« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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samedi 5 janvier 2019

2019

Je suis 2019. Sosa 2019.

Sur une idée originale (comme ils disent dans les génériques de films) de @FFGenealogie, je vous présente 2019.

Tweet de @FFGenealogie

Les habitués de la généalogie savent que chaque ancêtre a un numéro et que les impairs sont tous des femmes. 2019 est donc une femme; mon ancêtre à la XIème génération plus précisément.
Elle se nomme Marie Boisseau et a vécu à la charnière du XVII et du XVIIIIème siècle à Saint-Malo-du-Bois, localité située dans le bocage vendéen, au Nord du département actuel, arrosée par la Sèvre Nantaise.
Bon c’est Saint-Malo ou Saint-Malô, je n’ai jamais pu savoir et même sur le site internet de la mairie ils l’écrivent des deux manières (je l’ai même vu orthographié Saint-Mâlo, c’est dire…). Quoi qu’il en soit, à l’époque de Marie c’était Saint-Malo, sans accent nulle part.
De toute évidence, le Malo en question fait référence à son célèbre homonyme situé un peu plus au Nord. Et quand au Bois, son origine « provient du bocage épais qui environnait jadis le bourg ». C’est, toujours selon la mairie, « un petit village, presque sans histoire. Ni châteaux, ni belles demeures [ce que contredit Wikipedia en mentionnant un château sur les hauteurs du village au XVème siècle, NDLR]. Le vent de la tourmente a [tout de même, NDLR] soufflé en 1793, tout le pays étant à feu et à sang au lendemain de la Révolution. » Saint-Malo dépendait des terres du Puy du Fou.


Saint Malo du Bois © AD85

Comme vous l’aurez constaté Marie a un nom assez peu original :
Boisseau, ou sa variante Boissel, aurait pour origine le surnom d’un mesureur (le boisseau étant une mesure de capacité pour les grains). Patronyme très présent, notamment dans les années 1700 entre Nantes et Poitiers. [*]
Marie se rapporte évidement à la mère de Jésus-Christ et l’un des prénoms les plus répandus (15% des prénoms donnés en 1700). [*]
Autant dire qu’elle doit avoir une palanquée d’homonymes. Bon, en fait pas tant que ça : une seule à Saint Malo – mais quand même 80 résultats si on élargit la recherche à 30 km (allez ! j’avoue : je triche un peu. 80 est le nombre de résultats donnés par Geneanet mais il y a beaucoup de doublons, donc un peu moins de 80 en fait…).

Je connais son époux, Etienne Pasquier, et au moins trois filles, dont mon ancêtres directe Jeanne, épouse Boury. Je sais qu’elle est décédée le 16 juin 1754 à l’âge d’environ 75 ans ; ce qui la fait naître vers 1679. Sa fille Jeanne étant née vers 1705 (d’après son acte de décès), j’estime le mariage de Marie aux environs des années 1700.

Cela fait beaucoup de flou et de « environ », n’est-ce pas ? C’est qu’à Saint-Malo on se heurte à la fameuse barrière de 1737 : il n’y a pas de registre antérieur. Pour mémoire, en août 1539, l'ordonnance de Villers-Cotterêts prescrit l’enregistrement des baptêmes (obligation étendue aux mariages et aux sépultures en mai 1579). En avril 1667, l’ordonnance de Saint-Germain-en-Laye impose la tenue de ces registres dits paroissiaux en deux exemplaires : l’un reste aux mains du curé, le second est transmis au greffe de la sénéchaussée, juridiction royale et non ecclésiastique. Mais on retrouve des lacunes récurrentes antérieures à 1737, dans nombre de paroisses. Ce phénomène s’explique par la multiplication des offices (charges achetées, dont les revenus viennent grossir le Trésor royal), soit disant pour assurer un meilleur fonctionnement, mais aboutissant en fait à une désorganisation du système. Finalement une déclaration royale du 9 avril 1736 rappelle et complète l'ordonnance de 1667. Elle est efficace car elle permet, dès l’année suivante, de retrouver des collections de registres paroissiaux quasi-complètes dans toutes les paroisses. [**]

Pour en revenir à Marie, je connais donc son époux, Etienne Pasquier. Il était laboureur ; ce qui indique un niveau de vie sans doute peu élevé. Il est décédé avant son épouse, en 1741. Celle-ci ne semble pas s’être remariée.

Et trois filles.
Certains généalogistes donnent davantage d’enfants : après vérification j’ajoute Gabrielle qui semble bien faire partie de la fratrie. Et peut-être Charles, témoin à un mariage d’un de ses neveu Boury (mais il est indiqué avec la parenté de l’épouse ; est-ce une erreur du rédacteur ou un homonyme ?). Par contre, je ne vois pas comment rattacher Mathurine, donnée comme sixième enfant du couple. Cet article est donc l’occasion d’ajouter deux feuilles à mon arbre (ou 1,5, la deuxième n’étant pas complètement sûre). Un fil entraînant un autre, j’ai aussi complété la famille de Louis Boury, l’époux de Jeanne.

Je ne connais pas les parents de Marie, même si sur internet figure un Luc ou Lucas Boisseau en tant que père (la mère n’est pas identifiée) ; mais cette information n’est pas sourcée et je n’ai pas pu, pour le moment, le relier à Marie. Par contre, je sais qu’elle a un frère, Pierre, présent au décès de son beau-frère Etienne Pasquier. De la même manière, j’ignore si Laurence, présentée comme sa sœur, l’est véritablement ; les actes que j’ai trouvés ne la rattachant pas formellement à Marie et/ou à sa famille.

2019 garde donc quelques trous et mystères, mais de nouvelles découvertes ont déjà été faites : c’est prometteur pour l’année généalogique à venir…


[*] Selon Geneanet
[**] Archives départementales de Vendée


jeudi 11 octobre 2018

Les enfants inconnus

Marie Louise Gibert se situe 5 générations avant moi. Elle vivait en Seine et Marne, où elle est née en 1845 à La Chapelle sur Crécy. En 1866 elle épouse Théodore Macréau. Je ne leur connais que deux enfants : Albert né en 1867 à Guérard et Henri (mon ancêtre direct) né en 1874 à Meaux. Par contre, je leur connais au moins 5 domiciles différents : La Chapelle sur Crécy, Guérard, Meaux, Tigeaux, Serris, tous situés dans un rayon de 25 km environ. Je perds ensuite sa trace car il n’y a plus d’archives numérisées en ligne après 1902/1912 (selon les communes) et j’ignore donc la date et le lieu de son décès. Au fur et à mesure des années, elle est dite manouvrière,  journalière, domestique ou sans profession. Son époux est manouvrier puis charretier.

