« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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samedi 29 avril 2023

L'héritage d'Antoine Astié

En 2020 sur ce blog j’avais raconté comment j’avais retrouvé les maisons de mes ancêtres Astié à Conques (12) – voir ici.

Grâce aux recherches effectuées aux archives de Rodez j’ai trouvé des informations complémentaires.

 

Rappel des protagonistes :

- Antoine Astié (1732/1809), marié en 1769 avec Marguerite Paul (1741/1816), dont :

  • Pierre Astié (1772/1836), marié en 1797 avec Marianne Frances (1772/1840), dont :

- Marianne Astié (1800/1847) mariée en 1827 avec Jean Antoine Dujou (1800/1872)

- Marie Jeanne Astié (1802/1840) mariée en 1827 avec Jean Antoine Marty (1800/1882)

- Christine (1804/1853) mariée en 1833 avec Geraud Roux (1809/1881)

  • Augustin Astié, mon sosa 64 (1774/1861), marié en 1805 avec Catherine Chivalié (1784/1866)

  • Marie Anne Astié (1776/1843), mariée en 1799 avec Jean Pierre Barbes (1772/1836)

 

Arbre Antoine Astié et ses enfants

 

Lors de la création du cadastre napoléonien dans les années 1840 Antoine Astié et son épouse sont décédés, de même que Pierre (le fils aîné) et son épouse Marianne. Comme expliqué dans l’article précédent, la fille cadette d’Antoine, Marie Anne, quitte Conques avec son mari et n’est donc plus concernée par le patrimoine conquois. Christine, la fille cadette de Pierre, fait de même dans les années 1830. Sur le cadastre apparaissent donc les deux premiers gendres de Pierre, Jean Antoine Dujou et Jean Antoine Marty, ainsi que mon ancêtre Augustin Astié.

Le premier possède les parcelles 138 et 141, le second la 135 et mon ancêtre la 96.

 

Cadastre Conques © AD12

 

J’avais émis l’hypothèse que Jean Antoine Dujou avait hérité sa maison (et des terres) de son beau-père puisqu’il était originaire d’une autre paroisse.

 

Ce patrimoine se trouvait-il déjà en possession des Astié lors de la génération d’Antoine ?

 

J’ai d’abord trouvé aux archives une donation passée le 1er fructidor an XIII (19/8/1805) devant Me Pierre Paul Flaugergues, notaire à Conques (3E31246) entre les époux Astié et leur fils aîné Pierre : les premiers "voulant donner à pierre Astié leur fils ayné des marques de leur affection" donnent "purement et simplement par donation entre vifs a jamais valable et irrevocable audit Pierre Astié ici présent et acceptant, le quart de la totalité de leurs biens meubles, immeubles présents [...] par preciput* avantage avec dispense de toute imputation sous la réserve de l'usufruit leur vie durant".

Lesdits biens sont situés en totalité dans la commune de Conques. Le document les détaille : "scavoir ceux dudit Astié en maison, jardin, vignes, prés, nogaretes**, terres, bois dans toute leur contenance, évalué le tout quatre mille francs, et revenant pour le quart à mille francs". 4 000 francs, c’est tout de même une certaine somme : les Astié étaient aisés.

La donation comprend en outre "le quart du mobilier dont le détail suit : deux tonneaux, deux cuves vinaires, deux barriques, une grande chaudiere et deux autres moyennes, une conche***, un seau, une marmite le tout cuivre, douze assiettes, trois plats, dix ecuelles, dix cuillères à bouche, deux pots le tout étain, douze serviettes, quatre nappes, quatre linceuls****, trois armoires et autres meubles ordinaires". La présence des cuves et tonneaux s’expliquent par le fait qu’Antoine et Pierre étaient vignerons. On remarque que le mobilier ordinaire (table, lit…) n’est pas détaillé précisément.

Enfin, la donation concerne aussi les biens de Marguerite Paul, qui est "expressement autorisée » par son mari à donner à son fils « le quart [de ses] biens consistant aux reprises**** qu'elle a sur les biens dudit Astié son mari à deux cents francs".

 

Pourquoi cette donation très privilégiée au fils aîné au détriment du cadet (et de la fille) ? Est-ce juste au nom du droit d’aînesse ou y avait-il un attachement particulier des parents à ce fils ? Impossible de répondre à cette question, bien sûr. Quoi qu’il en soit, cet acte donne un premier aperçu du patrimoine familial, qui est plutôt confortable.

 

La succession d’Antoine en 1809 (tables de succession du bureau de Conques 50Q252 et registres de mutation 50Q139), trouvée elle aussi aux archives, est très précise puisque ses biens sont inventoriés.

