« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 19 octobre 2019

#RDVAncestral : Le gobelet de Salonique

J’arrivai à la fin du jour : le coucher de soleil était magnifique, le ciel immense se parant de couleurs rougeoyantes de toute beauté. Hélas, le fracas des canons et les tirs incessants des mitraillettes brisaient le charme de cette scène. Je me faufilai jusqu’à l’infirmerie : une intense activité y régnait. On y déposait à la hâte des blessés, avant d’aller en chercher une nouvelle fournée, les médecins examinaient des plaies béantes pour lesquels ils n’avaient plus de médicament et les infirmières avaient tout juste un peu d’eau à distribuer à ceux qui étaient encore conscients. Au milieu de ce capharnaüm teinté de râles, de bourdonnements d’insectes et d’odeur de sang je pensai bien passer inaperçue.

- Et vous là !
Raté.
- Euh ? moi ?
- Ben oui : qui d’autre ? Mais vous n’avez pas mis votre uniforme ?
Je cherchai quelque chose d’approprié à répondre quand je reçu dans les bras un tas de chiffons… qui s’avéra être un uniforme d’infirmière.
- Allez ! Ne restez pas à rêver comme ça ! Vous croyez qu’il n’y a pas assez de travail comme ça ? Ah ! Et pendant que vous y êtes : allez me rattraper le caporal Astié. Il a encore quitté son lit en douce pour aller retrouver ses camarades dans les tranchées.

Je restai interdite une seconde en entendant ce nom qui est le mien aujourd’hui. Mince, je pensai le trouver (assez) facilement au fond d’un lit tout fiévreux. Encore raté. Je restai là, immobile, me disant que je n’avais pas du tout envie d’aller visiter les tranchées. L’infirmerie passe encore mais je ne tenais pas tant que ça à m’approcher plus près du front. L’infirmière en chef me regardait bizarrement : elle devait penser que j’étais stupide. Ou encore endormie. Ou les deux.
- Allez ! me pressa-t-elle.
Elle me montra un paravent derrière lequel j’enfilai prestement la tenue d’infirmière qu’elle m’avait lancée. J’avais de la chance : elle était à peu près propre. Y avait pire dans la pile visiblement. Puis je sorti rapidement de là avant qu’on ne me récupère pour aller assister un médecin faisant une amputation à vif sur un pauvre homme faute d’anesthésiant !

La nuit était tombée maintenant. La lune, pleine, et les étoiles brillaient de mille feux. Les bombardements s’étaient calmés. Le silence de la nuit n’était troublé que par quelques tirs sporadiques. Je demandai mon chemin plusieurs fois et fini par atteindre la tranchée qu’on m’avait indiquée. Je n’en menai pas large. Soudain un grand gars sortit le l’ombre et me jeta son manteau sur les épaules.
- Ma parole ! Vous cherchez la mort ou quoi ? Blanche comme vous êtes avec votre uniforme vous brillez sous la lune comme une chandelle dans l’obscurité.
C’est vrai que, côté discrétion, on pouvait faire mieux. Le type était déjà parti : je n’eus pas le temps de le remercier. Je m’enroulai dans la large capote sombre. Elle sentait assez mauvais et était toute tâchée de sang et de boue mêlée. Mais je ne fis pas la fine bouche, je me demandai seulement combien de gars l’avaient portée avant moi et si l’un d’entre eux (ou plusieurs) était mort dedans. Je n’eus pas vraiment le temps de philosopher sur ce point car un solide gaillard m’empoigna et se jeta à terre avec moi. J’en eu le souffle coupé. Alors que je tentai de me relever, j’entendis des tirs et au même moment un soldat déboula, comme tombé du ciel et vint s’écraser à l’endroit exacte où je me tenais une seconde avant. Sans le gaillard il m’aurait proprement aplatie !
Je le remerciai et l’aidai à relever le type qui venait tout droit du no man’s land, poursuivit par le feu nourri d’un ennemi invisible dans le noir de la nuit.
- Ben mon cochon ! C’était moins une !
Je ne sais pas s’il parlait de moi ou du tir.
- M’en parle pas ! Ces « reco » à force ça finira mal. Et je voudrai pas être le pauvre gars à qui ça arrivera. Bon c’est pas tout : il faut que j’aille faire mon rapport maintenant.
Tandis qu’il disparaissait je demandai au fameux gaillard s’il n’avait pas vu le caporal Astié.
- Ouais, j’l’ai vu passer y a pas longtemps. Il doit être un peu plus loin vers la cahute avec les gars de chez Bessonneau.
Bessonneau ? Le patron des usines d’Angers qui, selon la légende familiale avait emmené avec lui tous ses ouvriers « aux Dardanelles » pour contribuer à l'effort de guerre ? Les Dardanelles ! Elles devaient être vraiment très grandes ces Dardanelles, parce qu’on disait toujours ça, chez nous, pour parler de la guerre dans cette partie du monde : les Dardanelles. En fait mon arrière-grand-père avait connu plusieurs positions, comme Salonique par exemple, qui n’est pas précisément à côté des Dardanelles (500 km tout de même). Je m’apprêtai à demander si c’était vrai cette histoire du patron d’usine mais mon gaillard avait filé. Dommage, je ne saurai jamais le fin mot de l’histoire.