Grâce à un long dépouillage des listes nominatives de recensement, j’ai pu suivre la trace de Marie Louise :
Commune de La Chapelle s/Crécy (canton de Crécy la Chapelle) :
- en 1846, en 1851, en 1856, en 1861.
Commune de Guérard (canton de Coulommiers) :
- en 1866 et en 1872.
Elle n'apparaît pas à Meaux dans le recensement de 1876 (son fils y est né deux ans auparavant : la famille a donc déjà déménagé), ni à Tigeaux (leur prochaine destination) ; par conséquent il me manque une adresse supplémentaire entre 1874 et 1881 où je la retrouve à nouveau.
Elle (ré)apparaît à Tigeaux (canton de Rozay en Brie) :
- en 1881, 1886, en 1891, en 1896, en 1901 et en 1906.
Puis la dernière adresse connue : elle apparaît cette fois à Serris (canton de Crécy La Chapelle) :
- en 1911.

Mais ce ne sont pas les multiples déménagements de la famille qui m’ont interpellée : c’est la composition du foyer, détaillée de façon précise par les agents recenseurs.
- en 1846, en 1851, en 1856, en 1861 (de 1 à 16 ans) elle habite avec ses parents et ses frères et sœurs (on voit la famille s’agrandir au fur et à mesure des recensements) ; ce qui est tout à fait normal.
- en 1866, Marie Louise a 21 ans. Elle habite cette fois chez ses beaux-parents (elle s’est mariée en mars et le recensement est de mai) mais son mari n'est pas cité : son travail l’a-t-il éloigné ?
- en 1872. Elle habite cette fois avec son époux et leur fils Albert âgé de 5 ans.
- en 1881. Elle est journalière. Elle habite avec son époux et leurs deux fils Albert (14 ans, vacher) et Henri (7 ans, vacher).
- en 1886. Même chose.
- en 1891 (mois de mai). Elle est sans profession. Elle habite avec son époux et son fils Henri âgé de 16 ans. L’aîné a alors 24 ans et a quitté le foyer familial (il remplit en fait ses obligations militaires : il est sous les drapeaux jusqu’en octobre 1891, date à laquelle il est envoyé « en congés » en attendant de passer dans la réserve, ce qui sera effectif le 1e novembre). Mais le cas étrange de Maie Louise commence ici : dans le foyer « familial » l’agent recense également 2 jeunes enfants : Croisy Gaston (8 mois) et Janvoile Louis (4 mois). Ils sont dits « nourrissons » et « sans profession » (sic). Et dans les recensements suivants on va retrouver ce phénomène, avec des enfants différents.
- en 1896. Marie Louise est dite manouvrière. Elle habite avec son époux et son fils Henri âgé de 22 ans et 3 jeunes enfants : Dangues Marcel (3 ans), Dangues Léontine (2 ans) et Guilmet Lucienne (6 mois).
- en 1901. Elle habite avec son époux (Henri s’est marié en 1900), sa nièce Gibert Lucie (âgée de 11 ans) et 2 autres enfants : Guilmet Andrée (4 ans) et Longchamps Henriette (7 mois).
- en 1906. Elle habite avec son époux et son petit-fils (son fils et sa bru ne sont pas cités : ils demeurent à Serris avec leur autre fille).
- en 1911. Elle a 66 ans et veuve depuis 5 ans : elle habite désormais chez son fils Albert et sa bru Marie. Comme je l’ai dit plus haut, je perds sa trace ensuite.

Marie Louise a donc accueilli 7 enfants « non identifiés », plutôt des bébés (le plus âgé a 4 ans), entre 1891 et 1901, alors qu’elle demeurait à Tigeaux.

Pouponnière © numelyo.bm-lyon.fr

J’ai tenté de pister tous ces enfants qui ne font pas partie de la famille : aucun ne naît dans la commune (ni ne décède, du moins dans les années proches). En élargissant la recherche, cela me donne :
- un Croisy Gaston né le 24/7/1890 à Marles en Brie (canton de Rozay), matricule militaire n°60.
- Jeanvoile Louis, Dangues Marcel n’ont pas été trouvés, ni par leur naissance, ni par leur fiche militaire en Seine et Marne actuelle ou dans l’ancienne circonscription de la Seine. Sont-ils décédés en bas âge ? Ont-ils déménagés ?
- Guilmet Lucienne, Dangues Léontine, Guilmet Andrée n’ont pas été trouvées non plus.
- une Longchamp Henriette est née à Melun en 1900.

Je ne les ai pas trouvés non plus parmi les enfants assistés de la Seine, qui regroupent les enfants trouvés, abandonnés ou  orphelins ; les moralement abandonnés (dont les parents ne peuvent assurer moralement ou matériellement l’éducation) ; les secourus (dont les parents sont aidés financièrement).

Les mentions du recensement étant très lapidaires, difficile de savoir si les Gaston et Henriette trouvés sont bien ceux que je cherchais.

Aucun lien ne semble relier ces enfants à la famille Gibert - ou Macréau (hormis la nièce mentionnée en 1901 et le petit-fils en 1906). Pourquoi ceux-ci habitent-ils chez le couple Macréau, je l’ignore, mais les liens de famille clairement stipulés les écartent du cas particulier des autres enfants qui demeurent au foyer. Pour ceux-ci, on ne retrouve jamais leurs patronymes dans un acte concernant la famille Macréau, en tant que parents, amis ou témoins. Ils ne semblent donc pas faire parti de leurs proches.

Étant donné que ces enfants sont toujours très jeunes, et qu’ils « disparaissent » vite (on ne les retrouve jamais dans deux recensement successifs), j’ai pensé que Marie Louise était peut-être nourrice d’enfants, bien que ce métier ne soit jamais mentionné dans les documents la concernant.
Elle serait ce que l’on appelle une « nourrice au loin », c'est-à-dire  qu’elle emmène le nourrisson chez elle, à la campagne (tandis que les  « nourrices sur lieu » viennent habiter dans la famille de l'enfant). Si tel était le cas elle aurait dû, pour pouvoir exercer, présenter un certificat constatant que son dernier enfant vivant était âgé de 7 mois à 2 ans maximum, afin de pouvoir allaiter le nourrisson accueilli (l’usage du biberon étant encore très marginal). En général, les nourrices ne s’occupaient que d’un seul bébé à la fois ; théoriquement en tout cas, car on connaîtra des dérives : de nombreux cas de nourrices s’occupant de plusieurs enfants en même temps ayant été signalés. En effet, pour chaque enfant dont elles s’occupaient, les nourrices percevaient un salaire. La misère régnant dans les campagnes entraîna des abus avec l’accueil de plusieurs enfants pour obtenir un salaire plus important.