 

Pierre Astié, propriétaire, comparait tant pour lui que pour Augustin et Marie Anne Astié ses frère et sœur. Il déclare que son père est décédé dans sa maison de Conques (sans préciser le lieu de cette maison, hélas pour moi, mais son acte de décès dit qu’elle est située « Au Palais »). Une autre donation au comparant est citée dans ce document, faite à l’occasion de son contrat de mariage en date du 6 germinal an VII - 26/3/1799 (ce qui est curieux car le mariage de Pierre est daté, lui, du 28 prairial an V, soit deux ans auparavant) ; je n’ai pas encore pu vérifier s’il y a bien un document à cette date. Cette donation était composée d'un tiers des biens du défunt. Ce qui signifierait que Pierre a reçu un tiers des biens parentaux lors de son mariage puis un quart 6 ans plus tard.

 

Selon la succession il est échu aux trois enfants les terres suivantes :

"- une châtaigneraie et bois taillis dit de feifreley de 10 sétérées; revenu 10 [?] fcs, capital 400 fcs
- un pré à la Salesse, 1 sétérée 29 quarte; revenu 30 fcs, capital 600 fcs.
- un lopin de terre dite canteserp, contenance 2 premires [ ?]; revenu 50 fcs; capital 10 fcs.
- terre et vigne au terroir de las combes, 1 sétérée; revenu 10 fcs, valeur 200 fcs.
- autre vigne las combes, 15 journées; revenu 40 fcs, valeur 800 fcs.
- une nogarete* à las combes, 1 quarte; revenu 7,50 fcs, valeur 150 fcs.
- un petit jardin audit lieu, 2 premières; revenu 6 fcs, valeur 120 fcs.
- terre rocher et brassier à rocassou, 6 sétérées; revenu 15 fcs, valeur 300 fcs.
- châtaigneraie et bois à catet, 14 sétérées; revenu 40 fcs, valeur en capital 800 fcs.
- autre châtaigneraie au méja, 8 sétérées; revenu 10 fcs et valeur au capital 200 fcs"
.

Le capital c'est ce que l’on touche si on vend (ou paye si on achète), le revenu c'est ce que cela rapporte (par an le plus souvent) – merci à @cecile_kza pour cette précision.

 

J’ai pu situer la majorité de ces terres sur une carte. Et je les ai retrouvées (toutes sauf deux) dans les possessions des héritiers probables d’Antoine sur le cadastre napoléonien : son fils Augustin et ses gendres Dujou et Marty.

 

Tableau des possessions d’Antoine transmises aux héritiers

 

Reste la question de la maison. La succession mentionne "une petite maison-séchoir à Conques non affermée, d'un revenu de 25 fcs et valeur en capital de 500 fcs". Le quartier n’est pas mentionné. Parmi les maisons des héritiers, j’écarte celle d’Augustin, située dans le bas de Conques et non « Au Palais » comme le précise l'acte de décès d'Antoine.

Dans le cadastre napoléonien, Augustin possède bien une petite maison et un séchoir, mais ces bâtiments sont situés près du pont romain, sur le Dourdou (en fond de vallée) et il ne les obtient qu’en 1911 : ce ne peut absolument pas être la maison d’Antoine. 

Dans mon article précédent j’avais émis l’hypothèse que cette maison était la parcelle 138, appartenant à Jean Antoine Dujou. Mais elle fait 1,40 are et compte 4 portes et fenêtres : c’est la plus grande de toutes les maisons familiales. Dujou dispose aussi de la parcelle 141 qui mesure 27 centiares (soit 27m²) et n’a que 2 portes et fenêtres. Elle est donc beaucoup plus petite. Elle est qualifiée de maison en 1840, mais il n’y a pas de séchoir. Le seul séchoir du quartier est situé en bas de la rue du Palais, parcelle 143. Il appartient à Jean Pierre Servieres (folio 501).

Le qualificatif de "petite" maison dans la succession me ferait pencher vers la 141 plutôt que la 138 comme maison d’Antoine. Mais après tout cet adjectif n’est-il pas subjectif ? Ou était-elle réellement petite ? Comment savoir ? Antoine habitait-il une maison de 27m² ? Ou est-ce en fait le séchoir, plus tard qualifié de maison ?

 

"Les meubles existants dans sa maison, effets et cabaux*****" sont évalués à 300 francs.

Le document précise : "le tout étant détaillé article par article dans un état estimatif certifié par le comparant joint à ladite présente déclaration". Hélas cet état ne nous est pas parvenu.

