« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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dimanche 15 juin 2025

Soldat du Roi

Je viens de trouver mon plus ancien soldat. Il se nommait Louis Billard, fils de Claude Billard ou Billiard et Denise Piedeloup (c'est un collatéral pour moi : je descends de sa sœur Denise). Il est né en 1687 à Villemareuil (Seine et Marne). Il était « soldat du Roi » (en l’occurrence Louis XIV d’abord puis Louis XV ensuite).

Il m’a été indiqué grâce à un message d’un inconnu (leplumey, de son identifiant sur Geneanet, que je remercie ici chaleureusement). Il m’a contacté via la messagerie de ce site pour me signaler ce soldat. Il a ajouté le lien direct vers le site Mémoire des Hommes où je trouve sa fiche dans le contrôle des troupes (GR 1 Yc 821) : 

Fiche Louis Billard, contrôle des troupes du Régiment du Roi © Mémoire des Hommes
 

Louis Billard a intégré le « Régiment du Roi », 4ème bataillon. Sa fiche précise sa parenté et son surnom : La Brye. Si je lis correctement ce document, il est dit natif de Villermorville, en Brie (d’où son surnom), juridiction de Meaux (et non Villemareuil, autant dire que je ne pouvais pas le trouver d’après son lieu de naissance !). Lors de la rédaction du registre il fait partie de la compagnie du Chevalier de Vallence (ou Valence), est âgé de 55 ans, mesure 5 pieds 4,5 pouces (soit 1,63 m) et ses cheveux sont châtains. Il n’a pas de signe distinctif (cicatrice, marque de petite vérole, tâches de rousseurs, etc…).

Il a été blessé au siège du Quesnoy.

Il s’agit de la ville du Nord en 1712, qui s’inscrit dans la guerre de succession d’Espagne (1701/1714). La ville, longtemps sous domination espagnole, est reprise par la France au milieu du XVIIème siècle, mais reste très affaiblie. En 1712 elle subit deux sièges, à quelques mois d’intervalle. Si les Français perdent le premier, ils sortent victorieux du second. On compte environ 300 morts ou blessés parmi les Français et sans doute autant du côté des Impériaux. L’échec du siège, couplé à la déroute de Denain qui a lieu en même temps, marque le déclin définitif de la coalition impériale et le retour en force de la France.

Néanmoins cette blessure reçue au Quesnoy n’a pas empêché Louis de poursuivre sa carrière militaire, puisqu’il sert encore pendant près de 30 ans.

Une mention complémentaire indique que Louis a servi 7 ans dans les lanciers.

Enrôlé le 7 juillet 1711 (à 24 ans), il est sorti du régiment « invalide » le 2 juillet 1741 (sans précision de ce qui l’a rendu invalide ni où il a été blessé).

 

En tant qu’infirme, il intègre l’Hôtel des Invalides à Paris, dont la construction est ordonnée par Louis XIV en 1670. Cette institution avait pour objectif d’assurer aide et assistance aux soldats des armées royales blessés, ou trop âgés pour servir, afin d'éviter de les voir mendier ou mourir dans l'indigence. Il comprend une église royale (l'Église du Dôme), un hôpital, des réfectoires, des logements, des cours, des jardins. Il pouvait accueillir environ 6 000 pensionnaires, soldats ou sous-officiers (pas d’officiers nobles qui étaient censés être soutenus par leurs familles ou des pensions de cour). Ils bénéficiaient de soins médicaux, de repas, et d'une pension. En échange ils devaient participer aux activités communautaires, y compris les prières, les repas en commun, et les cérémonies militaires. Les soldats mutilés n'accédaient aux Invalides qu'après de longues années de service dans l'Armée. Parmi les « pensionnaires résidents » on distingue les plus malades, qui logeaient et étaient soignés dans la partie hôpital, et ceux qui étaient mieux portant, qui travaillaient dans la manufacture pour confectionner des uniformes, des bas ou des souliers. Les plus valides étaient classés en « pensionnaires externes » assignés à la surveillance du territoire (dans des places fortes, garnisons ou dépôts militaires à l’arrière) ; ils recevaient une pension mais devaient assurer des postes de garde ou d’enseignement aux jeunes recrues. Tous devaient observer une discipline stricte et avoir une conduite irréprochable (pendant le service actif et ensuite pendant leur séjour aux Invalides).

Louis Billard y décède le 29 août 1751, âgé de 64 ans, comme me l'apprends la base de donnée de l'Hôtel des Invalides.

 

J’ai aussi trouvé Louis dans le registre de contrôle des troupes de l’époque précédente (GR 1 Yc 812) : sa fiche est moins complète, mais on retrouve bien Louis Billard, dit « Labry », de la juridiction de Meaux, cheveux châtains, 5 pieds 5 pouces (la taille est souvent arrondie). Il est déjà dans la 4ème bataillon, mais dans la compagnie de Compiègne (dit aussi Chevalier de Compiègne, capitaine au Régiment du Roi au moins entre 1722 et 1733, dont l’identité exacte reste incertaine – que l'on retrouvera au 3ème bataillon dans le registre suivant GR 1 Y 821). Louis est cependant dit enrôlé en juin 1728 et non 1711. La date de sortie n’est pas indiquée puisqu’il est encore en service dans le registre de contrôle suivant (cliquez ici pour accéder à l'inventaire des registres matricules d'Ancien Régime sur Mémoires des Hommes).

 

Mais pourquoi « leplumey » (Ivan Leplumey) m’a envoyé ce message ? Comme il me le précise, c’est en lien avec le projet pédagogique Mémoire des Hommes-INSA Rennes-IRISA (équipe Intuidoc de l’Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires à l’Institut National des Sciences appliquées). Enseignant-chercheur, il est le responsable du projet. Ignorant tout de cette opération, je transcris ici sa présentation trouvée sur le site Mémoire des Hommes : depuis 2021 il existe une étroite collaboration entre l’école d’ingénieurs de Rennes et le site du ministère des armées. Les étudiants, dans le cadre de leur projet pédagogique, ont conçu des programmes informatiques pour indexer les registres militaires d’Ancien Régime, importer les donner et créer des revues. Ces revues numériques sont réalisées avec des partenaires spécifiques, comme des archives départementales ou des cercles généalogiques. Les soldats indexés sont regroupés dans des revues adaptées au partenaire. Ainsi la revue costarmoricaine ne contiendra que des soldats des Côtes d’Armor. Un tri est aussi opéré par régiment, département, commune ou patronyme : il devient ainsi très facile de retrouver ses ancêtres soldats (voir les revues dans l'inventaire). Pour chaque soldat indexé, un lien redirige le lecteur vers le registre d’origine. Geneanet ou Ancestramil sont également partenaires de l’opération. Voir ici la présentation complète de ce projet.

Dans la revue dédiée à « Monsieur » (Louis-Stanislas-Xavier de France, comte de Provence, frère de Louis XVI, né en 1755, futur Louis XVIII), j'ai découvert un autre de mes collatéraux, René Bouguay (Bouguié dans mon arbre), pas de surnom, laboureur né à Saint Sylvain d'Anjou (Maine et Loire) en 1750. Sa fiche est visible dans le registre de contrôle des troupes du régiment de Monsieur (GR 1 Y 574). Il est alors dans le second bataillon, compagnie de Charpin. Enrôlé en 1778 et réengagé deux fois (1784 et 1786). Il mesurait 5 pieds 4,5 pouces, avait les cheveux et sourcils châtains très clair, les yeux bleus, le visage « quarré », nez pointu, bouche moyenne, menton rond, un signe à la joue droite et une petite cicatrice à la joue gauche.