Or les conditions de ce métier ne correspondent pas vraiment aux informations trouvées sur Marie Louise :
- son fils le plus jeune a 16 ans la première fois qu’elle accueille des enfants : elle n’allaite donc plus depuis bien longtemps !
- elle reçoit plusieurs enfants en même temps.
- certains sont beaucoup trop âgés pour entrer dans le cadre de ces nourrices allaitantes (3 ou 4 ans).

J’en reviens donc à mon point de départ : qui sont ces enfants inconnus ? Est-ce qu’elle fait partie d’un cas exceptionnel, accueillant plusieurs enfants, d’âges variés, un peu comme  une assistante maternelle d’aujourd’hui ? Dans ce cas, elle devait avoir adopté le biberon ou au autre système d’allaitement similaire, puisque la majorité des enfants n’étaient pas sevrés. Et avoir sans doute une vache ou une chèvre, puisque le couple n’était pas agriculteur (exceptée sur une courte période où Marie Louise est dite journalière tandis que son époux est toujours charretier, mais cela se passe avant l’arrivée des enfants). Et que sont devenus ces enfants par la suite ?

En bref, beaucoup de questions soulevées par ces recensements successifs, quelques hypothèses mais bien peu de réponses !



jeudi 23 août 2018

Entrez dans les coulisses

Cet article fait suite au précédent billet publié sur ce blog la semaine dernière : « #RDVAncestral : La fille déshonorée ». Il en raconte la genèse, les coulisses.


 
© Bigstockphoto.com

Pour mémoire, le #RDVAncestral est une série de billets où l’auteur part à la rencontre d’un de ses ancêtres, sans contrainte de temps ni d’espace ; idée lancée par Guillaume, du Grenier de nos ancêtres, il y a déjà deux ans.

Comme j’aime raconter des histoires, je me suis engouffrée dans la brèche et depuis octobre 2016 je n’ai pas raté un rendez-vous mensuel (vous pouvez retrouver tous ces articles ici).
Bien sûr, les puristes pourront dire que c’est du grand n’importe quoi, cependant, s’il faut un brin d’imagination pour écrire ces histoires (et se laisser emporter par leur lecture) je me base toujours sur des faits réels.

Ainsi, l’histoire de « La fille déshonorée » a commencé par un acte… en partie illisible.

Extrait BMS Guérard, 1657 © AD77
"Simone fille de Simone testard fille de … ? chemin demeurant à dagny bas le 6 juillet par. Nicolas guillard mar. Jeanne carrouget"

Par cet acte, je savais donc que Simone Testard était une fille-mère, ayant donné naissance à une fille aussi prénommée Simone. Mais je ne parvenais pas à lire ce qui venait après le nom de la mère et qui aurait dû, logiquement, me renseigner sur le père.

En fait, non, tout n’a pas vraiment commencé par là. Mais il y a bien longtemps lorsque j’ai trouvé l’acte de mariage de Simone (la fille). Car alors, elle se nomme Duchemin (et non Testard). Elle y est dite fille « extra matrimonium » : née hors mariage. Je sais donc déjà qu’elle « n’a pas de père » (enfin, pas de père légal en tout cas). Trouvant l’acte de naissance cité plus haut, je confirme cette illégitimité : Simone, née en 1657, est nommée Testard, du nom de sa mère (puisqu’il n’y a pas de père), mais lors de son mariage en 1675 elle est nommée Duchemin du nom du mari de sa mère.

Que s’est-il passé entre temps ?

Fatalement, Simone mère a dû épouser ledit Duchemin qui a reconnu Simone fille, lui donnant son nom. Hélas, je n’ai pas pu trouver l’acte de mariage en question. Dommage car sans doute y est-il consigné que l’époux reconnaît l’enfant illégitime de sa nouvelle épousée.

Une fille-mère en 1657. A vrai dire, je n’ai aucune idée de comment elle pouvait être perçue. Est-ce que cela changeait selon les régions ? L’autorité du curé ? Des parents ? Bref, j’avais envie d’explorer cette piste.

Je commence à tisser la trame du futur récit. Mais avant de laisser envoler mon imagination, il me faut mener l’enquête.

  • Combler le trou de l’acte de naissance
Je lance un appel d’abord sur Twitter puis sur le groupe de paléographie de Facebook : réponse quasi immédiate qui m’apporte un précieux renseignement (merci encore aux réseaux sociaux, bien souvent utiles dans ce genre de cas). Il fallait lire « fille de fornication avec françois chemin ».
> Cela confirme, s’il en était besoin, que Simone fille est bien née hors mariage. Le terme de fornication ou encore de "copulation charnelle" était assez fréquente dans les registres paroissiaux briards, m'explique-t-on. Elle concernait aussi bien les enfants illégitimes que ceux, plus tard, issus de couples protestants (après la révocation de l'édit de Nantes en 1685).
> Par ailleurs, l’identité du père se précise. S’il est dit « Chemin » dans l’acte de 1657 et « Duchemin » dans celui de 1675, c’est fort probable que ce soit le même homme.
Et c’est une chance qu’il soit nommé, car dans les autres cas d’enfants illégitimes ou « bastards » de mon arbre (j’en ai quelques uns), le père n’est jamais mentionné.
> Cela ruine mon hypothèse d’une paternité seigneuriale (je sais par ailleurs que ce Chemin/Duchemin est laboureur : rien à voir avec le seigneur local), qui était l’idée de départ de mon billet. Bon, j’en ai gardé une trace quand même dans les bavardages des commères ; après tout, cela devait bien arriver aussi, même s’il ne semble pas que ce soit le cas ici. Adieu romance à l’eau de rose (j’ai un cœur de midinette, que voulez-vous…). Mais cela illustre comment des recherches peuvent ruiner une idée d’écriture !