 

Le total de la succession s’élève à 4 080 francs (soit un montant équivalent à celui évalué lors du partage en 1805). Lors du décès de Marguerite Paul, l’épouse d’Antoine, en 1816 il est échu aux trois enfants 750 francs, montant des reprises que la défunte avait sur les biens de feu Antoine Astié son mari, plus son linge et habits déclaré d'une valeur de 30 francs.

Je n’ai pas trouvé la succession d’Augustin (la page du registre étant déchirée), mais celle de son épouse Catherine Chivalié a été déclarée en 1866 par leur fils Louis Etienne. Celui est le troisième fils dans l’ordre de la fratrie, mais le premier survivant (ses deux frères aînés étant décédés en 1850 et 1864). Il a bénéficié lui aussi d’une donation d’un quart des biens parentaux, en 1859.

On notera que l’un des fils d’Augustin, qui se fit ouvrier d’usine a Cransac (à 22 km de Conques), n’avait pas d’actif lors de sa succession : trois générations après Antoine, le patrimoine familial a nettement fondu !

 

Bon, je n’ai pas résolu de façon absolue la question de la maison d’Antoine, mais grâce à mes recherches aux archives j’en sais un peu plus sur son patrimoine et la façon dont il a été distribué.

 

 

 

 

* Preciput = Désigne une disposition successorale avantageant l'un des héritiers en excluant sa part de la succession du défunt.
** Nogarette = Noyeraie.
*** Conche = Sans doute une bassine.
**** Linceul = Drap de lit, généralement en lin.
***** Reprise = Opération par laquelle, à la dissolution de la communauté, chaque époux reprend ses biens propres en nature ou en argent.
****** Cabau = Avoir, ce que l'on possède, bien, fortune, cheptel.
Un mot de vocabulaire vous manque ? N’hésitez pas à consulter la page lexique de ce blog !


 

samedi 25 mars 2023

La grange de Conques

Au début de ce mois j’ai été porter mes pas dans les pas de mes ancêtres : sur leurs traces, j’ai arpenté le village de Conques en Rouergue (suivi de trois jours au archives départementales), ce village aveyronnais que mes ancêtres ont habité pendant un peu plus de deux cents ans. Préparant ma visite, j’ai repéré les propriétés de mes ancêtres sur le cadastre napoléonien. Une fois sur place, j’ai vu la chapellerie de pépé Augustin, la maison du Palais (voir ici comment j’ai reconstitué l’emplacement de ces maisons) et les maisons de Jean Pierre Rols situées non loin de l’abbatiale.

 

Celui-ci, né en 1784, cultivateur propriétaire, apparaît sur les états des sections du cadastre napoléonien de Conques : il possède une vingtaine de parcelles dans la commune (1 bois, 3 châtaigneraies, 2 jardins, 2 sols et cours, 5 pâtures, 1 pré, 1 séchoir, 1 terre, 3 vignes, 3 bâtiments; pour un total imposable de 42,01 francs). Trois bâtiments sont construits :

- une grange et écurie, sur la parcelle 239 ;

- sa maison, parcelle 251, qui a 4 portes et fenêtres, classée dans la 8ème catégorie, elle vaut 4 francs.

- celle de la parcelle 252 en a 2 (10ème catégorie) et vaut 1 franc. 

 

Propriétés bâties de JP Rols sur le cadastre napoléonien de Conques, 1840 © AD12

 

Une fois dans l’ancienne rue Droite, j’ai facilement reconnu les maisons 251/252 et, de l’autre côté de la rue, la parcelle 239 qualifiée de grange en 1840.

 

Maison de la parcelle 251 ; sur la gauche on aperçoit la 252.

 

En face, la parcelle 239

 

Le village de Conques est installé sur un site très accidenté. De nombreuses maisons appartiennent ainsi à deux propriétaires : l’un possède le premier étage ouvrant sur une rue haute, l’autre possède le rez-de-chaussée donnant sur une rue basse. C’est le cas de parcelle 252 : Jean Pierre Rols ne possède que le rez-de-chaussée ; l’étage, que l’on devine à gauche sur la photo, appartient à un autre propriétaire, François Bousquet.

Les rues étant étroites, il y a peu de recul pour prendre des photos ! De solides murs étayent parfois les constructions, comme on le voit côté 239. Cette grange a manifestement été transformée en habitation.

