« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 21 juillet 2018

#RDVAncestral : Le disparu

En ce 21 avril 1834, j’arrive chez Marie Anne Desmarest. Elle est la seconde épouse de mon ancêtre Pierre André Gibert. Celui-ci a eu un tragique accident au mois de décembre dernier : charretier, il rentrait chez lui avec son attelage. Il faisait déjà nuit. Et froid. Le sol était gelé en cet hiver particulièrement rigoureux. Il franchissait le Pont de Coude, qui enjambe le Grand Morin. A cet endroit la rivière marque la limite entre les communes de Tigeaux et Dammartin sur Tigeaux (Seine et Marne). Il venait de quitter Dammartin, situé à 800 m environ avant de rentrer chez lui à Serbonne, paroisse de la Chapelle sur Crécy, 5 km plus loin. Le pont était assez récent : édifié sur des soubassements maçonnés, il était composé d’une barrière métallique, haute au centre du pont, plus basse à ses extrémités.

Pont de Coude © ebay.fr

Les eaux étaient tumultueuses par endroit et gelées là où le courant n’était pas assez fort, comme près des berges ou dans un coude de rivière. Hélas au moment où Pierre André s’apprêtait à quitter le pont, l’une des bêtes de son attelage glissa sur une plaque de gel. Probablement que la bête affolée a tenté de retrouver son équilibre, dans un vain mouvement de pattes désordonné et de mugissements de panique. Mais l’attelage a commencé à basculer dangereusement puis, inexorablement, le poids de la charrette les a emporté tous dans la froide rivière. Y compris Pierre André. Et c’est ainsi qu’il disparut le 11 décembre 1833 au Pont de Coude.

C’est aussi la raison de ma visite : je viens voir comment va la famille. Comment elle a supporté l’épreuve et l’injustice de cet accident. J’ai attendu un peu pour leur laisser passer les premiers moments les plus difficiles et, plus pragmatiquement, pour que les routes soient praticables alors que l’hiver venait enfin de desserrer son étau. Enfin, en cet après-midi d’avril, je me suis décidée à venir.

Pierre André avait 52 ans. Il s’était marié en premières noces avec mon ancêtre directe Marie Jeanne Becqué (dont il avait eu trois enfants), puis en secondes avec Marie Anne Desmarest. Leur mariage avait eu lieu en 1833. Pierre André avait alors 49 ans et Marie Anne 53.

Nous discutions dans la maison de cet accident et de la douleur qu’il avait entraînée : Marie Anne ne s’était jamais mariée avant Pierre André. Mais elle l’avait aimée tout de suite, lui et ses trois grands enfants. Cependant le bonheur fut de courte durée : deux ans et demi seulement.

Dans le silence des souvenirs, soudain, un bruit se fit entendre. C’était comme une lointaine rumeur au début. Presque un murmure. Mais cela ne s’arrêtait pas : au contraire, cela s’amplifiait. Victor, fils de Pierre André (et mon ancêtre direct), se leva et alla ouvrir pour voir ce qui se passait : de la table où nous étions restées assises, nous distinguions clairement, Marie Anne et moi, une foule qui se rapprochait. Des enfants couraient devant. Puis des adultes, des hommes en majorité. Enfin, fermant la marche, une charrette. Ils avaient un air bizarre : certains paraissaient excités, d’autres effrayés, d’autres encore ébahis. Mais tous avaient un point commun : ils avaient l’air frappé d’horreur.

Finalement la petite foule s’arrêta à une distance respectueuse de la maison. Alexandre Bizet, le beau-frère de Victor, avait été poussé devant par les autres. Il hésitait, ne savait comment délivrer cette nouvelle pour laquelle ils étaient tous là.

- Et bien quoi ? le pressa Victor. Que se passe-t-il ?
Mais Alexandre hésitait toujours : il ne trouvait pas les mots. Peut-être tout simplement parce qu’il n’y a guère de mot dans ces cas-là.
- Nous avons trouvé…
- Oui ? Et bien quoi ? Qu’avez-vous trouvé ?
Alexandre regarda la charrette, sans rien pouvoir ajouter.