 

Fiche René Bougay, contrôle des troupes du Régiment de Monsieur © Mémoire des Hommes
 

En 1711, époque où Louis Billard s’engage (sous le règne de Louis XIV donc), le recrutement militaire en France obéissait à un système complexe, mêlant engagement volontaire, contraintes sociales et pressions politiques. Le royaume étant alors engagé dans la guerre de Succession d’Espagne (1701/1714), les besoins en soldats étaient élevés.

Les Armées du Roi étaient organisées en régiments, qui portaient les noms de leur propriétaire puis par la suite celui de leur province ou ville de recrutement. Chaque régiment avait sa spécialité (infanterie, cavalerie, etc...) et était appelé à servir sur les champs de bataille selon les exigences militaires. Ils avaient également le rôle d'assurer la sécurité de leur province.

Un grand nombre de régiments sont créés sous Louis XIV (on passe de 33 en 1643 à 260 en 1712).

 

Il existait différents types de recrutements :

1. L’engagement volontaire (avec contrat d’engagement)

  • Principe : Les soldats s’engageaient pour une durée (souvent 4, 6 ou 8 ans).
  • Cible : Jeunes hommes pauvres, souvent ruraux, parfois des vagabonds ou sans métier stable.
  • Avantages offerts :
    • Prime à l’engagement (souvent payée par la ville ou le seigneur local).
    • Promesse de solde régulière, logement, nourriture.
  • Les engagés étaient souvent recrutés dans les provinces, puis envoyés à une place forte ou au dépôt du régiment.

 

Enrôlé volontaire, Louis a sans doute passé un contrat d’engagement devant notaire. Ce type de contrat était formaté et, si je n’ai pas trouvé celui de Louis, il devait ressembler à cela :

« Le 7 juillet 1711, Louis Billard, fils de feus Claude Billard et Denise Piedeloup, natif de Villemareuil en Brie, âgé de 24 ans, de son gré et libre volonté, s’est présenté en la maison commune et a déclaré vouloir s’engager pour le service du roi dans le régiment du Roi-infanterie, compagnie du sieur capitaine de Compiègne [en réalité j’ignore si c’était déjà lui le capitaine lors de son engagement, NDLR]. Lequel engagement est fait pour la durée de six ans, à commencer du jour de son arrivée au dépôt du régiment.
En contrepartie, il reçoit la somme de quarante livres tournois à titre de gratification, payée comptant par le dit capitaine, ainsi qu’un habit d’uniforme, un mousquet, et une paire de souliers.
Fait et signé en présence du sieur notaire et de deux témoins. »

 

2. Le tirage au sort (la milice)

  • Créée sous Louvois (en 1688), la milice provinciale fournissait des hommes tirés au sort pour le service. Elle ne faisait pas partie de l’armée régulière, mais formait une force de conscription provinciale, utilisée pour renforcer les troupes permanentes en temps de guerre.
  • Objectif : éviter de dépendre uniquement des engagés volontaires et constituer une réserve nationale bon marché (entretenir une armée permanente coûtait très cher).
  • Tirage au sort dans les paroisses : chaque paroisse devait fournir un nombre d’hommes, selon sa population. Les hommes valides entre 18 et 40 ans étaient inscrits sur une liste, puis tirés au sort publiquement.
  • Durée de service : 6 ans (variable selon les campagnes). Après ce service, le milicien pouvait être incorporé dans les troupes régulières (surtout les meilleurs éléments).
  • Exemptions : noblesse, clergé, bourgeois, étudiants, aînés de famille nombreuse…
  • Souvent mal perçue : les miliciens tirés au sort pouvaient payer un remplaçant, s’ils en avaient les moyens. Les classes populaires, en particulier, la voyait comme profondément injuste.
  • Déploiement : les miliciens servaient dans des régiments de milice spécifiques, mobilisés pour la défense du territoire et les campagnes extérieures en cas de besoin. Ce n’était pas une force permanente en temps de paix, mais réactivée en temps de guerre.
  • Régiment : ils sont organisés par Province (régiment de Bretagne, du Languedoc, etc…, composé d’un millier d’hommes environ).
  • Fin du système : critiquée pour son inefficacité militaire et sa dimension coercitive, elle est progressivement marginalisée sous Louis XVI. Elle est supprimée en 1789, puis remplacée par la levée en masse (1793).

 

3. Le recrutement forcé (enrôlement de force)

  • Origines : il existait déjà au XVIIème siècle, mais se développe massivement sous Louis XIV, en particulier à partir des années 1680, avec la montée des besoins militaires. On y recourait pour pallier le faible attrait de la carrière militaire (dure, mal payée et aux risques élevés), l’échec des levées de volontaires ou les désertions massives et à cause des besoins accrus en temps de guerre.
  • Méthodes de recrutement : beaucoup de recrutements étaient arbitraires ou abusifs, obtenus par le moyen de :
    • Rafles dans les villes : des arrestations massives étaient pratiquées dans les tavernes, foires, ports ou marchés.
    • Pressions exercées par les intendants, curés, seigneurs.
    • Envoi de « mauvais sujets » vers les régiments, ceux jugés « oisifs », « sans métier », délinquants ou mendiants.
    • Peine alternative à la prison : les cours de justice proposaient parfois le service militaire comme alternative à la prison ou en échange d’une remise de peine.
    • Dénonciation : familles ou communautés faisaient arrêter les « indésirables » qui étaient enrôlés.
    • Chasse aux déserteurs : ils étaient repris et réintégrés sous escorte, parfois dans un autre régiment.
  • Durée de service : elle pouvait être identique à celle des engagés volontaires (4 à 8 ans), mais pouvait aussi parfois être à vie (surtout en cas de « peine » ou en régiment étranger).
  • Affectation : les enrôlés de force étaient répartis dans les régiments existants, souvent dans les compagnies les moins valorisées ou les régiments étrangers, parfois dans des régiments « disciplinaires ». Ils pouvaient aussi être envoyés aux colonies (Antilles ou Louisiane), parfois dans les troupes de marine.
  • Effectifs : il est difficile de chiffrer exactement les enrôlements forcés, car ils n’étaient pas toujours recensés officiellement. Mais on estime que 15 000 à 20 000 hommes par an furent enrôlés de force dans les périodes de guerre intense.
  • Perception : l’enrôlement de force entretenait un fort mécontentement populaire, étant vu comme le symbole de l’arbitraire royal. Les faux certificats, évasions ou mutineries se multipliaient pour y échapper. Par ailleurs les enrôlés de force avaient mauvaise réputation dans l’armée : souvent indisciplinés, peu motivés, prompts à déserter.

 

4. Les officiers

  • Les officiers (lieutenants, capitaines, etc.) venaient quasi exclusivement de la noblesse, souvent par achat de charge ou faveur royale.
  • Les nobles n’étaient pas soumis au tirage au sort de la milice.
  • Ils entraient dans l’armée soit :
    • Par achat de commission, souvent très coûteuse.
    • Par lettre de recommandation, s’ils étaient d’une famille influente.

 

Les officiers (souvent les capitaines) étaient responsables du recrutement de leur compagnie. Ils finançaient en partie le recrutement, notamment en avançant la prime d’engagement. Certains avaient des réseaux locaux (notaires, curés, sergents, etc…) pour recruter dans leur province d’origine.

En temps de guerre, les pertes étant élevées, le recrutement était constant.