Je m’approchai des trois hommes qui discutaient à voix basse dans la tranchée. Parmi eux, je reconnu sans mal mon arrière-grand-père puisque j’avais hérité d’une photo de lui prise quelques mois plus tard et intitulée « retour de la guerre, 1919 ».
- Caporal !
Les autres s’esclaffèrent :
- On t’a retrouvé Astié ! tu y échapperas pas : va falloir retourner bien gentiment faire dodo.
Ils pouffèrent de nouveau.
- Pouvons-nous parler, caporal ?
Il me zieuta et me fit entrer dans la cahute derrière lui.
- ‘Tention la tête.
La porte était basse, la cahute faite de bric et de broc. Un bidon et une cagette renversée composaient l’essentiel du mobilier. Le caporal alluma une lampe sourde qui dispensa chichement sa lumière. Laissant ses yeux s’habituer à la pénombre, il me regardait fixement. Son hypermétropie [1] devait le gêner pour me reconnaître.
- Vous êtes nouvelle ? Vous n’étiez pas à l’infirmerie ce tantôt ?
- Non… Je rends visite aux soldats malades ou blessés.
Je ne sais pas si c’était plausible à cet endroit et à ce moment, mais aussitôt le caporal se détendit et respira mieux. C’était passé !
- D’ailleurs, je vous croyais au lit. On m’a dit que vous aviez fait une nouvelle crise de paludisme.
Comme à peu près 40% des personnes de l’aviation affectées en Orient, il avait d’abord attrapé cette satanée maladie qui le poursuivra toute sa vie durant, entraînant même une pension d’invalidité après-guerre.

Il se coinça un morceau de tabac dans la bouche et se mit à chiquer, mastiquant avec plaisir, expulsant de temps en temps à terre des jets de salive par de grands crachats, comme dans les films de cowboys. Habitude qu’il ne perdra pas en rentrant au pays. Le seul moment où il ne chiquait pas c’était pendant les repas : il mettait alors sa chique dans la doublure de sa casquette, ou sous la table, et la reprenait en partant, à la grande fureur de mon arrière-grand-mère !
Il sorti de sa besace une petite bouteille en argile et un gobelet en fer : il y versa une rasade généreuse d’un  liquide indéterminé.
- Vous en voulez ? C’est les gars qui la font en distillant de la patate. Ça vous rabote le gosier mais c’est pas mauvais. Attention quand même à ne pas en mettre sur vos vêtements, ça f’rait des trous.
- Euh… Non merci, ça ira.
Il avala donc la rasade qui m’était destinée et s’en servit une seconde pour ne pas laisser la première toute seule. Pour ma part, je regardais le gobelet, très légèrement cabossé dont il s’était servi. Remarquant mon intérêt, il l’admira lui aussi une seconde avant de me le tendre pour que je puisse le détailler de plus près.
- Pas trop moche, hein ? Je l’ai fait en 16, à Salonique. Tenez, c’est marqué dessus. Des fois le temps est long, surtout à l’infirmerie, alors j’ai fait ça pour m’occuper. J’aime bien travailler de mes mains. Je préfère le bois, mais ici…

Gobelet ciselé par Augustin Astié avec l’inscription « Souvenir de Salonique 1916 » © Coll. familiale

Je lui rendis le précieux objet et tentai d’en savoir plus sur ses activités :
- Mais que faites-vous dans les tranchées ? N’êtes-vous pas sensé vous trouver à l’arrière, sans même parler de l’infirmerie…
- Non d'une pipe de peau d'chien vert !!!
Oh mince ! J’avais provoqué son juron favori, signe d’un coup de sang et d’un grand mécontentement : j’avais intérêt à me tenir à carreau. Je changeai de sujet aussi rapidement que possible :
- Euh… C’était des hommes de l’usine Bessonneau avec vous ? Avez-vous tous été affectés au même groupe d’aviation ?
Sa colère retomba bien vite et après un jet de salive et de tabac mêlé, digne de figurer au Guinness des records, il me dit :
- Non ces deux-là  je les ai retrouvé par hasard. Les autres... y en a un paquet qui sont perdus…
Il n'en dit pas plus.
- Et que faites-vous alors ?
- Je fais partie des petites mains qui montent les hangars et font mille tâches dans la construction d'une base aérienne. Comme installer les tentes Bessonneau, qui protègent les aéroplanes ou d’autres qui servent d’hôpitaux militaires de campagne. 