Victor s’approcha de l’attelage. Il y avait quelque chose dessus, caché par un drap : c’était une forme longue et étroite. Un silence total régnait dans le groupe, chacun retenant sa respiration. Finalement, Victor souleva un coin du drap et bondit aussitôt en arrière, un hoquet d’horreur brisant le silence de l’assemblée. Sa figure devint pâle. Non plutôt grise, en fait.
Marie Anne et moi nous précipitâmes vers le groupe mais Alexandre la retint d’un bras ferme :
- Non ! Non ! Vous ne devez pas…
- Mais qu’est-ce qu’il se passe ?
Un homme s’approcha :
- Je suis désolé, Madame Gibert, mais… Nous avons trouvés… Lui aussi hésitait à le dire. C’est finalement Victor, dont le visage n’avait pas repris ses couleurs, qui acheva la phrase dans un souffle :
- Papa !
- Quoi ? Mais il a disparu dans la rivière il y a quatre mois…
- C'est-à-dire qu’avec le dégel… on l’a retrouvé en aval du pont, pris dans des branchages qui pendaient dans l’eau, dans un bras mort de la rivière.

Le silence régna à nouveau. Tout le monde était immobile. Marie Anne avait formé un « Oh ! » avec sa bouche, mais aucun son n’en n’était sorti.
Finalement, n’y tenant plus, je posais la question qui me brûlait les lèvres :
- Mais comment savez-vous que c’est bien lui ?
Car évidemment après tout ce temps passé dans l’eau, même gelée, le corps avait dû subir des dégradations irréparables.
- Ce sont ses vêtements qui nous permettent de l’identifier.
Une plainte s’éleva alors, tandis que Marie Anne s’effondrait par terre. Peut-être avait-elle cru que le pire n’était pas arrivé. Et dans le creux de son cœur elle avait espéré un improbable retour de son époux, comme si rien ne s’était passé. Cette charrette, ces gens, ce jour brisaient son rêve fou.

Les quelques femmes présentes se détachèrent du groupe : elles relevèrent Marie Anne et la ramenèrent dans la maison. Celle-ci, sans force, n’eut même pas le courage de tourner la tête une dernière fois vers son époux.
Victor prit une grande inspiration et souleva à nouveau le drap. Cette fois, il s’attendait à l’horrible spectacle qu’il allait voir, mais même ainsi, il eu un haut le cœur. Il descendit le drap jusqu’à la taille du défunt, mais n’alla pas plus loin : il en avait vu suffisamment. Il remit le drap en place.
- Ce sont bien ses vêtements… c’est bien mon père.
Même s’il n’y avait aucun doute sur ce sujet pour les gens présents, qui l’avaient connu, il fallait que ce fût dit.
Alexandre proposa de conduire la charrette tout de suite à l’église ; ce que Victor accepta. Il suivit le convoi tandis que je rentrais dans la maison.

Finalement, je restais jusqu’au lendemain, pour les obsèques de Pierre André. Il y avait beaucoup de monde car, en tant que charretier, il avait eu l’occasion de travailler pour la plupart des gens de sa communauté en transportant des barriques de vin pour l’un, du bois pour un autre, ou encore du foin et toutes sortes de choses qui avaient besoin d’être portées d’un point à l’autre. L’assistance était cependant étrangement silencieuse : ce n’étaient pas des funérailles ordinaires car sa mort, et la découverte de son corps, n’avaient pas été ordinaires. C’est sans doute pourquoi le curé écrivit dans son registre des décès, à la date du 22 avril 1834 : « Pierre André Gibert […] est décédé audit Dammartin, lequel a été noyé dans le morin par accident au pont de coude, et n’a été retiré qu’hier […] vers les deux heures de relevée ».

Plus tard, je remarquai que c’est la date du 11 décembre 1833 que le curé a inscrite lors des mariages des fils Gibert, en 1842 et 1844, sans préciser pour autant les circonstances de ce décès particulier, ni en prenant la peine d’expliquer pourquoi il n’y avait pas d’acte de décès à cette date du 11 décembre. Cependant, c’est bien la date du 21 avril 1834 qui a été retenue dans les registres de décès et les tables de succession, officialisant cette mort peu originale et sans doute fort douloureuse pour ses proches.


samedi 14 juillet 2018

#Généathème : Des objets

Je n’ai pas d’objets familiaux en ma possession (à part peut-être une médaille mystérieuse), même si quelques uns sont passés entre mes mains. Mais j’ai dû les rendre à leurs propriétaires légitimes. Par contre, j’ai  hérité de beaucoup de papiers de familles : cela va de cartes postales aux avis de décès, en passant par les cartes d’identité ou des photographies – j’ai déjà eu l’occasion d’en parler sur ce blog.
A l’occasion du défi #genealogie30, j’ai abordé plusieurs fois les documents laissés par mon grand-père paternel, lui qui avait commencé sa généalogie et celle de son épouse, et qui m’a transmis le virus.

