« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 15 juin 2019

#RDVAncestral : L'arbre des générations

J’arrivais au village du Poizat dans les premiers jours de février 1884. Un joli tapis blanc de neige recouvrait les hauts plateaux de l’Ain. Je demandais à voir Roze, ou plutôt la « veuve Berrod » comme on l’appelait. On m’indiqua facilement sa maison et là on me montra le fond du jardin :
- Vous voyez ce mélèze là-bas ? Elle est assise dessous.
- Mais ? Par ce froid ?
Mon interlocuteur se mit à rire
- Oh ! ça ! Aucune importance ! Elle en a vu d’autres ! De toute façon elle y est tous les jours, quel que soit le temps. J’ai réussi à la convaincre de prendre une couverture, mais je ne suis même pas sûr qu’elle l’utilise.

Je suivis un chemin tracé à petits pas dans la neige qui me mena tout droit vers un grand mélèze, seul au fond du jardin. Dépouillé de ses aiguilles il semblait trembler de froid… ou était-ce seulement moi ? En arrivant tout près je vis Roze, assise sur un banc qui avait été installé là, tout près du tronc de l’arbre. Elle avait la tête penchée en arrière, regardant vers la cime des branches. Sa couverture était à moitié tombée par terre, mais elle semblait ne pas s’en être aperçue. Je la remis doucement en place et m’assis sur le banc sans un bruit, ne voulant interrompre sa rêverie. Au début je ne savais pas si elle m’avait remarqué. Mais après un petit moment elle me dit, sans détourner les yeux :
- Vous voyez ces banches de ce bel arbre ?
A mon tour je penchais la tête en arrière. De ce point de vue, l’arbre semblait atteindre le ciel.
- Je le vois, répondis-je.

Souriante elle reprit :
- C’est mon père qui l’a planté. Il m’a souvent raconté cette histoire : il devait avoir 4 ou 5 ans lorsqu’un jour son grand-père lui dit de remplir une cruche d’eau. Il le prit ensuite par la main et s’éloigna de la maison. Oh ! Je dis maison, mais à cette époque elle devait ressembler plutôt à une cabane. Mon père marchait précautionneusement sur ses courtes jambes malhabiles, veillant à ne pas renverser d’eau, cette eau si précieuse que sa mère avait puisé au puits le matin, comme elle le faisait tous les jours dès qu’elle se levait. Quand il me racontait cette histoire, il se rappelait la sensation de la main noueuse de son grand-père serrant fort la sienne, petite et lisse, presque perdue dans cette main trop grande qui avait si souvent retourné la terre quelque peu ingrate de nos plateaux. 

Elle fit une pause, pensant peut-être à ces mains, au lien entre la rugueuse et la douce, à la transmission entre les deux. D’une main à l’autre. D’une génération à l’autre. Peut-être qu’elle voyait dans ce tronc noueux cette main rude. Une main d’adulte taiseux qui, probablement, ne devait pas souvent prendre la main enfantine dans la sienne. C’était peut-être pour cela que Pierre Beroud, le père de Roze, s’en rappelait si bien.

- Enfin ils arrivèrent ici, à cet endroit précisément où nous sommes, enchaîna Roze. Grand-père Jean François dit à son petit-fils de poser la cruche à terre, ce que l'enfant fit avec un certain soulagement, celui de ne pas avoir renversé la précieuse eau. Son aïeul mit les genoux à terre et demanda au petit de bien écouter ce qu’il allait lui dire. Étonné, mais tout ouïe, l’enfant devint soudain grave et attentif, sentant que ce qui était en train de se passer n’était pas ordinaire. Ses yeux s’agrandirent et il buvait les paroles de ce gentil vieillard qui, d’habitude, en était plutôt avare.
Jean François ouvrit son autre main, révélant son trésor. Pierre se pencha et observa bien, comme on le lui commandait. C’était petit, marron, d’une forme biscornue, vaguement triangulaire. Pierre n’en avait jamais vu.

« - Tu vois ça petit, c’est une graine. Aujourd’hui nous allons la planter ici. Et quand tu seras vieux comme moi, elle sera devenue un bel et grand arbre.  »
Pierre était prêt à croire à peu près n’importe quoi et faisait tout pour assister aux veillées et entendre les histoires merveilleuse qui s’y racontait, mais que cette chose minuscule et sans forme devienne un arbre, ça sûrement pas ! Le grand-père y devait avoir perdu la tête. Mais Pierre n’osa pas protester, alors il regarda simplement son aîné de ses grands yeux.
« Parce que tu vois, ici, poursuivit-il, c’est la position idéale : pas trop près de la maison comme ça quand l’arbre sera grand il ne pourra pas tomber dessus s’il y a une grande tempête. Mais pas trop loin non plus, comme ça on pourra en profiter. »

Le vieil homme fit un trou avec son index et demanda à Pierre de joindre ses deux mains ouvertes ; ce que fit l’enfant. Le grand-père déposa délicatement la graine au creux des mains du petit, comme une offrande et lui de déposer la graine au fond du trou. Une fois fait, il reboucha le trou et demanda à Pierre de prendre la cruche et de renverser son contenu sur le petit tas de terre fraîchement comblé. Verser de l’eau c’était plus facile que la transporter : Pierre fit avec joie ce qu’on lui avait réclamé.
« Et un jour tu pourras couper l’arbre et faire une belle maison bien solide avec ! ». Alors là c’était le pompon : comment on pouvait faire une maison avec une chose qui tient dans la main !

