apprise au cours de la journée par un quelconque voisin. A son côté leur aînée Marguerite, qui avait huit ans de plus que René, marchait d’un pas plus calme, écoutant probablement d’une oreille distraite l’histoire de Jacques, comme elle en avait l’habitude. Devant eux leurs parents, Marguerite et Jean. Enfin, leurs parents : ce n’était pas tout à fait vrai : Jean était le second époux de Marguerite. Leur véritable père c’était Jacques Coeffard. Je savais que René y pensait souvent à ce Jacques ; c’était d’ailleurs la raison de ma présence ici. Sans doute parce qu’il ne l’avait pas connu. Jean était un bon mari, il s’occupait bien de René et de toute la famille. Mais ce n’était pas son père. Pas vraiment. De son véritable père, on n'en parlait jamais à la maison. De plus, les faibles indices qu'il avait appris au sujet des circonstances de sa naissance peu ordinaire et entourée de mystères le troublaient et il y pensait souvent. Comme ce soir sur ce sentier.

Ayant atteint la ferme, chacun se mit aux tâches qui lui étaient dévolues : s’occuper des poules, arracher les légumes du potager pour la soupe du soir, affûter les couteaux… Près du feu, je regardais Marguerite qui observait son fils depuis un moment. Je crois que j’étais arrivée au bon moment. Souvent elle avait remarqué que René avait tendance à s’enfermer dans le silence, comme en retrait. Rien à voir avec l’exubérance de Jacques. Mais c’était de plus en plus fréquent ces temps-ci. Après le repas, alors que chacun s’apprêtait à aller se coucher, Marguerite retint René.
- Que se passe-t-il mon fils ?
- Rien, maman.
- Reste un peu avec moi une minute.
Je ne savais que faire : devais-je m’en aller moi aussi ? Marguerite, voyant mon hésitation, m’assura que je pouvais rester également. Ouf ! Car je pressentais que ce moment était important.
- A quoi penses-tu ?
René garda le silence un instant. Hésitant. Il ne voulait pas faire de mal à sa mère, remuer des souvenirs douloureux. Mais il voulait savoir. Devinant ses pensées, je retenais mon souffle, de peur que le moindre geste fasse reculer René. Enfin il prit la parole.
- Je sais que Jean n’est pas mon vrai père, même s’il a toujours été très bon avec moi, mais je voudrais savoir…
Il ne termina pas sa phrase. Peut-être lui-même ne savait-il pas vraiment ce qu’il voulait savoir !
Mais sa mère vint à son secours :
- Tu veux en connaître un peu plus sur les circonstances de ta naissance et la disparition de ton véritable père, Jacques ?
- Oui, c’est ça, avoua René dans un souffle, les yeux au sol.


Ombre © mystere-poetique.skynetblogs.be

Marguerite eut un sourire pour son fils. Elle ne prit pas la parole tout de suite. Se replongeant dans ses souvenirs. Enfin, elle commença son récit :

- Je me rappelle un jour, c’était la fin de l’été. Je te regardais dans ton berceau, un pauvre sourire sur les lèvres. Tu n’étais qu’un bébé qui s’endormait doucement, les poings serrés. Repus, car tu venais de finir de manger, tu poussais de temps en temps des soupirs de satisfaction, tout en t’abandonnant au sommeil.

Dire que cet enfant aurait dû faire ma joie, pensais-je alors. Promesse d’un futur qui ne sera jamais sans doute. Rappel d’un passé douloureux sûrement.

Je me disais : « Oh ! Jacques ! Pourquoi m’as-tu quitté si vite ? Tu n’as même pas su que j’attendais un autre fils. Je m’apprêtais à te l’annoncer le jour où… ».