Dans le carton des « vieux papiers », j’ai exhumé un document écrit de sa main, où il raconte quelques souvenirs, bribes de son histoire. Aujourd’hui il se présente sous la forme de quatre photocopies, format A4 ; mais à l’origine cela devait être deux feuillets, puisque l’un porte la mention « suite au verso ». On y retrouve sa belle écriture soignée (et ses tournures de phrases un peu surannées) que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer et qui m’émeut toujours quand je la vois. Je retranscris ce document tel qu’il m’est parvenu (orthographe comprise…).


Il commence par évoquer ses parents :

Page 1
 « Mes parents sont nés tous les deux, la même année en 1888. S’ils vivaient encore, cela ferait bientôt cent ans. Ils m’ont appris bien des souvenirs de leur temps que j’ai essayé de garder. »

Mon grand-père, Daniel Augustin, était fils unique. Ses parents, Augustin Daniel Astié et Louise Joséphine Lejard éteint bien nés tous les deux en 1888. Lui à Angers et elle à Andard (Maine et Loire). Ce document a donc été écrit un peu avant 1988 : mon grand-père avait alors entre 70 et 75 ans.

« Je suis un grand-père, et, avec mamie, nous avons eu des enfants, qui, à leur tour, nous ont donné bien des petits enfants. C’est cela la famille, ceux qui nous suivent et ceux qui ont été avant nous. »

En 1935 il a épousé Marcelle Philomène Assumel-Lurdin, celle qu'il appelait « mamie » à la fin de sa vie. Ensemble, ils ont eu 7 enfants. Au moment où il écrit ils ont un peu plus de 20 petits-enfants. Leurs arrière petits-enfants ne sont pas encore nés, mais ils en verront quelques uns avant leurs décès. Quand à la dernière phrase, je trouve que c’est une belle définition de la famille, voire de la généalogie.

« Je suis né en 1913, l’année avant la grande guerre mondiale de 1914-1918. Mon père ne m’a pas connu longtemps avant de partir à la guerre. Il a été comme tous les soldats français au front, dans le nord ou à l’est de la France. »

Mon grand-père naît en juin 1913. La mobilisation de la première guerre mondiale est décrétée le 1er août 1914, soit un peu plus d’un an après sa naissance. Faisant partie de la classe 1908, son père Augustin avait déjà fait son service militaire et envoyé dans la réserve en 1911. Mais en 1914, âgé de 26 ans, il est aussitôt rappelé sous les drapeaux : le 15 août 1914 il rejoint la 22ème compagnie C.O.A., c'est-à-dire une section de commis et ouvriers d’administration (unités chargées du ravitaillement des troupes)… ou d’artillerie (chargés de l'entretien dans les forts des pièces d'artillerie) ; je ne sais pas quel est la bonne section où il a été envoyé. J’ignorais aussi qu’il avait été dans le Nord de la France, sa fiche militaire ne le précisant pas.

« Puis la guerre s’est étendue dans une autre partie de l’Europe, au sud, en Serbie – qui n’est plus maintenant un état indépendant et fait partie de la Yougoslavie – L’Autriche et la Hongrie étaient alliée de l’Allemagne et se battaient contre la Grèce, alliée de la France. »

Sans doute mon grand-père partage-t-il les souvenirs de son propre père, ou bien est-ce son goût pour l’Histoire (et les histoires) qu’il aimait raconter ?

