« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

dimanche 26 janvier 2020

Comment trouver la tante Paulette ?

La tante Paulette fait partie de ces ancêtres du XXème siècle : tout le monde s’en souvient (un peu) mais l’a oubliée (un peu). On sait qu’elle a existé, mais on ignore quand elle s’est mariée, où elle est décédée, etc… Absorbée par ce fameux « trou noir de la généalogie » : les archives ne sont pas forcément accessibles et cela devient difficile de combler les trous de mémoire. Dans toutes les familles il doit y avoir une tante Paulette. Mais comment la retrouver ?


 © Pixabay

Ma tante Paulette à moi est la « tante Paulette » de tout le monde dans la famille, quelque soit la génération à laquelle on appartient. En vrai c’est la tante de mon grand-père, mais tous ceux qui sont arrivés après lui ont continué à l’appeler la « tante » même si elle n’avait plus vraiment ce rang par rapport à eux dans l’arbre généalogique.

  • Mai 2016
Création officielle de sa fiche dans mon logiciel de généalogie. Apparue tardivement par rapport à ses frères et sœurs, sans doute parce que je n’avais pas d’information concrète sur elle.
En effet, ma tante Paulette, je la cherche depuis longtemps (avant 2016, pour sûr !). Je suis bien obligée de croire la mémoire familiale quand on me dit qu’elle a vécu et s’est marié avec un certain Camille, car ledit Camille est le parrain de ma mère. Ces choses-là on s’en rappelle.
Après le décès de ma grand-mère j’ai hérité de photos et de lettres de la tante Paulette (c’est sans doute ce qui a provoqué la création de sa fiche sur mon logiciel). Mais c’est bien peu.

J’entreprends des recherches plus approfondies pour trouver la tante Paulette. Toute la famille de la tante est originaire de Seine et Marne. Mais elle déménage souvent : je fais des sauts de puce d’une commune à l’autre pour tenter de débusquer Paulette. En vain.

  • Les années passent.
La tante Paulette disparaît comme une silhouette sur une photo trop ancienne.

  • Avril 2018
Retour de la tante Paulette à l’occasion d’un article « #Généathème : j’ai fait parler une carte postale ».
Une carte qu’elle a écrite à mon arrière-grand-mère où elle dit « ma petite sœur » me laisse penser qu’elle est l’aînée de la fratrie. Mais le mariage des parents et les naissances de leurs enfants se suivent à un rythme si serré qu’il est difficile d’y caser une tante, même si d’aventure j’avais manqué une commune de résidence : mariage en 1900, premier-né en 1901 et déjà mon arrière-grand-mère Marcelle en 1902. Et les autres encore après : 1905, 1906, 1908, 1909, 1910.
Les registres en ligne, qui m’ont permis de progresser tant ces dernières années (recensements, naissances de la fratrie…) s’arrêtent là. Est-ce que « ma petite sœur » est simplement un nom affectueux qu’elle lui donne, bien qu’elle soit la cadette et non l’aînée ?

Régulièrement je vais voir sur le site des archives départementales si la ligne du temps n’a pas évolué : une nouvelle campagne de numérisation des actes d’état civil ? De nouveaux documents ? Mais non. La tante Paulette sait se faire désirer.

Sans compter que la mémoire familiale est capricieuse : on situe la tante tantôt à Saint-Ouen (Val d’Oise) ou peut-être Enghien (idem) tantôt dans le Sud. Le Sud ! Comment trouver un ancêtre dans « le Sud » ! Trop vaste, le Sud.
La tante brûle sous le soleil et moi je me consume dans mon brouillard.

  • Fin 2019
Un rebond, un frémissement.
L’INSEE met en ligne les décès de 1970 à nos jours. Je tente ma chance : une Paulette Henriette sort du chapeau. Pas assez d’informations pour prouver que c’est bien elle, mais pas assez non plus pour affirmer le contraire. Et surtout une surprise de taille : cette Paulette-là est née en 1912 ! Adieu droit d’aînesse ! Mais les registres de 1912 ne sont pas en ligne.