 

Le processus d'affectation des soldats dans l'armée royale d’Ancien Régime est lui aussi assez complexe. L’affectation à un régiment ou une garnison du soldat ne se fait pas forcément selon sa région d’origine. Elle pouvait être déterminée par plusieurs facteurs :

  • Le recrutement local : le capitaine est responsable du recrutement, soit en personne, soit par l’intermédiaire de recruteurs ou notables locaux. Il le faisait dans sa région d’origine ou dans une province favorable au recrutement. Les officiers choisissaient leurs recrues pour servir dans leurs compagnies.
  • Le choix du soldat : lorsqu’un homme s’enrôlait de son plein gré, ou comme remplaçant d’un milicien, il pouvait choisir, dans une certaine mesure, le régiment, selon les offres disponibles ou les relations locales. Les régiments « de prestige » comme le Régiment du Roi attiraient ainsi davantage de volontaires.
  • La disponibilité : les intendants affectaient les recrues à un régiment « en déficit ».

 

Ainsi, dans le régiment du Limousin, par exemple, on ne trouvera pas que des soldats originaires de cette région. Cette affectation non géographique rend complexe la recherche d’un soldat d’Ancien Régime. Dans la compagnie de Louis, sur une soixantaine d’hommes, on compte une vingtaine de régions d’origine différentes.

 

Louis Billard appartenait au Régiment du Roi, créé en 1663. Ce régiment d’infanterie est issu d'une réorganisation des forces militaires françaises sous Louis XIV, qui cherchait à renforcer et à moderniser l'armée royale. Son nom reflète son importance et son lien direct avec la monarchie : c’était l’un des régiments les plus prestigieux de l’armée, associée directement à la personne royale, un corps d’élite de l’infanterie de ligne d’Ancien Régime. Le régiment était souvent déployé en tête d’armée dans les batailles majeures et jouait un rôle crucial dans les stratégies militaires de l'époque. Il formait aussi souvent la garde d’honneur dans les cérémonies militaires. Il bénéficiait de privilèges spécifiques en raison de son association directe avec le roi, ce qui lui conférait un statut particulier au sein de l'armée. Sa discipline et sa tenue étaient parmi les plus strictes de l’infanterie.

 

Un régiment d’infanterie comptait en moyenne 1 500 à 2 000 hommes (les chiffres sont à prendre avec précaution car les effectifs variaient selon les périodes (guerre/paix), les pertes et les ordonnances royales).

Le Régiment du Roi était dirigé par un lieutenant-colonel (le roi lui-même étant le colonel en titre). Lorsque Louis s’engage, en 1711, c’est Louis Armand de Brichanteau, marquis de Nangis, qui est le lieutenant-colonel du Régiment. Il occupe cette fonction de 1702 à 1713.  Il est issu de la maison de Brichanteau, ancienne noblesse de robe et d’épée, très influente sous Henri IV et Louis XIII, héritier des terres de Nangis (en Brie), érigées en marquisat. Il deviendra ensuite lieutenant général des armées du roi et nommé Chevalier de l'Ordre du Saint-Esprit vers la fin de sa vie (distinction rare réservée aux plus hauts nobles du royaume). Il meurt en 1742.

Pendant le service de Louis, lui succèderont au poste de lieutenant-colonel le marquis de Pezé en 1719 et le duc de Biron en 1735.

 

Chaque régiment était divisé en bataillons. Contrairement à la plupart des autres régiments d'infanterie qui disposaient de deux ou trois bataillons, le Régiment du Roi conserva quatre bataillons (même après les réformes successives des armées), ce qui témoigne de son importance et de son prestige.

 

Les bataillons eux-mêmes étaient composés de compagnies, de 50 à 60 soldats chacune.

Le bataillon de Louis (le quatrième) avait 17 compagnies (une de grenadiers et 16 de fusiliers). Les compagnies étaient commandées par un capitaine. Le nom du régiment et de la compagnie, correspond au patronyme de l’officier en charge de cette unité. Le document GR 1 Yc 821 mis en ligne sur le site Mémoire des Hommes date des années 1730/1740. Louis sert alors dans la compagnie du capitaine nommé « Chevalier de Vallence ». Le rang de capitaine dans ce régiment était un poste de prestige, réservé aux nobles ou aux officiers très recommandés, mais dont les familles ne sont pas toujours clairement identifiées aujourd’hui. Le Chevalier de Valence, dont le prénom n’est pas précisé, est peut-être Jean Baptiste de Valence, issu d’une famille noble du Dauphiné, promu capitaine au Régiment du Roi-infanterie vers 1733, il est mentionné dans les « États militaires de France » comme capitaine en place au Régiment du Roi en 1736. Il est probablement encore en service en 1737/1740, mais sa trace disparaît ensuite (il peut avoir quitté le service ou avoir été promu ailleurs).

Dans la compagnie du Chevalier de Valence, selon ce document, 61 hommes ont été inscrits.

Les autres officiers (lieutenants, sous-lieutenants) et sous-officiers (sergents, caporaux) complètent l’encadrement du régiment.

 

Les soldats étaient divisés en :

  • Grenadiers : Soldats d'élite souvent choisis pour leur force et leur courage, utilisés pour les assauts et sièges. Chaque bataillon compte une compagnie de grenadiers.
  • Fusiliers : Soldats d’infanterie « ordinaires », équipés de fusils, formant la majorité des troupes. On compte 16 compagnies de fusiliers dans chacun des bataillons de ce régiment.
  • Tambours et fifres : responsables de la transmission des ordres sur le champ de bataille par le biais de signaux sonores.

 

Louis faisait partie des fusiliers, bien que sa fiche mentionne qu’il ait servi 7 ans comme lancier (soldat de cavalerie de ligne). La période de ce service n’est pas précisée.

 

Le Régiment du Roi en 1711 n’est pas représenté précisément dans des portraits contemporains, il est donc difficile de savoir comment était l’uniforme que portait Louis. Mais il avait probablement un habit en drap de laine bleu roi avec doublure et parements rouges (revers, collet et manchettes) et boutons dorés (sans marque ni numéro, qui n’apparaissent qu’à la Révolution), long jusqu’au genou. Sous l’habit il devait porter une culotte en toile ou drap et un gilet, le tout blancs ou écrus. Il devait être coiffé d’un tricorne en feutre noir garni d’un galon de fil d’or. Il devait être équipé d’un fusil à silex avec baïonnette à douille et d’une cartouchière. Sa gibecière en cuir devait transporter des provisions et d'autres effets personnels (indications données par les ordonnances générales d’habillement, notamment celle de 1690, confirmée par des circulaires de 1704, 1709 et 1711).
Dans les années 1770 l’uniforme semble avoir été modifié (habit blanc, parements bleus).


Tentative de représentation, aidée par l’IA et Photoshop

(parce que l’IA toute seule c’est pas encore ça)

 

Les plus anciens de la compagnie de Louis ont été enrôlés en 1708, les plus récents en 1741. Parmi eux, sont notés :

  • décédés : 25
  • invalides : 3
  • désertés : 3
  • encore en service dans le régiment : 17
  • transférés : 5
  • congédié : 8

 

Le soldat nouvellement enrôlé devait se rendre au dépôt du régiment, souvent une place forte importante (Lille, Metz, Strasbourg…). Ce dépôt était aussi le lieu de formation, d’équipement, de logement temporaire.

Là, il était enrôlé officiellement, inscrit dans les contrôles (registres), et intégré à une compagnie.

Une fois organisé, le régiment était déployé en garnison ou en campagne selon les ordres royaux et du ministère de la Guerre.

Le Régiment du Roi recrute dans tout le royaume, via des officiers très dispersés géographiquement. Ses garnisons habituelles étaient dans des places fortes du Nord et de l’Est (Lille, Valenciennes, Metz, Strasbourg, parfois Paris).