Il me raconta un moment sa vie, aux Dardanelles (les vraies !) puis à Salonique : le froid extrême en hiver et les grosses chaleurs en été. Les marais, dernier endroit d’Europe où tu peux attraper le paludisme. Et les tranchées, comme partout ailleurs. Puis la conversation dévia sur sa femme…
- …et mon gosse, qu’est né en 13 et que j’ai presque pas vu. Y me r’connaîtra jamais quand j’vais revenir… Si je reviens un jour…
Il avait raison : le petit garçon s’est insurgé contre ce monsieur inconnu et qui, à peine arrivé, dormait dans le lit de sa maman. Cependant je taisais cette anecdote familiale et je le réconfortai sur son retour assuré.
- Vous êtes sûre ?
- Absolument.
Et pour cause. Mais je voyais qu’il commençait à montrer des signes de fatigue. Il avait beau faire le bravache, il se remettait (à peine) d’une de ces crises de paludisme qui vous terrasse un homme en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Je lui proposais donc de le raccompagner à l’infirmerie. Cette fois il ne se mit pas en colère et accepta même mon soutien pour finir le voyage. Encore quelques mois sur le front, et d’autres encore après la signature de l’Armistice, puis la démobilisation, enfin, en mars 1919 et le retour à la maison...

Famille Astié, 1919 © Coll. personnelle



Merci à mon oncle Jean, dont le texte est émaillé de ses souvenirs d’enfance.

[1] Hypermétropie : Sans équipement optique, l'hypermétrope doit fournir un effort de mise au point, le réflexe d'accommodation, pour obtenir une vision nette. Cet effort visuel est nécessaire en vision de loin, mais plus encore en vision rapprochée, c'est pourquoi c'est en vision de près que la vision se trouble (guide-vue.fr).


jeudi 3 octobre 2019

Les livres de bébé

Les « livres de bébé » ne sont pas une invention récente : j’en ai déniché un de 1946 (celui de ma mère en l’occurrence). 

L'album de 1946

Puis je me suis demandé si ceux d’aujourd’hui étaient très différents de ceux d’hier ou pas. J’ai donc emprunté à ma sœur le livre de son fils (né en 2010) et de sa fille (née en 2013). 

Le livre de 2013 (détail)

Ne gardons pas le suspens plus longtemps : globalement on y retrouve les mêmes rubriques. Mais avec quelques différences tout de même. Voici un tour d’horizon des livres de bébé, de la grand-mère aux petits-enfants.

Les rubriques communes

L'identité du bébé. « Bébé 46 » est née en décembre à 8h30, pesait 1,850 kg et mesurait 48 cm. Il est précisé qu’elle est née à terme, mais on dit dans la famille qu’une boîte à chaussure aurait pu être son premier berceau tant elle était menue. Ses petits-enfants pesaient 3,460 kg (« bébé 2010 ») et 2,860 kg (« bébé 2013 ») pour 51 et 47 cm.

La généalogie du bébé, du nouveau-né jusqu’aux grands-parents. En 1946 cela reste un tableau écrit, dans les années 2010 ce sont plutôt des photos.

Les ressemblances du nouveau-né. Ressemblance de BB46 : front de son père ainsi que la bouche et le nez de son oncle maternel (qui n’a que 8 ans de plus). BB10 : « Maman trouve que je ressemble à papa et papa à papa ». BB13 : on ne sait pas trop à qui elle ressemble.

Les premiers jours. BB46 « a très peu d’appétit » mais « les digestions sont bonnes ».  BB10 se réveille toute les deux heures pour la tétée : « pas facile pour maman mais toi tu aimes ! ». BB13 est allaitée par sa mère jusqu’à ses trois mois ; elle prend peu à chaque fois, mais très souvent (« toute la journée »), pour compenser.

L’alimentation : BB46 a été nourri au sein de sa mère pendant un mois, avec 6 tétées par jours, toutes les trois heures. Il est précisé que « le bébé ne prenant pas assez les tétées eurent lieu toutes les deux heures. Très petit appétit ». Il s’avère que le bébé a failli mourir parce que la mère n’avait plus de lait mais ne s’en est pas aperçue ! La semaine suivante une consommation mixte a été tentée : 3 tétées au sein alternées avec trois biberons. Il est précisé « lait maternel insuffisant, complété par du lait concentré ». Une ligne est réservée à la marque du lait concentré. Celui-ci a été pris de janvier à octobre, « date à laquelle le bébé prit du lait ordinaire, le lait concentré ne lui convenant plus ».
Elle a pris ses premières bouillies à 5 mois. Elles étaient composées de farine lactée Nestlé. « Au début une bouillie lactée le midi puis un mois après une bouillie au bouillon de légumes en plus le soir avant le dernier biberon, prise à la cuillère ». BB13 a goûté des aliments solides à partir de mars 2014 (de la purée de carotte). Au début elle aimait « tout », puis quelques temps plus tard : « rien ».

La première sortie. BB46 : « très fragile, ne pas la sortir avant un mois, surveiller très attentivement ». La prescription a été suivie, puisque celle-ci est ensuite décrite : elle a eu lieu 6 semaines après la naissance du bébé, elle a duré une heure, dans sa voiture (landau). Le trajet est décrit rue après rue. BB13 a fait sa première sortie au parc dès sa sortie de la maternité.