Ils rentrèrent à la maison et rapidement l’enfant oublia la graine et cette histoire farfelue. Quelques temps après la Noël, au début du mois de février, son grand-père tomba malade. On ne l’autorisa à le voir qu’une seule fois et ce jour-là son grand-père lui dit d’une voix rauque ses derniers mots : « N’oublie pas la graine petit ! Occupe-t-en comme si c’était ton enfant. » Il mourut le lendemain. Pierre fut bien triste, mais comme souvent à cet âge, le chagrin passa vite. Mais, impressionné par les dernières paroles de son grand-père, il n’oublia pas la graine. Un beau jour, un petit quelque chose sortit de terre à l’endroit précis où ils avaient planté la fameuse semence. Il passa un long moment à le regarder, encore dubitatif sur le soi-disant arbre majestueux qui devrait apparaître ici.

Dans la maison, à un rythme régulier, les petites sœurs  se succédaient dans le berceau qui avait été le sien. Son père consolidait et agrandissait la maison quand il le pouvait. Quand Pierre eu enfin un petit frère, la graine était devenue un buisson. Puis il y eu d’autres enfants. Et d’autres événements aussi, comme cette Révolution dont tout le monde parlait. Pierre avait 12 ans. D’aucuns disaient que maintenant le monde allait avoir une vie meilleure et que la pauvreté disparaitrait très vite maintenant que le roi était mort. Pierre, lui, voyant son arbre, pensait que les choses n’iraient peut-être pas aussi rapidement et qu’il faudrait être patient. Tout aussi régulièrement que les saisons, les régimes se succédaient : Directoire, Consulat, Premier Empire…

En 1798 Pierre avait épousé une fille du village, Marie Thérèse. Eux aussi eurent une flopée de gamines, et un seul fils. Moi, je viens après Blaise. Je suis la cinquième fille et il y en a encore eu deux autres après moi ! L’année d’après ma naissance, les Autrichiens envahirent l’arrondissement de Gex. Mon père a bien cru qu’il y allait avoir la guerre. Mais finalement le traité de Vienne a arrangé les choses : on a supprimé le département du Léman et on a récupéré le territoire de Gex. Quand j’ai eu 10 ans, un nouveau diocèse a été créé à Belley.

Les temps ont bien changé, mais la misère n’a pas disparue pour autant. L’agriculture s’est profondément transformée : des techniques modernes se sont développées (apparition des engrais, de la charrue, des comices agricoles), dans les basses terres la viticulture s’est répandue, de nombreux étangs ont été asséchés et les fromageries se sont multipliées. Le chemin de fer et l’industrialisation ont attiré les jeunes vers les villes. La montagne s’est dépeuplée petit à petit. 

Ma mère nous a quittées lorsque j’avais une douzaine d’années. Mais mon père était toujours là ; le pilier de la maison. Puis vint le jour de mon mariage : mon père était fier car j’épousais un instituteur primaire, Jean François Berrod. Lui dont les ancêtres n’étaient que de pauvres journaliers.

Un jour je vis mon père qui regardait fixement vers le fond du jardin. Étonnée, je demandais ce qu’il regardait. « L’arbre. » me répondit-il. « Il y a un grand arbre au fond du jardin. » Je ne comprenais pas : « Bah ! il a toujours été là cet arbre ! ». Et dans un sourire énigmatique, mon père me répondit « Presque, oui, presque… ». Ce n’est que bien plus tard que j’appris comment une graine minuscule était devenue un bel arbre, ainsi qu’un vieil homme l’avait promis à un jeune enfant.


Mélèze © couleursbois.com

Ce jeune enfant était devenu un vieillard à son tour. Mais, tout noueux qu’il était devenu, il ne manquait pas de venir chaque jour voir si son arbre allait bien. Il veillait sur lui comme sur ses enfants. Intriguée, un jour je lui ai demandé ce qu’il avait de particulier cet arbre ; et c’est ainsi que j’ai su cette histoire.

A mon tour j’ai eu des enfants (en écoutant Roze dire cela, je pensais alors à sa fille Zélia qui était mon ancêtre directe, la grand-mère de ma grand-mère Marcelle).
Aujourd’hui mon père nous a quittés. Il avait plus de 90 ans ! Dire qu’il trouvait que son grand-père était âgé, et il n’avait que 68 ans à son décès, lui ! Mais lorsqu’on est un enfant, un adulte c’est déjà un vieillard. 

C’est en souvenir de lui que je viens ici tous les jours, maintenant que je suis vieille à mon tour. Sais-tu qu’il y a 101 ans que cet arbre a été planté ? Cela paraît une éternité, et pourtant…
Mais c’est bizarre, depuis que mon père n’est plus là, l’arbre est comme malade. Mes fils disent qu’il faudrait l’abattre. Cela me rend triste… mais tu sais quoi ? me dit-elle dans un souffle. J’aimerais bien que de ses planches ont fit mon cercueil. Comme ça je sais que mon père veillera sur moi, comme il a pris soin de cet arbre. 
Sur cet aveu, je m'en allai.