  • Les recherches civiles
Pour confirmer/infirmer mes hypothèses de départ,  je fais ou complète les recherches déjà menées. L’état civil/paroissial est la première piste, mais cela peut aussi être d’autres sources (notariales par exemple).
Ici les Simone sont trouvées à Guérard (en Seine et Marne) en 1657 ; mais ledit Duchemin est alors « demeurant à Dagny bas ». En 1675 lors du mariage de la fille, il est dit de Dagny mais Simone mère est toujours à Guérard (c’est là qu’on la trouve servante du seigneur de Rouilly le Bas, hameau de la paroisse), et enfin lors du décès de Simone mère en 1709 il est mentionné de Saint-Augustin (de son vivant, puisqu’il est alors déjà décédé).
Il ne semble pas exister de hameau appelé Dagny Bas dans la paroisse de Guérard, mais une paroisse proche se nomme bien Dagny.
Ce qui nous fait trois paroisses où pister le mariage, d’autres éventuels enfants et le décès  Duchemin (ou Chemin).
De longues heures de feuilletage (virtuel) m’attendent. D’autant plus que je dois rester vigilante et le chercher sous le patronyme de Duchemin et de Chemin (voire d’une autre variante ?).
Hélas la période est ancienne et les registres partiellement lacunaires ou abîmés. Je n’ai pas eu le temps de compulser tout Saint-Augustin (si je puis dire) mais pour le moment je n’ai pas retrouvé la trace du couple dans aucune de ces paroisses. Un jour peut-être…

  • Les recherches généralistes
Pour planter le décor et ne pas dire trop d’âneries, je fais aussi des recherches « généralistes » : géographiques, historiques, etc…
Ainsi je ne me suis pas attardée sur la date du marché à Guérard, supposant que, comme partout ailleurs, il devait bien en avoir un ; et pour éviter les erreurs (j’ai peut-être parmi mes lecteurs des gens de Seine et Marne qui connaissent leur histoire locale sur le bout des doigts), je reste volontairement évasive et ne donne aucune date précise, du type « c’était le jour de la quasimodo, la grande foire annuelle du village », mais simplement « c’était jour de marché ». Par contre j’ai fait quelques recherches sur l’église, histoire d’émailler mon récit d'anecdotes : consécration de l’église par Saint Thomas de Cantorbéry ou date des différentes parties de l’édifice pour savoir si ce que l’on peut voir aujourd’hui correspond ou non à ce qu’il y avait au milieu du XVIIème siècle.
Par ailleurs, je me suis renseignée sur l’obligation de faire les déclarations de grossesses : c’est le fameux édit d’Henri II (détaillé ici par exemple).
Recherches qui m’ont entraînées vers les enfants naturels, les abandons, la notions de bâtardise, etc… au bout d’un moment il faut digérer ces informations, faire le tri, et décider de ce que l’ont va garder dans le récit. Et ce n’est pas l’étape la plus facile ! Au final cela peut se réduire à une ou deux phrases seulement, mais bon, au moins, j’ai appris des choses, ce n’est donc pas du temps perdu.
Ce type de recherche peut porter tout aussi bien, selon les cas, sur un métier, l’ameublement spécifique à une activité, les vêtements, le parlé local. Bref des recherches variées et enrichissantes.

  • Les surprises
Il y a parfois de petites surprises qui apparaissent lors de ces recherches préliminaires. Selon les cas, je les intègre, ou non, au récit. Cela dépend de la longueur de ce que j’ai déjà rédigé (je fais des billets, pas des romans tout de même), de l’intérêt que cela peut apporter à l’histoire ou tout simplement de mon humeur du moment ! Mais ces décisions peuvent parfois me prendre beaucoup de temps, et peuvent donner naissance à plusieurs variantes de récits avant de choisir la définitive.
Dans le cas qui nous occupe, j’ai découvert un fait et me suis longtemps demandé si je devais en parler ou pas. En effet, comme on vient de le voir, le nom du (supposé) père varie d’un acte à l’autre. Entre Duchemin et Chemin, je n’ai pas beaucoup hésité : c’est là deux versions courantes du même patronyme. Mais lors de la naissance de Simone fille, il est prénommé François, lors de son mariage Nicolas et lors du décès de Simone mère Pierre. Ce qui fait là beaucoup de variantes. Si j’avais juste trouvé une fois Nicolas et une fois Colas, OK, c’est courant. Mais là ces trois prénoms sont très différents. Est-ce qu’il portait un prénom (ou des prénoms) de baptême et un d’usage, comme on le voit parfois ? Comme il semble n’être jamais là directement dans les actes (il habite toujours ailleurs) est-ce une erreur du rédacteur ? Ou bien est-ce plusieurs personnes distinctes ? Finalement j’ai opté pour une seule et même personne, mais je n’ai pas résolu la variété de prénoms trouvés, par manque d’actes le concernant directement. Les lecteurs attentifs auront noté que dans le billet je l’appelle « le jeune Duchemin » et ne le prénomme jamais. Ce qui m’évite d’avoir à faire une longue digression sur ses prénoms et son/ses identités supposées (bien sûr, je l’ai écrite mais trouvais qu’elle alourdissait trop le récit alors je l’ai supprimée).

  • L’iconographie
Une fois que le récit commence à se structurer et trouver sa forme plus ou moins définitive, je cherche un visuel pour illustrer l’histoire. Ces recherches peuvent être chronophages, surtout si j’ai en tête une idée précise de ce que je veux… et que je ne la trouve pas !

Heureusement j’ai une certaine facilité d’écriture (c’est pratiquement la phase la plus courte de la création d’un billet). Ce qui ne m'évite pas, bien sûr, de multiples relectures et/ou réécritures qui émaillent tout le processus.

Enfin, tout ça pour dire que, si j’ai beaucoup d’imagination, ces récits se basent toujours sur des faits avérés, ou tout au moins sur des recherches sérieuses. Pas tout à fait n’importe quoi, finalement…



samedi 4 novembre 2017

Prénoms imposés

Il y a quelques temps, ma généalogie se trouvait un peu en panne : j’avais écumé les sources disponibles jusqu’à extinctions des registres, examiné les arbres en ligne même les plus fantaisistes pour voir s’il ne s’y cachait pas une once de vérité... Bref, j’étais un peu en panne/pause. J’attendais que les archives aux quatre coins de la France (et de Suisse) mettent en ligne de nouvelles sources, puisque j’ai la malchance d’habiter une région où aucun de mes ancêtres n’a fait ne serait-ce qu’un bref passage - et donc un assaut régulier et prolongé du bâtiment de « mes » archives locales est inutile.

