« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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dimanche 15 juin 2025

Soldat du Roi

Je viens de trouver mon plus ancien soldat. Il se nommait Louis Billard, fils de Claude Billard ou Billiard et Denise Piedeloup (c'est un collatéral pour moi : je descends de sa sœur Denise). Il est né en 1687 à Villemareuil (Seine et Marne). Il était « soldat du Roi » (en l’occurrence Louis XIV d’abord puis Louis XV ensuite).

Il m’a été indiqué grâce à un message d’un inconnu (leplumey, de son identifiant sur Geneanet, que je remercie ici chaleureusement). Il m’a contacté via la messagerie de ce site pour me signaler ce soldat. Il a ajouté le lien direct vers le site Mémoire des Hommes où je trouve sa fiche dans le contrôle des troupes (GR 1 Yc 821) : 

Fiche Louis Billard, contrôle des troupes du Régiment du Roi © Mémoire des Hommes
 

Louis Billard a intégré le « Régiment du Roi », 4ème bataillon. Sa fiche précise sa parenté et son surnom : La Brye. Si je lis correctement ce document, il est dit natif de Villermorville, en Brie (d’où son surnom), juridiction de Meaux (et non Villemareuil, autant dire que je ne pouvais pas le trouver d’après son lieu de naissance !). Lors de la rédaction du registre il fait partie de la compagnie du Chevalier de Vallence (ou Valence), est âgé de 55 ans, mesure 5 pieds 4,5 pouces (soit 1,63 m) et ses cheveux sont châtains. Il n’a pas de signe distinctif (cicatrice, marque de petite vérole, tâches de rousseurs, etc…).

Il a été blessé au siège du Quesnoy.

Il s’agit de la ville du Nord en 1712, qui s’inscrit dans la guerre de succession d’Espagne (1701/1714). La ville, longtemps sous domination espagnole, est reprise par la France au milieu du XVIIème siècle, mais reste très affaiblie. En 1712 elle subit deux sièges, à quelques mois d’intervalle. Si les Français perdent le premier, ils sortent victorieux du second. On compte environ 300 morts ou blessés parmi les Français et sans doute autant du côté des Impériaux. L’échec du siège, couplé à la déroute de Denain qui a lieu en même temps, marque le déclin définitif de la coalition impériale et le retour en force de la France.

Néanmoins cette blessure reçue au Quesnoy n’a pas empêché Louis de poursuivre sa carrière militaire, puisqu’il sert encore pendant près de 30 ans.

Une mention complémentaire indique que Louis a servi 7 ans dans les lanciers.

Enrôlé le 7 juillet 1711 (à 24 ans), il est sorti du régiment « invalide » le 2 juillet 1741 (sans précision de ce qui l’a rendu invalide ni où il a été blessé).

 

En tant qu’infirme, il intègre l’Hôtel des Invalides à Paris, dont la construction est ordonnée par Louis XIV en 1670. Cette institution avait pour objectif d’assurer aide et assistance aux soldats des armées royales blessés, ou trop âgés pour servir, afin d'éviter de les voir mendier ou mourir dans l'indigence. Il comprend une église royale (l'Église du Dôme), un hôpital, des réfectoires, des logements, des cours, des jardins. Il pouvait accueillir environ 6 000 pensionnaires, soldats ou sous-officiers (pas d’officiers nobles qui étaient censés être soutenus par leurs familles ou des pensions de cour). Ils bénéficiaient de soins médicaux, de repas, et d'une pension. En échange ils devaient participer aux activités communautaires, y compris les prières, les repas en commun, et les cérémonies militaires. Les soldats mutilés n'accédaient aux Invalides qu'après de longues années de service dans l'Armée. Parmi les « pensionnaires résidents » on distingue les plus malades, qui logeaient et étaient soignés dans la partie hôpital, et ceux qui étaient mieux portant, qui travaillaient dans la manufacture pour confectionner des uniformes, des bas ou des souliers. Les plus valides étaient classés en « pensionnaires externes » assignés à la surveillance du territoire (dans des places fortes, garnisons ou dépôts militaires à l’arrière) ; ils recevaient une pension mais devaient assurer des postes de garde ou d’enseignement aux jeunes recrues. Tous devaient observer une discipline stricte et avoir une conduite irréprochable (pendant le service actif et ensuite pendant leur séjour aux Invalides).

Louis Billard y décède le 29 août 1751, âgé de 64 ans, comme me l'apprends la base de donnée de l'Hôtel des Invalides.

 

J’ai aussi trouvé Louis dans le registre de contrôle des troupes de l’époque précédente (GR 1 Yc 812) : sa fiche est moins complète, mais on retrouve bien Louis Billard, dit « Labry », de la juridiction de Meaux, cheveux châtains, 5 pieds 5 pouces (la taille est souvent arrondie). Il est déjà dans la 4ème bataillon, mais dans la compagnie de Compiègne (dit aussi Chevalier de Compiègne, capitaine au Régiment du Roi au moins entre 1722 et 1733, dont l’identité exacte reste incertaine – que l'on retrouvera au 3ème bataillon dans le registre suivant GR 1 Y 821). Louis est cependant dit enrôlé en juin 1728 et non 1711. La date de sortie n’est pas indiquée puisqu’il est encore en service dans le registre de contrôle suivant (cliquez ici pour accéder à l'inventaire des registres matricules d'Ancien Régime sur Mémoires des Hommes).

 

Mais pourquoi « leplumey » (Ivan Leplumey) m’a envoyé ce message ? Comme il me le précise, c’est en lien avec le projet pédagogique Mémoire des Hommes-INSA Rennes-IRISA (équipe Intuidoc de l’Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires à l’Institut National des Sciences appliquées). Enseignant-chercheur, il est le responsable du projet. Ignorant tout de cette opération, je transcris ici sa présentation trouvée sur le site Mémoire des Hommes : depuis 2021 il existe une étroite collaboration entre l’école d’ingénieurs de Rennes et le site du ministère des armées. Les étudiants, dans le cadre de leur projet pédagogique, ont conçu des programmes informatiques pour indexer les registres militaires d’Ancien Régime, importer les donner et créer des revues. Ces revues numériques sont réalisées avec des partenaires spécifiques, comme des archives départementales ou des cercles généalogiques. Les soldats indexés sont regroupés dans des revues adaptées au partenaire. Ainsi la revue costarmoricaine ne contiendra que des soldats des Côtes d’Armor. Un tri est aussi opéré par régiment, département, commune ou patronyme : il devient ainsi très facile de retrouver ses ancêtres soldats (voir les revues dans l'inventaire). Pour chaque soldat indexé, un lien redirige le lecteur vers le registre d’origine. Geneanet ou Ancestramil sont également partenaires de l’opération. Voir ici la présentation complète de ce projet.

Dans la revue dédiée à « Monsieur » (Louis-Stanislas-Xavier de France, comte de Provence, frère de Louis XVI, né en 1755, futur Louis XVIII), j'ai découvert un autre de mes collatéraux, René Bouguay (Bouguié dans mon arbre), pas de surnom, laboureur né à Saint Sylvain d'Anjou (Maine et Loire) en 1750. Sa fiche est visible dans le registre de contrôle des troupes du régiment de Monsieur (GR 1 Y 574). Il est alors dans le second bataillon, compagnie de Charpin. Enrôlé en 1778 et réengagé deux fois (1784 et 1786). Il mesurait 5 pieds 4,5 pouces, avait les cheveux et sourcils châtains très clair, les yeux bleus, le visage « quarré », nez pointu, bouche moyenne, menton rond, un signe à la joue droite et une petite cicatrice à la joue gauche.