Roze s’éteignit la semaine suivante. Et comme elle le souhaitait, on fit son cercueil grâce au vieil arbre abattu. Celui qui, d’une petite graine dans les mains d’un enfant, accompagna les vies de cinq générations et veilla au sommeil éternel d’une vieille femme dont le même sang coulait dans les veines, comme la sève dans celles du grand arbre au fond du jardin.


lundi 3 juin 2019

Calendes

Une fois n'est pas coutume, je vous présente aujourd’hui un petit outil que je trouve fort pratique. Il s’appelle « Calendes » et il permet de retrouver n’importe quel jour de la semaine, saint du jour ou fête religieuse à n’importe quelle date. Utile quand on se promène dans les méandres du temps comme nous le faisons, nous autres généalogistes.

Voici un exemple : je recherche depuis des années l’acte de décès de mon (arrière) mémé Berthe et enfin le Graal ! Le voici sous mes yeux. Mais le curé est facétieux et n’a pas souhaité me faciliter les choses : l’acte est daté de « l’Annonciation de l’an de grâce 1682 ». Et bien cela me fait une belle jambe ça !

J’ouvre aussitôt « calendes » et fait dérouler le calendrier jusqu’à trouver l’année correspondante : et hop ! en un clic je vois que l’Annonciation de l’an de grâce 1682 tombait le 25 mars. Je peux ainsi rentrer la date complète du décès de mémé Berthe dans mon logiciel de généalogie (parce que « Annonciation de l’an de grâce 1682 » il n’aimait pas trop en fait…).


Ça marche avec Pâques, fête mobile s’il en est, le solstice d’été ou encore le calendrier de l’Avent (pour les fans…), etc...

Dans l'exemple ci-dessous, j’ai affiché 1682 (et n’importe quel mois) : sur la partir droite de l’écran sont affichées toutes les grandes fêtes de l’année (on remarque que je n’ai coché ici que le fêtes chrétiennes) : ainsi pas besoin de dérouler tous les mois si on veut savoir quand tombait le début du carême cette année-là.



On peut choisir d’afficher les saints – ou pas.




Évidemment le calendrier républicain est disponible (en cliquant sur « correspondances entre calendriers » en haut à gauche), ainsi d’autres, plus exotiques : romain, éthiopien ou… pataphysique !




Et si l’astronomie vous passionne, ça marche aussi avec les levers de soleils ou les quartiers de lunes !




Si vos ancêtres viennent d’horizons lointains ou de religions différentes, on peut cliquer sur le calendrier juif, musulman ou orthodoxe.

Au fait ! J’ai failli oublier :
  • C’est gratuit (et ça c’est une bonne nouvelle)
  • Pour télécharger cliquez ici et choisissez Calendes ! 


En espérant que cet outil vous sera aussi utile qu'à moi...




    dimanche 26 mai 2019

    La mère de la mère de... ma mère


    samedi 18 mai 2019

    #RDVAncestral : A l'école !

    En arrivant à Cocherel (petite bourgade de Seine et Marne actuelle), je demandais mon chemin pour me rendre chez les Bachelier – mes ancêtres à la XIIème génération. Presque à chaque fois on me regardait d’un air bizarre, on chuchotait une fois que j’avais le dos tourné, sans parler du couple qui refusa carrément de me répondre ! Je me demandais bien ce qu’il se passait : qu’avaient fait mes ancêtres pour subir cet opprobre de la part de leur communauté ? Finalement j’arrivais enfin à trouver leur maison et j’y fus accueillie à bras ouverts. Cela me changeait de l’atmosphère pesante qui avait accompagnée mon entrée dans le bourg.

    Après les salutations et diverses politesses d’usages, j’osais raconter mon arrivée et l’accueil plutôt froid, pour ne pas dire hostile, que j’avais reçu dès lors que je prononçais leur nom.
    - C’est à cause de moi ! répondit une petite voix tranquille.
    Je me penchais de l’autre côté de la table pour apercevoir son auteur : une petite fille haute comme trois pommes, qui jouait silencieusement avec une poupée de chiffon.
    - Mais non, ma chérie : ce n’est pas ta faute, rassura la voix chaude de sa mère Jeanne.

    Ma surprise devait se lire sur mon visage. Pierre et Jeanne échangèrent un regard puis Pierre prit la parole :
    - Nous avons décidé d’instruire notre fille, de lui faire apprendre ses lettres et un peu les chiffres. Nous pensons que le savoir c’est important.
    - Et pas que pour les garçons, appuya Jeanne.
    - Et c’est là l’origine du problème ?
    - Beaucoup ne partagent pas notre point de vue : ils disent que la seule chose que les filles doivent savoir c’est tenir leur ménage et satisfaire leur mari. Même le curé y a fait allusion lors d’un prêche à l’église. Désormais, même ceux qui nous soutenaient auparavant n’osent plus le faire ouvertement.
    - Ah ! Je comprends mieux maintenant…


