« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 18 janvier 2020

#RDVAncestral : Joseph est toujours vivant

En ce début du mois de février 1765, j’arrivai dans le silence d’une mort annoncée : on veillait ici Joseph Godet qui respirait à peine et pour qui la grande faucheuse patientait déjà devant la porte de la maisonnée, attendant calmement, mais sûrement, son dû. Car elle ne repartirait pas seule, à n’en pas douter. Tous ici savaient que Joseph allait bientôt quitter ce monde. Ce n’était pas grave, juste dans l’ordre des choses : ainsi va la vie. Parents, amis et voisins s’étaient donc retrouvés là pour accompagner Joseph dans ses derniers instants. Et je m’étais faufilée parmi eux.

Certains ne faisaient que passer à son chevet, d’autres restaient plus longtemps. Tantôt on se réunissait par petits groupes, chuchotant des anecdotes partagées, tantôt on restait seul plongé dans ses souvenirs. Les enfants emmenés là s’étonnaient encore de pouvoir veiller si tard et comptaient bien en profiter, même s’ils avaient clairement compris que l’ambiance n’était pas à la fête. Certains, ravis, se lançaient le défi de ne pas dormir de toute la nuit… avant de succomber tour à tour dans le sommeil. Les vieillards eux aussi étaient étonnés : d’être encore là ou bien  simplement se demandant quel serait le prochain à jouer le premier rôle dans cet acte particulier qui clôt la pièce de la vie.

Puis je fus autorisée à m'approcher auprès de l’agonisant. Il était allongé dans son lit, respirant avec difficulté. Quelques chaises étaient disposées là pour les veilleurs. Je m’installai près de lui et le regardai longuement. Il n’avait rien de particulier : c’était un paysan du XVIIIème siècle comme il y en avait des milliers. Il avait près de 80 ans : on ne pouvait donc pas se désoler d’une mort brisant une jeune vie. Il était entouré de ses proches : j’avais remarqué au moins deux de ses fils, Louis et Jean, ainsi que son cousin, aussi prénommé Jean. Et d’autres encore : il n’était pas seul. Il était né, s’était marié, avait eu des enfants, avait travaillé, puis laissait son tour maintenant. Bien sûr il avait connu des deuils : ses parents, son épouse une vingtaine d’années plus tôt. Mais c’était dans l’ordre des choses. Qui n’avait pas connu cela ?

Son cadre de vie, ce pays qu’on appelle la Vendée, n’avait pas changé depuis des siècles et sans doute pensait-il qu’il en serait ainsi pour des siècles encore. Bien sûr il ne pouvait pas anticiper les bouleversements que connaîtraient ses petits enfants : la Révolution, le pays laminé par des guerres civiles, la mort d’un roi voulue par son peuple ! La mort d’un roi : comment imaginer cela ? Il ne connaîtrait même pas la gigantesque sucrerie surmontée d’un ange doré comme un personnage sur un gâteau de mariés qui viendrait remplacer, une centaine d’année après lui, la belle église romane qu’il avait toujours vue et fréquentée.

Bien sûr, il ne pouvait pas imaginer les changements de la société que connaîtraient ses descendants : révolutions politiques, industrielles, religieuses, sociétales. Il ne savait rien de tout cela. La seule chose qu’il savait c’est qu’il allait mourir et que les pelletées de terre jetées sur son corps déjà froid allait le plonger dans l’oubli, aussi vite que ses prédécesseurs l’avaient été avant lui.

Je voulais lui parler, en savoir davantage sur lui. Car, bien sûr le temps avait fait son œuvre et l’avait presque effacé du passé. Lui ignorait tout des événements des siècles qui nous séparaient, moi je ne savais presque rien de sa vie. De lui je ne connaissais que ce que m’en avaient dit trois actes paroissiaux (ou peut-être seulement deux : le premier était tellement abîmé que je n’étais pas sûre qu’il s’agisse bien de son acte de baptême). Mais j’arrivai trop tard pour cela.

Soudain il me regarda fixement, plongeant ses yeux dans les miens… Comme s’il avait suivi le cours de mes pensées. Il esquissa un geste de la main qui lui arracha un râle de douleur. Mais son attention et ses yeux revinrent bien vite vers moi. Ils semblaient me dire : peu importe les détails de ma vie. Peut-être les trouveras-tu un jour. Peut-être pas. Poussière nous étions, poussière nous redeviendrons. Mais grâce à toi je revivrai un instant. Et cela me suffit. Car je sais que pour quelqu’un je serai plus qu’un patronyme dans une case, un numéro parmi d’autres. Je retrouverai mon nom et ma place parmi les miens.