« Mon père, avec beaucoup d’autres soldats, dont son capitaine, Mr Bessonneau, le patron de l’usine d’Angers, ont été envoyés par de grands bateaux naviguant en convois sur la mer Méditerranée, à Salonique, une ville très ancienne de la Grèce. »

Nous entrons ici dans la légende familiale qui veut que le patron des usines Bessonneau d’Angers ait été envoyé sur le front d’Orient en "emportant" avec lui tous ses ouvriers. Les Angevins connaissent bien les usines Bessonnneau, un des plus gros employeurs de la ville, ancienne manufacture de chanvre, puis « filature, corderie et tissage », avant de fabriquer des tentes de grandes tailles pour protéger les aéroplanes, qui eurent beaucoup de succès pendant la guerre et son aviation naissante. Je n’ai pas trouvé la preuve qui me permettrait de confirmer que Bessonneau a bien emmené avec lui tous ses ouvriers. Quoi qu’il en soir en septembre 1915 Augustin sera affecté dans un groupe d’aviation, direction « l’Orient ». Ce que nous confirme l’extrait suivant :

Page 2
 « Il était dans le grand corps de l’aviation, dans les rampants, ceux qui s’occupaient des hangars, des moteurs, et… des avions au sol. »

D’abord basé à Salonique, il fut ensuite affecté dans les Dardanelles.

« Ma mère a besogné dur pour pouvoir vivre. Elle faisait de la couture pour les habits des soldats et travaillait aussi chez une charcutière dont le mari était au front. »

Elle était couturière à l'école Chevrollier, place de l'Académie, l'année de son mariage (1912) ; mais j’ignore quel était son employeur pendant la guerre. Mon oncle Jean a hérité de sa vieille machine à coudre à pédale (même si elle était alors  hors d’usage), en souvenir d'elle ; machine qui avait dû longtemps lui servir. Elle fut aussi servante chez le docteur Letournel. Leur précédente domestique s'appelait Joséphine : en embauchant Louise, ils ont donc décidé de la rebaptiser Joséphine, histoire de n'avoir pas à retenir un nouveau prénom ! Par hasard, il se trouve que c'était le second prénom de Louise : ça tombait bien ; mais de toute façon elle n'avait pas son mot à dire. Après-guerre elle a, elle aussi, travaillé chez Bessonneau (comme tout le monde à Angers !).

« La guerre terminée par la défaite des allemands et des autres nations qui s’étaient mises du côté des prussiens, les soldats français rentrèrent  dans leurs foyers après l’armistice du 11 novembre 1918.
Le régiment de mon père dut rapatrier tout le matériel que la France avait envoyé à l’armée qui avait défendu les petites nations loin de ses frontières pendant quatre ans. Ces soldats ne rentrèrent en France qu’au début du mois de janvier 1919. »

Nommé caporal en 1917, Augustin est finalement démobilisé en mars 1919 selon sa fiche militaire (motif : un enfant, trois frères tués au combat). Le souvenir de mon grand-père d’un retour en janvier est donc sans doute un peu prématuré. Par ailleurs, il obtient une pension d’invalidité ayant été infecté par le paludisme lors de son affectation en Orient.

« Je me rappel bien du retour de mon père, arrivé chez nous, comme ça, à l’improviste. Je revois sa vareuse militaire, son képi gris, - il n’était plus bleu horizon – et aussi ses bandes molletières aux jambes, mais surtout le bonheur de mes parents. »

Mon grand-père avait alors 6 ans. Le retour, tant attendu et pourtant inopiné, a dû être une véritable surprise et une joie pour Louise qui n’avait pas dû voir son mari pendant de longues années. Le récit de mon grand-père passe sous silence une légende familiale qui dit que lui, au contraire de sa mère, ne fut pas du tout enchanté de « l’intrusion » de cet homme inconnu (il n’avait pas de souvenir de lui avant-guerre bien sûr) dans le foyer intime qu’il partageait seul avec sa mère !

« Quelques jours après nous avons été nous faire photographier tous les trois. Ces photos et les souvenirs que j’ai de tous ces moments là sont pour moi, et pour les miens, la mémoire vivante que je veux laisser à tous mes enfants et petits enfants pour qu’à leur tour ils aiment garder les liens que nous tissons entre nous avec les bons et les durs moments de notre vie. »

La photographie dont il est question ici, la voici :

Quand à la mémoire, elle est toujours vivante grand-père, grâce à tes écrits…

Le document se poursuit sur sa vie proprement dite :

Page 3
 « Quelques réflexions sur la vie professionnelle d’un gamin du Faubourg St Michel. »