Comme nombre de généalogistes sans doute, j’ai commencé mes recherches uniquement sur mes ascendants directs. Et puis, faute de source comme je l’expliquais à l’instant, j’ai commencé à m’intéresser aux frères et sœurs  de mes aïeux. Histoire de m’occuper. Histoire de faire de nouvelles découvertes, cocasses parfois (merci aux parents d’avoir prénommés tous leurs fils Pierre, ça facilite grandement les recherches !), d’autres fois tristes (décès de 10 enfants sur 13). C’est comme ouvrir une porte : tout d’un coup on discerne la réalité qui entoure notre ancêtre. Et puis, autre raison non négligeable, lorsqu’un acte de mariage d’un ancêtre direct n’est pas filiatif, celui d’un frère peut l’être, ce qui permet de remonter une ou des génération(s) supplémentaire(s) alors qu’on croyait être irrévocablement bloqué. En un mot, si vous commencez votre généalogie, ou si vous ne l’avez pas encore fait, intéressez-vous aux fratries toutes entières, voire à leurs conjoint(e)s (et si vous êtes très motivés à leurs enfants !).

Tout ça pour dire que, un beau jour, alors que j’égrenais les enfants de Géraud Martin et son épouse Jeanne Raols (8 enfants en 15 ans), je m’aperçus d’une particularité commune à tous leurs actes de baptême (excepté ceux des deux enfants mort-nés) :
- 1698, Guilhaume : « je soubsigné pretre et recteur de Saint-Marcel [aujourd’hui Conques, Aveyron] ay baptisé un enfant […] auquel a esté imposé le nom guilhaume… »
- 1701, Guilhaume [notons au passage que le précédent est toujours vivant] : « … auquel a esté imposé le nom guilhaume… »
- 1702, Catherine : « Monseigneur Cantaloube pretre de la ville de Conques a mon absance a baptisé une fille […] a laquelle a esté imposé le nom catherine… »
- 1704, Anthoinette : « … a laquelle a esté imposé le nom anthoinette… »
- 1705, fils mort-né, « baptisé par la sage-femme a cause du danger qu’il y avoit ». Non prénommé.
- 1707, Pierre : « … auquel a esté imposé le nom pierre… »
- 1709, Pierre [le numéro 2] : « … auquel a esté imposé le nom pierre… ». Le prêtre a souligné dans l’acte avoir « demandé sil y auroit dans la famille du susd[it] martin dautre garçon du mesme nom, m'ont repondu y en avoir un autre de mesme nom » [ce qui ne les a pas empêché de le prénommer pareil] ; celui-ci est mon ancêtre direct – enfin je le suppose, son frère éponyme jouant les trouble-fêtes…
- 1713, enfant mort-né, sexe inconnu « baptisé à un main » par la sage femme. Non prénommé.

J’ai remarqué également que ces enfants étaient très rarement baptisés le jour même, comme c’était alors la coutume, mais plus tard : jusqu’à 6 jours pour Guilhaume n°2.

Évidemment c’est la mention « a esté imposé » qui m’a interpellée. Pourquoi le prêtre de la paroisse, et même celui de la paroisse voisine en l’absence du premier (en 1702), se permettent-ils d’imposer le prénom des enfants de la fratrie ?

J’avais déjà eu le cas de parrains/marraines refusés : voir l’article Luxure en Vendée.
Pour résumer l'histoire, le prêtre mentionnait dans les actes de baptême qu’il refusait les parrains et marraines choisis par les parents et qu’il en désignait lui-même des remplaçants ; ce qui était en fait dû à la religion protestante des parents, exemple de "catholicisation" forcée qu'ils subissaient. Mais ici, tous les actes concernant les parents, leurs frères/sœurs, grands-parents semblent indiquer que ce sont de bons catholiques, mariés à l’église, ayant reçu les sacrements avant d’expirer… bref, pas de protestant. Alors quoi ?

Après une rapide recherche infructueuse, j’ai donc lancé un appel sur Twitter. Et Sophie (@gazetteancetres) m’a rapidement trouvé la réponse :

D’après le Dictionnaire de l'Académie française, 1ère édition (1694) [1], on peut faire un mix entre deux définitions du verbe « imposer » :

- On dit, Imposer le nom, imposer un nom, pour dire, Donner le nom, donner un nom; & se dit de ceux qui ont droit de le faire. Untel imposa le nom à cet enfant au Baptesme.

- Mettre dessus: & en ce sens il ne se dit guère au propre qu'en cette phrase. Imposer les mains. l'Evesque luy imposa les mains en le faisant Diacre.

Sophie posa toutefois une condition à sa théorie : c’est que le prêtre imposait des noms à tous les enfants qu’il baptisait, et pas seulement à ma fratrie ; ce qui se vérifia effectivement. J’adoptais donc officiellement cette explication (il faut toujours croire ce que dit Sophie !).

Baptême © culture.gouv.fr

Le prêtre Valette avait donc en fait une lubie, un tic de langage et il goûtait si fort cette expression « d’imposer un nom » qu’il en usait et abusait. Y avait-il un geste grandiloquent pour appuyer son propos le jour du baptême ou était-ce seulement une formule qu’il utilisait à sa guise dans les registres, je ne le ne saurais jamais.

Après un examen attentif des registres, il apparaît que le prêtre Valette a utilisé cette formule dès son entrée en fonction en 1675. Son prédécesseur l’a utilisé également, mais seulement subitement à partir de juin 1673, alors qu’il ne le faisait pas auparavant. Valette, quand à lui, l’a utilisé jusqu’à ce qu’il quitte son ministère (ou tout au moins qu’il disparaisse des registres).

Mais désormais, je sais ce que peut signifier « imposer un nom » lors d’un baptême. Et vous aussi du coup !


jeudi 7 septembre 2017

La médaille mystérieuse

Tout commence par un sms de ma tante : ces deux photos et cette courte phrase « ça t’intéresse ? ».
 

