« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 17 novembre 2018

#ChallengeAZ : O comme ordres

Lien vers la présentation du ChallengeAZ 2018
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Après avoir suivi pas à pas mon arrière-grand-père pendant toute la guerre, après avoir compulsé tous ces documents donnant un aperçu de ce que cela pouvait être (et un sans doute un faible aperçu), je me pose souvent la question suivante : comment ces hommes pouvaient-ils obéir aux ordres 

Lorsqu’on est monté une fois au front, baïonnette au canon, traversant le no man’s land dans un déluge de feu, de flamme, de terre, sous le vacarme des bombardements, les corps déchiquetés des camarades, pour des charges totalement inutiles ; comment pouvaient-in y retourner ?

Bien sûr il y a la hiérarchie militaire : les ordres sont les ordres. Mais quelques mois auparavant ces hommes, à peine sortis de l’enfance pour certains, n’étaient que de simple paysans, artisans ou ouvriers. Ce n’étaient pas des militaires de carrière. Et s’ils croyaient à la défense de la Patrie lorsqu’ils ont été appelés, qu’en était-il au bout de quatre ans de tueries où chaque mètre carré de terrain pris un jour tombait le lendemain, au prix d’une terrible boucherie ?

Sous les drapeaux, toute désobéissance est soumise au code de justice militaire. Celui-ci, daté de 1857 (et amendé en 1875) définit les délits et peines encourus. La justice militaire est alors indépendante de la justice civile. La procédure des conseils de guerre est simplifiée par rapport à ceux tenus en temps de paix : seulement cinq juges et les accusés peuvent être traduits devant les conseils de guerre dans un délai de vingt-quatre heures et sans instruction préalable. 

Mais la nature particulière du conflit entraîne toutefois rapidement un durcissement des modalités d’action de la justice militaire : les sentences de mort peuvent être appliquées sans attendre l’avis du Président de la République, puis des conseils de guerre spéciaux à trois juges sont institués pour juger, suivant une procédure simplifiée et sans possibilité de recours, les auteurs de crimes pris en flagrant délit.


Conseil de guerre © guerre1418.org

Es-ce que les voix pacifistes, comme celle de Romain Rolland dénonçant l'absurdité de toutes les guerre qui emporte la jeunesse (dans le texte "Au-dessus de la mêlée"), ont eu un écho jusque dans les tranchées ? L'exceptionnelle trêve de Noël 1914 n'aura pas de seconde chance. D'autant plus que le choix est terrible : se mutiner, refuser de retourner se faire massacrer aux tranchées, c'est laisser les Allemands avancer et prendre le pays. Par ailleurs, à une époque où parler de paix était synonyme de défaitisme et de trahison, ne pas obéir aux ordres c'est la mort.

Pourtant certains soldats se sont quand même rebellés. Mais ils ont été fusillés pour l’exemple aussitôt ; de peur que la rébellion se propage sans doute. Mais l’exemple a-t-il servi ? Jean-François a été témoin, au cours de sa première année de combat, d’un événement de ce type : le soldat Marsaleix, ayant abandonné son poste le 21 octobre 1915 au matin, une compagnie s’est lancée à ses trousses, le soupçonnant de vouloir passer à l’ennemi. Était-ce véritablement son intention ? Surpris par une des sentinelles du bataillon, il l’a tuée à bout portant de deux coups de fusil. Réflexe ? Peur ? Intention de donner la mort ? Finalement pris en fin d’après-midi un conseil de guerre se réuni à 23h et le condamne à mort : il est exécuté à 7h30 le lendemain matin. Ayant devancé l’appel, il n’avait pas encore fêté ses 19 ans. Sans doute était-il simplement terrorisé. 


Extrait dossier et fiche du soldat Marsaleix © Mémoire des Hommes

Sans parler d’acte aussi terribles, j’ai « vu » mon arrière-grand-père faire de longues marches, voire des déplacements motorisés de plus d’une centaine de kilomètres, être au repos deux jours et revenir à son point de départ. Quel est le but de ce type d’ordre ? Bien sûr il me manque sans doute des éléments pour comprendre de telles décisions, mais quel est l’intérêt ?

Et je ne parle pas de ceux qui étaient rétifs à tout ordre ou discipline dans la vie civile : pour eux, l’ordre militaire est compliqué à subir et absences, ivresses, bagarres sont courantes… et les punitions leurs lots quotidiens.