    Alphabet méthodique © crdp-strasbourg.fr

    Jeanne enchaîna tristement :
    - Apprendre aux filles c’est apprendre au diable. Seule l’éducation religieuse est permise. De toute façon elles sont sottes et n’y comprendraient rien. C’est ça qu’on nous dit. Et encore, des fois c’est pire : si elles sont savantes elles deviennent vaines, voire lascives et dangereuses !
    Jeanne regarda sa petite fille qui, dans l’innocence de sa jeunesse, n’avait rien de tout cela.
    - Les filles passent de la domination du père à celui du mari. Ou alors  c’est le couvent ! Pas d’autre alternative possible, confirma Pierre.
    - Moi je ne veux pas de cela pour ma fille : je veux qu’elle soit instruite et qu’elle trouve un mari qui l’appréciera pour cela aussi. Et pas juste une servante pour s’occuper des gosses et balayer sa cuisine.
    L’intention était louable, mais l’époque ne s’y prêtait guère. Rencontrer une féministe au XVIIème siècle était déjà curieux, mais un féministe encore plus ! Parce que bien sûr, rien ne pouvait se faire sans la volonté du mari. Et de toute évidence, celui-ci était tout acquis à cette cause ; ce qui me fit bien plaisir moi qui, tous les jours ou presque, assistais au lent grignotage des droits des femmes un peu partout dans le monde.

    - Mais alors, qu’allez-vous faire ?
    - Nous cherchons un cours paroissial qui voudrait l’accepter parce que, bien sûr, le curé de notre paroisse de veut pas en entendre parler. Peut-être à Vendrest, d’où je suis originaire et où ma famille est connue et respectée.
    - J’espère qu’ils l’accepteront car cela fait déjà une heure de marche pour y aller, plus encore pour Anne et ses petites jambes. Parce qu’on ne pourra pas l’accompagner : il y a trop de besogne ici. Elle devra y aller seule, souligna Jeanne.
    - En attendant, nous avons commencé à l’éduquer nous-mêmes, reprit Jeanne dans un souffle, surveillant la porte au cas où une oreille indiscrète passerait par là.
    - Je suis moi-même un peu instruit : oh ! pas un savant hein ? Mais je sais mes lettres, alors je me sers des citations de la bible utilisées lors des offices par le curé, comme ça on ne peut rien me reprocher ! expliqua Pierre.
    Un petit air de défi éclairait son visage.

    J’admirais ces parents qui, seuls, contre tous, voulaient absolument éduquer leur fille. Quitte à prendre des risques, à être mis à l’écart de leur communauté. Combien de siècles avaient-ils d’avance ? Au XVIIème siècle près de 90% des femmes étaient illettrées. Et encore, dans les 10% restant il y avait surtout des citadines bien nées et vivant déjà dans un milieu sinon cultivé au moins instruit.
    Je ne sais pas s’ils trouvèrent enfin une école pour accueillir et éduquer leur fille, mais une chose est sûre : à 18 ans, lors de son mariage, elle savait parfaitement signer son nom et peut-être bien plus encore...

    Signature Anne Bachelier, Cocherel, 1673 © AD77

    On est alors en 1673. C’est la plus ancienne signature féminine de mon arbre.


    lundi 29 avril 2019

    Un rayon de soleil

    Le soleil joue avec le vent et quelques uns de ses rayons passent à travers les arbres arrivant jusqu’à moi, réchauffant sur mon visage. Quelle douce sensation.  Je crois que je ne l’avais pas ressentie depuis que j’étais enfant, lorsque je gardais les bêtes de mon père : seule dans les prés je contemplais les nuages filant dans le ciel et admirais la cime des arbres... Il y a si longtemps. 

    J’essaye d’ouvrir les yeux pour retrouver mes rêves d’enfants, mais la luminosité m’empêche de bien distinguer la frondaison au-dessus de moi. Ce n’est pas grave. J’entends le vent dans les branches. Cela me suffit. Je suis bien ainsi. Enfin un moment de repos : je suis si fatiguée. 


    Le soleil dans les arbres © istockphoto.com

    J’essaye de me concentrer sur mon enfance mais mes souvenirs me fuient… J’avais un frère ? Un frère jumeau, Pierre. Oui, je crois que c’est cela. Et plus tard sont arrivés les autres jumeaux… Comment était-ce ? Joseph et… Laurence. Les pauvres petits : ils n’ont pas survécu plus de quelques jours. Un peu comme notre aînée Marie Marthe qui n’a vécu qu’un mois.

    J’ai toujours aimé la nature. Les longues promenades sur le plateau, quand je pouvais voler un peu de temps pour moi. J’allais jusqu’au lac de Viry parfois ou à l’ancienne forteresse. Les corvées j’étais toujours volontaire pour les faire tant qu’elles nécessitaient une sortie à travers la campagne ou simplement rester dehors. Tout plutôt que de rester enfermée à la maison ! Le moulin, la halle, le lavoir… Et surtout le silence de la campagne.

    Mais grandir, j’ai pas bien eu le temps : à 11 ans on m’avait déjà mariée, à presque 12 j’avais mon premier fils. Mon Dieu, j’étais si jeune ? Oui, je crois. Quatre fils ont éclairé ma vie. Mon bonheur, ma joie. Quatre ? Non trois : mon petit Claude François nous a quitté avant même mes relevailles. Perdre un enfant quand on est soi-même encore un enfant : quel malheur mon Dieu. Mais la vie continue. 