 © Pixabay

Le lendemain le curé dû faire creuser une fosse dans la terre froide de Vendée pour y placer son corps. Il était mon ancêtre à la onzième génération, le numéro sosa 2020 de ma généalogie. Et si je ne savais presque rien de lui, je pouvais dire néanmoins qu’il était un fils, un époux, un père. Il était Joseph Godet.


lundi 6 janvier 2020

#Généathème : Un mois pour lire

Retour sur le #ChallengeAZ qui s’est tenu en novembre 2019 (dont le principe est de publier un billet par jour et par lettre de l’alphabet) pour partager ses coups de cœurs… ou autres ! Un mois pour lire, découvrir et apprendre.




  • Mon coup de cœur

Mon coup de cœur va au Challenge de Pascale, alias @derouvex, qui nous a tenus en haleine avec les lettres d’Alexandrine. 

Pudique ( ?), elle a assez peu parlé du travail de déchiffrage des documents, qui a pourtant dû être ardu. En effet Alexandrine utilise la technique du croisement : lorsqu’elle atteint le bas de la page elle tourne le papier à 90° et poursuit sa rédaction. Pour lire le texte il faut donc se concentrer d’abord sur les lignes horizontales, en faisant abstraction des verticales – et inversement pour avoir la fin du texte.
Pour beaucoup d’entre nous, notre généalogie est composée de laboureurs, vignerons et autres domestiques. Mais grâce à cette correspondance c’est comme si nous avions le droit de regarder un instant entre les grilles du château d’à-côté afin d'apercevoir les lumières d'un monde que nous ne connaissons pas, auquel nous n’avons généralement pas accès...
Et c’est magique. Tout d’un coup notre vie est peuplée de bals, de soies froufroutantes, de potins mondains…
Même si cela ne dure qu’un instant, un instant seulement, cela reste très savoureux.

  • Mon coup de peur

Mon coup de peur va à Françoise, alias @feuilledardoise, du blog éponyme.

Pour ceux qui l’ignorent, Françoise est ma « multiple cousine » car nous avons de très nombreux ancêtres en commun, bien qu’assez éloignés dans le temps. Et pour ce mois de novembre Françoise a décidé de faire son petit ménage de printemps dans son arbre. Au fur et à mesure des jours, vu l’ampleur que prenait la tâche, je lui ai proposé une tronçonneuse plutôt qu’une balayette. Il faut dire que certaines branches sont passées chez le coiffeur et ont reçu une coupe franche et nette !
Et j’ai eu bien peur que Françoise finisse par couper nos liens. Heureusement il n’en est rien. Nous sommes toujours cousines !


  • Mon coup de fleurs

Mon coup de fleurs va à l'équipe de Gloria, alias @lulusorcière, du blog Lulu Sorcière Archive

Non pas parce que il vaut mieux compter les sorcières parmi ses amis que ses ennemis (quoique…), mais surtout parce ce challenge et l’exemple d’un challenge collaboratif. Si l’idée en est simple, ce n’est pas toujours facile à mener à son terme ; donc bravo à tous ceux qui ont pris part à l’aventure.
Par ailleurs, il traite d’un sujet que je trouve fort intéressant, bien que souvent mésestimé : les cimetières. Témoin d’un patrimoine trop souvent oublié, il est aussi un conteur d’histoires fabuleux à qui veut bien tendre l’oreille.


samedi 21 décembre 2019

#RDVAncestral : La tante insaisissable

- Mesdames !
J’arrivai en courant car j’avais peur qu’elle m’échappe encore une fois. L’une d’elle avait déjà la main sur la poignée de porte de la voiture.


Marcelle et Paulette © Coll. personnelle

Intriguée, les deux vieilles dames suspendirent leur geste et me regardèrent. D’évidence elles ne me connaissaient pas. J’hésitai un instant : elles se ressemblaient tant : les cheveux bouclés, les lunettes, le nez pointu, la bouche fine comme un trait… jusqu’au chemisier sur jupe droite ! Néanmoins celle de gauche avait les cheveux plus grisonnant que celle de droite : étant l’aînée, je supposai que c’était Marcelle, mon arrière-grand-mère et que l’autre était sa sœur, autrement dit c'était (enfin) mon insaisissable « tante Paulette ». Je l’avais tant cherchée. Elle était là.