Le cœur serré, Marguerite nous raconta ce triste soir où mon père s’est tenu sur le pas de la porte, tournicotant son chapeau entre ses mains, n’osant franchir le seuil de la maison.
Toute à ma joie de la bonne nouvelle à annoncer, je ne remarquais pas immédiatement la figure ravagée de mon père. Ni le fait qu’il était seul. Et puis tout d’un coup je compris, sans qu’une parole ne fût échangée. Ce qui s’est passé ensuite reste flou dans ma mémoire. Le retour du corps de Jacques dans une charrette à bras tirée par des voisins, les funérailles lors d’un jour froid de février de 1724 dans le cimetière de Saint Hilaire de Mortagne, et puis ce ventre qui ne cessait de prendre de l’ampleur, gonflé de vie. La vie qui avait été retirée à celui qui était à ses côtés pour la protéger, veiller sur elle et leurs enfants. Durant toute leur existence. C’était ce qu’ils s’étaient promis. Mais cela ne sera pas.

Et puis le bébé était arrivé. Tu es arrivé. Et jamais je ne m’étais sentie plus seule.

René se crispa, mais Marguerite l’apaisa d’un regard et reprit le cours de son histoire :

Au début, les deux aînés avaient eu de la curiosité pour le nourrisson. Puis rapidement ils s’en étaient détournés. Je les soupçonnais un peu de ne le guère porter dans leurs cœurs, ce petit frère qui réclamait toute l’attention de leur mère. J’avais même surpris une fois un coup de pied en douce dans le baquet qui te servait de berceau. Mais comment leur en vouloir, alors que moi-même je n’étais pas loin d’éprouver les mêmes sentiments ! J’en avais honte : comment en vouloir à ce petit être innocent ? Mais je ne pouvais réfréner ses sentiments.

Deux mois après le décès de mon époux, c’était mon père qui partait à son tour. Ma mère étant décédée depuis une demi douzaine d’années, voici que j’étais devenue orpheline.
Comme je me sentais seule : mes parents  disparus, mon époux, mes beaux-parents. Il ne restait que moi, mes deux aînés de 8 et 3 ans et ce petit braillard qui ne cessait de réclamer sa pitance si fort et si souvent que  les voisins eux-mêmes ne devait plus le supporter ! Dans mon souvenir mes deux aînés n’avaient pas été aussi bruyants. Mais peut-être avais-je oublié… Ces cris étaient un rappel incessant de l’absence cruelle de mon époux.

L’inquiétude me gagnait : je ne pourrais sûrement pas rester à La Métairie maintenant que Jacques n’était plus là pour travailler la terre. Où irais-je avec mes trois petits ?

Enfin je sortis de ma torpeur :
« Allez ! Secoue-toi ma fille ! La besogne ne va pas se faire toute seule. »
Profitant du sommeil de René et du bref répit qu’il me procurait, je me concentrais sur mes tâches quotidiennes. Fataliste, je savais que je me remarierais. Sans doute rapidement car il fallait bien nourrir ces petites bouches affamées (et la mienne !). Alors la vie reprendrait son cours, comme si rien ne s’était passé. Je verrais mes enfants grandir, se marier et me donner des petits-enfants à leurs tours. Je me sentirais alors sûrement bien entourée et beaucoup moins seule.

Mais pour l’instant je ne voulais pas y penser. Ces dix années de mariage avec Jacques avaient été un tel bonheur, même si la vie n’était pas facile tous les jours, je ne voulais pas effacer cela d’un trait de plume. Je souhaitais garder encore ces heureux souvenirs pour moi seule. Encore un peu.

Jetant un œil au bébé endormi, je me fis ce jour-là le serment de l’aimer de tout mon cœur. Comme les deux autres. Comme si Jacques avait été encore là…

Le silence se fit sur cet aveu. Le visage de René était indéchiffrable.  Il se leva pour regagner son lit. Un instant il se retourna et ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose. Mais finalement il la referma et partit se coucher.

Marguerite semblais triste de cet aveu. Je lui posais une main sur le bras pour la réconforte :
- Ne vous inquiétez pas : il vaut mieux savoir. Même si c’est parfois un peu difficile à entendre. Il vaut toujours mieux savoir…


samedi 5 mai 2018

Comment trouver des parents...