Je ne suis pas militaire et n’ai pas connu de conflit armé, mais mes lectures sur la Grande Guerre ont renforcé, s’il en était besoin, le profond respect et le courage qu’ont eu ces hommes d’obéir aux ordres qu’on leur donnait… quels qu’ils soient.


vendredi 16 novembre 2018

#ChallengeAZ : N comme numéros

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Dans le parcours de Jean-François on trouve beaucoup de numéros (ou pas) :
  • Sur sa fiche matricule :
- le numéro matricule du recrutement : le n°1822

Extrait fiche matricule © AD74

- l'année de naissance : 1894.
- le numéro d’inscription dans la liste cantonale du conseil de révision (pour en savoir plus, voir la lettre R) : Jean-François Borrat-Michaud est inscrit sous le n°3 de la liste du canton de Samoëns (depuis 1905 le recensement est basé sur l’ordre alphabétique des conscrits : avec un patronyme commençant par B il est logique que son numéro soit proche du 1), puis classé dans la 1ère partie de la liste en 1914 (donc classé bon pour le service armé).
- le degré d’instruction : il est théoriquement évalué lors du recensement ou peut être renseigné par le maire ou le représentant de l'homme. Mais cette case n’est pas toujours renseignée : cela dépend à la fois de la rigueur du secrétaire et de la présence de la recrue. En l’occurrence, ici elle ne l’est pas.
- le poids et la taille : même remarque que ci-dessus. On peut supposer que les détails non renseignés sur la fiche de Jean-François le sont car il est classé « Bon absent » (pour en savoir plus, voir lettre R), c'est-à-dire non présent au conseil de révision ; ce qui peut s’expliquer par le fait qu’il réside à Paris alors qu’il est recensé militairement selon son domicile en Haute-Savoie (pour en savoir plus, voir la lettre E).
- les corps d’affectation : les numéros des bataillons sont inscrits au fur et à mesure de ses affectations (pour en savoir plus, voir la lettre B) : 97, 23, 51, 54, 81, 84, 154, 114, 27.
- 10% : c’est la proposition du taux de pension temporaire proposé par la commission de réforme en 1936 pour Jean-François, en raison de la blessure reçue en 1916 (pour en savoir plus, voir la lettre K). On notera que la décision de ladite commission n’est pas inscrite.
- les dates de ses différents domiciles : en 1919, 1928, 1935.
- les dates de ses citations et blessures : 1917, 1916.
- les dates détaillées de sa campagne contre l’Allemagne, de 1914 à 1919.
- les dates des grandes batailles auxquelles il a participé, bien sûr.
- les 7 dates des rencontres avec les grands hommes (militaires et civiles) de son temps :
Le 11 février 1915, en tenue de campagne complète, son bataillon est réuni dans la cour de l’usine de Wesserling où il est en cantonnement pour être passé en revue par le Président de la République, M. Poincaré, le Ministre de la Guerre, M. Millerand et plusieurs hauts gradés, dont le Général de Division.
Le 1er mars 1917 le bataillon défile devant le Général Deveney commandant de la VIIème Armée.
Le 20 juin 1917 visite du Général Pellé commandant le Vème Corps d’Armée.
Le 19 août 1917 le Général Pétain et le Général Pershing, commandant les troupes américaines en France, passent en revue les chasseurs alpins de la 47e DI.
Le 25 octobre 1917 la compagnie de Jean-François représente le 51ème Bataillon lors de la revue passée par le Général Gouraud près de Somme-Suippe.
Le 6 novembre 1917, le bataillon défile devant le général Dillemann à Peschiera en Italie, derrière lequel il a fait son entrée en ville.
Le 19 janvier 1918 le Général Fayolle, commandant supérieur des Forces Françaises en Italie, passe en revue le bataillon, à Cartigliano. Il donne lecture de la citation à l’ordre de l’armée du 51ème et décore son fanion.

Il a raté la visite du Roi d’Angleterre sur le front français en 1915, mais on a lu à son bataillon le message qu’il a adressé aux armées à cette occasion (Ordre général n°44 du 30 octobre 1915). De même que le roi d’Italie, qui passe en revue le Bataillon le 10 mars 1918, suite à la victoire du Monte Tomba, puisqu’il est alors hospitalisé.


jeudi 15 novembre 2018

#ChallengeAZ : M comme médaille et citations

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La bravoure et le courage des Chasseurs Alpins ont été reconnues et récompensées à plusieurs reprises pendant toute la durée du conflit ; que ce soit à titre personnel ou pour distinguer l’ensemble du Bataillon. Au fur et à mesure des affectations de Jean-François, voici les principales récompenses, félicitations et citations :