 

Le Régiment du Roi a été très engagé dans la guerre de succession d’Espagne. Ce conflit a opposé plusieurs puissances européennes de 1701 à 1714, et dont l'enjeu était, à la suite de la mort sans descendance du dernier Habsbourg espagnol la succession au trône d'Espagne et, à travers elle, la domination en Europe. Dernière grande guerre de Louis XIV, elle permit à la France d'installer un monarque français à Madrid : Philippe V (petit-fils de Louis XIV), mais avec un pouvoir réduit et un renoncement théoriquement définitif, pour lui et pour sa descendance, les Bourbons d’Espagne, au trône de France.
Sous la Révolution le Régiment du Roi deviendra le 105e régiment d’infanterie de ligne.

Guerre de succession d'Espagne, bataille de Malplaquet 1709 © Leloir Maurice 

Au total, entre 400 000 et 700 000 hommes ont perdu la vie dans cette guerre. On peut même monter jusqu’à 1,2 million si l’on inclut les civils liés aux destructions et pillages dans le sillage de l’armée. Néanmoins les chiffres sont difficiles à déterminer à cause des registres militaires parfois incomplets, les registres civils détruits, les morts civiles dues aux famines et aux épidémies liées au conflit, et les différentes méthodes de calcul utilisées par les historiens. Certains estiment que pour un soldat tué au combat, un autre mourait des suites de ses blessures et encore 3 autres de maladie.

 

Le Régiment du Roi est ensuite engagé dans la guerre de succession de Pologne (1733/1738) avec, notamment, des combats en Lorraine, sur le Rhin, contre les Impériaux. Après le décès du roi de Pologne en 1733, deux candidats s'opposent pour lui succéder, le trône de Pologne étant électif : son fils, Frédéric II Auguste, devenu électeur de Saxe par hérédité, et Stanislas Leszczynski, qui est devenu le beau-père de Louis XV en 1725. Le premier est soutenu par la Russie et l'Autriche et le second par la France. Le conflit électoral polonais deviendra une guerre civile et internationale.

Puis la guerre de Succession d’Autriche (1740/1748), conflit qui opposa la Prusse, la France, la Bavière, la Saxe et l'Espagne à l'Autriche et à l'Angleterre, et qui eut pour principal enjeu les terres héréditaires des Habsbourg d'Autriche et la succession au trône impérial.

 

Louis Billard, un soldat ordinaire du Roi dans une époque troublée et violente.

 

 

 


vendredi 10 février 2023

Le mystère enfin résolu

Cet article fait suite au polar généalogique que j’ai commis lors du #ChallengeAZ 2020 (si vous ne l'avez pas encore lu, je vous conseille de suivre le lien parce que - spoiler - je vais résoudre le crime dans les lignes ci-dessous).

Cherchant vainement le décès d’Ursule Macréau, mon imagination s’est enflammée… au point de croire que – peut-être – son époux Henri l’avait assassinée.

 

Aujourd’hui j’ai enfin résolu ce mystère.

 

Pour vous resituer les protagonistes, Ursule est née en Bretagne en 1874. A la toute fin du XIXème siècle elle émigre en Seine et Marne où elle rencontre Henri Macréau. Ils se marient en 1900 à Tigeaux et auront 8 enfants. Ursule est l’arrière-grand-mère de ma mère. En 1948 Henri décède à Coulommiers : il est alors dit « veuf ». Mais d’Ursule, point de trace.

 

J’ai cherché en vain Ursule. Pendant des années j’ai tenté de la pister. Grâce aux actes de naissance de ses enfants, j’ai su qu’elle avait déménagé plusieurs fois dans des villages aux alentours de Tigeaux.

Mais après plus rien car il n’y avait plus de registre numérisé en ligne. Comme une éclipse, elle avait disparue. Je garde en tête cette image : où a bien pu disparaître Ursule ?

Papiers et loupe

Longtemps je suis restée bloquée en 1902, « limite du temps » des documents en ligne. Puis, petit à petit, de nouveaux versements m’ont permis d’en savoir un peu plus sur l’entourage d’Ursule, comme sur sa fille, la tante Paulette, restée une épine généalogique obscure pendant plusieurs années (voir l'article Comment trouver la tante Paulette).

En récoltant les actes de mariage de ses enfants, je devine qu’Ursule est encore vivante en 1926, 1934 et peut-être même en 1937.

 

L’étau se resserre : 1937/1948. Les recensements arrivent en ligne : ils me confirment la présence d’Ursule à Mortcerf, où elle s’est fixée avec son mari depuis 1911 jusqu’en 1936.

 

A nouveau une période creuse pour mes recherches… C’est alors que je commence à délirer doucement : j’imagine tout et n’importe quoi pour expliquer cette « disparition ». Ce sera le polar généalogique du ChallengeAZ 2020 cité plus haut. Henri aurait-il quelque chose à voir avec la disparition de sa femme ?

 

Régulièrement je consulte le site des archives départementales de Seine et Marne. Les communes ne sont pas toutes logées à la même enseigne : l’état civil de certaines ne s’affiche que jusqu’en 1912 tandis que pour d’autres on peut consulter les décès jusqu’en 1962. Les recensements en ligne progressent; ainsi je découvre en écrivant ces lignes que celui de 1946 à Mortcerf est désormais affiché. Mais le couple Macréau n'y figure pas.

 

C’est finalement l’enregistrement qui va apporter la réponse tant souhaitée. Comme l’explique le site des archives « La Régie de l’Enregistrement a été créée en 1791 : les actes notariés doivent être enregistrés par un receveur des impôts, c’est-à-dire transcrits sur un registre public, contre la perception d’un droit d’enregistrement.
Des tables spécifiques des décès permettent de contrôler les successions. À partir de 1825, elles sont remplacées par les tables de successions et absences.
Tenues alphabétiquement, elles fournissent, avec des variations selon la date, des informations sur la personne décédée (nom, prénom, âge, profession, domicile, date du décès), ses héritiers (nom, prénom, profession, domicile), ses biens (détail et localisation, valeur), la date de déclaration et du paiement des droits, et des observations éventuelles. 
»

L’intérêt de ce document, dans le cas qui m’occupe, est évidemment de signaler le lieu et la date du décès.

 

Une première salve 1814/1907 avait d’abord été mise en ligne ; j’attendais la seconde qui était prévue couvrir la période jusqu’en 1968.

 

Enfin je m’aperçois que ces documents sont en ligne. Je cherche dans plusieurs bureaux autour de Mortcerf, dernier domicile connu d’Ursule. Et c’est finalement la table de succession du bureau de Coulommiers qui m’apporte la clé du mystère : Ursule Macréau, née Le Floch, est décédée à Coulommiers le 29 octobre 1943.

 

Sans trop y croire je vais voir l’état civil et là : joie ! Les registres de décès y figurent. Je peux donc dans la foulée consulter l’acte tant convoité.

 

Ça y est ! J’ai trouvé le Graal ! Ursule est clairement identifiée : ses parents, sa date et lieu de naissance, son époux Henri Macréau. C'est bien elle.

 

Il reste quelques incohérences et questions non résolues dans ce document (mais heureusement, sinon ce ne serait pas drôle !).

 

Henri n’est pas présent au décès de son épouse. Sa résidence « est inconnue ». En effet, je perds sa trace après 1936. Où est Henri entre 1936 et 1948 ? Les recherches ne sont pas toutes épuisées...

 

Les deux témoins/déclarants du décès d’Ursule sont Maurice Edouard Druelle, économe, et Gaston Bertier. Ce dernier est le maire de Coulommiers (de 1941 à 1944 puis de 1947 à 1955). Il est ici présent en tant qu’officier d’état civil. Né à Meaux en 1881, il a reçu la Croix de Guerre comme « officier de haute morale […] opposant une résistance opiniâtre aux efforts des Allemands qui disposaient de forces bien supérieures » et a été nommé Chevalier (1921) puis Officier de la Légion d’Honneur (1932). Le premier, Maurice Druelle, est plus intéressant pour découvrir l’histoire d’Ursule. Il est donc dit « économe ». Croix de Guerre lui aussi, il est rappelé à l’activité en 1939 où il est « classé en affectation spéciale pour une durée indéterminée au titre de l’hôpital de Coulommiers ». Il est considéré comme démobilisé en juin 1940 (soit après l’armistice signé par Petain).