La famille Astié a habité ce faubourg Saint Michel à Angers, faubourg qui n’existe plus aujourd’hui ayant été détruit pour insalubrité dans les années 1960 ; et on peut comprendre pourquoi : le bâtiment où ils habitaient était en partie creusé dans l'ardoise. Le rez-de-chaussée était occupé par la boucherie Frète (oncle et tante d’Augustin) et l’usage du premier étage était réservé à la « grand-mère Frète ». Le deuxième étage, au sommet du rocher, donnait sur une petite cour avec le logement de la famille Astié et un cabinet d'aisance dont la fosse était creusée dans le rocher. Dans ces vieux bâtiments les logements étaient imbriqués les uns dans les autres. L'escalier était taillé dans le rocher d'ardoise. L'appartement était petit et sombre. La cuisine donnait sur la cour et la chambre donnait sur la rue. Dans cette chambre une cloison séparait le lit de Daniel du lit des parents. [1]

« A 13 ans, vers le milieu du mois de juillet, après la fermeture de l’école primaire du faubourg St Michel pour les vacances scolaires, muni de mon certificat d’étude, sans plus attendre, je commençais ma vie professionnelle.
Mon père m’avait trouvé une place d’apprenti mécanicien. « Chez Tafforeau-Taffanel » ainsi que l’on disait. Je pouvais devenir ajusteur dans la mécanique agricole. Noble ambition ! Hélas ! deux mois après, un petit accident au poignet droit dont j’eu bien garde de me plaindre, fut découvert par le contremaître. La grimace que je fis lorsqu’il me tourna les poignets pour voir su j’avais des ampoules aux mains fut le signal de la fin de ma carrière dans cette grande profession. »

C’était l’époque où on ne « perdait pas trop de temps à faire des études » : dès 13 ans, mon grand-père s’apprête donc à devenir un mécanicien (dans tous les sens du terme). D’après cet extrait, et les termes qu’il emploie au sujet de cette profession, cela semblait lui convenir. Mais son « petit accident » était assez sérieux tout de même puisqu’il fut renvoyé et immobilisé longtemps, comme il est dit ensuite :

« Pendant un an et demi mon avant bras droit resta immobilisé dans un plâtre. Dans le faubourg, on craignait plus que tout, la tuberculose. Cette période inactive fortifia ma constitution. A l’école j’aimais le « dessin géométrique ». Le docteur Jamin ami de la famille me recommandat à un architecte, Mr. Bricard. Tout le reste de ma vie professionnelle et familiale fut heureusement orientée par ce fichu accident, qui et, longtemps après, par de l’arthrose qui se rappelle encore à moi.
suite au verso »

L’accident était donc sérieux. Mais il eut d’heureuses conséquences : l’entrée en poste chez un architecte, où mon grand-père pu laisser s’exprimer son goût pour le dessin (et la belle écriture). Finalement, ce devait davantage lui convenir qu’un métier de mécanicien !

Page 4
 « C’est en 1928 que j’entrais au service de Mr Bricard Architecte rue Celestin Port à Angers pour apprendre le dessin d’architecture, faire les courses, tirer les plans en x exemplaires etc… Tant bien que mal, j’appris à comprendre et à tracer des plans. Mr Enguehard me format et je lui en suit très reconnaissant. On me fit parfois copier des plans et les mettre à une échelle supérieure. »

Il entre au cabinet d’architecture en 1928 ; il a donc 15 ans. Il a toujours été passionné par le dessin et avait chez lui une grande table d’architecte… et n’a pas aimé du tout lorsque l’un de ses fils l’a utilisée pour en faire un toit de cabane ! C’était une période heureuse pour lui je pense.

« Puis vint une période particulièrement difficile par suite de la crise qui sévissait aux Etats Unis. Mr Bricard se sépara de moi et de peut être d’autres dessinateurs qualifiés. J’avais appris bien des choses qui m’aideraient par la suite, très efficacement. Cela se passait début octobre 1933. J’étais sans travail et bien ennuyé. »

La « crise de 29 » eut donc des conséquences jusque dans ma famille. Et voilà mon grand-père, âgé de 20 ans, sans emploi et « bien ennuyé » pour reprendre ses mots ! Mais…

« J’avais connu une jeune fille au cours d’un pèlerinage à Lourdes. Elle me plaisait beaucoup. Je crois que nous nous aimions. J’en suis absolument sûr, maintenant, après plus de cinquante années d’épousailles ! »

Plusieurs photos montrent ce pèlerinage à Lourdes, dont celle-ci :
Daniel pose à côté d’une jeune fille, Marcelle… qu’il épousa en 1935. Leur mariage dura 66 ans.