 

Déjà heureuse de cette visite, je ne me doutais pas de ce que j’allais trouver le lendemain aux archives…

 

Mon temps était compté, j’avais donc fait plusieurs listes de recherches à faire en priorité sur les cotes qui ne sont pas sur le site internet des archives départementales : listes de tirage au sort militaire, successions et quelques contrats de mariage dont j’avais mention par exemple… Le nombre de cotes est limité à 10 par demi-journée. Afin, de rentabiliser au maximum cette précieuse visite, je ne me suis pas contentée de récupérer les contrats de mariage visés mais j’ai consulté les liasses notariales en entier à chaque fois que j’en demandais une. J’ai ainsi fait des découvertes au hasard dans ces liasses.

 

C’est le cas pour l’acte concernant François Rols. Celui-ci est le père de Jean Pierre. Il est tantôt qualifié de marchand, vigneron ou propriétaire.



Accord de François Rols © AD12

Le 9 messidor an XIII (28 juin 1805) il se présente devant Me Pierre Paul Flaugergues, notaire à Conques, avec Pierre Dalmon (est-ce le cultivateur né vers 1752, marié en 1800 avec Marie Servie ? Je pers sa trace après ce mariage – je n’ai pas trouvé d’autre Pierre Dalmon). Celui-ci possède la parcelle 237, qualifiée de "patus". Le patus désigne un terrain dépendant d'un bâtiment, destiné à ses commodités (cour intérieure, basse-cour, fumier, place) ; il peut être divis (appartenant à un seul propriétaire) ou indivis (plusieurs propriétaires en indivision, parfois la communauté des habitants). La parcelle 237 est donc une petite cour.

Souhaitant construire une bâtisse ou une grange sur une parcelle contigüe à celle dudit Dalmon, François Rols s'accorde avec son voisin pour avoir l’autorisation de "bâtir une muraille avec mortier, d'aplomb au roc, [au] nord, sur lequel ledit Rols élèvera la muraille à la hauteur qu'il jugera à propos, qui demeure et sera pour toujours à sa charge".

La question de l’eau étant de tout lieu et de tout temps une question cruciale, les deux parties s’accordent sur ce point :

Ledit Rols aura "toute faculté même de faire tomber les eaux du couvert du côté du patus dudit Dalmon qu'il recevra au moyen d'un canal pour les conduire dans la ruelle [...] qui sépare le patus sur lequel est bâti ladite grange d'avec d'autre patus restant audit rols. […] Ledit rols [pourra] recevoir [...] dudit dalmon les eaux qui découleront d'icelui sans aucune indemnité quelconque."

 

L’accord est très précis quant aux différentes possibilités des deux parties concernant cette muraille : ledit Rols "pourra faire placer des pierres saillantes dans le mur à construire du côté du patus de dalmon pour le soutien [dudit] canal ; et rols consent de son côté que dalmon ait la liberté de batir et faire construire un pilié sur la muraille du côté du patus de dalmon sur l'angle oriental de la grange dudit rols sur lequel il pourra placer des poutres et autres matériaux au cas il voulut augmenter sa maison sur ledit patus . Ledit dalmon sera tenu de laisser un jour pour l'emplacement [du] canal".

 

Or, cet accord entre voisins a lieu parce que François Rols fait bâtir une grange. Cette grange que l’on retrouve dans l’état des sections napoléonien au nom de son fils. Et que j’ai photographiée au début de ce mois (du moins son emplacement).

 

Et voici comment l’émotion ressentie sur place, dans le village, s’est trouvée doublée d’une autre devant un papier vieux d’un peu plus de 200 ans qu’a tenu et signé mon aïeul.

 

 

 

 

 

samedi 14 janvier 2023

Le cadastre de l'homme mort

Ce premier article de l’année sur le blog ne sera pas consacré (pour une fois) à ma généalogie, mais à celle du village de mes parents. Et, grâce à vous, j’espère résoudre un mystère : un propriétaire au cadastre mort depuis plusieurs années… (sic).

 

En effet, mon père s’est intéressé à l’histoire de sa maison, et par extension à celle du village. Pour vous situer, nous sommes en Limousin. Le village s’appelle Mercier Ferrier, dans la commune de Faux la Montagne (département de la Creuse). Entendons-nous bien, en Limousin un village désigne ce que l’administration appelle un hameau. Le chef lieu de la commune, où se situent notamment église et mairie (ici Faux la Montagne, donc), est désigné sous le terme vernaculaire de « bourg ». Le village de Mercier ne compte qu’une poignée de maisons.