 

Fiche René Bougay, contrôle des troupes du Régiment de Monsieur © Mémoire des Hommes
 

En 1711, époque où Louis Billard s’engage (sous le règne de Louis XIV donc), le recrutement militaire en France obéissait à un système complexe, mêlant engagement volontaire, contraintes sociales et pressions politiques. Le royaume étant alors engagé dans la guerre de Succession d’Espagne (1701/1714), les besoins en soldats étaient élevés.

Les Armées du Roi étaient organisées en régiments, qui portaient les noms de leur propriétaire puis par la suite celui de leur province ou ville de recrutement. Chaque régiment avait sa spécialité (infanterie, cavalerie, etc...) et était appelé à servir sur les champs de bataille selon les exigences militaires. Ils avaient également le rôle d'assurer la sécurité de leur province.

Un grand nombre de régiments sont créés sous Louis XIV (on passe de 33 en 1643 à 260 en 1712).

 

Il existait différents types de recrutements :

1. L’engagement volontaire (avec contrat d’engagement)

  • Principe : Les soldats s’engageaient pour une durée (souvent 4, 6 ou 8 ans).
  • Cible : Jeunes hommes pauvres, souvent ruraux, parfois des vagabonds ou sans métier stable.
  • Avantages offerts :
    • Prime à l’engagement (souvent payée par la ville ou le seigneur local).
    • Promesse de solde régulière, logement, nourriture.
  • Les engagés étaient souvent recrutés dans les provinces, puis envoyés à une place forte ou au dépôt du régiment.

 

Enrôlé volontaire, Louis a sans doute passé un contrat d’engagement devant notaire. Ce type de contrat était formaté et, si je n’ai pas trouvé celui de Louis, il devait ressembler à cela :

« Le 7 juillet 1711, Louis Billard, fils de feus Claude Billard et Denise Piedeloup, natif de Villemareuil en Brie, âgé de 24 ans, de son gré et libre volonté, s’est présenté en la maison commune et a déclaré vouloir s’engager pour le service du roi dans le régiment du Roi-infanterie, compagnie du sieur capitaine de Compiègne [en réalité j’ignore si c’était déjà lui le capitaine lors de son engagement, NDLR]. Lequel engagement est fait pour la durée de six ans, à commencer du jour de son arrivée au dépôt du régiment.
En contrepartie, il reçoit la somme de quarante livres tournois à titre de gratification, payée comptant par le dit capitaine, ainsi qu’un habit d’uniforme, un mousquet, et une paire de souliers.
Fait et signé en présence du sieur notaire et de deux témoins. »

 

2. Le tirage au sort (la milice)

  • Créée sous Louvois (en 1688), la milice provinciale fournissait des hommes tirés au sort pour le service. Elle ne faisait pas partie de l’armée régulière, mais formait une force de conscription provinciale, utilisée pour renforcer les troupes permanentes en temps de guerre.
  • Objectif : éviter de dépendre uniquement des engagés volontaires et constituer une réserve nationale bon marché (entretenir une armée permanente coûtait très cher).
  • Tirage au sort dans les paroisses : chaque paroisse devait fournir un nombre d’hommes, selon sa population. Les hommes valides entre 18 et 40 ans étaient inscrits sur une liste, puis tirés au sort publiquement.
  • Durée de service : 6 ans (variable selon les campagnes). Après ce service, le milicien pouvait être incorporé dans les troupes régulières (surtout les meilleurs éléments).
  • Exemptions : noblesse, clergé, bourgeois, étudiants, aînés de famille nombreuse…
  • Souvent mal perçue : les miliciens tirés au sort pouvaient payer un remplaçant, s’ils en avaient les moyens. Les classes populaires, en particulier, la voyait comme profondément injuste.
  • Déploiement : les miliciens servaient dans des régiments de milice spécifiques, mobilisés pour la défense du territoire et les campagnes extérieures en cas de besoin. Ce n’était pas une force permanente en temps de paix, mais réactivée en temps de guerre.
  • Régiment : ils sont organisés par Province (régiment de Bretagne, du Languedoc, etc…, composé d’un millier d’hommes environ).
  • Fin du système : critiquée pour son inefficacité militaire et sa dimension coercitive, elle est progressivement marginalisée sous Louis XVI. Elle est supprimée en 1789, puis remplacée par la levée en masse (1793).

 

3. Le recrutement forcé (enrôlement de force)

  • Origines : il existait déjà au XVIIème siècle, mais se développe massivement sous Louis XIV, en particulier à partir des années 1680, avec la montée des besoins militaires. On y recourait pour pallier le faible attrait de la carrière militaire (dure, mal payée et aux risques élevés), l’échec des levées de volontaires ou les désertions massives et à cause des besoins accrus en temps de guerre.
  • Méthodes de recrutement : beaucoup de recrutements étaient arbitraires ou abusifs, obtenus par le moyen de :
    • Rafles dans les villes : des arrestations massives étaient pratiquées dans les tavernes, foires, ports ou marchés.
    • Pressions exercées par les intendants, curés, seigneurs.
    • Envoi de « mauvais sujets » vers les régiments, ceux jugés « oisifs », « sans métier », délinquants ou mendiants.
    • Peine alternative à la prison : les cours de justice proposaient parfois le service militaire comme alternative à la prison ou en échange d’une remise de peine.
    • Dénonciation : familles ou communautés faisaient arrêter les « indésirables » qui étaient enrôlés.
    • Chasse aux déserteurs : ils étaient repris et réintégrés sous escorte, parfois dans un autre régiment.
  • Durée de service : elle pouvait être identique à celle des engagés volontaires (4 à 8 ans), mais pouvait aussi parfois être à vie (surtout en cas de « peine » ou en régiment étranger).
  • Affectation : les enrôlés de force étaient répartis dans les régiments existants, souvent dans les compagnies les moins valorisées ou les régiments étrangers, parfois dans des régiments « disciplinaires ». Ils pouvaient aussi être envoyés aux colonies (Antilles ou Louisiane), parfois dans les troupes de marine.
  • Effectifs : il est difficile de chiffrer exactement les enrôlements forcés, car ils n’étaient pas toujours recensés officiellement. Mais on estime que 15 000 à 20 000 hommes par an furent enrôlés de force dans les périodes de guerre intense.
  • Perception : l’enrôlement de force entretenait un fort mécontentement populaire, étant vu comme le symbole de l’arbitraire royal. Les faux certificats, évasions ou mutineries se multipliaient pour y échapper. Par ailleurs les enrôlés de force avaient mauvaise réputation dans l’armée : souvent indisciplinés, peu motivés, prompts à déserter.

 

4. Les officiers

  • Les officiers (lieutenants, capitaines, etc.) venaient quasi exclusivement de la noblesse, souvent par achat de charge ou faveur royale.
  • Les nobles n’étaient pas soumis au tirage au sort de la milice.
  • Ils entraient dans l’armée soit :
    • Par achat de commission, souvent très coûteuse.
    • Par lettre de recommandation, s’ils étaient d’une famille influente.

 

Les officiers (souvent les capitaines) étaient responsables du recrutement de leur compagnie. Ils finançaient en partie le recrutement, notamment en avançant la prime d’engagement. Certains avaient des réseaux locaux (notaires, curés, sergents, etc…) pour recruter dans leur province d’origine.

En temps de guerre, les pertes étant élevées, le recrutement était constant.

 

Le processus d'affectation des soldats dans l'armée royale d’Ancien Régime est lui aussi assez complexe. L’affectation à un régiment ou une garnison du soldat ne se fait pas forcément selon sa région d’origine. Elle pouvait être déterminée par plusieurs facteurs :

  • Le recrutement local : le capitaine est responsable du recrutement, soit en personne, soit par l’intermédiaire de recruteurs ou notables locaux. Il le faisait dans sa région d’origine ou dans une province favorable au recrutement. Les officiers choisissaient leurs recrues pour servir dans leurs compagnies.
  • Le choix du soldat : lorsqu’un homme s’enrôlait de son plein gré, ou comme remplaçant d’un milicien, il pouvait choisir, dans une certaine mesure, le régiment, selon les offres disponibles ou les relations locales. Les régiments « de prestige » comme le Régiment du Roi attiraient ainsi davantage de volontaires.
  • La disponibilité : les intendants affectaient les recrues à un régiment « en déficit ».