Comprenant que mon silence devenant embarrassant, je les saluai à nouveau et me présentai… succinctement. Un peu ennuyée, je ne savais pas comment appeler la tante Paulette puisque dans mon entourage tout le monde l’appelait ainsi, mais s’ils n’étaient pas leurs neveux ou nièces stricto sensu. Madame Paulette faisait un peu « Madame Claude » si vous voyez ce que je veux dire… Bon sang ! Ça fait des années que tu la cherche et maintenant que tu l’as enfin trouvée tu risque de la laisser filer parce que tu ne sais pas comment l’appeler ! Mais secoue-toi donc, me sermonnai-je.
- Heu… pardon de vous demander cela, mais vous êtes bien Paulette, la sœur de Marcelle ici présente ?
- En effet…
- Excusez-moi d’arriver comme ça, mais je vous ai longtemps cherchée et…
- Ah ! oui, me coupa-t-elle, et pourquoi ?
Décidément, la tante Paulette faisait honneur à sa réputation acerbe et autoritaire.
- J’ai connu certain de vos proches : Camille votre époux (bon, je ne pouvais pas lui dire que c’était le parrain de ma mère), votre fils Jean, le fils de Marcelle André et son épouse Christiane… Enfin bref…
- Et vous me cherchiez pour …. ?
- Heu… Je sentais au fond de mes poches les photos et cartes postales la concernant. Aussitôt de bredouillai : J’ai quelques documents à vous remettre. Seulement j’ai eu du mal à vous trouver : les quelques informations que j’ai pu récolter étaient contradictoires. Vous permettez que je vous explique ?

Les deux sœurs s’échangèrent un coup d’œil et Paulette m’autorisa, d’un léger coup de tête, à continuer. Je réfrénai un soupir et repris la parole :
- Je ne trouvai pas votre acte de naissance, et donc votre ordre dans la fratrie, alors que j’avais découvert les sept autres frères et sœurs. Comme vos parents ont beaucoup déménagé, ça m’a fait voyager, mais bon.
Une mention au dos d'une photographie indiquait « sœur aînée de la mère d'André [Marcelle donc] », sans prénom, mais les dates de naissance de vos autres sœurs sont connues. Je n’ai pas trouvé votre naissance à Tigeaux ni Serris. Or vos parents se sont mariés en 1900, ont eu un fils en 1901 puis Marcelle en 1902 : j'avais donc écarté l'hypothèse que vous soyez soit l'aînée.
- Tu as bien raison : je ne suis pas l’aînée.
- Ouf. Cependant, dans une de vos cartes postales Paulette vous appelez Marcelle « ma petite sœur ». J’ai hésité à nouveau : est-ce un petit nom affectueux ou êtes-vous vraiment plus âgée ?
Silence de Paulette.
Je reprenais courageusement :
- Mais, contredisant cela, vous signez une autre carte « ta petite sœur » ! Je ne sais plus où j’en suis.
La bouche de Paulette s’étira légèrement. Je n’eus qu’une seconde pour me demander si c’était un sourire… ou autre chose :
- Alors : qu’as-tu fait ?
- J’ai dépouillé (plusieurs fois) les registres d'état civil, mais cela n'a rien donné. Par ailleurs, vous n'apparaissez jamais avec vos parents dans les listes de recensements. Pourquoi ?
- Ah ! Mais je ne vais pas tout te dire, ce serait trop facile !
Un peu dépitée, je repris :
- Une photo-carte postale vous représente, âgée de 17 ans : au verso votre adresse à Eaubonne. Vous habitez donc le Val d’Oise lorsque vous êtes adolescente alors que vos parents sont toujours en Seine et Marne.
- C’est vrai ! J’avais presque oublié !
La tante Paulette ne me facilitait pas les choses et restait avare en détail. Bon, autant pour moi...
- J’ignore la date et le lieu de votre mariage. De Camille, je n'ai même pas une photo. Je n’ai pas trouvé sa fiche matricule qui aurait pu m’indiquer une adresse. Ma mère pense que vous avez habité à Saint Ouen et/ou à Enghien avec Camille votre époux. Puis peut-être dans le Sud ensuite. Mais j’ai complètement perdu votre trace… C’est pourquoi je suis heureuse de vous voir aujourd’hui !
- Je vois qu’en effet que tu as beaucoup d’informations sur moi… Un peu beaucoup. Je me demande comment tu as eu ces cartes postales qui ne t’étaient pas destinées par exemple.
Je retins mon souffle.
- Je n’ai pas pour habitude de me confier à n’importe qui, mais tu as l’air d’être une fille sérieuse et d’y tenir, alors voilà… Elle ouvrit la portière de la voiture. Je ne suis pas l’aînée de la famille, mais la dernière !
Elle s’engouffra dans le véhicule où Marcelle l’attendait et elles démarrèrent en trombe.

J’en restai pantoise. La dernière ? Cela la faisait naître probablement en 1912, le dernier enfant que j’avais trouvé étant de 1910. Comment n’avais-je pas eu cette intuition ? Pourquoi voulais-je à tout pris la placer en tête de fratrie ? Je me précipitai sur le site des archives de Seine et Marne et là je crois que je trouvai la réponse. Il ne manquait qu’un seul registre : celui de 1912 !