... quand il n'y a plus de registre et qu'on porte un nom fort commun.
Au début il y a la mère.


Elle se nomme Charrier, patronyme ayant de nombreux homonymes dans ce coin des Deux-Sèvres vendéennes. Et elle porte un prénom, disons... assez connu : Marie !
Je ne connais pas ses parents : registres perdus, pas d'acte de mariage, déménagements à répétition (un coup en Vendée, un coup dans les Deux-Sèvres), acte de décès non filiatif. Mais sont époux est connu grâce aux générations suivantes. Notamment par le mariage de sa fille, mon ancêtre directe.


Longtemps je me suis arrêtée là, faute de sources disponibles.
Et puis à la fin de l'année dernière, j'ai reçu son contrat de mariage (ça, c'est signé @RayDeborde, encore une fois, ;-) qui a encore été travailler pour moi - merci à lui... encore).
Lecture en travers : je vois cité René, le frère de la mère - encore un prénom original : on cumule dans la famille.


J'ai bien essayé de chercher René Charrier (dans les deux départements) mais il y a trop d'homonymes pour un résultat probant. Nouveau coup d'arrêt dans mes recherches.

Et puis lors d'une semaine ordinaire, une alerte de Geneanet : des nouvelles de Marie Charrier sont publiées, avec ses parents ! Chouette me direz-vous. Ben, pas vraiment : l'arbre n'est pas assez détaillé, les actes non filiatifs pour être sûr que les parents soient bien les parents. De plus, il y a 11 ans de décalage entre l'âge (estimatif) donné par l'acte de décès de Marie et celui donné dans l'arbre en ligne. Ce n'est pas rédhibitoire, mais disons que ça ne va pas dans le bon sens.
J'élargis mes recherches grâce à l'option correspondances  : 5 couples correspondent avec ma Marie, mais les parents varient d'un arbre à l'autre ! Certains donnent bien un frère René, mais...
Trop d'homonymes, je vous dis.


Je relis alors le contrat de mariage et je vois parmi les témoins la tante maternelle, veuve de René. Je l'avais bien notée, mais sans comprendre l'importance.


Je retourne sur Geneanet avec ce couple : 4 résultats, aux informations très variables : noms juste cités, mention du décès de René sans lieu ou avec un lieu (mais pas le bon département) pour un autre. Je vais voir l'acte de décès à tout hasard. Il est filiatif : chouette ! Mais bon, son épouse n'est pas mentionnée. Nouveau doute. Elle est bien dite veuve l'année suivante (dans le contrat de mariage), mais quand même. Nouveau doute.

Certains arbres donnent un fils, d'autre une fille. Je vais voir le fils dont l'acte de mariage est mentionné (1825). Et cet acte est très détaillé et confirme le décès (douteux) de René cité plus haut.

Donc ce René est bien le frère de "ma" Marie. Et je connais enfin leurs parents, cités dans l'acte de décès de René. Et voici comment j'ai trouvé Honoré et Marie.


Et vous savez quoi ? Ce n'est aucun des parents cités dans les 5 arbres publiés sur Geneanet !

Ce "nouveau couple" est d'ailleurs inconnu sur Geneanet, ce qui s'explique sans doute à cause de la disparition des registres qui les ont fait entrer dans les oublis de l'histoire...



lundi 30 avril 2018

#Centenaire1418 pas à pas : avril 1918

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois d’avril 1918 sont réunis ici.

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas forcément directement Jean François.

Les éléments détaillant son activité au front sont tirés des Journaux des Marches et Opérations qui détaillent le quotidien des troupes, trouvés sur le site Mémoire des hommes.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 

1er avril
Le médecin me l’a confirmé : je vais bientôt être renvoyé au front.