  • 12 décembre 2019
Je fais une demande d’acte de naissance auprès des services publics en ligne pour prouver que c’est bien « ma » tante Paulette. Les jours passent. En attendant je contemple l’année de décès : 2008. Est-ce que je la cherchais déjà en 2008 ? Peut-être. Est-ce que j’aurais pu la contacter si j’avais su qu’elle vivait encore ? Pas sûr qu’elle m’aurait aidée si j’en crois son caractère décrit comme « un peu difficile ».
Et où est-elle décédée cette Paulette-là ? A Broons (Côtes d’Armor) ! A moins de 50 km de Loudéac où sa mère est née avant d’immigrer en région parisienne. Les hasards de la vie, quand même… Bien sûr, aucune chance que j’aille la chercher par-là.Il faudra que je tente de savoir ce qu'elle faisait en Bretagne, mais d'abord je dois prouver que c'est bien elle.

  • 21 décembre 2019
Je tente ma chance et convoque la tante Paulette lors du récent « #RDVAncestral : la tante insaisissable ».  Mais même dans mon imagination, la tante Paulette n’est pas facile à débusquer.

  • Noël 2019
J’attends toujours l’acte demandé, mais c’est maintenant les fêtes… Patience.

Je me replie alors sur Camille, son époux. Il n’apparaît pas dans les relevés de l’INSEE. Je me rappelle une mention sibylline dans les papiers de famille, « sépulture de l'oncle Camille de juin 1949 », sans plus de détail. C’est pour cela qu’il n’apparaît pas dans les relevés de l’INSEE : ils ne commencent qu’en 1970.
Son fils unique n'apparaît non plus. Peut-être est-il encore vivant ? La famille fantôme…

  • 26 décembre  2019
Les jours passent à nouveau… J’ai peur que la piste se refroidisse, mais un autre rebondissement la garde tiède. Les archives de Paris mettent en ligne les fichiers des électeurs de Paris et du département de la Seine (c'est-à-dire Paris et plusieurs actuels départements limitrophes) pour la période 1860/1939. Pas question d’y trouver Paulette, qui n’est qu’une femme et n’a pas besoin de voter, mais Camille ?
Je trouve bien un « Camille Marie » domicilié à Saint-Ouen, rue des Rosiers, en 1938. Je veux confirmer que c’est bien « mon » Camille, mais dans le dernier recensement mis en ligne, daté de 1931, je ne trouve pas de rue des Rosiers : la rue était une impasse ! Banlieues nouvelles, rues nouvelles.
Et comme on n’est pas avare de surprises dans la famille, ce Camille-ci est né… au Mans (Sarthe). Mais est-ce bien lui ? Le Mans ! Je ne l’avait pas vu venir celle-là ! Cette fois je passe par le Fil d’Ariane, en insistant lourdement sur les mentions marginales car ce sont elles qui me diront si c’est « mon » Camille.

  • 31 décembre 2019
J’attends toujours Paulette, mais Camille arrive dans ma boîte aux lettres (et encore merci aux bénévoles du Fil d’Ariane de la Sarthe, plus rapides que les services officiels de l’administration). Mentions marginales : date et lieu de mariage (1937 à Saint-Ouen) avec la fameuse Paulette Henriette ; date et lieu de décès (1949 à Saint-Ouen) ! 
C’est bien mon Camille. C’est donc sans doute possible ma Paulette. Il ne me reste plus que la copie de l’acte de naissance pour le prouver.

  • 13 janvier 2020
L’acte de naissance demandé il y a un mois ne m’est toujours pas parvenu. J’appelle donc la mairie concernée qui me dit qu’il ne faut pas passer par ce service, mais demander directement chez eux, avec une copie de ma pièce d’identité en pièce jointe (sic). Je m’exécute aussitôt.

  • 26 janvier 2020
Toujours rien au courrier. Je n’ai plus guère de doute, grâce à l’INSEE et aux listes électorales, saupoudrés d’un peu d’entraide, j’ai sans doute débloqué une épine généalogique de plusieurs années. 

  • 27 janvier 2020
L'acte de décès de la Paulette Henriette arrive dans ma boîte aux lettres :

Paulette Henriette, tante par procuration trans-générationnelle, est enfin officialisée !