« Un camarade scout, André Alliot, qui devint son beau-frère en 1937, fit part a son père, directeur du Grand Bon Marché, place du Ralliement, de ma situation de sans travail. Il avait besoin d’un apprêteur, vendeur, et autres fonctions. Il me prit à son service. C’était le 15 octobre 1933. Je n’avais pas été longtemps sans occupation. J’appris bien des choses. A connaitre les tissus, le contact avec la clientèle, les rouries de la vente, flater le client, mais pas trop, complimenter la maman de ce joli garçon auquel on essaye un costume plus grand que son âge, car il va grandir n’est ce pas, mais surtout parce qu’il n’y en a pas d’autres en rayon. J’ai aimé cette période, qui m’a fait comprendre que l’on peut convaincre, sans forcer la personne à abandonner son point de vue, mais en l’enrichissant de conseils ou d’arguments supplémentaires qui lui feront prendre une décision plus conforme ou plus réfléchie en fonction de ses besoins. Cela m’a beaucoup aidé par la suite, dans le devoir d’orienter des gens vers des solutions qui s’imposaient, avec beaucoup plus d’importance a eux. »

La période de chômage de mon grand-père ne dura donc qu’une quinzaine de jours. Il apprit un nouveau métier et ses anecdotes sur son nouvel emploi sont, je trouve, assez savoureuses. Il occupa ce poste jusqu’à la guerre. Il devint ensuite secrétaire général des Mouvements Familiaux - pendant et après la guerre - et participa à la création de l'UDAF (Union Départementale des Associations Familiales), en 1945. Il aida de nombreuses familles et je pense que c’est l’allusion qui se cache derrière sa dernière phrase. Militant populaire des familles, il prit avec son épouse, l'organisation et la gestion de la Maison Familiale de Vacances et de Repos des Travailleurs, située sur le domaine du Hutreau à Sainte-Gemmes-sur-Loire, dans la proche banlieue d’Angers (de 1945 à 1952). C’est là que mon père est né.

Mais ceci est une autre histoire car les souvenirs de mon grand-père couchés sur ces papiers s’arrêtent ici.



[1] Merci à mon oncle Jean pour ces précieux souvenirs.




dimanche 1 juillet 2018

#Genealogie30 2018

Pour ce mois de juin, le défi est nous retrouver autour du mot clé #Genealogie30.
Nous partageons sur les réseaux sociaux, sur nos blogs, notre passion pour la généalogie, nos coups de cœur.
Tous les jours un thème différent nous est proposé :


Tout comme le #ChallengeAZ, le but est de nous retrouver pour faire la fête et partager notre passion. Pas besoin de grands discours, un mot, une image suffisent parfois à communiquer et à toucher.
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Comme de nombreux généalogistes, j'ai posté un court message sur les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Instagram) au jour le jour, selon le thème imposé. Si vous avez manqué une ou plusieurs de ces publications, ou juste pour le plaisir, retrouvez-les ici réunies.

Jour 1. Votre généalogie : mes ancêtres me murmurent leurs vies, leurs histoires, leurs secrets. Tendez l'oreille, vous les entendrez aussi...


Jour 2. Signature : Les signatures les plus anciennes de mon arbre : Julien Jallot en 1617 pour les hommes et Anne Bachelier en 1673 pour les femmes.

Jour 3. Votre saison préférée : l'hiver, et plus précisément janvier et février, car c'est pendant ces deux mois-là qu'on s'est le plus marié chez mes ancêtres.


Jour 4. Votre espace de travail... c'est bien installée dans le canapé !


Jour 5. Tout petit. Tout petit est cet acte : un nom, une paroisse, une date et c'est tout ! Pas de "décédée, inhumée, cimetière, etc..." pas de témoin ni même le nom/signature du curé. Tout petit petit.


Jour 6. Une lettre (extrait) : celle de mon arrière grand père demandant un poste et expliquant qu'il "n'a jamais pu réussir en rien [...] veuf pour la 2eme fois [... et sa nouvelle] femme malade". Émouvant.



Jour 7. Cigale ou fourmi ? Mon ancêtre le plus pauvre apportait en dot une seule et unique chèvre. Le plus riche avait terres, titres et château.


Jour 8. Dessine-moi un arbre : c'est celui de mon grand père paternel, qui m'a donné le goût à la généalogie. Aujourd'hui il y a trop de monde pour représenter mes ancêtres sur un arbre...