Photo de la médaille mystérieuse et de la rosette © Coll. personnelle

Photo de sa boîte © Coll. personnelle

Quoi ? Un objet ayant appartenu à notre famille ! Je fais un bond sur ma chaise jusqu’à me cogner au plafond ! Bien sûr que ça m’intéresse… mais… heu… c’est quoi, au fait ?
Ma tante m’explique qu’elle a retrouvé cette boîte au fond de l’un de ses tiroirs, par hasard, et s’est dit : « tiens, ça pourrait intéresser Mélanie ». 
Pendant un instant, j’ai espéré que c’était la croix de guerre de mon arrière-grand-père Jean-François Borrat-Michaud, que je suis pas à pas durant la Première Guerre Mondiale (voir le détail de ce projet ici) et que j’aimerais bien voir un jour. 
Mais rapidement je distingue sur ladite médaille une femme tenant un enfant. Je pense donc plutôt à une médaille de la famille. Cependant, n’en ayant jamais vue, je pense tout d’abord que cela ne semble pas trop correspondre à l’inscription sur la boîte « Ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociales ».

Caractéristique de la médaille :
- RUBAN : Largeur de 32 mm. Rouge ponceau avec au centre une raie verticale vert lumière de 11 mm. Rosette, aux couleurs du ruban, traversée verticalement d’une bande verte, pour les médailles d’Argent et d’Or. Le diamètre de la rosette étant respectivement de 18 mm et 27 mm.
- INSIGNE (« ma » médaille fait partie du premier modèle, ensuite modifié en 1985) : Étoiles à huit branches en bronze, argent ou or suivant l’échelon et du module de 36 mm, avec une partie centrale ronde. Gravure de Léon Deschamps (« Léon Deschamps fecit »).
Sur l’avers : l’inscription  FAMILLE  FRANÇAISE  entoure une mère portant son enfant.
Sur le revers : l’inscription  LA  PATRIE  RECONNAISSANTE [1] surmontant un emplacement destiné à la gravure du nom du titulaire, est entourée par la légende  REPUBLIQUE FRANÇAISE et MINISTERE DE L’HYGIENE.

Je lance une bouteille à la mer Twitter pour essayer d’en savoir plus. La bouteille est vite trouvée et j’ai plusieurs pistes à explorer :
- envoyé par @ValdyLyly, sur le site france-phaleristique.com je retrouve le visuel de ma médaille, signalée "médaille de la famille française". Ma première intuition était bonne.
- envoyé par @gazetteancetres, des infos sur les médaille de la famille française via Wikipedia. Il n’y a pas d’illustration, mais des informations complémentaires au premier site, notamment sur l’historique de ces médailles, les conditions d’obtention et les bénéficiaires potentiels. Or la médaille d’argent dont je viens d’hériter est attribuée aux familles ayant 6 ou 7 enfants (cf. plus bas) : elle n’a donc pas pu être attribuée à ma grand-mère Borrat-Michaud qui n’en n’a eu que 5.
- @guepier92 me conseille d’aller faire un tour sur Gallica : il y a retrouvé son arrière-grand-mère médaillée de bronze.

Les bénéficiaires :
La médaille de la famille est une décoration créée par décret du 26 mai 1920 sous le nom de « médaille d’honneur de la famille française », pour honorer les mères françaises ayant élevé dignement plusieurs enfants. Ces médailles de la famille comportent trois échelons selon les nombre d’enfants élevés (bronze : quatre ou cinq enfants élevés ; argent : six ou sept enfants élevés ; or : huit enfants élevés et plus).
Il existe différentes catégories de personnes concernées :
- Celles qui élèvent ou ont élevé dignement de nombreux enfants ;
- Les personnes élevant ou ayant élevé pendant au moins deux ans un ou plusieurs orphelins de leur famille,
- Les veufs de guerre élevant ou ayant élevé au moins trois enfants,
- Les personnes qui ont rendu des services exceptionnels dans le domaine de la famille (responsables d’associations familiales par exemple).
- Etc...
A noter : La médaille peut être décernée à titre posthume si la proposition est faite dans les deux ans du décès de la mère ou du père. La médaille de bronze est attribuée aux veuves de guerre qui, ayant au décès de leur mari trois enfants, les ont élevés seules.
L’attribution peut se faire au profit de l'un ou l'autre des parents,  ou bien encore des deux parents ensemble s'ils en ont fait la demande.
Depuis le texte initial de 1920, ces médailles ont connu de nombreuses modifications : formes, noms, bénéficiaires, etc…

Le Ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociale :
C’est l’ancêtre du Ministère de la Santé. L'Assistance et de l'Hygiène publique dépendait tout d’abord du Ministère de l’intérieur et la Prévoyance sociale était rattachée à celui du Travail. Le ministère de la Santé publique est créé en 1930, réunissant ces deux branches. Par la suite il va connaître différentes évolutions d’attribution et de nom (on lui rattache ou lui enlève successivement, la Famille, l’Éducation Sportive, les Affaires sociales, etc…).
Au cours de son histoire, le Ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociale a décerné plusieurs types de décorations :
- la médaille de l’hygiène (destinée à récompenser les personnes bénévoles, ainsi que les personnels des hôpitaux, hospices, dispensaires et sanatoriums),
- la médaille de la prévoyance sociale (récompensant les services désintéressés rendus à la prévoyance sociale par les personnels des commissions et des conseils d’administration ou de direction des œuvres de prévoyance sociale)
- ainsi, entre autres, que la fameuse médaille de la famille française. Créée au lendemain de la Première Guerre Mondiale, elle visait à souligner le rôle joué par les femmes pendant le conflit, alors que les hommes étaient mobilisés : « La République doit témoigner d'une manière éclatante de sa gratitude et de son respect envers celles qui contribuent le plus largement à maintenir par leur descendance, le génie et la civilisation, l'influence et le rayonnement de la France » (selon le Ministre créateur de ladite récompense). Les candidatures et propositions se font à la mairie du lieu de résidence. Le dossier doit y être accompagné de diverses pièces administratives (notamment des extraits d’actes civils). Le maire de la commune doit porter un avis sur le formulaire de demande ; tout avis autre que favorable ne peut être pris en compte. Le dossier passe ensuite en commission et, s’il y a lieu, la médaille est attribuée par le Préfet.

Le Journal Officiel
Chaque bénéficiaire fait l’objet d’une publication dans le Journal Officiel. C’est ici que j’ai une chance de débusquer laquelle de mes ancêtres s’est vue attribuer la fameuse médaille. Ce JO est numérisé sur site de la Bibliothèque Nationale de France, Gallica. Or, si le site Gallica est merveilleux et contient des richesses insondables, son moteur de recherche est, hélas, insondable lui aussi. Ainsi, après plusieurs tentatives de recherches sur différents mots-clés, j’ai abandonné devant le résultat obtenu : 943 pages trouvées ! J'avoue ne pas avoir eu le courage de toutes les compulser...
Abandon par KO : je ne sais toujours pas à qui a été attribuée cette médaille.