Mise à jour 31 janvier 2020 : l'acte de naissance de Paulette arrive dans ma boîte aux lettres... et surprise elle a été mariée quatre fois ! Cachotière la tantine. De nouvelles recherches en perspectives...


samedi 18 janvier 2020

#RDVAncestral : Joseph est toujours vivant

En ce début du mois de février 1765, j’arrivai dans le silence d’une mort annoncée : on veillait ici Joseph Godet qui respirait à peine et pour qui la grande faucheuse patientait déjà devant la porte de la maisonnée, attendant calmement, mais sûrement, son dû. Car elle ne repartirait pas seule, à n’en pas douter. Tous ici savaient que Joseph allait bientôt quitter ce monde. Ce n’était pas grave, juste dans l’ordre des choses : ainsi va la vie. Parents, amis et voisins s’étaient donc retrouvés là pour accompagner Joseph dans ses derniers instants. Et je m’étais faufilée parmi eux.

Certains ne faisaient que passer à son chevet, d’autres restaient plus longtemps. Tantôt on se réunissait par petits groupes, chuchotant des anecdotes partagées, tantôt on restait seul plongé dans ses souvenirs. Les enfants emmenés là s’étonnaient encore de pouvoir veiller si tard et comptaient bien en profiter, même s’ils avaient clairement compris que l’ambiance n’était pas à la fête. Certains, ravis, se lançaient le défi de ne pas dormir de toute la nuit… avant de succomber tour à tour dans le sommeil. Les vieillards eux aussi étaient étonnés : d’être encore là ou bien  simplement se demandant quel serait le prochain à jouer le premier rôle dans cet acte particulier qui clôt la pièce de la vie.

Puis je fus autorisée à m'approcher auprès de l’agonisant. Il était allongé dans son lit, respirant avec difficulté. Quelques chaises étaient disposées là pour les veilleurs. Je m’installai près de lui et le regardai longuement. Il n’avait rien de particulier : c’était un paysan du XVIIIème siècle comme il y en avait des milliers. Il avait près de 80 ans : on ne pouvait donc pas se désoler d’une mort brisant une jeune vie. Il était entouré de ses proches : j’avais remarqué au moins deux de ses fils, Louis et Jean, ainsi que son cousin, aussi prénommé Jean. Et d’autres encore : il n’était pas seul. Il était né, s’était marié, avait eu des enfants, avait travaillé, puis laissait son tour maintenant. Bien sûr il avait connu des deuils : ses parents, son épouse une vingtaine d’années plus tôt. Mais c’était dans l’ordre des choses. Qui n’avait pas connu cela ?

Son cadre de vie, ce pays qu’on appelle la Vendée, n’avait pas changé depuis des siècles et sans doute pensait-il qu’il en serait ainsi pour des siècles encore. Bien sûr il ne pouvait pas anticiper les bouleversements que connaîtraient ses petits enfants : la Révolution, le pays laminé par des guerres civiles, la mort d’un roi voulue par son peuple ! La mort d’un roi : comment imaginer cela ? Il ne connaîtrait même pas la gigantesque sucrerie surmontée d’un ange doré comme un personnage sur un gâteau de mariés qui viendrait remplacer, une centaine d’année après lui, la belle église romane qu’il avait toujours vue et fréquentée.

Bien sûr, il ne pouvait pas imaginer les changements de la société que connaîtraient ses descendants : révolutions politiques, industrielles, religieuses, sociétales. Il ne savait rien de tout cela. La seule chose qu’il savait c’est qu’il allait mourir et que les pelletées de terre jetées sur son corps déjà froid allait le plonger dans l’oubli, aussi vite que ses prédécesseurs l’avaient été avant lui.

Je voulais lui parler, en savoir davantage sur lui. Car, bien sûr le temps avait fait son œuvre et l’avait presque effacé du passé. Lui ignorait tout des événements des siècles qui nous séparaient, moi je ne savais presque rien de sa vie. De lui je ne connaissais que ce que m’en avaient dit trois actes paroissiaux (ou peut-être seulement deux : le premier était tellement abîmé que je n’étais pas sûre qu’il s’agisse bien de son acte de baptême). Mais j’arrivai trop tard pour cela.