  • Croix de guerre :
Sur sa fiche matricule, comme sur son acte de mariage, il est mentionné que Jean-François a reçu la croix de guerre. La « croix de guerre est une décoration militaire attribuée pour récompenser l'octroi d'une citation par le commandement militaire pour conduite exceptionnelle » au cours du conflit. Celle de Jean-François fait suite à la citation n°167 d’août 1917 figurant sur la fiche de matricule militaire (cf. plus bas).
La croix de guerre vient renforcer, physiquement si l’on peut dire, les citations à l’ordre du jour qui existaient déjà, mais qui n’étaient que des mentions administratives, une ligne sur un papier. En 1915, la création de la croix de guerre est instituée officiellement. Elle est composée d’une croix de bronze clair, à quatre branches, due au sculpteur Paul-Albert Bartholomé, de 37 mm, et deux épées croisées. Le centre représente une tête de République au bonnet phrygien ornée d'une couronne de lauriers avec en exergue « République française ». Elle est suspendue à un ruban vert (couleur de l’espérance) et de fines rayures rouges (évoquant le sang versé). Elle vise « à récompenser les belles actions » commises durant le conflit.
La fiche matricule précise : « croix de guerre, étoile de bronze ». En effet, le ruban peut comporter une ou plusieurs étoiles et/ou palmes, en fonction du nombre de citations et de son degré d’importance (régiment, division, armée). Sa « couleur » (bronze, argent, vermeil) désigne le degré de la citation : l’étoile de bronze reçue par Jean-François est le symbole d’une citation à l'ordre du régiment ou de la brigade.


Croix de guerre © militaria-medailles.fr

  • Citations et félicitations :
Les JMO (pour en savoir plus, voir la lettre J) sont émaillés d’ordres de bataillon, faisant état de citations ou de félicitations mettant en valeur « le courage, les actions héroïques et la belle attitude au feu des Chasseurs ». En voici quelques exemples :

- 6/9 mars 1915 – 23ème BCA – Attaque du Reichakerkopf :
En trois jours de combats (victorieux), le Bataillon perd plus de la moitié de son effectif, dont presque tout ses gradés et en particulier son commandant.
Ordre de Bataillon n°9 : félicitations.
« Vous avez répondu admirablement à l’appel que vous faisait votre chef de Bataillon le 21 février 1915 […].
Le magnifique élan de votre assaut, la résistance opiniâtre que vous avez opposée, sur la position conquise, aux efforts puissants et sans cesse renouvelés de l’ennemi, sont des faits glorieux dont le Bataillon a le droit de s’enorgueillir.
Je  fais des vœux pour le rétablissement de tous ceux qui ont été blessés en faisant bravement leur devoir […].
Gardons pieusement à cœur, avec le désir de les venger, le souvenir de tous nos camarades tombés dans cette gloire.
N’oublions pas que demain exigera encore de nouveaux efforts et de nouveaux sacrifices ; que la victoire est faite non seulement des assauts brillamment emportés, mais de l’effort patient, rude, ininterrompu, pour surmonter les fatigues, les privations et les dangers journaliers, et qu’elle restera en définitive à celui qui aura tout supporté résolument avec le plus d’endurance, d’énergie et de cœur.
Au Gaschney le 9 mars 1915, le Capitaine Commandant provisoirement le Bataillon, signé : Vergez »

- Juin 1915 – 23ème BCA – Bataille de Metzeral :
Ordre de bataillon n°57 : félicitations.
«  Tous les disparus du 15 juin ont été retrouvés morts à leur poste d’honneur, prouvant une fois de plus qu’au 23ème on ne se rend jamais !
On sait faire son devoir jusqu’au bout. […]
Soyez fiers de votre succès.
 Tous vos chefs sont fiers de vous et la Patrie sera contente ! […]
Signé le Chef de Bataillon Rosset. »

Ordre général n°32 de la VIIème Armée du 9 juillet 1915 : est cité le 23ème Bataillon de Chasseurs car il « a fait preuve d’une vaillance et d’une énergie au-dessus de tout éloge, en enlevant une position très solidement organisée dans laquelle l’ennemi se considérait comme inexpugnable, d’après les déclarations mêmes des officiers prisonniers, lui a fait subir des pertes considérables et malgré un bombardement des plus violents, n’a cessé de progresser pendant plusieurs journées consécutives pour élargir sa conquête. »

Ordre spécial 23ème BCA, 1915 © alpins.fr

- le 18 août 1917 :
Citation à l’ordre de bataillon n°167 : pour la première fois Jean-François est nommé lors d’une citation en tant que « bon chasseur, brave et courageux, a été blessé à Metzeral le 28 janvier 1916 en faisant bravement son devoir. » (pour en savoir plus sur cette blessure, voir la lettre K).
Cette citation apparaît sur sa fiche de matricule militaire ainsi que dans le JMO du Bataillon (bien que celui-ci ne détaille pas l’ordre de citation).