Les dodos de bébé. Le sommeil est de BB46 est « très bon », elle « n’a pleuré qu’une nuit et jamais après ». BB10 a fait sa première nuit à 2 mois et trois semaines, puis maman a rayé et a corrigé : « Erreur ! Une semaine plus tard c’était terminé ! ». Il a fallu attendre que bébé trouve son pouce (à trois mois) pour s’endormir seul et… dans son lit : avant il n’acceptait que le cosy ou le lit de ses parents.

Les cadeaux faits à bébé. En 1946 on reste dans la tradition des incontournables couverts en argent (assiette, cuillère et timbale) ou des cadeaux utilitaires (robes, manteaux, capuchon…). Passé les années 2000 on trouve des peluches et doudous à la pelle (« à peine née tu as déjà plein de peluches ; il n’y a d’ailleurs plus de place dans ton berceau. »). Les hochets ont traversé le temps et les générations.

La silhouette du pied et de la main de BB46 ont été tracés lors de ses 18 mois, mais on a du s’y reprendre plusieurs fois pour celle de la main : la mère a ajouté une parenthèse précisant « elle a bougé ». Pour BB10 ce sont deux photos d’empreintes (mains et pieds) laissées dans le sable qui remplacent les silhouettes faites au stylo à bille.

Les jouets de bébé : en mars 1647, BB46 joue à cuire les aliments; en avril 1948, elle joue à la balle. Ses jouets préférés : à 2,5 ans elle préfère les boîtes. Des gros boutons lui représentent des perles, de l’argent ou des billes. C’est le seul jeu, avec ses cartes et ses boîtes, qui plaisent. Celui de BB10 est Sophie la Girafe.

La croissance du bébé : pour BB46 chaque semaine son poids est noté, depuis la naissance (1,850 kg) à la 13ème semaine (4,400 kg). En trois mois le bébé a pris 9 cm ; puis de la 14ème à la 26ème semaine (6,150 kg et 62 cm) ; de la 27ème à la 39ème semaine (7,200 kg et 66 cm) ; et enfin de la 40ème à 52ème semaine (8,500 kg et 70 cm). Pour BB13 taille et poids sont indiqués de la naissance à 12 mois (2,860 kg et 47 cm) à (7,900 kg et 69 cm).

Le diagramme de la courbe de poids du bébé : en 1946 la courbe en rouge indique le poids « normal », en bleu celui du bébé, qui se situe toujours à 1 kg en dessous de la précédente. En 2010 il n’y a pas de courbe « normale », mais seulement les indications parentales : d’un peu plus de 3 kg à la naissance jusqu’à 13 kg à 27 mois. Sa taille est notée sur un tableau : de 60 cm à 3 mois jusqu’à 87 cm à 2 ans.

Le développement physique de bébé (rebaptisé « mes premières fois » en 2010) :
- le bébé a tenu sa tête droite à 5,5 mois
- s’est tenu assis à 8 mois
- s’est traîné à 9 mois
- s’est tenu debout à 10 mois (BB46), 7 mois (BB10)
- a fait ses premiers pas à 1 an
- a marché seul à 16 mois

Habileté manuelle : BB46
- a commencé à se servir de ses mains pour saisir un objet à 6 mois (BB46), 3 mois (BB10)
- s’est servi seul d’une cuillère à 15 mois et d’une fourchette à 22 mois
- a été mis à table pour la première fois à 2 ans

Éveil de l’intelligence :
- a prêté attention au son à 3 mois
- a souri à 1 mois (BB46), 2 semaines (BB10)
- a tendu les bras le jour de son baptême
- a dit maman à 1 an
- a tenu son biberon seul à 6 mois (BB10) et à 1 an pour BB13

Le langage :
Parole : BB46 dit tout ce qu’on lui fait dire, à 27 mois, mais très mal ; pas de grandes phrases encore. Les premiers mots de BB46, après papa et maman furent : cola, ateau (gâteau), aisin (raisin), ayer (ça y est), que c’est ça, qu’est là-haut. Vers 15 mois : non et popo, susucre ; appelle Nicole [sa sœur cadette] « aco » puis « quicole ». A 2,5 ans parle à peu près couramment.
BB10 disait « ça tique » (ça pique) ou « Batelot » (pour matelot).
BB13 a commencé par dire un truc ressemblant à « au revoir » le soir au coucher. Mais longtemps elle est restée « tout juste muette. Ça ne t’intéresse pas beaucoup de parler » [et dire que maintenant elle est si bavarde !]. Son premier maman a été dit à 19 mois et papa à 20.

La marche : après avoir marché 4 mois le long des murs, BB46 s’est lancée à travers la cuisine à 16 mois ; n’a bien marché qu’à 17 mois (coqueluche).
A un an BB13 marchait en se tenant aux murs.

Les dents de bébé : un croquis d’une bouche est dessiné, chacune des dents se voyant attribué un numéro. A côté les numéros sont reportés dans un tableau et la place est laissée pour y mettre la date d’apparition de chaque dent. Pour BB46, la première dent, une incisive de la mâchoire inférieure, est apparue à l’âge de 7 mois, la dernière a poussé en mars 1949. La maman précise que « les dents sont sorties par 2 ou 3 la même semaine, toujours accompagnées de bronchites dentaires, un peu de fièvre, une perte d’appétit [déjà qu’elle n’en n’avait pas !] et par là même de poids. Mais elles n’ont pas causées de grandes douleurs. » BB13 a eu sa première dent en avril 2014 (une incisive inférieure). Les dents ont poussé sans douleur. Une enveloppe collée en bas de page contient la première dent de lait tombée en mai 2019.