 

Ainsi, dans le régiment du Limousin, par exemple, on ne trouvera pas que des soldats originaires de cette région. Cette affectation non géographique rend complexe la recherche d’un soldat d’Ancien Régime. Dans la compagnie de Louis, sur une soixantaine d’hommes, on compte une vingtaine de régions d’origine différentes.

 

Louis Billard appartenait au Régiment du Roi, créé en 1663. Ce régiment d’infanterie est issu d'une réorganisation des forces militaires françaises sous Louis XIV, qui cherchait à renforcer et à moderniser l'armée royale. Son nom reflète son importance et son lien direct avec la monarchie : c’était l’un des régiments les plus prestigieux de l’armée, associée directement à la personne royale, un corps d’élite de l’infanterie de ligne d’Ancien Régime. Le régiment était souvent déployé en tête d’armée dans les batailles majeures et jouait un rôle crucial dans les stratégies militaires de l'époque. Il formait aussi souvent la garde d’honneur dans les cérémonies militaires. Il bénéficiait de privilèges spécifiques en raison de son association directe avec le roi, ce qui lui conférait un statut particulier au sein de l'armée. Sa discipline et sa tenue étaient parmi les plus strictes de l’infanterie.

 

Un régiment d’infanterie comptait en moyenne 1 500 à 2 000 hommes (les chiffres sont à prendre avec précaution car les effectifs variaient selon les périodes (guerre/paix), les pertes et les ordonnances royales).

Le Régiment du Roi était dirigé par un lieutenant-colonel (le roi lui-même étant le colonel en titre). Lorsque Louis s’engage, en 1711, c’est Louis Armand de Brichanteau, marquis de Nangis, qui est le lieutenant-colonel du Régiment. Il occupe cette fonction de 1702 à 1713.  Il est issu de la maison de Brichanteau, ancienne noblesse de robe et d’épée, très influente sous Henri IV et Louis XIII, héritier des terres de Nangis (en Brie), érigées en marquisat. Il deviendra ensuite lieutenant général des armées du roi et nommé Chevalier de l'Ordre du Saint-Esprit vers la fin de sa vie (distinction rare réservée aux plus hauts nobles du royaume). Il meurt en 1742.

Pendant le service de Louis, lui succèderont au poste de lieutenant-colonel le marquis de Pezé en 1719 et le duc de Biron en 1735.

 

Chaque régiment était divisé en bataillons. Contrairement à la plupart des autres régiments d'infanterie qui disposaient de deux ou trois bataillons, le Régiment du Roi conserva quatre bataillons (même après les réformes successives des armées), ce qui témoigne de son importance et de son prestige.

 

Les bataillons eux-mêmes étaient composés de compagnies, de 50 à 60 soldats chacune.

Le bataillon de Louis (le quatrième) avait 17 compagnies (une de grenadiers et 16 de fusiliers). Les compagnies étaient commandées par un capitaine. Le nom du régiment et de la compagnie, correspond au patronyme de l’officier en charge de cette unité. Le document GR 1 Yc 821 mis en ligne sur le site Mémoire des Hommes date des années 1730/1740. Louis sert alors dans la compagnie du capitaine nommé « Chevalier de Vallence ». Le rang de capitaine dans ce régiment était un poste de prestige, réservé aux nobles ou aux officiers très recommandés, mais dont les familles ne sont pas toujours clairement identifiées aujourd’hui. Le Chevalier de Valence, dont le prénom n’est pas précisé, est peut-être Jean Baptiste de Valence, issu d’une famille noble du Dauphiné, promu capitaine au Régiment du Roi-infanterie vers 1733, il est mentionné dans les « États militaires de France » comme capitaine en place au Régiment du Roi en 1736. Il est probablement encore en service en 1737/1740, mais sa trace disparaît ensuite (il peut avoir quitté le service ou avoir été promu ailleurs).

Dans la compagnie du Chevalier de Valence, selon ce document, 61 hommes ont été inscrits.

Les autres officiers (lieutenants, sous-lieutenants) et sous-officiers (sergents, caporaux) complètent l’encadrement du régiment.

 

Les soldats étaient divisés en :

  • Grenadiers : Soldats d'élite souvent choisis pour leur force et leur courage, utilisés pour les assauts et sièges. Chaque bataillon compte une compagnie de grenadiers.
  • Fusiliers : Soldats d’infanterie « ordinaires », équipés de fusils, formant la majorité des troupes. On compte 16 compagnies de fusiliers dans chacun des bataillons de ce régiment.
  • Tambours et fifres : responsables de la transmission des ordres sur le champ de bataille par le biais de signaux sonores.

 

Louis faisait partie des fusiliers, bien que sa fiche mentionne qu’il ait servi 7 ans comme lancier (soldat de cavalerie de ligne). La période de ce service n’est pas précisée.

 

Le Régiment du Roi en 1711 n’est pas représenté précisément dans des portraits contemporains, il est donc difficile de savoir comment était l’uniforme que portait Louis. Mais il avait probablement un habit en drap de laine bleu roi avec doublure et parements rouges (revers, collet et manchettes) et boutons dorés (sans marque ni numéro, qui n’apparaissent qu’à la Révolution), long jusqu’au genou. Sous l’habit il devait porter une culotte en toile ou drap et un gilet, le tout blancs ou écrus. Il devait être coiffé d’un tricorne en feutre noir garni d’un galon de fil d’or. Il devait être équipé d’un fusil à silex avec baïonnette à douille et d’une cartouchière. Sa gibecière en cuir devait transporter des provisions et d'autres effets personnels (indications données par les ordonnances générales d’habillement, notamment celle de 1690, confirmée par des circulaires de 1704, 1709 et 1711).
Dans les années 1770 l’uniforme semble avoir été modifié (habit blanc, parements bleus).


Tentative de représentation, aidée par l’IA et Photoshop

(parce que l’IA toute seule c’est pas encore ça)

 

Les plus anciens de la compagnie de Louis ont été enrôlés en 1708, les plus récents en 1741. Parmi eux, sont notés :

  • décédés : 25
  • invalides : 3
  • désertés : 3
  • encore en service dans le régiment : 17
  • transférés : 5
  • congédié : 8

 

Le soldat nouvellement enrôlé devait se rendre au dépôt du régiment, souvent une place forte importante (Lille, Metz, Strasbourg…). Ce dépôt était aussi le lieu de formation, d’équipement, de logement temporaire.

Là, il était enrôlé officiellement, inscrit dans les contrôles (registres), et intégré à une compagnie.

Une fois organisé, le régiment était déployé en garnison ou en campagne selon les ordres royaux et du ministère de la Guerre.

Le Régiment du Roi recrute dans tout le royaume, via des officiers très dispersés géographiquement. Ses garnisons habituelles étaient dans des places fortes du Nord et de l’Est (Lille, Valenciennes, Metz, Strasbourg, parfois Paris).

 

Le Régiment du Roi a été très engagé dans la guerre de succession d’Espagne. Ce conflit a opposé plusieurs puissances européennes de 1701 à 1714, et dont l'enjeu était, à la suite de la mort sans descendance du dernier Habsbourg espagnol la succession au trône d'Espagne et, à travers elle, la domination en Europe. Dernière grande guerre de Louis XIV, elle permit à la France d'installer un monarque français à Madrid : Philippe V (petit-fils de Louis XIV), mais avec un pouvoir réduit et un renoncement théoriquement définitif, pour lui et pour sa descendance, les Bourbons d’Espagne, au trône de France.
Sous la Révolution le Régiment du Roi deviendra le 105e régiment d’infanterie de ligne.