    Adieu la campagne : il fallait s’occuper des enfants qui se succédaient, de l’entretien de la maison, de la gestion de la ferme. La vie s’est écoulée sans qu’on puisse la retenir, comme l’eau d’un ruisseau dans sa main. Pas même un petit moment. Pas de pause. Pas de soleil sur le visage. Juste la fatigue et les années qui s’accumulent. Adieu le silence : toujours un enfant qui crie, une vache qui meugle, un mari qui appelle.

    Cette journée a pourtant si bien commencé : la cueillette des fruits. Je suis dehors, comme j’aime tant ça. On s’aide entre voisines pour monter à l’échelle dans les fruitiers et recueillir les précieux joyaux dorés au soleil. Les commères sont un peu bavardes, mais j’essaie de m’isoler dans mon coin, dans mes pensées. Dans le silence.

    Pourquoi ai-je si froid alors que le soleil brille ? Ah ! oui, ça doit être parce que je suis sous les arbres. Je me rappelle d’un froid similaire quand j’ai dû enterrer mon Joseph. Je n’avais pas trente ans. C’était un homme bon : il a dû aller tout droit au paradis. Il me manque bien. Mais parfois je l’entends encore me parler : il doit me surveiller depuis là-haut !

    Il n’y a plus de silence : pourquoi elles crient toutes autour de moi ? Laissez-moi quelques minutes encore seule avec le vent et le soleil. Ensuite on reprendra les tâches quotidiennes. Le cours de la vie.
    J’ai eu le bonheur de marier mon aîné l’année dernière : j’espère qu’il ne tardera pas à me donner un petit-enfant à cajoler. Et mes deux autres fils vont-il se marier bientôt et me faire grand-mère aussi ? J’emmènerai les petits à travers la campagne. Laisser jouer le soleil sur leurs visages. Oh ! oui, comme j’ai hâte.

    Où diable est-il ce soleil ? Je tourne la tête cherchant sa chaleur sur ma peau. C’est bizarre, je ne vois que l’herbe. Et mon panier. Il est par terre, renversé. Les fruits sont tombés : il va falloir que je les ramasse. Je le ferai tout à l’heure : pour l’instant je suis trop fatiguée. Je ferme les yeux à nouveau.

    Une auréole rouge sombre s’étend autour de ma tête. Mais je ne la vois pas. Je n’ouvrirai plus les yeux. Je ne ramasserai pas les fruits éparpillés au sol. Je ne reprendrais pas mes tâches quotidiennes. Peu importe : enfin je retrouve le silence de mon enfance.


    ___

    Décès Clémence Monneret, 1720, Viry © AD39

    Le vingt et un juin mil sept cent vingt j’ai inhumé dans le cimetiere de cette paroisse a côté droit de la petite porte de l’Eglise le corps de Clemence monneret, veuve de feü Claude Romand de Rognat, décédée par une chûte le jour auparavant ; en presence du sieur joseph antoine thomas de saint claude, de messire jean claude molard notaire, jean claude potard pierre potard metayer et autres
    Molard prêtre


    samedi 20 avril 2019

    #RDVAncestral : Au bureau de placement

    J’ai rendez-vous aujourd’hui avec Ursule Le Floch, épouse Macréau. C’est ma « dernière » (ou la première : tout dépend dans quel sens on navigue dans l’arbre) ancêtre bretonne ; celle qui s’est exilée en région parisienne. Je suis curieuse d’entendre la propre version de cette expérience vécue par mon ancêtre.

    Elle m’a donné rendez-vous devant l’église de Tigeaux, en Seine et Marne. Je la trouve debout près du portail, perdue dans ses pensées, indifférente à la vie de la place et au passage des badauds autour d’elle. Il me faut lui presser légèrement le bras pour la ramener à la réalité.

    - Ah ! Vous voilà ! J’étais ailleurs, je le crains dit-elle un peu gênée.
    Sous l’embarras, elle tordait ses mains, pressant un joli petit sac légèrement usé. Ayant pitié de mon ancêtre et de son pauvre réticule qui risquait de ne pas survivre au traitement qu’il subissait, je proposais à Ursule de s’installer dans un troquet tout proche. Une limonade bien fraîche l’ayant remise de ses émotions, Ursule commença à me raconter son histoire :

    - Nous sommes nombreux, nous les Bretons, à être venus à Paris. Les familles ont beaucoup d’enfants là-bas, dans la très catholique Bretagne, en particulier dans les campagnes. La petite taille des exploitations agricoles ne peut nourrir toutes les bouches. Pour beaucoup c’est l’indigence, voire la misère. Il faut donc se résoudre au départ pour trouver un emploi. C’est ce que j’ai fait.

    Quand j’ai débarqué à Paris, je m’en souviens comme si c’était hier. En sortant de la gare, la tête me tournait : je n’avais jamais vu tant de monde. Pourtant ma ville d’origine, Loudéac, dans les Côtes du Nord, est une grande ville déjà : près de 6 000 habitants. Mais là… Rien à voir. Heureusement ma sœur aînée m’attendait. Elle était à Paris depuis près d’une année alors forcément elle était habituée et s’est moquée gentiment de moi. Pour ne pas lui donner une raison de me ridiculiser encore plus, j’ai pris une grande inspiration et je me suis jetée tête la première dans la foule, à sa suite. Nous avons presque dû nous battre pour monter dans un tramway à chevaux qui était bondé. Nous étions très serrées et je n’avais pas l’habitude d’une telle proximité, mais je me suis mordue la langue pour ne pas laisser échapper une plainte. Ma sœur avait l’adresse d’un bureau de placement dans le quartier des Halles. 