- le 30 décembre 1917 – 51ème BCA – Monte Tomba/Italie :
Comme le 23ème BCA, le 51ème reçoit l’une des distinctions les plus importantes, sans doute, reçues lors du conflit : la citation à l’ordre de l’armée. Celle-ci fait suite aux violents combats qui ont abouti à la prise du Monte Tomba en Italie le 30 décembre 1917. La Citation elle-même est datée du 18 janvier 1918 et lecture en est faite au Bataillon le 1er février.
Ordre de la Xe Armée n°325. « Le Général commandant la Xe Armée cite à l’ordre de l’armée le 51e Bataillon de Chasseurs : après être venus s’installer en face de l’ennemi sur une position difficile qu’il a dû organiser sous un bombardement violent et continu, s’est élancé brillamment à l’attaque sous les ordres du Commandant de Fabry Fabrègues, le 30 décembre 1917. A enlevé tous ses objectifs, faisant 550 prisonniers, prenant 2 canons, 4 mortiers, 16 mitrailleuses et un matériel important. QG, le 18 janvier 1918, le Général commandant la Xe Armée,  signé Maistre »

Citation à l’ordre de la Xème Armée © Coll. personnelle

Dans les archives familiales, c’est le seul document militaire que nous avons pu conserver. Outre la citation ci-dessus, il y est attesté que Jean-François comptait bien à l’effectif au moment de ces attaques.

 - le 30 septembre 1918 – 54ème BCA – Somme :
Le 54ème BCA de Jean-François reçoit une citation à l’ordre de l’Armée (Ordre de la Ière Armée n°137) : les trois bataillons de Chasseurs auxquels Jean-François a été affecté durant la guerre ont donc tous reçu cette distinction.


mercredi 14 novembre 2018

#ChallengeAZ : L comme Le Linge

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Au printemps 1915 la 47ème Division est stationnée dans la vallée de Munster avec comme objectif final de reprendre l’Alsace, alors sous domination allemande depuis 1871 (comme évoqué dans la lettre K). Munster est une petite ville nichée dans la vallée de la Fecht,  débouchant à l’Est à Colmar et barrée à l’Ouest par les hauts sommets de la crête des Vosges. La ville comptait près de 6 000 habitants en 1910 (et seulement 4 000 en 1921). Du fait de sa position géographique, les Vosges se sont retrouvés, bon gré mal gré, frontière entre les deux belligérants de la Première Guerre Mondiale : les combats se sont concentrés sur la ligne de crêtes et les sommets ou les cols stratégiques du massif vosgien.

Le Linge, comme l'Hartmannswillerkopf, furent tous les deux des champs de bataille résultant d'une conception tactique dite "manœuvre de débordement par les hauts", chère aux théoriciens du Haut Commandement des années 1914. Une telle manœuvre par le haut n'est valable que dans la mesure où elle bénéficie exceptionnellement d'un rapide effet de surprise. Elle est inopérante, si elle se transforme en opération lente, de longue haleine, prévisible par l'ennemi organisé et retranché alors sur des positions fortes.

Le but immédiat, en cette fin juillet 1915, est de s’emparer de Munster en agissant donc par les sommets, d’une part sur le front Eichwald-Reichackerkopf, et d’autre part avec la 129ème Division qui attaquera sur la ligne de front Lingekopf-Barrenkopf, en vue de descendre ensuite sur Munster.
La bataille du Linge est en fait un ensemble de combats concentrés sur les sommets vosgiens. Ainsi, quittant le Braunkopf  où il était positionné, le 23ème Bataillons de Chasseurs (celui de Jean-François) vient en soutient sur le massif du Reichakerkopf et contribue de leurs positions à inquiéter l’ennemi et à lui faire craindre une attaque éventuelle sur Muhlbach. 

Vers midi, le 19 juillet 1915, l’attaque s’étant déclenchée un feu d’une extrême violence part des tranchées du 23ème Bataillon dans les directions données. En effet, pour mener à bien la prise de Munster décidé par l’État Major français, il faut préalablement prendre les sommets dominant le cirque au fond duquel est blottie la ville. Sommets que les Allemands ont fortifiés par un réseau de tranchées bétonnées, fortins et abris.

Le 20 juillet le 23ème BCA coopère à l’attaque dans les mêmes conditions que la veille. Les combats sont d’une extrême violence. Des vagues d’assaut, on discerne à peine les soldats qui chargent, à bout de souffle, dans des pentes abruptes sous un bombardement infernal. Elles sont criblées de balles dès qu’elles débouchent et viennent mourir, mitraillées à bout portant, devant d’infranchissables réseaux de barbelés et des blockhaus bétonnés, où les attendent les corps des cisailleurs tués. Des monceaux de morts gisant mêlés aux blessés entre les lignes.