Avec ces informations j’ai déjà une bonne piste pour savoir où est décédée Ursule.

 

Dans l’acte, elle est dite décédée « en son domicile 7 rue de la Ferté sous Jouarre ». Or, pendant que je laissais mon imagination divaguer pour rédiger le ChallengeAZ, je ne cessais de me baser sur la réalité. Ainsi, au chapitre I je raconte comment j’ai découvert à quoi correspondait cette adresse du 7, rue de la Ferté s/Jouarre car Henri lui-même y est décédé en 1948. Il s’agit de l’hôpital de Coulommiers. Donc, comme son époux 5 ans plus tard, Ursule s’est éteinte en milieu hospitalier. D’où la présence de Maurice Druelle, sans doute économe de l’hôpital ; les employés d’hôpitaux servant souvent de déclarants des actes de décès.

 

Reste une petite incohérence :

  • Le domicile : lieu où l'individu a son principal établissement, c'est-à-dire son habitation principale ; 
  • La résidence : en droit civil, c'est le lieu où l'individu se trouve en fait. Contrairement au domicile, la résidence se veut temporaire.


L’acte de décès dit qu’elle a son domicile (donc sa résidence permanente) à l’hôpital. Donc, soit c’est une erreur, soit elle vivait depuis suffisamment de temps pour n’avoir d’autre adresse.

 

Bref, Ursule s’est éteinte à l’hôpital de Coulommiers, âgée de 69 ans. Où était son mari ? Je l’ignore. Peut-être était-il déjà lui-même hospitalisé ? Ou pas.

Mais pas de meurtre, ça c’est sûr. Ou presque.

 

 

 

vendredi 29 avril 2022

#52Ancestors - 17 - couple Macréau/Le Floch

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 17 : Documentez votre généalogie (où sont les sources ?)

A l'occasion de cette dix-septième semaine du challenge #52Ancestors dont le thème est "Documentez votre généalogie", je reviens sur les sources qui m'ont permis d'écrire le polar généalogique lors du ChallengeAZ 2020. Vous ne l'avez pas lu ? Retrouvez ici cette histoire policière basée sur le travail de recherche que j'ai mené autour de mes ancêtres Henri Macréau et son épouse Ursule Le Floch.

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L’intrigue du polar se base sur un travail de recherche rigoureux auprès d’un éventail de sources varié. 

Tout est parti de l’état civil, comme souvent en généalogie. Il m’a donné le squelette de l’histoire, comme il donne l’armature d’un arbre généalogique. Avant de commencer la rédaction je connaissais les dates de naissance et mariage d’Henri et Ursule. Mais j’ai trouvé le décès d’Henri seulement au cours de rédaction. Le chapitre I est assez véridique : la mention curieuse du "domicile" à Coulommiers et ma quête sur Google StreetView pour résoudre ce mystère. 

Pour étoffer ma généalogie comme mon histoire j’ai épluché les recensements. Ils m’ont servi pour reconstituer le parcours d’Henri : ses adresses successives ont été utilisées notamment dans le chapitre D. Et bien sûr les recensements m'ont été utiles lors de l’enquête préparatrice pour établir les liens entre les personnages ayant véritablement existé (voir le "making of : les personnages"). 

J’ai voulu faire des recherches sur l’enregistrement : les actes notariés doivent être enregistrés par un receveur des impôts, c’est-à-dire transcrits sur un registre public, contre la perception d’un droit d’enregistrement. Cela permet de donner des détails sur le patrimoine de nos ancêtres, et peut être une bonne alternative pour connaître la date d’un décès que l’on ne trouve pas dans l’état civil (ce qui était mon cas). Hélas l’enregistrement n’est pas en ligne en Seine et Marne pour la période qui m’intéresse, comme je le raconte dans le Chapitre H. Il ne me reste qu’à ajouter une visite aux archives départementales sur ma to do list ! 

Les fiches militaires m’ont servies pour reconstituer le parcours militaire de certains protagonistes, mais aussi pour les informations périphériques qu’elles contiennent : descriptions physiques, blessures (la mutilation de l’index de Georges Thiberville mentionnée au chapitre E fait partie de ces petits détails véridiques qui émaillent le récit), adresses successives, motifs d’ajournement (comme la claudication d’Henri par exemple, utilisée au chapitre N). 

Les archives judiciaires sont intéressantes pour donner des détails sur la vie de nos ancêtres, même si ce n’est pas forcément ceux que l’on veut connaître en premier (apprendre que son ancêtre a été un mauvais garçon n’est pas toujours facile). J’ai abordé cette source au chapitre V. Dans le cas présent je n’ai pas pu les consulter car elles ne sont pas en ligne en Seine et Marne, mais cela peut-être une bonne piste à explorer. 

Par contre, sur le site des archives départementales j’ai trouvé des monographies communales qui m’ont données quelques informations ayant permis d’étoffer le cadre de vie de mes ancêtres, d’en savoir plus sur les mariniers et les charretiers de Tigeaux, les briqueteries, etc... 

Autre source précieuse : la tradition orale. Cette source est abordée dans le chapitre T. Si vous avez la chance d’avoir des anciens dans votre famille ou dans votre entourage, n’hésitez pas à les interroger : même si vous n'apprenez que des anecdotes ou des souvenirs un peu flous, ce sont autant d’histoires qui font la vie de vos ancêtres. Et s’il y a eu plusieurs témoins d’un même événement, n’hésitez pas à les interroger tous : vous verrez comme le même souvenir peut se révéler différent selon les points de vue ! 

La tradition culinaire a été abordée au chapitre R. Là encore c’est une source "secondaire" mais elle permet de comprendre l’environnement de nos ancêtres. La cuisine est le reflet d’une région, de son agriculture, de ses traditions : appréhender les recettes locales c’est aussi découvrir un pan de la vie de nos ancêtres. 

Lors de ma formation de guide conférencière, j’ai étudié la lecture du bâti et du paysage. C’est ce qui m’a permis de faire la "visite" du quartier des Egyptes du chapitre P. Cette lecture du bâti m'appris beaucoup sur la région. C’est en voyant ce quartier où a vécu Henri que j’ai mesuré l’importance des briqueteries dans la région par exemple. 

La lecture d’ouvrages divers a nourri ma réflexion et m’a aidé à rédiger l'histoire : le chapitre D évoque l’émigration bretonne, les prénoms et leurs variantes ont été abordés au chapitre S tandis que les maisons de famille sont au cœur du chapitre O. Cartes postales anciennes et dictionnaire des métiers ont aussi participé à enrichir mon texte. Bref, quand les sources "généalogiques" viennent à manquer il reste bien d'autres ressources à approfondir. 



Et voilà comment j’ai utilisé de vraies sources pour une fausse histoire ! 



vendredi 8 avril 2022

#52Ancestors - 14 - Ollive Videlo

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 14 : Vérifier votre généalogie



Je distingue deux sortes d’éléments dans ma base généalogique :

  • Les événements (dates et lieux)
  • Les notes

 

Je tiens de mes études d’histoire une certaine rigueur vis-à-vis des sources. C’est pourquoi tout ce qui est entré en tant qu’événement a été vérifié d’abord, c'est-à-dire que j’ai consulté une source fiable qui prouve la véracité dudit événement. Si je ne trouve pas cette source alors je rentre l’info dans mes notes mais pas dans les événements.