Jour 9. La ménagerie : dans les actes notariés de mes ancêtres je trouve des "brebis garnyes, des bouefs a poil rouge, des chèvres mères poil blanc, demi douzaine tant de moutons que de brebis, des ruches à miel, des noges (torreau)", etc...


Jour 10. Vos archives préférées : les archives notariales, tellement riches en informations... pour peu que tu puisses les déchiffrer !

 
Jour 11. Arc en ciel : c'est l'image de mon arbre (enfin les 10 premières générations). Où l'on voit que les archives départementales de l'Aveyron et du Maine-et-Loire sont bien fournies, que la Révolution a laissé des traces dans les Deux-Sèvres et en Vendée et qu'un fils naturel fait un grand trou dans une roue.


Jour 12. Tic-tac : la généalogie c'est jusqu'à l'infini et au-delà... jusqu'à la mort quoi ! (Je sais, s’intéresser à la mort peut paraître bizarre pour des non-généalogistes...).


Jour 13. Au commencement : le cahier résumant les recherches de mon grand père, écrit de sa belle écriture (dont a aussi été extrait l'arbre du jour 8).
Jour 14. La paléographie : je l'ai apprise sur le tas. Je me débrouille de mieux en mieux, mais quand l'encre est délavée, le papier devenu transparent, ou que le rédacteur n'y met pas du sien avec ses pattes de mouches, on se sent un peu seule !


Jour 15. Des ruches (virtuelles) : je pense aux réseaux sociaux. Une véritable communauté où règne l'entraide, la solidarité et le partage... et où il y a même une reine, n'est ce pas ? 😉



Jour 16. Très grand. Très grand est mon arbre, à tel point que j'ai dû renoncer à l'imprimer : il ferait plusieurs fois le tour du salon avec ses... 10 648 individus (à ce jour) !


Jour 17. L'album : comme c'est la fête des pères je pense à l'album que j'ai fait pour mon père racontant l'histoire de ses ancêtres grâce à mes recherches (textes, photos, actes) - voir article du blog qui y est consacré.


Jour 18. Cousinage(s). J'ai découvert plusieurs cousin/es grâce à la "ruche" des réseaux sociaux (voir Jour 15); et de nouveaux sont apparus depuis le billet rédigé sur le blog à ce sujet. Mais bien sûr ma multiple cousine @feuilledardoise y a toujours une place de choix !

 
Jour 19. Mon outil favori : mon ordinateur. Il contient toute ma généalogie, documents et photos numérisées et me permet de consulter les archives (notamment) puisque je n'habite pas dans une région où vivaient mes ancêtres.


Jour 20. Insolite : rencontre plutôt étrange au détour d'un registre de mariages (1620/1644)...


Jour 21. Le document : la photo des Borrat-Michaud.
Pliée, déchirée : abîmée.
Au centre mon arrière grand père portant sa croix guerre : fierté.
Devant, ses parents dont je découvre le visage pour la première fois : joie.
Au milieu un enfant inconnu : question.
Encore plein de mystères...


Jour 22. Un métier : maréchal en œuvres blanches, le premier dont je ne connaissais pas la définition. Il s'agit d'un taillandier, fabricant des outils tranchants (armes blanches) : haches, scies, doloires, cognées...


Jour 23. Autoportrait : tout ce que je peux prendre, je prends !


Jour 24. Temps libre : en dehors de la généalogie je fais... de la généalogie ! Passion quand tu nous tiens...


Jour 25. Y'a d'la joie : quand on trouve un acte longtemps recherché, c'est la danse de la joie !


Jour 26. Vos gribouillis : en général je fais tout sur informatique, donc pas de gribouillis. Mais ça peut quand même être utile pour comprendre un implexe (individu qui apparaît plusieurs fois à cause d'un ancêtre commun) particulièrement complexe !


Jour 27. Un objet : un "livre de famille" où ma grand mère avait pris des notes. Elle y avait recopié par exemple son menu de fiançailles (et plus loin de mariage).


Jour 28. Une envie folle : que les archives suisses soient en accès libre - notamment pour les Français (et en ligne tant qu'à faire).


Jour 29. Vendredi lecture (à l'ère du numérique) : les blogs de généalogie bien sûr ! Nombreux, riches et variés : à lire absolument !


Jour 30. Pourquoi la généalogie ? Pour la recherche, le frisson de la découverte, la variété et la richesse de la passion. Et le partage bien sûr !