    Je n’ai pas vraiment eu le temps d’admirer le paysage, les grands immeubles tout en hauteur, ou celui tout rond de la Bourse du commerce : tout ce qui m’importait c’était de garder un minimum de place sans me faire écraser les pieds ni perdre mon bagage. Je serrais si fort les lanières de mon sac que j’en avais mal aux mains ! Enfin ma sœur donna le signal pour descendre : ouf ! 

    Nous sommes entrées et avons attendu notre tour. Ça a duré près de deux heures avant que nous soyons reçues : pendant ce temps-là j’ai eu le temps d’observer (discrètement, hein ?, je ne suis pas une commère) les autres personnes qui attendaient. La salle était pleine de filles à l’air triste assises sur leurs bancs. Certaines avaient les joues creuses et les yeux caves : elles sentaient la misère à plein nez. Je les plaignais les pauvres : elles avaient peu de chance de trouver un emploi ici. Et une femme sans homme, sans soutien, dans la capitale, ça finit bien vite dans la rue, si vous voyez ce que je veux dire… L’une d’elles, un peu mieux mise, s’est moquée de moi : elle m’a dit qu’on ne me prendrait pas, parce qu’on cherchait de la viande plus fraîche !

    - De la viande ? demandais-je.
    - C’est le nom qu’on donne aux jeunes filles qui veulent se placer. Sans doute voulait-elle dire que j’étais déjà trop âgée. Les patrons aiment quand leurs servantes sont jeunes : ils peuvent les façonner à leurs goûts. Mais en même temps il faut avoir de l’expérience : c’est une équation difficile à résoudre ! Quand mon tour est venu, ma sœur m’a poussée en avant. Je me suis retournée horrifiée, voyant qu’elle ne m’accompagnait pas, mais ça aurait été mal vu – ça je l’ai compris plus tard – si je n’étais pas capable de parler à un patron, comment pourrais-je remplir toutes les tâches qui m’incomberaient par la suite ?

    J’ai eu de la chance. J’ai plu au recruteur parce que j’étais la seule à porter un chapeau – toutes les autres étaient en cheveux – et que ma robe était propre et pas usée comme certaines. Je n’avais travaillé que chez une seule famille, les Le Ho, des amis de la paroisse qui étaient boulangers. Enfin, chez leur fils surtout. Or il se trouve qu’il a déménagé et n’a pas voulu m’emmener avec lui (enfin, je crois que c’est sa future femme qui ne voulait pas trop que je vienne). En tout cas ils ont été assez gentils pour écrire une lettre de recommandation où ils faisaient mon éloge. C’est comme ça que le soir même j’ai été engagée comme servante. 

    La jeune servante, v.1900/1910, Henry Caro-Delvaille © dezenovevinte.net

    - Franchement, vous n’auriez pas préféré vivre chez vous, en Bretagne ? demandais-je.
    - Ah ça non ! Mon père était dur. Et travailler aux champs, c’est le bagne. Notez que domestique c’est pas beaucoup mieux. Il me fallait trimer de sept heures à vingt deux heures : préparer à manger, brosser les habits, nettoyer les chaussures, astiquer les cuivres, repasser… Je n’avais pas un moment pour souffler. Il y avait un dîner par semaine avec des invités, je devais rester jusqu’à leur départ, parfois à deux ou trois heures du matin. Je me rattrapais pendant les courses : je rognais un quart d’heure par-ci par-là pour admirer les devantures des magasins.
    Et puis brutalement mon patron est décédé : un arrêt cardiaque a dit le médecin. On ne m’a pas gardé : il a fallu que je retrouve une nouvelle place. Mais cette fois, je me suis faite embaucher comme cuisinière, c’est quand même moins fatiguant. Et puis, dans ta cuisine, t’es presque ta propre patronne… Enfin, presque, tu vois ?

    J’acquiesçais : la cuisine était son royaume, tant que le patron ne se piquait pas de régenter cet espace-là comme le reste de la maison.

    - C’est ainsi que je suis arrivée ici à Tigeaux. Là, pour sûr, c’est la campagne : 200 habitants, plus d’arbres et de bêtes que d’hommes ! dit-elle en riant. C’était une bonne place, reprit-elle redevenant sérieuse. Et puis… c’est là que j’ai connu mon époux ajouta-t-elle dans un souffle, rougissante comme une jeune fille. Ou plutôt comme une jeune mariée car les épousailles avaient été célébrées il y a peu. J’ai quittée ma place de cuisinière pour le suivre. Fini la domesticité : c’est le retour à la terre. Mais je ne regrette rien.
    - Pas même votre Bretagne natale ? demandais-je, insistant encore sur ce déracinement.
    - Des fois, pour sûr. Ma maison, ma famille. Et surtout ma sœur jumelle que j’ai laissée là-bas… La voilà presque triste maintenant.