Ainsi pour Ollive Videlo : elle est originaire de Mûr de Bretagne (22). Je l’ai identifiée en remontant les générations par sa fille. Je sais qu’elle a été mariée à Morice Le Masson et qu’ils ont eu 6 enfants. Je connais son acte de décès (en 1690) et une année de naissance approximative.

Sur Geneanet ce couple donne 180 résultats, dont une soixantaine donnent une date de mariage. La majorité de ces arbres donne comme date le 10 mars 1645 à Mûr. Cette date est probable, compte tenu du fait que le premier enfant du couple a été trouvé en 1646. Mais l’acte n’a pas été trouvé à cette date (ni ailleurs) dans les registres. Très peu d’arbres en ligne donnent leur source. Quand ils le font, c’est pour donner le nom d’un autre arbre en ligne.

N’ayant pas la possibilité de me rendre dans les Côtes d’Amor, je dispose de peu de solutions pour confirmer ou infirmer cette date. Genearmor, base en ligne fruit d’un partenariat entre le département et le cercle généalogique, ne donne aucun résultat.

J’ai donc inscrit ce mariage possible dans la note conjugale, ainsi que l’état des recherches effectué sur ce mariage introuvable, mais rien dans les événements.

Je n’exporte et mets en ligne que les événements, de ce fait mon arbre en ligne est fiable (hors erreurs involontaires comme des erreurs de frappe…).

Cette façon de faire me permet d’éviter d’avoir une liste longue comme le bras de données à vérifier. Et c’est plus satisfaisant pour moi de me dire que mon arbre est solide.

 

Bon après, je ne suis pas une machine : je ne suis pas à l’abri d’erreurs non plus, erreurs de transcription, de frappe ou carrément de branche !

 

En fait, je vérifie régulièrement ma généalogie… sans m’en rendre compte vraiment.

 

A l’occasion de la rédaction d’un article, je fais toujours un tour sur Geneanet pour voir si je ne pourrais pas glaner quelques informations nouvelles sur la personne ou le couple étudié. C’est l’occasion de :

  • vérifier les informations déjà en ma possession.
  • préciser l’environnement familial : mariages et enfants des frères et sœurs par exemple, qui n’ont pas été collectés de façon systématique quand j’ai commencé la généalogie.
  • faire de nouvelles découvertes grâce aux arbres en lignes par exemple.

Et bien sûr les recherches préalables à la rédaction de l’article peuvent apporter de nouvelles informations que je peux ajouter dans mon logiciel.

 

Je révise aussi ma généalogie au fur et à mesure des nouvelles mises en lignes sur internet : un nouveau fonds, c’est l’occasion de nouvelles recherches. Et les nouvelles recherches sont une manière évidente de vérifier sa généalogie : en confrontant des nouveautés aux données anciennes on s’aperçoit vite si une erreur s’est glissée dans les informations déjà enregistrées.

 

En panne d’inspiration, je check parfois ma généalogie : je prends la liste des patronymes et une par une je vérifie les infos que je possède déjà et je tente d’en recueillir d’autres par la même occasion.



vendredi 1 avril 2022

#52Ancestors - 13 - François Le Maux

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 13 : Sœurs  



François Le Maux est l’aîné. Il a eu un frère et huit sœurs. Né en 1761 au Quilio (22), de Mathurin Le Maux et Marie Le Corre.

Dès l’année suivante il voit naître une première petite sœur, Anne Marie. Sans doute n’en n’a-t-il pas eu conscience, compte tenu de son jeune âge. Mais ils ont vécu leurs premières années ensemble.

En 1766 François a 5 ans. Je l’imagine penché au-dessus du berceau, curieux, observant sa nouvelle petite sœur, Marie Françoise. L’expérience a dû avoir un goût de nouveauté puisqu’il était trop jeune pour se souvenir de la précédente naissance. S’est-il senti « grand frère » ? Lui a-t-on déjà donné quelques responsabilités dans la garde et la protection de ses jeunes sœurs ? A-t-il gonflé le torse, empli de fierté, en disant aux visiteurs de la maisonnée « voici ma petite sœur » ? Ou peut-être a-t-il quelque peu déchanté devant les vagissements du bébé : « Pffff ! Elle pleure tout le temps, maman ! ».

Pour ses 7 ans, maman lui a promis une surprise. Impatient François passe en revue ce que ça pourrait être : un jouet, un nouveau costume ? Mais deux semaines avant son anniversaire, branle bas de combat dans la maison : la surprise arrive plus tôt que prévu. Malgré sa grande imagination, il ne s’attendait pas à ça : une autre petite sœur ! Yvonne Perrine est arrivée le 10 janvier 1768.

Mais cette arrivée dans le monde fut rapidement troublée car le 18 janvier Marie Françoise, deux ans, s’est éteinte. François avait un peu de mal à se souvenir, mais il lui semblait que l’atmosphère était différente après la naissance précédente… Bien sûr, le nouveau bébé réclamait des soins comme sa sœur aînée, mais la joie n’était pas vraiment là depuis le départ de Marie Françoise. Hélas le climat ne s’éclaircit pas, bien au contraire, car à la mi-février c’est Anne Marie qui partit à son tour. François n’avait plus de petite sœur. Enfin, il y avait le bébé, mais on ne pouvait pas jouer avec elle comme il le faisait avec Anne Marie.

Maman ne mit pas longtemps à fabriquer un nouveau bébé, se dit François en la voyant avec son gros ventre. C’est que, maintenant, il avait l’habitude : à chaque fois qu’elle se déplaçait avec lenteur et difficulté, qu’elle s’asseyait pour souffler un peu, il y avait eu un nouveau bébé à la maison ! Et il avait raison : en septembre 1769 naquit Suzanne. François fixait la nouvelle petite sœur avec attention. Il se demandait combien de temps il allait la garder celle-là. Parce que les petites sœurs avaient une fâcheuse tendance à mourir vite !

La vie ne tarda pas à donner raison à François : en 1770 Yvonne Perrine décéda à son tour. Ne restait que la petite Suzanne.

François avait 10 ans lorsqu’il vit de nouveau le ventre de sa mère s’arrondir l’année suivante. « Encore une petite sœur ! » se dit-il. Il se désintéressa rapidement de la chose. Encore une petite sœur… dont il faudra s’occuper ! « Pfff ! » C’est dans la chaleur de juillet que naquit un nouveau bébé. Oh ! Surprise : c’était un garçon ! Est-ce qu’un garçon est vraiment différent d’une fille ? se demanda François. Hélas, il ne se posa pas longtemps la question : avec les premiers froids le petit Yves s’éteint à son tour. « Zut ! »

François guetta discrètement le ventre de maman. Maintenant qu’il savait qu’elle pouvait faire des petits frères, il avait hâte de la voir s’arrondir à nouveau. Ce n’est que deux ans après la naissance d’Yves qu’il fut exaucé. En juillet 1772 naquit… Françoise ! Quoi ? Encore une petite sœur ? Mais ça devait être un petit frère ! François fut déçu.

François avait 13 ans quand Marie Françoise (la deuxième) vint au monde. Maman le prit à part et lui dit : « Tu es grand maintenant, tu vas pouvoir m’aider avec tes petites sœurs. » François n’était que moyennement emballé par l’idée. Il trouvait qu’il le faisait déjà et il était un peu déçu que maman ne s’en soit pas aperçue. Lorsque Marie Françoise s’éteint à son tour en février 1776, il se sentit un peu responsable. Mais il n’eut pas longtemps pour s’appesantir sur la question : en août maman donna naissance à Marguerite. Craignait-elle de la perdre elle aussi ? François s’interrogea mais ne put déchiffrer son visage.