La vaccination du bébé. La vaccination antituberculeuse n’a pas été faite, l’antivariolique en octobre 1947 et a entraîné une forte fièvre (« presque 40 »). Une feuille volante de petit format est glissée à cette page : c’est un certificat de la sage-femme de la « Maison d’accouchement de Mme Antoine » certifiant que le bébé a été vacciné « avec succès » 11 mois après sa naissance (il correspond au vaccin antivariolique, bien que ce ne soit pas précisé).

Les maladies infantiles : du premier rhume de BB46 à 3 mois et demi jusqu’à la rougeole à 18 mois. En dehors des maladies classiques, on soulignera « une grande anémie » à 10 mois. BB13 a eu la varicelle en juin 2014 et il a fallu « 4 médecins pour la diagnostiquer et un passage aux urgences pédiatriques ».

La mèche de cheveux :
BB46 coupée le 12 avril 1949
BB10 (non datée)
BB13 coupée à 2 ans et un mois


Les mèches de cheveux de bébés

Les inédits de 1946

L’extrait de naissance du bébé.

Le baptême de bébé nous renseigne sur sa date, le lieu, le parrain (oncle paternel par alliance) et marraine (tante maternelle) et les personnes présentes.

Les habitudes de bébé
Les bonnes habitudes :
- propre le jour à 15 mois
- marche seule à 16 mois
- se relève quand elle tombe à 17 mois
Les mauvaises habitudes :
- suce son pouce à 2,5 mois
- va bouder dans un coin à la moindre contrariété à 20 mois

Le caractère à différents âges :
- un an : coquette, coléreuse, pas méchante, jalouse mais bon cœur.
- à 18 mois : elle se vexe et boude.
- à 2 ans : elle est très complaisante, cherchant toujours quel objet peut manquer pour l’apporter aussitôt et a très bon cœur ; adore sa petite sœur qui le lui rend bien ; mais elle est capricieuse, entêtée.


Les inédits des années 2010

- Avant moi : comment mes parents se sont rencontrés, les conditions d’annonce de la grossesse, comment se passe-t-elle, les échographies.

- Le jour de mon arrivée. On y décrit la météo, des extraits de journaux racontent l’actualité. Ce qu’on entend à la radio et voit au cinéma, le signe astrologique.

- Le choix des prénoms. Quels étaient les envies de la future maman et ceux du futur papa et le choix final (des prénoms doubles qui reprennent les deux souhaits des parents).

- La maternité : les bracelets de naissance de la maternité, les premiers mots dits au bébé, les photos à la maternité.

- L'arivée à la maison : la chambre, le faire-part de naissance, les doudous, le premier bain : donné par maman à BB13 qui a semblé ne pas trop apprécier cette nouvelle expérience, les premières bêtises. « Pas de bêtise dit maman, tu es très sage !!! » BB10.

- Les photos d’anniversaires et autres (première sortie, vacances, Noël, etc…).

- Les premiers dessins.


Globalement on retrouve donc des rubriques identiques, même si elles ne sont pas libellées exactement de la même manière. Chaque livre de bébé est le reflet de son époque, tant au niveau de la morale que du visuel.

Ainsi celui de 1946 est assez moraliste (« Ainsi vous aurez rendu service à ce petit être, chair de votre chair, et aurez étendu sur lui […] la tendre protection que l’oisillon demande aux ailes de sa maman. »). Il est édité par Nestlé donc il est légèrement orienté (« Combien précieux alors seront […] tant de renseignement sur l’alimentation... »). Mais passé 2010 on est dans une ère beaucoup plus visuelle : les albums sont donc plus ludiques, plus décorés et laissent une grande place à l’image. Si, dans l’album de 1946 il y a bien des pages réservées aux photos, elles sont presque toujours vides (il n’y a qu’une seule photo).

Le livre de bébé de 1946 adopte un ton descriptif (« a marché à tel âge ») tandis que ceux des années 2010 sont adressés directement à l’enfant (« tu adorais ça »).

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Enfin je souhaite faire une dédicace personnelle à BB13... née un 3 octobre...



samedi 21 septembre 2019

#RDVAncestral : Les toiles de bébé

J’étais venue pour à la Coulonge (Orne) le baptême de Catherine Mesenge, mon ancêtre à la XIème génération. Mais finalement, au lieu d’aller à l’église, je me dirigeai vers la maison de ses parents.

Je frappai : pas de réponse. Pourtant, Françoise Salles, épouse Mesenge, était forcément là : on était juste après la naissance du bébé et donc les relevailles n’avaient pas été accordées à sa mère. De plus, il y avait de la fumée qui sortait de la cheminée et de la lumière filtrant aux fenêtres. Je décidai d’entrer. Un petit chaudron était en train de mijoter lentement dans la cheminée. Seul le doux frémissement du ragoût troublait le silence de la maison.