    Après un grand soupir (pour se donner du courage, ou chasser ses idées noires ?), elle dit :
    - Mais bon, c’est la vie ! Y a pas de regret à avoir : c’est comme ça ! Et finalement c’est un mal pour un bien puisque maintenant j’ai trouvé le bonheur et puis ma belle-famille m’a fait bon accueil : j’ai pas à me plaindre. D’autres que moi ont eu des expériences bien plus difficiles sans doute… Allez, c’est pas tout, mais il faut que je rentre maintenant. C’est que j’ai un bout de chemin avant de retrouver ma maison.

    Je la remerciais et la regardais partir, quand tout à coup elle se retourna vers moi :
    - Merci à vous ! Je n’avais jamais raconté ça à personne. Chez nous, on est plutôt des taiseux. Je suis contente d’avoir pu parler avec vous. Au revoir !
    Elle me fit un signe d’adieu avec la main et en un instant elle disparut. C’est ainsi qu’elle me quitta, sans remord ni regret, ma petite Bretonne courageuse, pour reprendre le cours de sa vie d’exilée.


    mardi 2 avril 2019

    Retrouver un Parisien perdu

    Pour ceux qui ont suivi j’ai, dans deux épisodes précédents, parlé d’une pionnière de ma généalogie, Marie-Louise Cognacq-Jay, puis de la lettre calomnieuse envoyée à son encontre.

    Dans ce dernier article, je m’interrogeais sur l’auteur de la lettre. Je n’avais que deux indices pour l’identifier :
    - Sa signature : je pensais à un « A. Camus », mais je n’étais pas tout à fait sûre de la déchiffrer correctement.

    Signature de la "lettre calomnieuse", 1906 © Base Léonore

    - Son adresse en 1906 (date de la lettre) : 21 rue de la Monnaie à Paris [1er arrondissement, NDLR] « depuis 25 ans » précisait-il.

    Par acquis de conscience, je me suis dit allons vérifier sur les recensements si je le trouve bien là. N’ayant pas d’ancêtres à Paris, j’ignorais l’état des collections utiles aux généalogistes. Mais là, surprise : pas de recensement à Paris avant 1926 ! C’est, en général, la date à laquelle ils s’arrêtent dans les départements de Province où j’ai mes habitudes.
    Je décidais donc de laisser l’histoire là et je faisais taire ma petite voix qui me disait « Est-il marié et père ? Jusqu’à quand a-t-il vécu ? ». Bon, peut-être que j’étais de parti pris, mais après tout, le bonhomme ne m’était pas très sympathique vu la lettre qu’il avait écrite insultant ma lointaine ancêtre. Et d’autre part, retrouver un Camus à Paris vers 1900, me semblait impossible avec aussi peu d’élément. Je publiais donc mon article en l’état, laissant ces questions, somme toute un peu en marge du sujet, en suspens.

    Et voilà que dès le lendemain je reçois un message : « contactez-moi j’ai retrouvé votre Camus » ! Intriguée, comme tout bon détective, je prends contact avec ma source anonyme. Avec son accord je vous livre son identité (merci Delphine !) et sa méthode très efficace pour retrouver une aiguille dans une botte de foin. Le tout tient en quatre étapes. Suivons donc Delphine :

    1) Je me suis dit qu'il avait peut-être eu des enfants dans le 1er arrondissement.
    J'ai ouvert le site des archives de Paris, cherché le nom de CAMUS dans les tables de naissances vers 1881 dans le 1er arrondissement : j’en ai trouvé 4 entre 1883 et 1891.
    Sur les 4, une seule correspond !
    Adrien CAMUS, 30 ans, boulanger et Clémence Juliette Victorine CHOISEL, boulangère, habitant le 21 rue de la Monnaie ont eu un fils : Maurice Germain Clément le 31 juillet 1883.

    Et hop ! Le sieur Camus est logé, et son prénom dévoilé : Adrien. Aussi simple que ça. On aurait pu s’arrêté là mais Delphine, de son propre aveu, est un peu droguée à la généalogie. Alors elle continue. Elle cherche si le couple a eu d’autres enfants, mais fait chou blanc. Idem pour le mariage. Cependant Delphine n’est pas du genre à se décourager pour si peu : étape n°2 !

    2) J'ai poursuivi avec l'acte de mariage de leur fils : Maurice s'est marié dans le 2ème arrondissement le 7 août 1913. A cette date, il est lieutenant au 11 RI colonial. Son père Adrien est domicilié à Créteil, 8 rue de Plaisance, et sa mère est décédée.
    Donc Adrien est encore en vie en 1913 et habite Créteil.

    Petite vérification pour la forme : étape n°3.

    3) Clémence, la femme d'Adrien, est décédée 3 ans plus tôt le 9 janvier 1910. A cette date, le couple habite encore dans le 1er arrondissement, rue de la Monnaie. Elle est boulangère et dite née à la Chapelle en 1857. Adrien est toujours boulanger.

    Reste le mariage d’Adrien et de Clémence : dernière étape.

    4) round : j'ai pu retrouver l'acte de mariage d'Adrien et Clémence, dans le 18ème arrondissement (la Chapelle en fait partie depuis 1860) le 26 avril 1879. Adrien est boulanger, 26 ans, né à St Marcel dans l'Indre le 15 octobre 1852 et habite 145 rue St Dominique dans le 7ème. Ses parents sont domiciliés à St Marcel.
    Adrien a pour témoin ses deux frères, boulangers également.