Guerre de succession d'Espagne, bataille de Malplaquet 1709 © Leloir Maurice 

Au total, entre 400 000 et 700 000 hommes ont perdu la vie dans cette guerre. On peut même monter jusqu’à 1,2 million si l’on inclut les civils liés aux destructions et pillages dans le sillage de l’armée. Néanmoins les chiffres sont difficiles à déterminer à cause des registres militaires parfois incomplets, les registres civils détruits, les morts civiles dues aux famines et aux épidémies liées au conflit, et les différentes méthodes de calcul utilisées par les historiens. Certains estiment que pour un soldat tué au combat, un autre mourait des suites de ses blessures et encore 3 autres de maladie.

 

Le Régiment du Roi est ensuite engagé dans la guerre de succession de Pologne (1733/1738) avec, notamment, des combats en Lorraine, sur le Rhin, contre les Impériaux. Après le décès du roi de Pologne en 1733, deux candidats s'opposent pour lui succéder, le trône de Pologne étant électif : son fils, Frédéric II Auguste, devenu électeur de Saxe par hérédité, et Stanislas Leszczynski, qui est devenu le beau-père de Louis XV en 1725. Le premier est soutenu par la Russie et l'Autriche et le second par la France. Le conflit électoral polonais deviendra une guerre civile et internationale.

Puis la guerre de Succession d’Autriche (1740/1748), conflit qui opposa la Prusse, la France, la Bavière, la Saxe et l'Espagne à l'Autriche et à l'Angleterre, et qui eut pour principal enjeu les terres héréditaires des Habsbourg d'Autriche et la succession au trône impérial.

 

Louis Billard, un soldat ordinaire du Roi dans une époque troublée et violente.

 

 

 


vendredi 25 février 2022

#52Ancestors - 8 - Claude Louis Macréau

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 8 : Les actes de ventes/d'achats/d'échanges de terre


Le deux frimaire l’an IV de l’ère républicaine (le 23 novembre 1795) Denis Nicaise et Claude Macréau, accompagnés de leurs épouses respectives, se réunissent dans l’étude de Me Pinart, notaire à Guérard (Seine et Marne) pour procéder à un échange de terres.

Monthérand de Guérard


Denis Nicaise (Jean Denis de ses prénoms de baptême) est né en 1763 à Guérard, d’une famille de vignerons installée au lieu-dit Montherand.

Guérard est la commune la plus citée de mon arbre après Villevêque (49), avec 568 occurrences. De ce fait, lorsque j’examine un acte il y a une chance pour que tous les protagonistes du document me soient plus ou moins apparentés.

C’est donc le cas de Denis, arrière-petit-neveu de mon ancêtre Claude Nicaise. Il a épousé en 1785 Marie Anne Roze Holeux (ou Hauleux). Celle-ci est la fille de Marie Madeleine Hochet (ma sosa 839) et de son troisième mari Nicolas Holeux.

 

L’autre couple est formé par Claude (Louis) Macréau et Marie Anne Roze Pochet mes sosas 208 et 209 (ancêtres à la 7ème génération). Dans l’échange Claude est nommé « Maqueriot ». On trouve aussi parfois l’orthographe Maquereau ou Macriot. Dans l’acte de mariage de son petit-fils il est d’ailleurs mentionné que lors de sa naissance "le nom patronymique de son père est orthographié à tort Maquereau au lieu de Macréau" (déclaration sous serment lors de son mariage). C'est pourquoi j'ai gardé l'orthographe "Macréau". Les Macréau sont aussi originaires de Guérard, d’autres lieux-dits nommés Le Charnoy pour les deux premières générations, puis Rouilly le Bas pour les deux suivantes. Claude, lui, demeure au Grand Lud (même commune). Claude Macréau est aussi vigneron. En 1795 il a alors 30 ans. 


Il s’est donc mis d’accord avec Denis Nicaise pour procéder à un échange de terres. De son côté Denis donne deux pièces de terre situées aux « Landy » (ou Les Landis) à Monthérand : la première mesure 10 perches. La perche est une ancienne mesure de longueur, valant un peu plus de 6 m, ou de superficie (le « carré » de « perche carré » étant alors sous entendu) valant un peu plus de 42 m² ; valeurs données à titre indicatif car elles dépendent beaucoup des époques et des régions. L’autre parcelle mesure 6 perches. Cela fait donc un total de 16 perches, soit environ 672 m².

Les parcelles sont précisément situées grâce à la méthode « Ancien Régime » : en nommant les propriétaires ou points remarquables voisins. Ainsi au levant de la parcelle (c'est-à-dire à l’est) il y a une parcelle appartenant aux héritiers Langlois, au couchant (à l’ouest) le sentier, au midi (au sud) une autre parcelle appartenant à Claude Macréau et au septentrion (au nord) une parcelle à Hubert Lhuillier. Difficile de situer exactement ces terres aujourd'hui, mais peut-être le cadastre napoléonien, rédigé 15 ans après l'échange, peut-il nous donner quelques pistes. Les états des sections ne sont pas en ligne, mais il se trouve que sur les feuilles de plans du cadastre de Guérard, les noms des propriétaires sont inscrits sur les parcelles ! Bon, le seul problème c’est que la définition de numérisation n’est pas assez haute pour lire correctement lesdits noms : il faut essayer de deviner !

Donc, on retrouve bien le lieu-dit Les Landis, le sentier et une parcelle appartenant à Claude Macréau. Peut-être que la parcelle de 10 perches donnée par Denis Nicaise se trouve au nord de cette parcelle appartenant à Claude Macréau. Le propriétaire identifié n’est pas Claude, mais ne perdons pas de vue que le cadastre a été rédigé 15 ans après l’échange : il s’est peut-être séparé de cette parcelle entre temps. Ou bien la parcelle que nous voyons est issue de la fusion entre celle donnée par Denis et l'ancienne parcelle voisine appartenant déjà à Claude.


Cadastre Les Landries © AD77

 

En échange Claude Macréau donne une pièce de terre située aussi à Monthérand, mais au lieu-dit Les Grandes Vignes. Cette terre est entrée en la possession de Claude par sa femme, grâce un héritage reçue par elle de sa mère Honorée Suzanne Gaudin (décédée en 1775), qui était originaire de Monthérand. De la même manière, on peut suggérer un emplacement pour cette parcelle.


Cadastre Les Grandes Vignes © AD77


Les parcelles échangées sont d’une superficie égale (16 perches au total). Elles sont estimées à mille livres, soit environ 15 693 euros actuels.

Bien sûr, l’acte d’échange ne dit pas pourquoi Denis et Claude ont troqué leurs parcelles. Tout juste peut-on supposer qu’un regroupement territorial est à l’origine de la transaction : en effet, les parcelles données par Denis sont contiguës à d’autres appartenant déjà à Claude et inversement. Ainsi chacun dispose désormais de terres d’un seul tenant, augmentées de 16 perches.


mercredi 18 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre P

 CHAPITRE P

"Pourquoi pas ?"

 

- Pourquoi pas ?
Alexandre avait accepté de me montrer les Egyptes, le quartier où habitait Henri Macréau entre 1911 et 1921.
- Mais tu vas voir, c’est vite fait !
Je lançai un regard noir à Sosa caché sous son meuble et suivis Alexandre. Je répétai en guise d’excuses :
- Je suis vraiment désolée, c’est la première fois qu’il fait ça…
- Peu importe !
 

Nous avions parcouru la rue des Vallées dans les deux sens. Alexandre expliqua :
- Voilà : c’est le site des Egyptes. Maintenant englobé dans le quartier des Vallées.
- Hum, je comprends mieux les recensements maintenant. En 1911 et 1921 Henri habite aux Egyptes. En 1926 il y a une lacune des registres. Mais on le retrouve en 1931 aux Vallées, nommés ensuite rue des Vallées en 1936.
Je pensai à tout cela. En fait Henri n’avait peut-être pas déménagé plusieurs fois comme je le pensai au début : c’était peut-être seulement la maison qui avait changé d’adresse.
- On peut refaire le trajet encore une fois ?
- Si tu veux, répondit Alexandre en haussant les épaules.
 

