Jean Le Tessier et Michelle Houdebine se marient à Ménil (Mayenne) en mars 1696. Lui est originaire de la paroisse voisine de Daon (il a 27 ans) et elle de Ménil (22 ans). Ils auront 11 enfants entre août 1696 (hum… une grossesse un peu courte ! C’est peut-être pour cela qu’ils ont reçu une dispense de deux bans accordée par l’évêque pour pouvoir se marier…) et juin 1714 – soit en l’espace de 18 ans –. On peut dire que Michelle n’aura pas chômé et rares sont les années où elle n’était pas « grosse ».
Le père de Jean et deux de ses frères étaient pêcheurs. Lui était pontonnier, c'est-à-dire qu’il était préposé à une station de bateaux de voyageurs. En d’autres termes il était batelier, passeur. Un pontonnier peut aussi être chargé de percevoir le droit de pontonage (droit qui se percevait sur les personnes, voitures ou marchandises qui traversaient une rivière, soit sur un pont soit dans un bac). Parmi les parrains de ses enfants on trouve plusieurs meuniers. Bref, des hommes de l’eau, de la rivière.
Ménil et Daon sont donc des paroisses voisines. Les deux bourgs sont distants de 6 km, chacun en bordure de la rivière (Ménil rive droite, Daon rive gauche). Le premier comptait près de 300 feux en 1700 (environ 1 500 habitants), le second un peu plus de 200 (1 000 habitants). C’est la Mayenne (la rivière) qui fait plus ou moins la limite entre les deux communes aujourd’hui, et probablement entre les deux paroisses autrefois.
Ménil-Daon, Carte de Cassini © cassini.ehess.fr
En 1696 et 1697 il est dit demeurant à La Petite Valette (paroisse de Ménil), comme son frère André, mais dès 1699, dans les actes de naissance de ses enfants, Jean et son épouse sont dits demeurant au Port Marot, paroisse de Daon. Cependant, si le métier de Jean a rapidement été identifié, son lieu d’habitation a été plus délicat à localiser. En effet, j’ai suivi la rivière, ses affluents, je m’en suis même éloignée (bien qu’en tant que pontonnier il devait logiquement habiter au plus près de l’eau), mais je ne suis jamais parvenue à localiser ce Port Marot, ni sur les Cartes de Cassini, ni sur les cartes moderne (IGN, état-major…). Est-ce trop petit ? A-t-il disparu ? A-t-il « changé d’identité » ? En effet, le long de la rivière il existe un « La Porte » et plus bas un « Le Pont » : l’un d’eux est-il mon Port Marot ? On notera toutefois qu’au niveau de La Porte il existe aujourd’hui un bac traversant la rivière, prolongé par une « rue du Port » : tiens, tiens…
Je continue mes recherches et, dans le Dictionnaire historique, topographique et biographique de la Mayenne de l'abbé Alphonse Angot (publié en 1900/1910), je trouve cette note : « Le château de la Porte nargue le bourg de Ménil, assis sur l’autre rive […]. Le seigneur de la Porte de Daon avait, 1769, droit de port et de passage au Port Marot, sur la rive gauche de la Mayenne, vis-à-vis du bourg ». Bingo ! Le Port Marot se trouvait donc là où existe toujours le bac aujourd’hui. Un peu plus tôt, toujours selon cette source, le seigneur de Daon déclarait en 1457 : « Mon port et passaige de Daon que j’ay en la rivière de Maine [Mayenne] avec l’emplacement d’iceluy des deux coustés [côtés] de ladite rivière et la meson en laquelle demeure mon potonnier, à passer gens à pied, à chevaulx, à charetttes, lequel est de présent affermé à 30 livres ». En 1774 le passage « était de 3 deniers par personne, 1 sol par cheval, 5 sols pour une charrette ; le retour dans la même journée était gratuit ». On apprend par ailleurs qu’en 1769 il n’y avait « pas d’autre port où aborder en Chambellay et Château-Gontier ». Un poste de gabelle complétait le passage de Daon. Jean est donc l’héritier d’une longue succession de pontonnier au Port Marot.
Bac de Ménil © Google Maps
Après cette énigme géographique, qui m’a égarée quelques temps, revenons aux baptêmes des enfants Le Tessier. Les parrains et marraines des enfants sont des amis ou des membres de la famille (une tante, un oncle). Ils sont meuniers (ou épouses de meuniers) comme on l’a dit plus haut, pêcheurs, métayers, tisserands, closiers. Lorsque leurs lieux d’habitation sont connus (et localisés), on les voit demeurer dans des villages de part et d’autre de la Mayenne, indifféremment à Ménil ou Daon ; le plus éloigné habitant la paroisse de Château-Gontier à 8 km au Nord de Ménil.
Quoi qu’il en soit, Jean fait baptiser ses 11 enfants à Ménil, bien qu’il demeure au Port Marot qui appartient à la paroisse de Daon lors de la naissance de 9 d’entre eux. En effet, de 1699 à 1714 le prêtre précise à chaque baptême que le père est « de la paroisse de Daon » et que le baptême se fait avec l’autorisation du prieur ou du vicaire (selon les cas) de Daon.
Août, novembre, juillet, janvier, octobre, mai, février, juin, mars : peu importe le mois de naissance (et sa météo), Jean va toujours à l’église de Ménil faire baptiser ses enfants. Donc, soit le curé de Daon était un horrible personnage, soit la proximité de l’église de Ménil est plus commode. D’autant qu’en tant que pontonnier, Jean avait des facilités pour traverser la rivière. En tout cas, quelle que soit la raison, Jean devait trouver qu’on est mieux baptisé chez le voisin !
Merci pour cet éclairage sur le métier de pontonnier ! L'un de mes ancêtres était lui-même batelier, mais je n'ai pas encore creusé son histoire.
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