    La signature d'Adrien est identique à la signature de la lettre calomnieuse !

    Ne me demandez pas comment Delphine est arrivée dans le 18ème, c’est son jardin secret. Du coup, je me suis demandé s’il y avait eu des enfants nés dans le 18ème : en effet, des faux jumeaux sont nés en février 1880 : un fils et une fille qui n’ont pas vécu (décédés 2 jours après leur naissance) ; puis un fils en juin 1881, marié à Paris 10e le 29 octobre 1908 (à cette date il est alors représentant et n’habite plus chez ses parents), décédé à Château Gonthier en 1943. C’est dans les 6 mois (ou environ) après cette naissance que le couple s’installe rue de la Monnaie.

    Arrondissements et quartiers de Paris

    Mais toujours est-il que voilà une grande partie de la vie de mon bonhomme est découverte. Cependant, tout cela ne nous dis pas pourquoi il a écrit la lettre, comme le remarque Delphine :
    « Et voilà ! on en sait un peu plus sur l'homme, même si l'on ne saura jamais sans doute ce qui a attisé sa jalousie (?) ou motivé sa lettre calomnieuse envers Mme Cognacq-Jay.
    J'avais pensé que peut-être sa femme avait pu éventuellement avoir été employée par les Cognacq-Jay et que cela ce soit mal passé, mais apparemment, ce n'est pas le cas. Comme vous le dites bien, il était boulanger, pourquoi la Samaritaine lui aurait-elle fait de l'ombre ? Mystère ! »

    Donc, si vous avez des ancêtres disparus à Paris, en 4 étapes vous pouvez les retrouver très rapidement.
    « C'est tout simple » 
    (surtout si vous avez une Delphine sous la main).

    Quand à moi, comme je suis aussi droguée à la généalogie, j’ai été fouiller sur les pistes ouvertes par Delphine : effectivement on ne trouve pas d’autres enfants au couple. Les parents ont toujours vécu dans l’Indre, ils se son marié en 1935 à Argenton sur Creuse et ont eu une nombreuse nichée. Le père était voiturier.

    J’ai suivi la piste d’Adrien à Créteil : on sait qu’il demeure encore à Paris en 1910 (décès de son épouse) et a déménagé avant 1913 (mariage de son fils). J’ai commencé par les recensements puisque, grâce à Delphine, j’avais son adresse : en 1911 il est lacunaire (moins de 30 pages au lieu des 300 habituelles) : je ne l’ai pas trouvé. Le précédent date de 1896 : beaucoup trop tôt. Mais il apparaît bien à l’adresse indiquée en 1921, 1926, 1931 et 1936. Il n’y a pas de recensement en ligne postérieur : je perds sa trace. Je me tourne vers l’état civil : il n’y a pas d’acte d’état civil en ligne postérieur à 1915, mais des tables décennales qui vont jusqu’en 1942. Il n’y figure pas : soit il est décédé plus tard, soit il est décédé entre 1936 et 1942, mais pas à Créteil. Il faut se rappeler qu’en 1936 il a 84 ans.

    En parallèle, Twitter s’emballe et on me suggère d’aller feuilleter le bottin pour retrouver mon boulanger. Ce que je fais à tout hasard : on le retrouve bien en 1907 par exemple (lacune en 1906). Trois Camus figurent comme boulangers à des adresses différentes, aucun n’a de prénom mais le « mien » est dit « jeune ». Est-ce parce que les deux autres sont ses frères aînés ? En effet, rappelez-vous que dans l’acte de mariage d’Adrien figurent deux de ses frères, tous les deux boulangers ; après vérification leurs adresses correspondent bien à celles des deux autres boulangers du bottin. D’ailleurs Adrien habite chez l’un d’eux lors de son mariage : il est probablement monté à la capitale à la suite de ses frères.

    Annuaire-almanach du commerce de l'industrie, 1907 © Gallica

    Dans sa lettre, Adrien disait qu’il était boulanger rue de la Monnaie depuis 25 ans : j’ai donc cherché à partir de quelle date il s’était vraiment installé dans le quartier. Il ne figure pas dans le bottin de 1881, mais on le retrouve bien à cette adresse en 1882.

    En relisant les actes que j’avais glanés, je me suis aperçue que lors du décès de son épouse et du mariage de son fils, parmi les témoins ou déclarants les actes il y avait… des chevaliers de la Légion d’honneur !

    Est-ce parce que finalement lui ne l’a jamais eue, cette médaille, qu’il a écrit la lettre ? ou simplement parce, fréquentant leurs porteurs, il avait des idées bien arrêtées sur la question (par exemple, qu’une femme n’était pas digne d’en être honorée ?). Ironie de l'histoire, son second fils l'a eue, lui ! (dommage que son dossier ne soit pas communicable).

    Quand à se plaindre de la ruine du quartier, comme il l’a fait dans la fameuse lettre, vous savez comment on qualifie notre pauvre boulanger les 23 dernières années de sa vie ? « Propriétaire et rentier ». Donc, je pense que la ruine dont il se plaignait en 1906 n’a pas trop dû l’affecter…

    Merci encore à Delphine, que vous pouvez retrouver sur son blog : genealancetre.canalblog.com