J’égrenai au fur et à mesure :
- A l’angle en bas de la rue, une grande maison, deux étages plus un comble. Le crépi a été refait mais la cheminée en brique pourrait supposer un bâti plus ancien. Ensuite une maison basse toute en longueur, bardée d’un revêtement moderne, mais elle aurait pu tout à fait être de brique comme sa voisine. Celle-ci est intéressante : toute de brique rouge, un porte centrale, des fenêtres de part et d’autre. Probablement deux pièces. Pas d’étage. Une double frise qui vient souligner la toiture. Très joli. On ne construit plus comme ça aujourd’hui : trop cher. Oh ! Dommage : le pignon a été enduit de blanc. Après encore une maison basse à deux fenêtres.
- Et encore du crépi !
- Oui, les marchands d’enduit ont dû faire fortune dans ce quartier. Il n’y a de maisons que d’un seul côté. De l’autre c’est déjà la campagne. La maison suivante a un étage. Il faudrait voir le cadastre pour savoir si c’est une construction neuve ou rénovation… pas très heureuse, d’ailleurs. J’espère que l’intérieur est plus coquet. Ah ! Ici deux maisons face à face : à droite c’est à nouveau une maison basse, mais un peu transformée, notamment par l’ajout d’une véranda. Celle de gauche en revanche est plus dans son jus : on retrouve la brique rouge, la double frise sous la toiture. Elle est un peu asymétrique avec deux fenêtres d’un côté de la porte et une seule de l’autre. Avec les fleurs, ça rend très bien. Des briques partout, jusqu’à la cheminée.

maison à Mortcerf (Seine et Marne)



- Oui l’une des tuileries-briqueteries est située un peu plus haut.
- On devine facilement que la brique et le patron Houbé régnaient non seulement sur le marché du travail mais ont aussi inscrit leur marque dans le paysage. 

J’appréhendai le pays d’un œil neuf. Je me rappelai ce que j’avais lu sur Houbé. « Il employait environ 80 ouvriers en saison ». Cela pourrait paraître assez peu dit comme ça, mais si on compte une ou deux personnes par foyer travaillant pour lui ça fait déjà une soixantaine de foyers directement impliqués. Soit six quartiers comme celui des Egyptes qui ne comptait que dix ou douze maisons. Ce n’est pas négligeable pour une petite localité comme Mortcerf. Je pensai à toutes ces « familles de la brique ». Et à la catastrophe qui avait dû advenir quand le marché s’est effondré et que les briqueteries ont dû fermer leurs portes. 

Nous reprîmes notre déambulation.
- Une petite allée non goudronnée qui mène à trois maisons semblables et puis les deux maisons de part et d’autre de la rue qui finissent le quartier.
- Voilà ! Comme je te disais : c’est pas très grand.
 

Je restai pensive alors que nous revenions sur nos pas.
- Alors, me demanda Alexandre osant troubler mon silence, ça fait quoi de marcher dans les pas de son aïeul ?
- C’est émouvant, dis-je la gorge un peu plus serrée que je ne l’aurai voulu.
Pour faire passer l’émotion, nous avons marché jusqu’aux Vallées, ancien lieu-dit jouxtant aujourd'hui Mortcerf. Moins de brique, plus d’étages : le paysage changeait.
 

Nous fîmes une halte devant une maison restaurée récemment, mais qui avait pris soin de garder sur sa façade un témoin d’hier : une plaque métallique où était inscrit « La mendicité est défendue dans le département de Seine-et-Marne ». Un quartier plus aisé, sans aucun doute, où on ne voulait pas s’encombrer de pauvreté et où on le faisait savoir. Des traces d’une époque révolue avaient été maintenues, comme l’ancien lavoir, couvert de tuile évidemment. 

Sans nous en rendre compte nous étions arrivés au cœur de Mortcerf. Le bâti avait à nouveau sensiblement évolué : davantage d’étages s’épanouissaient, la polychromie décorait les façades, des signes extérieurs de richesses aussi comme des avant-corps, des murets, des marquises… Presque la ville déjà. 


- Puisqu’on est là, j’irai bien à la mairie consulter le cadastre !
- Si tu veux, mais moi j’ai un rendez-vous : je dois m’absenter.
- Ah ? Bon, ben, très bien, j’irai seule. De toute façon je trouverai le chemin du retour sans difficulté.
- OK !
Alexandre repartit en sens inverse tandis que je traversais la placette, moderne, qui était devant la mairie. J’étais sur le point de franchir les quelques marches qui menaient à la mairie, quand je me figeai sur place.
- Mais ??? 


Je reculai un peu et fouillai dans mon sac. J’en extrayais un dossier qui ne me quittait pas : c’était le dossier de « l’affaire de Mortcerf » et toutes les notes que j’avais prises en rapport avec cette enquête depuis plusieurs mois. Enfin, je mis la main sur le document que je cherchai : une photographie de petit format, en noir et blanc, un peu floue. On y voyait un bâtiment assez cossu, précédé par un perron. Un arbre dispensait son ombre sur le côté. La photo était cadrée très serré c’est pourquoi on ne voyait rien en dehors de ce bâtiment. Je relevai la tête, fit l’aller-retour entre la photo et le paysage devant moi : c’était la même chose ! 


Sans réfléchir je dis tout haut :
- Sosa ! C’est la mairie de Mortcerf !
Puis, reprenant mes esprits, je réfrénai mon enthousiasme. OK, Sosa n’est pas là. D’ailleurs on doit avoir une conversation lui et moi. Mais j’aurai aimé partager cette découverte inattendue avec lui ; enfin dans la mesure où on peut partager quoi que ce soit avec son chat ! 

 


C’était vraiment le même bâtiment : le perron grillagé, la porte plein cintre, le balcon en fer forgé, la fausse colonnade et l’œil de bœuf tout là-haut, dominant le tympan sculpté. Tiens ! L’œil de bœuf avait perdu son décor dans la partie supérieure. J’avais résolu, sans le vouloir, une nouvelle énigme posée par le dossier. 

J’entrai dans la mairie, heureuse de cette découverte. Trois hommes et une femme discutaient autour de la banque d’accueil à propos du chantier de l'aménagement paysager devant la gare. Lorsque je pénétrai dans la pièce, les quatre personnes présentes se turent en même temps et me regardèrent, curieux. Aussitôt un homme grand, mince, la chevelure grisée, le costume sombre, se détacha du groupe et me souhaita la bienvenue. Le maire songeais-je in petto. J’expliquai en quelques mots ce qui m’amenait à Mortcerf. 


Un gros homme, rougeaud, le cheveu ras, m'interpella :
- Ah ! Mademoiselle !
(Mademoiselle ? A mon âge ?)
- Vous qui n’êtes pas du pays : voici une devinette ! Comment appelle-t-on les habitants de Mortcerf à votre avis ?
Satisfait de lui-même, il était sûr de me coller. Mais j’avais fait mes devoirs avant de venir et je répondis du tac au tac :
- Les Moressartoises et les Moressartois évidemment !
Le type, stupéfait, n’en revenait pas. Amusée d’avoir arrosé l’arroseur je m’approchai de la secrétaire de mairie et demandai si je pouvais consulter le cadastre. Le maire eut un peu de mal à rattraper ses ouailles après ce tacle en bonne et due forme, mais reprit vaillamment sa conversation d’édile fraîchement élu. La secrétaire, petite femme joviale, me proposa de m’installer dans la salle du conseil municipal :
- Vous serez plus tranquille comme ça. Je vous apporte les registres. 