La porte de la pièce voisine était entrouverte : je m’approchai. Le petit Pierre, âgé de trois ans, n’était pas visible. Mais Françoise était là, elle. Non dans son lit garni d’une couette, oreillers et traversin, au chaud sous une couverture de sarge comme je l’imaginai, mais par terre, agenouillée. Elle me tournait le dos. Elle était devant un grand coffre de bois de frêne ouvert, la clé encore dans la serrure. Son coffre de mariage j’imagine. Les aunes de tissus, draps, serviettes et même l’habit de noce reçu lors de son contrat de mariage s’y entassaient.
Je m’approchai : Françoise tenait serrée dans ses mains quelques pièces de toile. Les larmes inondaient son visage.

- Françoise ?
Pas de réponse. J’appelai encore, un peu plus fort cette fois.
- Françoise ?
J'avançai davantage et lui touchai l’épaule.
- Françoise ? Puis-je vous aider ?
- …
- Que tenez-vous là ?
- C’est…
- Oui ?
- C’est… Ce sont des toiles… que j’ai cousues et confectionnées pour… pour Marie.
Je comprenais mieux maintenant.
- Marie ? Votre première-née ?
- Oui. J’avais préparé des linges pour l’emmailloter et la tenir au chaud pour aller à l’église la faire baptiser. Malheureusement elle n’en n’a pas eu besoin du petit linge que je lui avais préparé… « Aussitôt après décédée et inhumée » qu'a dit le curé. Alors j’ai remisé ces toiles dans mon coffre.
- Et trois ans plus tard, tu les as ressorties, n’est-ce pas ? (j’étais passé au tutoiement sans m'en rendre compte).
- Oui, pour Marguerite. Née et décédée le même jour. Elle non plus ne les a pas utilisées.
- Puis est venu Pierre, et aujourd’hui Catherine.
- Oui… mais aura-t-elle le temps de les user ?


 Linge © picclick.fr

Elle serra contre elle les toiles destinées à l’usage du nourrisson et étouffa un sanglot plein d’appréhension pour l’avenir de cette petite fille dont les deux aînées n’avaient pas vécues.
Le mois de janvier 1685 soufflait sa fraîcheur jusque dans la chambre : j’aidai Françoise à se recoucher, bien au chaud. Doucement, je lui retirai les linges qu’elles tenaient encore et les déposait précautionneusement dans le coffre. Approchant une chaise de son lit, je lui tenais compagnie. Je tentai d’alimenter la conversation, mais Françoise, quand elle me répondait, ne prononçait que quelques monosyllabes. Finalement, je laissai le silence reprendre ses droits. Françoise fixait intensément la porte. Serait-ce la porte du malheur, le père revenant sans enfant, la petite Catherine ayant déjà expiré comme ses deux sœurs ? Ou serait-ce la porte sinon du bonheur au moins de l’espoir, le bébé revenant affamé de lait et de vie ?
Le temps passait et la tension montait.

Finalement Anthoine Mesenge rentra, dans un tourbillon de neige. Sans s’en apercevoir, Françoise et moi retenions notre respiration, dans un ensemble commun chargé d’attente. Enfin, Anthoine déroula la longue houppelande qui l’enveloppait et découvrit un nourrisson étroitement emmailloté. Était-ce le voyage, l’arrêt, le changement de température ou de position, quoi qu’il soit un cri de protestation se fit entendre, crevant d’un coup le silence angoissé de la maison et nous rendant le souffle, à Françoise et à moi. Anthoine donna le bébé à sa mère.

Je me rendis compte que je m’étais laissée contaminée par l’angoisse de Françoise, alors que je savais pertinemment que Catherine vivrait, puisque j’étais sa lointaine descendante. Je regardai le coffre de bois : les toiles qu’il contenait serait bien utilisées par Catherine, puis par ses futures sœurs, aussi prénommées Marguerite et Marie (dans cet ordre). Rassurée, je quittai le couple et leur bébé… et les aunes de toiles attendant qu’on les transforme en divers vêtements et robes au fur et à mesure que la jeune Catherine grandirait.


vendredi 6 septembre 2019

La vie est courte : #3 La mariée

La vie est courte... Une histoire à trois personnages, trois visions des événements, trois épisodes. Voici le n°3.
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Lundi premier juin 1772

Marie Françoise était peinée : ses voisins disaient adieu à la mère, Barthélémière.
Elle est était si jeune encore. Une cinquantaine d’années, c’est trop tôt pour mourir. Elle laisse un mari et sept enfants. Les aînés sont en âge de se marier, mais les derniers n’ont que 16 et 14 ans. Mais bon : c’est comme ça et on n’y peut rien. Ma mère a la santé, c’est l’essentiel. J’espère que cela durera longtemps.