Soudain il me regarda fixement, plongeant ses yeux dans les miens… Comme s’il avait suivi le cours de mes pensées. Il esquissa un geste de la main qui lui arracha un râle de douleur. Mais son attention et ses yeux revinrent bien vite vers moi. Ils semblaient me dire : peu importe les détails de ma vie. Peut-être les trouveras-tu un jour. Peut-être pas. Poussière nous étions, poussière nous redeviendrons. Mais grâce à toi je revivrai un instant. Et cela me suffit. Car je sais que pour quelqu’un je serai plus qu’un patronyme dans une case, un numéro parmi d’autres. Je retrouverai mon nom et ma place parmi les miens.


 © Pixabay

Le lendemain le curé dû faire creuser une fosse dans la terre froide de Vendée pour y placer son corps. Il était mon ancêtre à la onzième génération, le numéro sosa 2020 de ma généalogie. Et si je ne savais presque rien de lui, je pouvais dire néanmoins qu’il était un fils, un époux, un père. Il était Joseph Godet.


lundi 6 janvier 2020

#Généathème : Un mois pour lire

Retour sur le #ChallengeAZ qui s’est tenu en novembre 2019 (dont le principe est de publier un billet par jour et par lettre de l’alphabet) pour partager ses coups de cœurs… ou autres ! Un mois pour lire, découvrir et apprendre.




  • Mon coup de cœur

Mon coup de cœur va au Challenge de Pascale, alias @derouvex, qui nous a tenus en haleine avec les lettres d’Alexandrine. 

Pudique ( ?), elle a assez peu parlé du travail de déchiffrage des documents, qui a pourtant dû être ardu. En effet Alexandrine utilise la technique du croisement : lorsqu’elle atteint le bas de la page elle tourne le papier à 90° et poursuit sa rédaction. Pour lire le texte il faut donc se concentrer d’abord sur les lignes horizontales, en faisant abstraction des verticales – et inversement pour avoir la fin du texte.
Pour beaucoup d’entre nous, notre généalogie est composée de laboureurs, vignerons et autres domestiques. Mais grâce à cette correspondance c’est comme si nous avions le droit de regarder un instant entre les grilles du château d’à-côté afin d'apercevoir les lumières d'un monde que nous ne connaissons pas, auquel nous n’avons généralement pas accès...
Et c’est magique. Tout d’un coup notre vie est peuplée de bals, de soies froufroutantes, de potins mondains…
Même si cela ne dure qu’un instant, un instant seulement, cela reste très savoureux.

  • Mon coup de peur

Mon coup de peur va à Françoise, alias @feuilledardoise, du blog éponyme.

Pour ceux qui l’ignorent, Françoise est ma « multiple cousine » car nous avons de très nombreux ancêtres en commun, bien qu’assez éloignés dans le temps. Et pour ce mois de novembre Françoise a décidé de faire son petit ménage de printemps dans son arbre. Au fur et à mesure des jours, vu l’ampleur que prenait la tâche, je lui ai proposé une tronçonneuse plutôt qu’une balayette. Il faut dire que certaines branches sont passées chez le coiffeur et ont reçu une coupe franche et nette !
Et j’ai eu bien peur que Françoise finisse par couper nos liens. Heureusement il n’en est rien. Nous sommes toujours cousines !


  • Mon coup de fleurs

Mon coup de fleurs va à l'équipe de Gloria, alias @lulusorcière, du blog Lulu Sorcière Archive

Non pas parce que il vaut mieux compter les sorcières parmi ses amis que ses ennemis (quoique…), mais surtout parce ce challenge et l’exemple d’un challenge collaboratif. Si l’idée en est simple, ce n’est pas toujours facile à mener à son terme ; donc bravo à tous ceux qui ont pris part à l’aventure.
Par ailleurs, il traite d’un sujet que je trouve fort intéressant, bien que souvent mésestimé : les cimetières. Témoin d’un patrimoine trop souvent oublié, il est aussi un conteur d’histoires fabuleux à qui veut bien tendre l’oreille.