2 avril
Des visions me reviennent : les horreurs dont j’ai été témoins, les souffrances endurées, les tranchées, la pluie, la boue, le froid, le vacarme infernal des bombardements, les camarades qui tombent…

3 avril
Les infirmières de nuit tentent de calmer les angoisses des nuits interminables, les cris des blessés traumatisés. Ici on les appelle « le Bon Dieu ambulant » ! [1]

4 avril
Je vais bientôt quitter la salle commune. Je pense à ces gars qui sont dans la salle des grands blessés. Les infirmières en parlent avec respect et crainte. Quel sera l’avenir pour eux qui n’ont plus de bras, de jambe ou de visage… ?

5 avril
J’ai survécu à la bronchite ! Le départ est pour demain.

6 avril
Je remonte en première ligne. Je croise une file de blessés qui en reviennent. Ceux qui le peuvent marchent en se soutenant les uns les autres, les plus atteints sont brinquebalés dans des charrettes ou des civières improvisées. Je vois qu’en un mois rien n’a changé finalement…

7 avril
Je fais connaissance avec les gars de la 10ème, ma nouvelle compagnie. Ils pataugent dans la boue car l’eau a envahi tranchées et abris. Mais dès ce soir nous partons relever une division italienne. Relève de 18 à 22h, sans incident.

8 avril
Bref cantonnement à Campo Romignolo puis nous repartons dans la soirée à Préara, par les camions italiens.

9 avril
Préparatifs de départ. Nous devrons embarquer le 11 à la gare de Villaverla. Deux trains et demi y seront mis à notre disposition.

Carte Bertigo-Villaverla

10 avril
Ordre du jour de la 6e armée italienne : «  Dans quelques jours où la 47e Division Française s’est trouvé en ligne sur le front de la 6e armée, elle s’est signalée en prodiguant sans cesse son activité et sa valeur. Au moment où cette belle Division quitte la 6e armée je lui exprime toute mon admiration et toute ma reconnaissance. Je lui souhaite aussi au nom des camarades de la 6e armée italienne, gloire et honneur impérissables dans les luttes nouvelles qui l’attendent dans sa patrie. » Général Lucas Montuori

11 avril
Nous rentrons en France ! Préparatifs de départs.

12 avril
Embarquement dans plusieurs trains à Villaverla.

13 avril
Voyage en chemin de fer par Vicence, Novare, Milan, Turin, Modane, Chambéry, Bourg, Dijon, Montereau, Pontoise, Serqueux.

Carte Vicense-Serqueux

14 avril
Le train est passé à Chambéry, si près de mon pays ! Hélas pour moi je n’ai pas pu m’y arrêter. Quel dommage... Adieu l’Italie. Jamais je n’oublierai les combats du Monte Tomba, de la vallée de la Piave et tous les camarades qui sont tombés sur ces terres.

15 avril
Certains débarquent dans l’Oise (Fouilloy, Abancourt), d’autres dans la Somme (Formerie).

16 avril
Nous nous retrouvons tous au cantonnement de Meigneux au Nord-Ouest de Sainte Segrée. Nous voilà de retour dans la Somme !

17 avril
Étape par voie de terre de Meigneux à Courcelles sous Moyencourt (Somme). Départ à 7h20. Itinéraire : Poix, Croixrault. Arrivée au cantonnement à 12h.

Carte Meigneux-Courcelles

18 avril
Conférence du Général de Division.

19 avril
Distribution des nouveaux masques.

20 avril
Étape par voie de terre de Courcelles à Guignemicourt. Départ à 6h15. Itinéraire : Quevauvillers, Clairy. Arrivée au cantonnement à 12h. On marche sous une pluie fine, sur une route défoncée par les convois. [2]

Carte Courcelles-Guignemicourt

21 avril
Repos. Conférence aux cadres sur l’emploi tactique des chars d’assaut.

22 avril
Travaux de réfection des routes. Instruction par compagnie. Conférence aux cadres sur l’hypérite (sic). On dirait une autre guerre : masques à gaz, chars d’assaut… : que de changements depuis le début du conflit.

