« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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vendredi 22 juillet 2022

#52Ancestors - 29 - Benoît Astié

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 29 : Votre généalogie côté insolite

 

En 1910, alors que les Parisien se remettent de la crue centennale, dans la banlieue le mal rôde !

L’affaire est rendue publique par un article du 17 novembre 1910 paru dans le Petit Parisien. Il est intitulé « la caverne des huit voleurs ». A Ivry depuis plusieurs jours ce n’est « que déprédations et larcins ». Leurs auteurs étaient recherchés, en vain. Quand enfin une descente de police « dans une cabane » s’élevant « non loin du fort d’Ivry, dans un terrain vague » fit main basse sur les truands. « Ils étaient huit ».

« Ces garnements », venus d’horizons divers, réunis par le goût du crime, s’y étaient « construit un repaire ». Pour cela, ils n’avaient pas hésité à dévaliser « les entrepôts de bois – emportant madriers et planches » et ériger, « en quelques jours », leur cabane.

Immédiatement ces brigands furent envoyés au dépôt. 


« Ce sont :

  • René Fabreguette, dessinateur, sans domicile,
  • Charles Lisseau, domicilié place Bernard Palissy, à Ivry,
  • Jacques Favier,
  • Alexandre Ungeman, maçon
  • Georges Royer, couvreur, tous deux habitant avenue des écoles à Vitry,
  • Benoît Astier, maçon, rue Raspail, à Ivry,
  • Gustave Aveline, 25 rue Parmentier, également à Ivry,

Le plus âgé de ces malfaiteurs a vingt ans et le plus jeune dix sept. »

Article paru dans Le Petit Parisien du 17 novembre 1910, puis La Lanterne du 19 et Le Parisien du 24.

On notera que la presse ne cite que 7 des ces « 8 voleurs ».

 

Oups ! Benoît Astier ?!

Son nom est orthographié Astier et non Astié, mais c’est bien tonton Benoît !

Et c’est ainsi que j’ai découvert que mon tonton était un brigand. Enfin, quand je dis tonton c’était en fait le petit frère de mon arrière-grand-père.

Tonton Benoît était donc un brigand. Un vaurien. Un gredin.

 

Fils d’Augustin et Cécile Rols, Benoît est né en 1892. Son père, journalier, passa sa vie à chercher un emploi suffisant pour nourrir les siens. C’est ainsi qu’il quitta son Anjou natal pour se rendre (à pieds, dit la légende familiale) en région parisienne. Après avoir trouvé du travail et un domicile, rue Raspail, à Ivry, il fit venir toute sa famille. Benoît, lui, devint garçon maçon. Il était de taille moyenne (1,62 m), avait les cheveux châtains foncés, les yeux marron, le nez rectiligne, le visage ovale. Il savait juste lire et écrire. Au moment des faits il avait 18 ans.

 

Et, de toute évidence, il avait de mauvaises fréquentations. J’ai pu retracer les parcours de ces « malfaiteurs » :

  • René Fabreguette, le dessinateur sans domicile, était âgé de 20 ans. C’est le plus âgé de la bande. Né à Neuilly s/Seine, il était plus précisément « dessinateur en affiches ». Mesurant 1,73 m, il se distinguait par une cicatrice à la joue gauche, sans doute un souvenir de son passé tumultueux. En effet en mai 1910 il avait déjà été condamné par le tribunal de la Seine à 4 mois de prison. Il n’a pas perdu de temps : sorti en septembre, à nouveau condamné en décembre !
  • Charles Lisseau, le second gangster, étaient deux ans plus jeune. Né lui aussi en banlieue parisienne, à Saint-Ouen, au Nord de Paris. Il était journalier. Lui aussi avait une cicatrice, à la gorge, mais elle serait d’origine médicale, trace d’une ancienne opération.
  • Jacques Favier était originaire de Seine et Marne. Âgé au moment des faits de 13 ans seulement (donc plus jeune que ce qu’indiquait la presse). Plutôt grand (1,79 m), il était garagiste.
  • Alexandre Ungeman était maçon. Il demeurait avenue des écoles à Vitry. C’est le seul que je n’ai pas retrouvé : sans doute son patronyme a subi quelques dommages lors de son passage dans la presse…
  • Georges Royer, couvreur, habitait lui aussi avenue des écoles à Ivry. Il avait 16 ans*.
  • Gustave Aveline s’appelait en fait Gustave Edeline. Originaire d’Ivry, il était journalier, avait 19 ans.

 

Comment se sont-ils rencontrés ? Ils sont de la même génération, habitent des villes voisines. Plusieurs d’entre eux sont du bâtiment (maçons, couvreur, journaliers) : peut-être se sont-ils connus sur un chantier ?

 

Et qu’en est-il de l’affaire des 8 voleurs ? Je n’ai pas trouvé trace d’un procès, mais plusieurs de nos vauriens ont été condamnés en décembre 1910 :

  • René Fabreguettes a eu 3 mois pour vol et vagabondage.
  • Charles Lisseau a été condamné à la même date à 3 mois avec sursis pour « vol, vol de récolte et vagabondage ». Récidiviste, il est à nouveau condamné pour vol à 4 mois de prison ferme en janvier 1913.
  • Jacques Favier, malgré de brillants états de service à l’armée, n’a pas perdu ses mauvaises habitudes de jeunesse : en 1957 il est condamné par le tribunal de la Seine à 15 000 francs d’amende pour vol (peine aggravée par ses deux condamnations antérieures : je n’ai pas de détails sur celles-ci, mais peut-être que l’affaire de 1910 en fait partie).
  • Gustave Edeline a été condamné à 3 mois de prison pour vol.

Ces peines sont sans doute la suite de notre affaire.

 

L’édition du 23 novembre 1910 du Petit Parisien revient sur l’affaire :

« Le jeune Benoît Astié, compromis dernièrement dans l’affaire que nous avons racontée sous le titre "la caverne des huit voleurs" n’a pas été envoyé au dépôt. Sa culpabilité en la circonstance n’ayant pas été démontrée, il a été remis en liberté par M. Carré, ainsi que trois autres des individus arrêtés. »

 

Tonton Benoit n’est donc pas passé par la case prison et n’a pas été condamné en décembre 1910. Cependant, lors de son intégration dans l’armée, en 1913, il fut envoyé dans un Bataillon d’Afrique, histoire de le mater. Les « bat d’af » recevaient les civils ayant un casier judiciaire non vierge ou recyclaient les militaires condamnés à des peines correctionnelles.

 

Mais ni l’histoire des « huit voleurs » en 1910, ni son affectation « disciplinaire » à l’armée n’ont assagi le tonton brigand, comme son casier le prouve :

  • Condamnation le 23 juin 1911 par le tribunal de la Seine à deux mois de prison pour vol.
  • Condamné par le conseil de guerre de Tunis le 11 août 1914, coupable d'abandon de poste étant de garde, à un mois de prison.
  • Condamné à nouveau le 4 février 1916 par le conseil de guerre de Tunis à un mois de prison, coupable d'avoir volontairement porté des coups et blessures sur la personne du chasseur Vasse.

 Tonton Benoît était un brigand !

Il reste cependant - aussi - un brave soldat, ayant obtenu la médaille coloniale avec agrafe "Tunisie" en 1917. Blessé une première fois en 1915, il est finalement tué sur le champ de bataille le 5 avril 1918 à Cantigny (Somme) – Mort pour la France. Sa sépulture est à la nécropole nationale de Montdidier.

 

 

* Si c’est bien lui : un léger doute subsiste.