Elle sortit, elle aussi fort réjouie par la scène qui venait de se produire. Je passai les heures qui suivirent (sans les voir défiler, ça va de soi) à éplucher les matrices du cadastre, les plans correspondant. Et puis aussi l’état civil tant qu’à faire. Et tout ce qui pouvait me tomber sous la main. 


Ce n’est que beaucoup plus tard (j’avais un peu perdu le fil des heures) que je ressortis de la mairie. Je refis le chemin inverse pour retourner chez Alexandre. J’avais la tête pleine de mes investigations et découvertes du jour. C’est sans doute pour cela que je ne vis pas la silhouette qui me guettait à l’autre bout de la place. Une paire de souliers vernis embrayèrent alors le pas derrière moi et me suivirent à bonne distance. 



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samedi 14 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre M

 CHAPITRE M

"Ma patience sera récompensée..."

 

Ma patience sera récompensée. Et ma curiosité. Enfin, c’est ce que j’espérai en arrivant en Seine-et-Marne. Depuis bientôt sept mois que cette affaire titillait mon intérêt, mon déplacement in situ verrait-il la résolution de cette énigme ? 


Cinq heures de train et un petit tour de métro parisien au milieu : le voyage m’avait laissé tout le temps de réfléchir à l’affaire. J'en avais donc profité pour songer à tout ce que j'avais appris jusque là, déplaçant et replaçant les éléments pour obtenir un puzzle sans trou. Cependant il me manquait des pièces : la scène était encore morcelée. J’avais aussi préparé une liste de questions dont les réponses se trouvaient (peut-être) sur place. 


On était en juillet. Je répondais à l’invitation d’Alexandre de venir à Mortcerf, mais auparavant j’ajoutai une étape. J’avais rendez-vous avec Charlotte Paulé, l’archiviste qui m’avait aidée par correspondance et que j’allai rencontrer pour la première fois. 

archives départementales Seine et Marne

Le bâtiment des archives, situé à Dammarie-les-Lys, avait une allure un peu futuriste avec ses différents volumes et son entrée évoquant un sas d’engin spatial. Je déposai mes affaires personnelles au vestiaire et récupérai la clé de mon casier. Je n’avais le droit d’entrer en salle avec absolument rien qui m’appartenait en propre, à part une feuille de papier, à condition qu’elle soit d’un format inférieur à 10 x 15 cm. En contrepartie un kit de consultation (constitué d’un crayon à papier, une gomme, une paire de gants et des poids pour maintenir les documents ouverts) me serait prêté. Je me sentais un peu toute nue, mais je pouvais accéder au saint des saints : la salle de lecture. 


Elle était agréable, bien éclairée grâce à une façade entièrement vitrée. On y retrouvait le mobilier caractéristique des salles de lecture des archives : grandes tables numérotées, lampes individuelles orientables, étagères de livres usuels et d’inventaires. Depuis les meubles en bois composés de multiples tiroirs renfermant des fiches cartonnées jusqu'aux ordinateurs permettant la consultation de documents numérisés : on avait là l’alpha et l’oméga des archives, des méthodes anciennes aux plus récentes. 


Je me fis enregistrer auprès du président de salle qui me délivra ma carte de lecteur (une de plus pour ma collection !). Enfin j’étais prête à entrer dans le vif du sujet.
- Vous avez la place numéro dix, me chuchota le président de salle.
- Je suis attendue par Charlotte Paulé, lui répondis-je sur le même ton.
- Je la préviens tout de suite.
Il m’indiqua d’un geste de la main l’emplacement de la place n°10 et décrocha le téléphone. Je me rendis sagement à la place qui m’était attribuée et attendis l’archiviste. Celle-ci arriva rapidement. C'était une grande femme, élancée, aux yeux verts. Un tailleur strict était assorti à ses yeux. Après les présentations d’usage, elle me proposa d’aller dans son bureau, espace plus convivial où l’on pourrait parler sans déranger quiconque. 


- Dis-moi ce que tu sais et je te dirai ce que je sais.
- Bien, allons-y !
Lorsque j’eus exposé le point où en était l'enquête de mon côté, Charlotte prit la parole. Des boucles s’échappaient de son chignon haut perché sur son crâne. D’un geste mainte fois répété elle tentait, en vain, de les replacer dans le fragile édifice qui menaçait à tout instant de s’écrouler. Cela cassait l'image un peu rigide qui se dégageait d'elle au premier abord et me la rendit tout de suite sympathique.
- Il y a du positif, du négatif et… de l’étonnant !
Avec cette entrée en matière, elle eut droit immédiatement à toute mon attention, pourtant acquise d’avance.
- J’ai trouvé la date et le décès d’Henri.
- Oui, moi aussi !

Les deux décès correspondaient, ce qui était plutôt rassurant (on n’est jamais à l’abri d’un homonyme ou d’une erreur).
- Par contre je n’ai pas trouvé davantage de trace de « l’affaire de Mortcerf ». Ni moi ni mon réseau, que j’ai activé il y a quelques semaines.
Je tordis un peu du nez.
- Dommage ! J’avais espéré que, de ce côté, les nouvelles seraient meilleures.
- Mais ce n’est pas complètement négatif : ne rien trouver c’est bien aussi.
J’agrandis les yeux. Je ne voyais pas bien où elle voulait en venir.
- Comment ça ?
- Et bien, si l’affaire de Mortcerf avait été quelque chose d’important ou de très grave, il y aurait eu des échos : dans la presse, du côté de la justice ou pourquoi pas, ce n’est pas si ancien, dans les mémoires ?
- Oui de ce point de vue, évidemment…
- Le vide n’existe pas : il n’y a que l’apparence du vide.

Hum… Charlotte était philosophe. Elle m’expliqua en détail ses investigations qui, toutes, conduisaient au même chemin de l’absence.
Je gardai le silence un moment, plongée dans mes pensées, pour mettre en ordre tout ce que je venais d’apprendre. Charlotte respecta mon silence, le temps d’absorber ce qui paraissait, à première vue, être un échec.
Relevant la tête, je lui demandai pleine d’espoir :
- Et pour l’étonnant ?
- Quoi ?
- L’étonnant : tu as dis que tu avais « du positif, du négatif et de l’étonnant ».
- Ah ! Oui ! J’ai pris la liberté de faire quelques prospections privées. Et voici ce que j’ai découvert. 


Elle m’expliqua alors dans quelle direction, plutôt étonnante en effet, elle avait mené ses recherches. Et le résultat n’en était pas moins surprenant. Incrédule je la regardai en tâchant d’envisager tout ce que cela impliquait :
- Vraiment ?
- Vraiment !



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mercredi 11 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre J

 CHAPITRE J

"Je ne le trouve pas..."

 

fichiers non accessibles en ligne


Je ne le trouve pas ! Je ne le trouve pas ! Rageuse, je fermai un énième site internet visité ce jour-là et grommelai pour qui voudrait m’entendre :
- Bon sang ! Rien à faire je ne le trouve pas ! Impossible de mettre la main sur Henri et son fichu dossier ! 


Après la découverte de l’acte de décès d’Henri, j’avais essayé d’affiner mes recherches concernant ses adresses successives pendant la seconde guerre mondiale, en vain. Sans plus de succès, je ne trouvai pas l’acte de décès d’Ursule. Et encore moins une trace de l’assassinat ou de l’enquête.
- Mais il n’y a rien ! C’est le trou noir, le désert ! Rien ! 


Alerté, Sosa s’approcha. Comme je ne réagissais toujours pas le félin se frotta contre mes jambes et guetta une réaction à ses efforts de consolation. Mais je me tenais toujours la tête entre les mains, frémissante d’insatisfaction. Sosa, que cette attitude inquiétait, sauta sur mes genoux et tenta, d'une patte câline, d'écarter mes poings serrés. Ceux-ci finirent par céder aux avances du matou, épousant son corps chaud qui, sous les caresses, se cambra en poussant de petits feulements heureux. Mes yeux plongèrent dans les siens. Aussitôt de puissants ronronnements se firent entendre.
- OK ! OK ! Ça ne sert à rien de s’énerver. Mais c’est tellement frustrant parfois de ne pas trouver ce que l’on cherche. 