23 avril
Le bataillon fait mouvement par voie de terre sur Villers-Bocage où nous cantonnons. Départ à 12h15. Itinéraire : Renancourt, Longpré lès Amiens, Poulainville. Arrivée à 19h30. L’Etat-Major du Corps Australien cantonne dans le même village.

Carte Guignemicourt-Villers

24 avril
Repos. Installation au cantonnement. Travaux de propreté.

25 avril
Instruction par compagnie. M. de Fabry-Fabregues est le Commandant en chef du bataillon. Le lieutenant Barthe commande notre compagnie. Le bataillon est composé de 1234 soldats, les officiers et 263 chevaux.

26 avril
Instruction par compagnie.

27 avril
Instruction par compagnie.

28 avril
Repos.

29 avril
Instruction par compagnie. Ici il n’y a plus rien. Plus de nature. Plus de vivants. [3]

Somme, 1916 © Gallica

30 avril
Instruction par compagnie.


[1] Inspiré de Souvenirs d’une infirmière de Julie Crémieux
[2] Inspiré de « Ils rêvaient des dimanches » de Ch. Signol
[3] Document LPC « 14-18 le sport à l’épreuve du feu »



samedi 21 avril 2018

#RDVAncestral : Décédés d'amour

En ce 14 mars 1713, il y a du monde chez Gabriel Raoult à Mauperthuis (Seine et Marne). Son épouse, Jeanne Maillard, vient d’être enterrée, le 7 du mois. Quelques jours ont passé. Ces quelques jours pour éprouver le premier chagrin, le vide de la séparation, le lit froid qu’on retrouve soudain le soir, seul.
Mais en arrivant près de la maison ce jour-là, je fus fort étonnée de voir toute une assemblée en grand deuil. Sans doute feue Jeanne Maillard était elle estimée, mais tout ce monde encore présent une semaine après ses funérailles… Étrange.

Ils sont tous là : les amis, les voisins, bien sûr, mais aussi les enfants, leurs conjoint(e)s, les petits-enfants, venus des villes et villages voisins où ils demeurent aujourd’hui - Guérard, Faremoutiers, Saints, Saint-Augustin… Il n’en manque qu’un. Gabriel lui-même.

Et pour cause : toutes ces personnes ne sont pas là pour Jeanne, mais bien pour Gabriel. Gabriel qui a suivi de près sa défunte épouse dans l’autre monde. Sept jours. Seulement sept jours séparent les deux décès.
Qu'est-il arrivé ? 

Je me glisse dans la file d’amis et de proches qui offrent leurs condoléances aux récents orphelins. Bien sûr, ils sont grands maintenant (entre 30 et 45 ans). Mais perdre ses deux parents dans un laps de temps aussi proche, c’est une épreuve tout de même.
Je m’approche de Jeanne, leur fille (mon ancêtre directe à la XIème génération) et son époux Jacques. Je tente d’en savoir plus :
- Que s’est-il passé ?
Jeanne est trop émue pour me répondre. C’est Jacques qui tente de m’expliquer :
- Bien sûr, il y a l’âge : ils n’étaient plus tous jeunes tous les deux (environ 70 ans). Il y a aussi peut-être des raisons « extérieures » : on a passé des années difficiles autour de 1709 et du « grand hyver » qui ont durement éprouvés les organismes. Ma belle-mère ne s’était jamais remise d’avoir perdue une petite fille âgée de quatre mois, même si ça peut paraître chose courante : il y en a certains pour qui c’est plus difficile que d’autres. Ça semblait s’être accentué ces dernières années : elle en parlait souvent de cette enfant qui n’avait pas vécu, surtout avec l’arrivée de la nouvelle génération. Les blessures du passé ont été ravivées. Et Gabriel se sentait honteux ne n’avoir rien pu faire : ni pour sauver la petite, ni pour soulager la douleur de son épouse. Cette tristesse-là, elle est restée à jamais dans leurs deux cœurs.
-  Mais deux décès si rapprochés, c’est peu commun tout de même.
Je demande s’il y a une épidémie particulière qui sévit dans cette région. Jacques me réponds que non : on ne meurt pas plus que d’habitude en ce moment au pays. Plus tard, un coup d’œil aux registres paroissiaux me confirmera ses dires.
- C’est le hasard, ajoute Jacques, fataliste.
Il regarde son épouse : c’est à son tour de s’inquiéter pour quelqu’un d’autre maintenant. D’autant que son épouse n’a pas perdu un nourrisson, mais trois, dont une fille mort-née ! La mélancolie va-t-elle à son tour déployer ses griffes autour de la femme qu’il aime tout particulièrement ?