Enfin la médaille…
Après plusieurs jours, la médaille arrive enfin entre mes mains. Je suis surprise par la petite taille de la boîte, notamment (9,3 x 4 cm). Cette boîte qui a vécu, c’est indéniable : elle est usée, mais l’écriture sur le couvercle reste lisible.
A l’intérieur la médaille, l’épingle pour l’attacher et la rosette assortie.

Mais un détail m’intrigue : à l’emplacement du nom de la bénéficiaire, il n’y a qu’un emplacement vide. Donc de deux choses l’une : ou cette médaille a été attribuée mais le nom de sa bénéficiaire n’a pas été gravé ou cette médaille n’a, en fait, jamais été décernée officiellement. Comme je ne sais pas quand et comment elle est arrivée dans ma famille, il m’est difficile de déterminer laquelle de ces affirmations est correcte.
Mais un jour peut-être…
 

Ma tante pense que la médaille lui vient de feue sa mère; mais comment celle-ci l'a eue, cela reste mystérieux ! De toute évidence, ce n'est pas grand-mère qui en a été bénéficiaire, puisqu'elle n'a eu que 5 enfants.

Alors, d’où lui vient-elle ?
- Ses parents à elle, le couple Gabard/Roy, n’ont que 4 enfants.
- Ses grands-parents paternels, le couple Gabard/Benetreau, ont eu 9, de 1893 à 1912; soit avant la première attribution de ces médailles, à partir de 1920 [2].
- Ses grands-parents maternels, les Roy/Bregeon n’ont eu que 5 enfants. Encore trop court !

Mon grand-père, son mari, était fils unique. La médaille n’était donc pas pour sa mère !
- Ses grands-parents paternels, les Borrat-Michaud/Jay, ont bien eu 6 enfants, mais 5 nés hors mariage (pour une médaille de la famille, c’est pas super super…) dont trois décédés avant l’âge d’un mois.
- Chez ses grands-parents maternels, les Macréau/Le Floch, je compte 8 enfants (au moment où  je rédige la première version de cet article, en 2017) : ce serait, en l’état de mes recherches, des candidats sérieux.
 
Sans preuve cependant, l'histoire s'arrête ici... Je n'ai pas résolu mon énigme : à qui a été attribuée cette médaille de la famille ?
 
___
 

Edit 2023 :

Les archives de Seine et Marne viennent de mettre en ligne plusieurs titres de presse ancienne : je fais donc une recherche avec le patronyme des mes AAGP, les Macréau. Et là, surprise ! Le premier résultat qui sort est la mention de la médaille de la famille attribuée à Ursule Le Floch, épouse Macréau !

Le Briard, édition du 20 mai 1924 © AD77

Pas de doute possible ! Même si je journaliste s'est trompé de prénom (lui attribuant, chose curieuse, celui de sa sœur jumelle Marie Rose qui vit en Bretagne), c'est bien du couple Macréau/Le Floch que provient cette fameuse médaille. 
 
Mais si l'énigme est enfin résolue, la surprise est de taille : car en continuant mes recherches dans la presse ancienne je découvre deux avis de naissance, portant la fratrie à 10 enfants et non 8 comme je le pensais alors ! L'une de ces enfants n'a pas vécu mais l'autre oui : Jeanne Louise, née en 1913, est décédée en  2002. J'en avais même une photo, dite par erreur à "Jeanne, cousine d'André" (c'était la tante de mon grand-père et non sa cousine). Cette enfant m'avais échappée, en particulier parce qu'elle n’apparaissait pas dans les recensements familiaux. Après quelques recherches je me suis aperçue qu'elle avait été élevée par une autre sœur d'Ursule, Marie Joseph Le Floch, épouse Chauvoix; que je peux suivre en Ile et Vilaine en 1921 et dans le berceau familial de Loudéac (Côtes d'Armor), en 1931.

Du coup, avec une date plus précise, je retourne sur Gallica : mon aïeule figure bien au Journal Officiel, édition du 15 mai 1924 (avec la même erreur de prénom).
 
 

Et voici comment, plusieurs années après l'enquête initiale, j'ai enfin résolu l'énigme de la médaille mystérieuse !




[1] Dans la version actuelle la « patrie reconnaissante » a été remplacée par « République française ».
[2] Décret officiel de création sur Gallica


Sources : Wikipedia, france-phaleristique.com, Gallica

vendredi 25 août 2017

#Généathème : l'album énigmatique

Roman – Paru dans la collection Série généalogique, première édition 2043.

La journée avait commencé comme d’habitude : check des mails, messages sur les réseaux sociaux, vérification des dossiers clients… J’avais préparé des litres de boisson énergisante pour la tâche qui m’était dévolue aujourd’hui : rechercher un acte de naissance dans les registres parisiens.

Depuis mes débuts dans le métier, la technique avait fait beaucoup de progrès avec la mutualisation des métadonnées régionales et internationales… Sauf quelques régions qui résistaient encore, comme le « Grand Paris » (ce qui correspond à une douzaine des anciens départements, la mégalopole s'étant considérablement étendue ces dernières décennies), qui voulaient garder « leurs trésors » pour eux seuls. Comme si la diffusion et le partage étaient un vol caractérisé. Du coup, je me retrouvais à chercher un acte, depuis la troisième journée déjà, et je n’avais que compulsé que deux années et demi pour un seul arrondissement parisien. Si je ne le trouvais pas aujourd'hui je devrais passer à d’autres arrondissements, au hasard : j’en aurai pour des années de vaines recherches à ce train-là !