Il récapitula : c’était sa septième sœur. Cinq n’avait pas vécue (plus le petit frère). Il jeta un coup d’œil à Suzanne : du haut de ses 7 ans, c’est la seule qui avait survécu. Mais elle était encore bien jeune, il ne fallait pas crier victoire trop tôt.

En 1780 François fêta ses 19 ans. C’était un homme à présent. Fin septembre sa mère donna naissance à une dernière petite sœur, prénommée Françoise. Il n’eut pas beaucoup de temps pour s’y attacher : moins d’un mois plus tard elle avait déjà quitté ce monde. Elle fut celle qui eut la vie la plus courte.

Suzanne et Marguerite furent les seules sœurs de François à atteindre l'âge adulte.

Trois ans plus tard, François se maria. Il se demanda si lui aussi allait devoir enterrer 7 enfants…


vendredi 25 février 2022

#52Ancestors - 8 - Claude Louis Macréau

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 8 : Les actes de ventes/d'achats/d'échanges de terre


Le deux frimaire l’an IV de l’ère républicaine (le 23 novembre 1795) Denis Nicaise et Claude Macréau, accompagnés de leurs épouses respectives, se réunissent dans l’étude de Me Pinart, notaire à Guérard (Seine et Marne) pour procéder à un échange de terres.

Monthérand de Guérard


Denis Nicaise (Jean Denis de ses prénoms de baptême) est né en 1763 à Guérard, d’une famille de vignerons installée au lieu-dit Montherand.

Guérard est la commune la plus citée de mon arbre après Villevêque (49), avec 568 occurrences. De ce fait, lorsque j’examine un acte il y a une chance pour que tous les protagonistes du document me soient plus ou moins apparentés.

C’est donc le cas de Denis, arrière-petit-neveu de mon ancêtre Claude Nicaise. Il a épousé en 1785 Marie Anne Roze Holeux (ou Hauleux). Celle-ci est la fille de Marie Madeleine Hochet (ma sosa 839) et de son troisième mari Nicolas Holeux.

 

L’autre couple est formé par Claude (Louis) Macréau et Marie Anne Roze Pochet mes sosas 208 et 209 (ancêtres à la 7ème génération). Dans l’échange Claude est nommé « Maqueriot ». On trouve aussi parfois l’orthographe Maquereau ou Macriot. Dans l’acte de mariage de son petit-fils il est d’ailleurs mentionné que lors de sa naissance "le nom patronymique de son père est orthographié à tort Maquereau au lieu de Macréau" (déclaration sous serment lors de son mariage). C'est pourquoi j'ai gardé l'orthographe "Macréau". Les Macréau sont aussi originaires de Guérard, d’autres lieux-dits nommés Le Charnoy pour les deux premières générations, puis Rouilly le Bas pour les deux suivantes. Claude, lui, demeure au Grand Lud (même commune). Claude Macréau est aussi vigneron. En 1795 il a alors 30 ans. 


Il s’est donc mis d’accord avec Denis Nicaise pour procéder à un échange de terres. De son côté Denis donne deux pièces de terre situées aux « Landy » (ou Les Landis) à Monthérand : la première mesure 10 perches. La perche est une ancienne mesure de longueur, valant un peu plus de 6 m, ou de superficie (le « carré » de « perche carré » étant alors sous entendu) valant un peu plus de 42 m² ; valeurs données à titre indicatif car elles dépendent beaucoup des époques et des régions. L’autre parcelle mesure 6 perches. Cela fait donc un total de 16 perches, soit environ 672 m².

Les parcelles sont précisément situées grâce à la méthode « Ancien Régime » : en nommant les propriétaires ou points remarquables voisins. Ainsi au levant de la parcelle (c'est-à-dire à l’est) il y a une parcelle appartenant aux héritiers Langlois, au couchant (à l’ouest) le sentier, au midi (au sud) une autre parcelle appartenant à Claude Macréau et au septentrion (au nord) une parcelle à Hubert Lhuillier. Difficile de situer exactement ces terres aujourd'hui, mais peut-être le cadastre napoléonien, rédigé 15 ans après l'échange, peut-il nous donner quelques pistes. Les états des sections ne sont pas en ligne, mais il se trouve que sur les feuilles de plans du cadastre de Guérard, les noms des propriétaires sont inscrits sur les parcelles ! Bon, le seul problème c’est que la définition de numérisation n’est pas assez haute pour lire correctement lesdits noms : il faut essayer de deviner !

Donc, on retrouve bien le lieu-dit Les Landis, le sentier et une parcelle appartenant à Claude Macréau. Peut-être que la parcelle de 10 perches donnée par Denis Nicaise se trouve au nord de cette parcelle appartenant à Claude Macréau. Le propriétaire identifié n’est pas Claude, mais ne perdons pas de vue que le cadastre a été rédigé 15 ans après l’échange : il s’est peut-être séparé de cette parcelle entre temps. Ou bien la parcelle que nous voyons est issue de la fusion entre celle donnée par Denis et l'ancienne parcelle voisine appartenant déjà à Claude.


Cadastre Les Landries © AD77

 

En échange Claude Macréau donne une pièce de terre située aussi à Monthérand, mais au lieu-dit Les Grandes Vignes. Cette terre est entrée en la possession de Claude par sa femme, grâce un héritage reçue par elle de sa mère Honorée Suzanne Gaudin (décédée en 1775), qui était originaire de Monthérand. De la même manière, on peut suggérer un emplacement pour cette parcelle.


Cadastre Les Grandes Vignes © AD77


Les parcelles échangées sont d’une superficie égale (16 perches au total). Elles sont estimées à mille livres, soit environ 15 693 euros actuels.

Bien sûr, l’acte d’échange ne dit pas pourquoi Denis et Claude ont troqué leurs parcelles. Tout juste peut-on supposer qu’un regroupement territorial est à l’origine de la transaction : en effet, les parcelles données par Denis sont contiguës à d’autres appartenant déjà à Claude et inversement. Ainsi chacun dispose désormais de terres d’un seul tenant, augmentées de 16 perches.


mardi 1 décembre 2020

#ChallengeAZ : Post scriptum

 

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livre les racines du crime, polar généalogique


REMARQUE 


Ce texte est une œuvre de fiction. Même si la plupart des détails et des personnages ont véritablement existé, il n’y eut jamais de crime dans ma famille (tout au moins pas à ma connaissance). 

J’ai basé toute cette histoire sur le seul fait que j’ignore où et quand est décédée Ursule Marie Mathurine Le Foch épouse Macréau. Si quelqu’un le sait, merci de m’en faire part.
J’en demande humblement pardon à tous ses descendants et les prie de croire que son époux Henri Macréau n’était pas un criminel (tout au moins pas à ma connaissance). 

Quant à Gaston Croisy son seul tort est d’avoir, à l’âge de 8 mois, été placé chez Marie Louise Macréau, la mère d’Henri. Que ses héritiers me pardonnent cet emprunt nécessaire au récit. 

Devant les réactions et commentaires de mes lecteurs, je me dois de publier un démenti officiel : non Alexandre n'est pas mon fiancé caché et non je ne me suis pas mise au whisky à toute heure du jour et de la nuit.

Enfin si un jour je décide d’adopter un chat je l’appellerai Sosa, promis ! 


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Edit 2023 : Au printemps 2021 m'a rejoint un petit chaton farceur... et très peureux (pas question de prendre ma défense en cas de danger !). Bien sûr, je l'ai appelé... Sosa !

 

Sosa, le chat de la généalogiste


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REMERCIEMENTS 


Ma gratitude va d’abord à Sophie Boudarel qui a importé l’idée de ce ChallengeAZ en France. C’est aussi grâce à elle que j’ai créé ce blog. Merci, donc. 