Essuyant une larme, Jeanne affirme dans un souffle :
- Ils sont décédés d’amour.
- « Décédés d’amour » ?  Qu’entends-tu par là ?
- Ma mère était le pilier de cette maison, surtout depuis que nous, les enfants, avions quitté la ferme les uns après les autres. Le départ des deux derniers, Anne et Antoine, il y a quelques mois seulement a laissé un grand vide. Sans elle, mon père ne voulait pas vivre. Il ne pouvait pas vivre.


Couple gisant © lamemoirenecropolitaine.fr

Jacques entoure les épaules de son épouse d’un bras consolateur. Ils s’éloignent : d’autres que moi réclament leur attention.

L’un ne pouvant survivre à l’autre ? Était-ce cela qui avait provoqué la mort de Gabriel si peu de temps après le décès de son épouse ? Nous ne le saurons sans doute jamais, mais peut-être que Jeanne avait raison...


__________

Dans ma généalogie je compte 12 autres couples décédés avec un intervalle particulier :
- 3 jours pour BOUGARD André et VIAU Françoise, en 1631 à Pellouaille les Vignes (Maine et Loire) 
- 4 jours pour CAILLAUD Pierre et BOURDET Marie, en 1759 à La Verrie (Vendée)
- 5 jours pour ASSUMEL Jean-Baptiste et GUILLERMET Louise Marie, en 1740 à Lalleyriat (Ain)
- 9 jours pour BOUGUIÉ Pierre et FELON Catherine, en 1699 à Corzé (Maine et Loire)
- 10 jours pour MERCERON Jean et HAMARD Jeanne, en 1643 à Villeveque (Maine et Loire)
- 3 semaines pour HAQUETTE Toussaint et VALLET Reine,  en 1707 à La Chapelle s/Crécy (Seine et Marne)
- 1 mois pour POCHET Abel et JUDAS Margueritte, en 1711 à Guerard (Seine et Marne), BANIDE Jean et BESOMBES Jeanne, en 1747 à Florentin la Capelle (Aveyron) et COCHET Claude Joseph Bertrand et HUGON Jeanne-Marie, en 1840 à Martignat (Ain)
- 2 mois pour ROUAULT Nicolas et BIESLIN Françoise, en 1794 à Villeveque (Maine et Loire)
- 4 mois pour MOCCAND Gaspard et Xxx Michelle, en 1643 à Sixt Fer à Cheval (Haute-Savoie)
- 7 mois pour LE GOFF Olivier et ETIENNE Marie, en 1817 à St Caradec (Côtes d’Armor)
- Et pour l’anecdote : GROS Alphonse Elie Frédéric et PROST Marie-Philomène sont décédés tous les deux un 14 septembre mais à 30 ans d’intervalle (1898 et 1928) !

Hormis pour le premier couple, où une épidémie est certainement la raison de ces décès très rapprochés car trois de leurs enfants meurent en même temps qu’eux et que la peste règne en Anjou à cette époque, rien n’indique dans les actes de décès pourquoi les deux époux se sont suivis dans la tombe de façon (plus ou moins) rapprochée.