Tiens les vaines recherches, ça me rappelle ce vieil album de photos qu’une cliente m’avait apporté au début de ma carrière : elle l’avait trouvé dans un lot acheté chez un brocanteur. Elle voulait le rendre à son propriétaire légitime, mais l’album n’était pas légendé et elle n’avait aucune piste pour le retrouver. Elle me l’avait confié et j’avais commencé les recherches. Au premier abord, c’était l’album d’une vie. Des photos qui montrent le temps qui s’écoule : les jeunes fiancés qui se fréquentent, le mariage, l’arrivée successive des enfants, le vieillissement de la génération précédente, les vacances, les communions, les scouts, et puis les fiançailles des enfants devenus grands. Le cycle de la vie. Mais pas de nom. J’avais passé tellement de temps sur cet album que je le connaissais par cœur. A force, j’y ai vu aussi ces éléments plus ou moins invisibles : les lieux d’habitation, les modes vestimentaires, les rites religieux, le niveau social, etc…

Ou une certaine sensibilité artistique du photographe (le père sans doute), qui transparaît au fil des pages, dans les mises en scènes par exemple :

La jeune mariée dans ce qui est sans doute son premier appartement d’épouse © Coll. personnelle

Notez le jeu dans le reflet du miroir permettant de voir le visage de l’épouse.

Les deux filles adolescentes © Coll. personnelle

Un beau cadrage : une grotte enveloppante et maternelle pour deux belles jeunes filles…

Mais malgré de patientes recherches je n’avais jamais pu identifier l’auteur de l’album. Il était resté là, dans un coin de mon bureau. La cliente n’était jamais reparue. De temps en temps l’album m’appelait… comme aujourd'hui. 

Je mets un moment à le retrouver, mais il est bien là. Je caresse la couverture de faux cuir vert. C’est en fait un ensemble de feuillets de carton sur lesquels sont collées les photos, relié par un lacet de cuir désormais élimé. La reliure en est si étroite que les photos du bord intérieur sont difficilement visibles en totalité, mais le nœud était si serré qu’on ne pouvait le défaire sans trancher le lien ; et je n’avais jamais pu m’y résoudre.

Cela faisait longtemps que je ne l’avais plus ouvert. Mais maintenant, avec les technologies nouvelles, je pourrais peut-être faire une nouvelle tentative. On avait fait des progrès en la matière depuis mon premier ordinateur TO7 ! Désormais on pouvait lancer des recherches automatiques et attendre que ça « match », comme dans les séries policières du début des années 2000 : reconnaissance faciale, triangulation d’un lieu grâce à sa silhouette, la position du soleil, etc…

Tant pis ! Adieu les roboratifs registres parisiens : je veux savoir moi aussi qui sont les gens sur les photos. Je lance la recherche automatique. Pendant que l’ordinateur travail je résume ce que je sais déjà : un couple dans les années 1930, d’après leurs vêtements - il y a plus d’un siècle déjà ! – leur mariage, leurs sept enfants qui se ressemblent tellement qu’on dirait des septuplés. Je me rappelle mes premières recherches : je tentais de les différencier en me basant sur leurs vêtements, avant de m’apercevoir que lorsque l’un grandissait, le suivant récupérait ses habits. Raté !

Bien sûr l’habitude que les parents avait prise d’aligner leurs enfants dans l’ordre de naissance facilitait l’identification (n°1, n°2, n°3…).

n°1 © Coll. personnelle

n°1, n°2 © Coll. personnelle

n°1, n°2, n°3 © Coll. personnelle

n°1, n°2, n°3, n°4 © Coll. personnelle

n°1, n°2, n°3, n°4, n°5 © Coll. personnelle

n°1, n°2, n°3, n°4, n°5, n°6 © Coll. personnelle

n°1, n°2, n°3, n°4, n°5, n°6, n°7 © Coll. personnelle     

Mais quand ils sont « mélangés », c’est tout autre chose ! Et puis il y a les vacances à la mer... et les maillots de bain en laine !


n°6 © Coll. personnelle   

Et ensuite l’adolescence, les yéyés…

Soudain, une sonnerie retenti, me sortant de ma nostalgie : match ! Des lieux sont reconnus : la grotte de Lourdes, le domaine du Hutreau près d’Angers, le château de Chambord, La Guérinière sur l’île de Noirmoutier (aujourd'hui engloutie par la montée des eaux), la Loire. Bon honnêtement j’en avais déjà reconnus certains, mais pas La Guérinière.
Second match ! Grâce à une photo de l’aîné des enfants en uniforme militaire, le lien est établi via les fiches matricules. Miracle de la technologie nouvelle. L’aîné des fils étant connu, il suffit en quelques clics de retrouver le reste de la famille. Confirmation de l’identité des enfants avec les registres des communiants, puis ceux des jeannettes et des scouts qui correspondent aux photos de l'album. Les parents, grands-parents sont aussi facilement identifiables grâce aux bases de données biométriques.

Je continue à pianoter sur mon clavier tactile inclus dans ma table de travail. Hélas les registres de décès me confirment ce que je pressentais : la plupart des membres de cette famille marche dans le Monde d’Après. Mais il reste un fils encore vivant, un vieil homme aujourd’hui âgé de 95 ans. Je retrouve facilement son domicile et me rend chez lui avec le précieux album. Je ne sais pas trop comment il va m’accueillir.

D’abord réservé, il devient rapidement ému quand il reconnaît l’objet que je suis venue lui apporter. Malgré son grand âge, sa mémoire est sans faille. Ce carnet vert rectangulaire est pour lui comme une à machine à voyager dans le temps, et jusqu’à une époque qu’il n’a pas connu lui-même :
- La rencontre de ses parents lors d’un pèlerinage à Lourdes,
- Leur mariage en 1935,
- Les naissances successives de leurs sept enfants, entre 1937 et 1949 (il est le n°6),
- Les vacances à La Guérinière,
- La première voiture de la famille,
- Le terrain acheté par la famille à Mûrs Érigné, près d'Angers (ex-Maine et Loire) qu’il a fallu défricher et où il faisait bon prendre du repos devant le cabanon construit au bout du terrain,
- La caravane et son auvent qui emportait toute la famille en vacances,
- La maison de la rue Blandeau à Angers et son jardin garni de roses car « ma mère les aimait tant »…



La famille © Coll. personnelle
Au centre la mère, à gauche la tante paternelle, à droite ses beaux-parents
autour les sept enfants. La photo est prise par le père. 

Je lui laisse l’album avec plaisir. Somme toute la journée s’est terminée mieux qu’elle ne s’annonçait. Enfin, demain je devrais quand même me coltiner les registres parisiens. Mais demain est un autre jour…


___

Sources : ma (très) grande imagination (émaillée de vérités historiques) et l'album de la famille Astié, mes grands-parents (où figurent aussi mes oncles et tantes, mon père bien sûr, mes arrière-grands-parents et la "tante Henriette"), dont les clichés datent des années 1930 à 1970.