A Geneatech et à ses petites mains qui assurent désormais la continuité du service et l’intendance du ChallengeAZ. Retrouvez l'intégralité des publications réunie dans ce magazine.

Aux archives départementales qui mettent en ligne ces merveilleux documents qui permettent de reconstituer la vie de nos ancêtres. Ou de l’inventer. 

Un salut amical et particulier aux archives départementales de Seine et Marne et au Cercle généalogique de la Brie : je n’ai jamais rencontré les "Charlotte Paulée" et "Alcide Bodin" locaux, mais je ne désespère pas de le faire un jour dans la vraie vie. 

A Marie-Catherine Astié pour ses relectures attentives et bienveillantes. 

A toutes celles et ceux qui ont laissé des commentaires jour après jour sans jamais se lasser (moi qui écrirais plus facilement une saga en 10 tomes, j'ai toutes les difficultés à laisser deux lignes de commentaires !), une grande admiration et un immense merci. J'ai beaucoup aimé découvrir votre cheminement face aux chapitres tout droit sortis de mon imagination.

Aux lecteurs, enfin, qui m’ont suivie dans cette aventure. Puissent-ils avoir pris autant de plaisir à lire ces lignes que moi à les écrire. 



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lundi 30 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre Z

 CHAPITRE Z

"Zanzibar pour me changer les idées..."

 

- Zanzibar pour me changer les idées.
- Zanzibar ?
- Oui Zanzibar. Un trek en Afrique, voilà ce dont j’avais besoin. C'était loin. Dépaysant. Zanzibar, la Tanzanie, le Grand Rift, le Lac Natron et à l'horizon le Kilimandjaro. Rien de commun avec la Brie. Le rêve. Ça m'a fait du bien.
Charlotte rit un instant avant de revenir aux choses sérieuses.
- Tu… Tu as eu des nouvelles d’Alexandre ?
- Oui, j’ai reçu une lettre. Il me demandait de ne pas le juger trop durement. « Tu sais, je ne suis pas si mauvais au fond. Personne n’est vraiment mauvais. En agissant comme je l’ai fait, je voulais seulement défendre ma famille. » Ce genre de choses… Il avait l’air apaisé. Je pense que les soins qui lui sont prodigués lui font du bien.
- Pas de rancœur de ton côté ?
- Oh ! Personne ne peut dire ce qu’il aurait fait à sa place. Élevé dans la haine générationnelle. Difficile d’y résister, tu ne crois pas ? 

Je ne jugeai pas Alexandre. Je pense qu’il était profondément meurtri et que le malheur peut vous détruire, petit bout par petit bout, aussi sûrement que la folie, jusqu’à vous perdre complètement. C’est cette souffrance lentement accumulée qui l’avait poussé à un comportement irrationnel. C'était un immense gâchis.
- Et puis, tout ce qu’il a simulé m’a incité à en savoir plus. Sans lui, je n’aurais peut-être pas approfondi l’histoire d’Henri et de ma famille. Et je ne t’aurais pas connue ! 

Le silence s’installa quelques instants. Envahie par les souvenirs de mon voyage je racontai à Charlotte le Natron, lac salé aux reflets rouges où nichaient les flamants nains ; le cratère du Ngorongoro sur les pas de Karen Blixen ; le petit déjeuner avec les éléphants…
- Et tu sais, le Grand Rift, c’est l’un des berceaux de l’humanité. Le premier hominidé y a été trouvé et décrit en 1925. À partir d'une souche commune, deux lignées évolutives auraient divergé, aboutissant à l'ouest du Rift aux chimpanzés arboricoles, et à l'est aux premiers Hominina puis aux Australopithèques. Probablement l'origine du genre Homo. L’apparition de la bipédie serait une adaptation à la savane. Un peu plus loin en Éthiopie Yves Coppens a découvert Lucy, âgée de 3,18 millions d'années, longtemps considérée comme notre grand-mère à tous.  

Charlotte profita de ce que je reprenais ma respiration pour en placer une :
- Ouais… Encore de la généalogie quoi !
- Euh… Oui. Un peu lointaine quand même.
Confuse, je m’aperçus que je m’étais enflammée toute seule. J’avais pourtant promis de mettre un frein à mes passions. La dernière fois ça m’avait entraînée un peu trop loin.
Mon chat Sosa ronronnait sur mes genoux. Depuis notre mésaventure commune de l’été, il préférait mes genoux au fauteuil. Ce n’était pas très pratique pour moi, mais bon : je ne pouvais pas lui en vouloir. Ses côtes cassées s’étaient ressoudées et il s’en tirait sans autres dommages. Dans un geste devenu familier, il mit sa tête au creux de ma main, quémandant une caresse rassurante.
- Bon… Fais-moi signe quand tu reviendras par là.
- Avec plaisir…
Avant de raccrocher j’entendis encore Charlotte qui pestait contre sa mèche de cheveux rebelle. 

Ma main perdue dans la douce fourrure de Sosa, je repensai à tous ces événements. Je n’avais pas été tout à fait honnête avec Charlotte : je lui avais caché un sommeil particulièrement difficile à trouver depuis l’été. Et des nuits très agitées lorsqu’enfin j’arrivais à m’endormir.
Je ne savais pas si je remettrais les pieds au pays de mes ancêtres briards. Martine et les autres descendants du Grand-Père furent horrifiés d’apprendre les agissements d’Alexandre. Voulant effacer toute trace de sa terrible conduite, ils abrégèrent les travaux de la maison et la vendirent au plus vite. Avant la vente, beaucoup de post-it avaient disparu des meubles et objets de la demeure familiale : les héritiers ne voulaient plus de ces symboles d’un passé trop encombrant. 

Je fus autorisée à y aller une dernière fois avant que les nouveaux propriétaires n’investissent les lieux. Étrangement, je n’éprouvai plus aucune nostalgie, tout au plus un pincement au cœur. Le lieu était désormais pour moi attaché à trop de souvenirs pénibles. La maison de famille y avait grandement perdu de son aura. L’image romantique que je m’en faisais avait été sérieusement écornée par les événements de l’été. L’héritage est parfois à double tranchant.  

Quand à Alcide Bodin, j’éprouvai de la honte d’avoir soupçonné cet homme lors de notre première rencontre. Lui dont l’aide fut si précieuse par la suite. La seule chose qu’on pouvait lui reprocher c’était une curiosité dévorante. 

Sur mon bureau se trouvait un carnet encore vierge. Cela faisait plusieurs jours que je restai paralysée devant la feuille blanche. Soudain, prenant une grande inspiration, je saisis un stylo. Les premiers mots furent couchés sur le papier :
« Bien sûr j’aurai dû me douter, ce jour-là, que ce qu’il se passait n’était pas ordinaire. Lorsque, au cœur de l’été, je déambulai dans la maison de famille d’Alexandre, en pays briard, guidée par la nostalgie, ignorant l’ombre menaçante… ».  


écriture


Alors que le début avait été si difficile, la suite coula presque toute seule. Le texte prit forme sous mes doigts agissant sur mes blessures invisibles comme un baume cicatrisant. Plusieurs heures plus tard, ce fut comme si je me réveillai d’un long cauchemar. La nuit était tombée. Tout était silencieux. Même Sosa et ses envies de croquettes n’avait pas osé me déranger. Je mis un point final à mon texte. 

Le cœur apaisé, j’eus une dernière pensée pour Henri Macréau. Peu importe qu’il fût un assassin ou non, il a toute sa place dans mon arbre généalogique… Que ce soit celle d’un roi ou d’un pendu. 


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