Le Linge © linge1915.com

Les combats vont ainsi se succéder pendant plusieurs jours. Entre deux bombardements, les soldats tentent de redresser les tranchées éboulées. Le 23 juillet les Chasseurs partis à l'assaut en quatre vagues le 20 juillet sont repoussés dans leurs tranchées. Retour à la case départ. Le Lingekopf est repris par les Allemands. Le 26 juillet, nouvelle action limitée au Linge, sous un méthodique feu roulant de l'artillerie et des conditions météo rendant la tâche encore plus ardue (brume, pluie, boue) : la crête est conquise mais au prix de lourdes pertes.  

Dans la nuit du 26 au 27 juillet, trois assauts de contre-attaques allemandes sont repoussés. Les combats n’ont pas cessé avec le lever du jour. Les Français sont obligés d’abandonner le Barrenkopf, trop exposé. Mais Joffre n'entend pas rester sur cet échec : il ordonne la reprise de la crête coûte que coûte. Les chasseurs repartent. La lutte est dantesque, souvent au corps à corps. Entre les lignes, les cadavres s'amoncellent.

Le 29 juillet, nouvel assaut des armées françaises, mais le sommet du Linge est toujours tenu par les Allemands. Début août les bombardements allemands sont d'une violence inouïe : 40 000 obus ont été lancés sur un front de 3 km, ensevelissant morts et vivants. Les chasseurs s'épuisent.
Le 5 août, assauts et contre-attaques de part et d'autre. Le sommet du Linge change plusieurs fois de main. Le 23ème BCA est finalement relevé et retourne à l’arrière. 

Mais l’histoire n’est pas finie : devant les contre-attaques allemandes, Joffre décide d’une nouvelle offensive, tout en refusant des renforts supplémentaires. Le 12 août le Bataillon reçoit l’ordre d’aller relever dans la nuit le 12ème BCA au Barrenkopf. Attaques et contre-attaques s’y sont heurtées sans arrêt depuis plusieurs semaines. Et le feu ne faiblit pas : le premier jour Jean-François perd 10 hommes de sa compagnie. Les tranchées sont gravement endommagées, malgré les travaux de réparations effectués à la hâte, le séjour est pénible, les communications difficiles.

Le 17 août l’artillerie française inonde littéralement les positions ennemies. C’est un vacarme ininterrompu. Cette action d’artillerie devait servir de prélude à une attaque au Lingekopf. Après la terrifiante canonnade des blockhaus allemands ébranlés mais non démolis partirent des feux nourris qui prouvèrent que la garnison avait été épargnée par les obus. L’attaque fut donc remise. Le lendemain le 23ème a pour mission de s’emparer d’un blockhaus ennemi situé sur la crête du Linge et, si possible, gagner le sommet du Barrenkopf. Les objectifs sont atteints. On envisage de pousser l’avantage, mais malgré des débuts brillants, la situation vire au médiocre. 

Les tranchées sont si proches que, le 23 août, les Français doivent évacuer leurs propres lignes pour éviter le tir de leurs obus visant les lignes adverses ! Après l’artillerie, une nouvelle charge, baïonnette au canon, est effectuée. Comme les jours précédents, si les troupes atteignent le sommet, elles doivent finalement abandonner le terrain et revenir dans leurs tranchées de départ en fin de journée. Puis c’est la grande contre-offensive allemande, qui lance notamment des obus à gaz. Le yo-yo attaques/contre-attaques, succès/échecs continue ainsi jusqu’en octobre. L’ultime attaque allemande sera repoussée le 16 octobre.
Finalement, le front se fige et s'éteint au collet du Linge (ou col du Linge). Chacun s'organise défensivement : coups de main ou duels d'artillerie d'intensité variable. Français et Allemands y restèrent face à face jusqu'au 11 novembre 1918 !

Les maigres résultats acquis au Linge furent sans commune mesure avec les pertes subies : 10 000 morts de juillet à octobre 1915 (côté français), 17 bataillons de Chasseurs engagés connurent jusqu'à 80% de pertes. C’est ce qui lui valeur le terrible surnom de « tombeau des Chasseurs ».
C’est là un (terrible) exemple d’une bataille ordinaire – si l’on peut dire – de la Première Guerre Mondiale ordonnée par un État-major inconscient (incompétent ?) et qui coûta la vie à tant de braves soldats… pour rien.