Été 1773

Quelle chaleur ! Dans nos hauts plateaux nous n’en n’avons pas l’habitude. La récolte cette année a été particulièrement difficile à faire. Heureusement qu’on peut compter sur la solidarité entre voisins pour travailler plus vite. Je suis bien contente d’être de corvée d’eau encore aujourd’hui : c’est quand même moins fatiguant. Tiens c’est le jeune Claude : il a l’air fatigué.
- Veux-tu un peu d’eau ?
- Bien volontiers ! Merci, répondit Claude.
Ils bavardèrent un moment. Marie Françoise enviait les enfants qui jouaient à l’ombre d’un grand arbre. Elle abrégea la conversation pour aller les rejoindre dans l’espoir de respirer un peu d’air frais.


Léon-Augustin Lhermitte © wikipedia

Lundi 7 février 1774

Un soir mon père m’appela :
- Marie Françoise ! J’ai discuté avec le père Beroud : tu vas épouser son fils Claude. C’est prévu pour lundi prochain. Allez file maintenant.
- Bien père.
Je me doutais bien que ça ne tarderait pas à arriver. Mais avec le fils Beroud ! Je parie qu’une certaine pièce de terre va atterrir dans ma corbeille. Ma mère n’a rien dit. Elle n’a pas son mot à dire. Comme moi.
Je sais quel est mon devoir, mais ce Claude c’est à peine si je le connais, j’ai juste discuté quelques fois avec lui, entre voisins quoi. Et puis il est bien jeune, il n’a même pas 16 ans. C’est à peine encore un homme.

Lundi 14 février 1774

Dans la petite église Saint Blaise, et devant ses paroissiens assemblés, le curé de Lalleyriat maria Claude Beroud Maure, 15 ans, et Marie Françoise Alombert Goget, 18 ans.
La mariée était résignée.

Dimanche 9 février 1783

Le beau-père de Marie Françoise agonisait : il n’allait pas tarder à rejoindre sa défunte femme Barthélémière.
Elle était toujours résignée contre son sort qui lui avait imposé un époux si jeune. Même si aujourd’hui, à 28 ans, la différence d’âge se faisait moins sentir avec Claude. Elle était sur le point de donner naissance à leur cinquième enfant. Ou plutôt quatrième puisque la petite dernière était décédée en bas âge. Mais il en restait trois dont il fallait s’occuper. Quoi qu’il arrive, elle ne pourra pas assister à ses funérailles.

L’an XIII de la République française e t le quinzième jour de Germinal (jeudi 4 avril 1805)

Marie Françoise ne sut jamais qu’en ce levant ce matin-là son jeune époux la regrettait finalement. Épuisée par ses onze grossesses et la vie de la ferme, ayant quitté le monde à 47 ans trois ans plus tôt, elle n’avait guère eu le temps d’être résignée encore. La vie était passée si vite.


Fin

Retrouvez la série complète :
#3 La mariée


jeudi 5 septembre 2019

La vie est courte : #2 Le marié

La vie est courte... Une histoire à trois personnages, trois visions des événements, trois épisodes. Voici le n°2.
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Lundi premier juin 1772

Claude était triste : il disait adieu à sa mère Barthélémière.
Je suis si jeune encore. Quatorze ans, c’est trop tôt pour être orphelin… et me laisser. Heureusement il y a mes frères. Et le père. Dommage que ma sœur Jeanne soit partie, elle qui m’a si souvent gardé et consolé quand le père était trop dur.

Été 1773

Oh ! J’ai le dos brisé. La récolte cette année a été particulièrement difficile à faire. Pourtant j’ai l’habitude : je fais ça depuis tout petit. Mais cette chaleur qui nous accable et la poussière qui pique les yeux et nous fait tousser.
- Veux-tu un peu d’eau ? demanda Marie Françoise qui faisait la tournée avec un sceau et une louche, prête à désaltérer ceux qui besognait dur au soleil.
- Bien volontiers ! Merci, répondit Claude.
Ils bavardèrent un moment. Ce n’était pas tant pour la porteuse d’eau que pour la pause, mais toute occasion était bonne à prendre.
Heureusement qu’il y a cette eau il fait si chaud ! Enfin, c’est terminé. Et on aura tout rentré avant la pluie qui menace. Tant mieux !


Léon-Augustin Lhermitte © wikipedia

Lundi 7 février 1774

Un soir mon père m’appela :
- Claude viens ici ! J’ai discuté avec le père Alombert : tu vas épouser sa fille. C’est prévu pour lundi prochain.
- Quoi ? Mais enfin je la connais à peine. Et je ne veux pas me marier. En plus elle est beaucoup trop vieille !
- Pardon ? Tu oses me contredire devant tout le monde ? J’ai dit que tu allais te marier et tu vas le faire. De toute façon tout est arrangé : tu ne voudrais pas me faire revenir sur une promesse ? Pour qui je passerai moi ? Et puis elle n’est pas si vieille.
- Mais…
- Ça suffit ! J’ai dit ! Fin de la discussion. Et maintenant va te mettre au travail : personne ne fera tes tâches à ta place !
C’est comme ça qu’il m’a appris la nouvelle. En allant nourrir les bêtes la colère me submergea.
Je suis trop jeune pour se marier, je n’ai même pas 16 ans. Je ne suis pas encore un homme. Et puis, la fille Alombert c’est à peine si je la connais, j’ai juste discuté quelques fois avec elle, entre voisins quoi !