J’enfouis mon visage dans la fourrure de l’animal, geste qui m’apaisait toujours. Hélas, je ne voyais pas d’issue à cette recherche et je devais me résoudre à jeter l’éponge. Cela me mettait au désespoir. L’après-midi touchait à sa fin et, comme à son habitude, Alexandre avait pris le téléphone pour me parler de ce qu’il appelait « son mystère mystérieux ». 

La mort dans l’âme, je dus me résoudre à lui annoncer ma décision de stopper mes recherches :
- Tu comprends, on ne trouve rien. Je ne sais pas ce qui s’est passé, et j’aimerai le savoir, mais pour le moment ce n’est pas possible. Peut-être dans quelques années il sera plus facile de trouver des informations. Avec l’indexation par exemple on découvre régulièrement des « nouveautés » alors que les documents étaient là depuis toujours. C'est juste que leur chemin d’accès demeurait caché… Alexandre ? Tu es là ?
- Si je suis là ? Mais bien sûr que je suis là ! Et je suis sidéré de t’entendre dire ça ! Tu m’avais promis qu’on irait au bout de cette histoire et voilà que tu abandonnes ! me répondit Alexandre d’un ton plus agressif que la situation ne l’exigeait. 


Je fus surprise de sa véhémence. C’est vrai qu’on avait parlé de résoudre cette énigme ensemble, mais je ne pensais pas que cela lui importait à ce point.
- Écoute, je suis désolée, mais je ne trouve rien. Et l’archiviste que j’ai contacté non plus.
- Une archiviste ? Quelle archiviste ?
- Oh ! Oui, je ne t’en ai pas parlé avant parce que tant qu’elle ne trouvait rien je considérai cela inutile. Mais voilà, j’ai contacté une archiviste qui a accepté de se renseigner sur place. Mais elle non plus n’a rien trouvé. Donc tu vois que…
- Mais elle est nulle si elle n’a rien trouvé !
- Euh… Alexandre, là tu y vas un peu fort.
- Et bien je vais trouver moi ! Tu verras ! 


Je ne voyais pas bien comment mais je finis par accepter du bout des lèvres de ne pas abandonner l’affaire complètement, ou tout du moins de la reprendre si Alexandre trouvait une nouvelle piste. La conversation ne s’éternisa pas : je raccrochai tout en ayant un goût amer dans la bouche. Je n’aimai pas la façon dont cette histoire se terminait. 


Pourtant, malgré ma résolution, dans les semaines qui suivirent je ne cessai de songer à ces événements. Je n’arrivai pas à m’en détacher. Était-ce parce que cela concernait un de mes ancêtres ? Par goût morbide d’une histoire tragique ? Ou tout simplement parce que je détestai m’avouer vaincue ? 


Mais j’avais déjà lu à peu près tout ce qu’il était possible de trouver à distance sur le lieu et la période, pour essayer d’en saisir le contexte particulier. J’avais écumé le site des archives départementales pour consulter tous les documents qui évoquaient de près ou de loin la vie de mes ancêtres. 


Je ressassai ce que je savais mais je ne parvins pas à trouver une explication au geste insensé d’Henri. Comment un homme qui menait une vie ordinaire et, semble-t-il, sans ombre pouvait-il en venir à de telles extrémités ? J’avais l'impression que toutes mes certitudes s'étaient décomposées. Je tenais une foule de fragments, que je ne pouvais assembler pour en faire un tout compréhensible. Je ressentais de la pitié et de la tristesse pour Henri. Là encore était-ce à cause de nos liens familiaux ? Ou le malheur rapproche-t-il les êtres par delà les époques ? Je n’avais pas de réponse. 


Enfin, un soir de juin, Alexandre rappela :
- Tu ne devineras jamais ce que j’ai trouvé ?
- Non, quoi ?
- Le lien entre mon défunt grand-père et ton ancêtre !
- Quoi ???
- Oh ! Et peut-être même le fin mot de l’histoire. Oui, il faut que tu viennes voir ça.
- Comment ça ?
- Mais viens ici ! Je te montrerai ma découverte. Et puis ça sera bien de se voir et d’en parler en vis-à-vis, n’est-ce pas ? Si tu veux je t’invite ! Je te prends un billet et pour le logement il y a la maison de mon grand-père : elle est très grande, tu y seras à ton aise. Bon, la déco est un peu passée de mode, mais on ne devrait pas commencer les travaux de rénovation tout de suite. C’est idéal !
- Mais… Qu’est-ce que tu as trouvé en fait ? Tu ne peux pas me l’envoyer, comme le reste du dossier ? Alexandre se mit à rire :
- Oh ! Non ça, ça va pas être possible. Il ne passera pas dans les tuyaux : c’est un papi.
- Un quoi ?
- Un papi ! Un témoin, un être vivant quoi !
- Un témoin ? Des événements des années 1940 ? Dis donc, il ne doit pas être tout jeune !
- 89 ans exactement ! Il en avait 10-15 pendant la guerre. Il a connu mon grand-père et Henri. Il se souvient très bien de ce qui s’est passé.
- Mais alors ! Dis-moi vite ce qu’il t’a raconté !
- C’est que… Il trouve que ce sont des souvenirs pénibles : pour moi il ne veut pas y repenser. Mais pour toi, qui est une descendante d’Henri, il veut bien. C’est pour ça qu’il faut que tu viennes !

Substituer la mémoire orale à la documentation papier disparue ? C’est une piste que je n’avais pas exploitée. Et puis se rendre sur place, marcher dans les pas de mon aïeul, c’était tentant je dois dire. Mais quoi qu’en dise mon cœur, c’est ma tête qui décidait. Et elle, elle hésitait encore !
- Bon… Il faudrait que je voir si je peux m’organiser. A quel moment pourrais-tu m’accueillir ?
- Tout de suite bien sûr ! Pourquoi attendre ?
- Hé ! Là ! Une minute ! Je ne peux pas tout quitter comme ça ! Il me faut un minimum de temps pour m’organiser. Voyons, c’est bientôt les vacances : en juillet je pourrais peut-être. Oui, la deuxième quinzaine de juillet ça serait faisable. 

Alexandre fut déçu que je ne vienne pas immédiatement, mais il dut se contenter de mon calendrier. Il me promit de m’envoyer un billet de train et se disait ravi de m’accueillir. Cependant, je sentais la déception dans sa voix. Alors qu’il allait raccrocher, je demandai in extremis :
- Au fait ! Comment s’appelle-t-il ?
- Qui ça ?
- Ben… le témoin ?
- Ah !… Oui… Euh… Honoré ! dit Alexandre avant de mettre fin à la communication. 



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mardi 10 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre I

 CHAPITRE I

"Il est mort..."


- Il est mort ! Il est forcément mort ! Quelque part, à un moment donné, il est bien mort. Mais où ? Quand ? 


Je me suis posée cette question pendant plusieurs jours. J’ai tourné comme un escargot dans les communes autour de Mortcerf, dernier domicile connu afin de le trouver. Mais bien souvent je me heurtai au trou noir de la généalogie : période trop ancienne pour s’en souvenir, mais trop récente pour être diffusée en ligne. 