Lundi 14 février 1774

Dans la petite église Saint Blaise, et devant ses paroissiens assemblés, le curé de Lalleyriat maria Claude Beroud Maure, 15 ans, et Marie Françoise Alombert Goget, 18 ans.
Le marié était en colère.

Dimanche 9 février 1783

Le père de Claude agonisait : il n’allait pas tarder à rejoindre feue Barthélémière.
Claude était toujours en colère contre son père qui lui avait imposé ce mariage si jeune. Même si aujourd’hui, à 24 ans, la différence d’âge se faisait moins sentir avec son épouse. Celle-ci était sur le point de donner naissance à leur cinquième enfant. Quoi qu’il arrive, il décida de ne pas assister à ses funérailles.

L’an XIII de la République française e t le quinzième jour de Germinal (jeudi 4 avril 1805)

Claude ne saura jamais qu’en ce levant ce matin-là il ne verrait pas le coucher du soleil, la mort l’emportant, mettant fin à une vie assez brève (il n’avait que 51 ans). Il n’eut pas le temps de faire le bilan de son existence. L’eût-il fait il se serait aperçu que sa défunte épouse lui manquerait. Celle qu’il ne voulait pas épouser à 15 ans, qui lui avait donné 11 enfants et l’avait quitté trois ans plus tôt. Il n’était plus en colère, juste nostalgique d’une jeunesse passée trop vite.


La suite demain…

Retrouvez la série complète :
#2 Le marié


mercredi 4 septembre 2019

La vie est courte : #1 Le père

La vie est courte... Une histoire à trois personnages, trois visions des événements, trois épisodes. Voici le n°1.
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Lundi premier juin 1772

Jean François était triste : il disait adieu à son épouse Barthélémière.
Elle est était si jeune encore. Une cinquantaine d’années, c’est trop tôt pour mourir… et me laisser. Et puis il y a les enfants ! Que vais-je devenir avec ces sept-là ? Heureusement notre fille est déjà casée et les fils sont grands… Enfin, les aînés : les derniers n’ont que 16 et 14 ans. Mais bon : c’est comme ça et on n’y peut rien. Retournons à la ferme car la besogne n’attend pas.

Été 1773

Ouf ! la récolte est rentrée. Juste avant la pluie qui menace : nous avons eu de la chance. Tiens j’ai remarqué que Claude travaillait souvent au plus près de notre jeune voisine, Marie Françoise Alombert Goget. Je les ai vu discuter à la foire aussi je crois. Il serait bon d’aller voir le père : on pourrait les marier et cela ferait une bouche de moins à nourrir. Je ne pensais pas commencer par lui, mais pourquoi pas ?

Léon-Augustin Lhermitte © wikipedia

Lundi 7 février 1774

- Claude viens ici ! J’ai discuté avec le père Alombert : tu vas épouser sa fille. C’est prévu pour lundi prochain.
- Quoi ? Mais enfin je la connais à peine. Et je ne veux pas me marier. En plus elle est beaucoup trop vieille !
- Pardon ? Tu oses me contredire devant tout le monde ? J’ai dit que tu allais te marier et tu vas le faire. De toute façon tout est arrangé : tu ne voudrais pas me faire revenir sur une promesse ? Pour qui je passerai moi ? Et puis elle n’est pas si vieille.
- Mais…
- Ça suffit ! J’ai dit ! Fin de la discussion. Et maintenant va te mettre au travail : personne ne fera tes tâches à ta place !
Le père était contrarié :
Dire que je pensais lui faire plaisir ! Peuh ! Quel ingrat ! Bon d’accord il est un peu jeune pour se marier, mais à quelques jours près il a 16 ans. C’est un homme maintenant. Et puis, la dot nous amène une belle pièce de terre…

Lundi 14 février 1774

Dans la solide église Saint Blaise, et devant ses paroissiens assemblés, le curé de Lalleyriat maria Claude Beroud Maure, 15 ans, et Marie Françoise Alombert Goget, 18 ans.
Le père était satisfait.

Dimanche 9 février 1783

Jean François agonisait : il n’allait pas tarder à rejoindre sa défunte épouse Barthélémière.
Faisant le bilan de sa vie il s’estimait content : il avait pu élever ses sept enfants, entretenir et faire prospérer la ferme, la léguer à son aîné. A près de 70 ans, il ne redoutait pas la mort. Il décida de préparer ses funérailles.

L’an XIII de la République française e t le quinzième jour de Germinal (jeudi 4 avril 1805)

Décédé le 10 février 1783, Jean François ne sut jamais si son fils lui avait pardonné ce mariage précoce : ils ne se parlaient plus depuis longtemps. De la même manière il ignora que son fils, en outre d’être un très jeune marié, eut une vie assez courte aussi. 


La suite demain…

Retrouvez la série complète :
#1 Le père