C’est finalement Alexandre qui m’apporta la réponse à cette question tant de fois posée. On était alors à la fin de l’hiver, lors de l’une des dernières attaques du froid. Si les jours rallongeaient, néanmoins la lumière déclinait toujours trop tôt à cette période où on aspirait à la clarté. Le soleil avait déjà disparu derrière l’horizon et le long crépuscule vidait lentement le paysage de ses pâles couleurs toutes neuves. Le vent tiède soufflait en rafales, malmenant les feuilles nouvelles sur les branches des arbres, chassant l’ondée qui avait lavé le jardin. A l'odeur douce et pénétrante de terre humide se mêlait la senteur âcre de la fumée du feu de bois allumé pour réchauffer l’atmosphère. 


On avait pris l’habitude de s’appeler régulièrement, avec Alexandre, pour se tenir au courant de l’avancée de nos recherches respectives. Ce soir-là il était tout agité et parlait si vite que j’avais du mal à le suivre. 


- Je l’ai ! Je l’ai ! J’ai enfin trouvé le décès d’Henri ! J’ai fait ce que tu ne pouvais pas faire : je suis allé dans toutes les mairies dans un rayon de 30 kilomètres autour de Mortcerf ; comme toi sur le net, mais moi en vrai. Je suis allé dans toutes les mairies. Parfois j’y ai été très bien reçu et d’autres… Bref ! Des fois c’était sympa : la secrétaire de mairie prenait le temps de discuter un peu avec moi. On m’a installé, royalement, dans des salles du conseil municipal, avec même un café une fois ! D’autres fois au contraire on m’a envoyé me débrouiller tout seul à la cave ou au grenier, très loin de l’hospitalité que j’avais connue ailleurs ! Je ne te dirais pas le nom de ces communes, ce n’est pas glorieux pour elles. Heureusement que mon téléphone faisait lampe torche. Et je crois qu’un jour j’ai dérangé un fantôme : Oh ! la trouille ce jour-là ! J’étais tout seul, quasi dans le noir, à essayer de tirer un registre coincé sous une pile de classeurs quand j’ai entendu un bruit de pas. J’ai appelé, mais personne n’a répondu. J’ai balayé l’ombre du grenier avec ma lampe mais il n’y avait personne. Je te jure ! Je peux te dire que dès que j’ai attrapé le registre je suis redescendu vite fait au secrétariat ! 


Je profitai de ce que, essoufflé, Alexandre prit sa respiration pour lui suggérer :
- C’était le fantôme d’un ancien maire peut-être ?
- Oh ! Je ne suis pas resté pour le lui demander figure-toi !
- Bon, sans rire ! reprit-il plus sérieusement. Je l’ai !
- Vraiment ? Où ?
Je craignais qu’il me réponde « à la prison du coin », mais il dit simplement « Coulommiers ».
- Coulommiers ?
C’était donc là qu’Henri avait fini ses jours ? Une nouvelle adresse à ajouter aux précédentes.
- Oui, en 1948.
- Mais que faisait-il là ? Je veux dire il était chez un proche ? Un parent ?
- Attend je lis : il est « décédé en son domicile, 7 rue de la Ferté sous Jouarre ». Je t’envoie une copie de l’acte de décès. 


Pendant qu’Alexandre m’envoyait le document par mail, mes doigts se mirent à courir sur le clavier. J’avais besoin de connaître l’environnement d’Henri, là où il avait passé ses derniers instants. Sur le site internet de Delcampe je débusquai une carte postale ancienne, probablement de la fin du XIXème, ou du début du XXème. C’était un peu ancien par rapport à Henri, mais ça me donnerait une idée. 


La carte représentait la rue de la Ferté sous Jouarre et l’hôpital de Coulommiers. Sur la gauche un grand bâtiment à deux niveaux avec des encadrements de fenêtres polychromes. Sur la façade, une horloge. Au-dessus du portail d’entrée, au niveau de la toiture, un chien-assis. On devinait un drapeau français devant cette ouverture. Ce grand bâtiment était sans doute l’hôpital. En face, une succession de maisons à deux ou trois étages. Parfois des commerces. Des rideaux aux fenêtres. Était-ce dans l’une de ces maisons qu’Henri avait vécu ? J’essayai de distinguer un numéro sur les façades pour savoir à quel niveau de la rue je me trouvai, mais c’était peine perdue. La résolution des cartes postales en ligne était trop basse et l’image trop floue. 


Une autre carte postale montrait la rue à l’une de ses extrémités. Des maisons semblables à celles de la vue précédente, un café, une placette tout au bout.
J’ouvris Google Maps pour tenter de savoir si cette partie de la voie terminée par la place se situait au début ou à la fin de la rue : si c’était le début, j’avais peut-être sous les yeux le numéro 7 ? 


- Heu… Tu es toujours là ?
Alexandre ! Je l’avais oublié !
- Oui ! Oui ! Je cherche le 7 de la rue de la Ferté sous Jouarre.
- Ah ! Bonne idée !
Lui aussi de son côté se mit en chasse. 


On poursuivait notre dialogue au fur et à mesure des nos découvertes :
- Je ne trouve pas de rue de Ferté sous Jouarre aujourd’hui.
- Moi non plus, par contre il y a un hôpital.
- Oui ! Tiens !
« Hôpital Abel Leblanc » : une vieille connaissance ! C’est le site de l’hôpital historique de Coulommiers : la rue de la Ferté sous Jouarre devrait être dans les environs.
- Je suis dans Street View, mais je n’arrive pas à retrouver la façade de l’hôpital montrée sur la carte postale.
- Moi non plus. Il y a bien un bâtiment avec des encadrements de fenêtres polychromes, mais je ne retrouve pas le pavillon d’entrée avec l’horloge.
- En tout cas, le boulevard Victor Hugo qui borde l’hôpital mène bien à La Ferté sous Jouarre : ça ne serait pas incohérent que ce boulevard ait remplacé la rue qu’on cherche.
- Hé ! Une minute : je crois que j’ai trouvé l’entrée de l’hôpital : une porte voûtée, deux niveaux plus un chien-assis. Bon, la façade a été refaite avec un crépi qui a mal vieilli et l’horloge a disparu, mais ça pourrait être ça, au 16 rue du Dr René Arbeltier. 

 


- Oh ! Oui, aucun doute ! Regarde la maison d’en-face : on reconnaît très bien la fenêtre du deuxième étage qui est arrondie !
- Et ben ! Ils ont pas gagné au change ! Je préférai l’hôpital version 1.
- C’est sûr que le crépi ne l’avantage pas vraiment. Un petit ravalement de façade ne serait pas du luxe.
- Donc on est à l’emplacement de la rue de la Ferté sous Jouarre. Tu vois un numéro ?
- Oui : en face de l’entrée de l’hôpital : numéro 8.
- Donc le 7 c’est…
- L’hôpital !
- L’hôpital !
Nous nous étions exclamés en même temps. 


- A l’hôpital ! Il est mort à l’hôpital !
- Tout simplement !
- C’était pas une nouvelle adresse, enfin pas vraiment.
- Mais la formule était trompeuse : « décédé en son domicile ».
- Regarde l’acte de décès. L’un des deux témoins est économe : peut-être l’économe de l’hôpital ?
- Et l’autre le maire : ça sens le décès de personne isolée qui n’a aucun ami ou proche voisin pour déclarer son décès.
- Bon ben on a au moins résolu cette énigme.
- Et Ursule est bien décédée avant Henri : il est qualifié de veuf.
- Mais pas de mention d’une mort dans des circonstances tragiques pour elle.
- Ben, ils n’allaient pas le crier sur tous les toits ! 


Je remerciai Alexandre qui avait risqué sa vie pour moi dans les greniers et caves des mairies briardes ! Quel réconfort de le sentir toujours présent, disponible, prévenant les demandes les plus impensables.
- On avance, n’est-ce pas ?
- Oui, on avance…
Après avoir raccroché, j’épinglai un nouveau petit drapeau sur la carte de mon « detective board » à l’emplacement de Coulommiers et un papier où il était indiqué « 1948, décès ».
- Et toi, Ursule ? Où es-tu décédée ? me demandai-je.  



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