Extrait du plan du cadastre "napoléonien", section C dite de Mercier Ferier 3ème feuille © AD23
 

Mon père s’est intéressé au cadastre. Ou plutôt « aux cadastres » :

  • Le premier, dit « napoléonien », érigé en 1834, contenant plan et états des sections. Il est consultable en ligne sur le site des archives départementales de la Creuse ;
  • Le deuxième date de 1882. Il n’y a pas de (nouveau) plan pour cette période. Les états des sections se divisent en un registre des propriétés bâties et un autre des propriétés non bâties. Le premier a été consulté en mairie, leur exemplaire du second a disparu.
  • Le troisième est de 1911. Toujours pas de plan (on continue d'utiliser ceux de 1834), mais la mairie a conservé les deux registres, bâti et non bâti.

 

Sur la totalité de la période (1834/1911), le village compte 23 bâtiments : maisons, masures, granges, moulins, écuries.

 

La maison de mes parents est issue de trois propriétés, chacune dites « maison écurie à cour ».

  • La parcelle C467 a appartenu en premier à « Brugère Pierre à Mercier ». Le bâtiment qui est construit dessus ne contient qu’une seule fenêtre (les portes ne semblent pas être comptabilisées). Il est classé dans la septième catégorie (la dernière), entraînant un revenu de 1,07 franc. La parcelle totale mesurait 84 m² ; si l’on se base sur la construction actuelle, on estime la maison à environ 42 m². Elle correspond au salon actuel de mes parents.
  • La parcelle C468 appartenait à « Nauche Antoine à Mercier ». Elle est similaire à la première : légèrement plus grande (91 m²), le bâtiment dispose de deux fenêtres, il est classée dans la même catégorie et dégage le même revenu. Il est estimé à 44 m². Elle correspond à la chambre actuelle et la cuisine de mes parents.
La salle de bain correspond à un ancien appentis (agrandi) appartenant à la C469. En face d’une petite cour se trouve le (futur) atelier de mon père : il déblaie actuellement une ruine qui correspond au grand bâtiment de la parcelle C469.
  • Cette parcelle C469 appartenait à « Chapelle Jean à Mercier ». C’est la plus vaste : 1,67 are. Classée elle aussi dans la septième catégorie, elle valait 1,14 franc et avait deux fenêtres. Sa petite bosse caractéristique sur le plan indique la présence d’un four à pain (ce qu’a confirmé l’exploration des ruines par mon père).

 

Extrait du plan du cadastre "napoléonien", section C dite de Mercier Ferier 3ème feuille © AM Faux


Afin de savoir qui étaient ces gens, je me suis intéressée aux familles : en croisant état civil, recensements, et éventuellement tables de successions ou registres matricules, j’ai établi leurs généalogies. C’est là que j’ai soulevé un loup. En effet, si Jean Chapelle est clairement identifié comme propriétaire de la C469 en 1834, il le reste jusqu’en 1928. Première bizarrerie : propriétaire en 1834, il serait né vers 1815 au minimum (je ne pense pas qu’il puisse être propriétaire avant ses 20 ans). Désigné ainsi jusqu’en 1928, cela le ferait âgé de plus d’une centaine d’années. Des recherches complémentaires étaient nécessaires pour éclaircir cela.

 

Pour ceux qui ne sont pas familiers des généalogies limousines, il faut savoir quelques éléments : d'abord tous les enfants se prénomment Léonard. S’ils ne s’appellent pas Léonard, ils s’appellent Léonarde, parce que c’est une fille. Bon, j’exagère, mais à peine.
Les homonymes sont très nombreux. Ainsi l’épouse de Jean Chapelle se nomme Marie Chapelle (les deux familles ne semblent pas avoir de liens, bien qu’elles portent le même patronyme). Ils ont nommé leurs trois filles Marie. L’une d’elle a épousé un Antoine Laluque et a nommé ses six filles Marie ! A la génération suivante je compte encore trois Marie supplémentaires.

Autre éléments récurrent de la généalogie limousine : le prénom de naissance on s’en fiche ! Ainsi dans les recensements j’ai trouvé un Antoine qui devient au fil des comptages Jean, ou bien un Léonard > Eugène et même une « Eugénie, fille » mutée en « Eugène, fils » au dénombrement suivant ! L’état civil est tout aussi fantaisiste : née Léonie en 1884, elle meurt Élise en 1888 ; née Jeanne en 1863, elle meurt Marguerite en 1864 ; né François en 1833, il meurt Léonard en 1835, etc…

Ah ! et, régulièrement les parents « oublient » de déclarer la naissance de leurs enfants : il faut alors passer par le tribunal pour établir un acte de notoriété. C’est le cas par exemple du second fils de Jean et Marie Chapelle né en 1823 mais jamais déclaré officiellement.

Bref, de jolis sacs de nœud et beaucoup de patience pour démêler tout ça.

 

Mais revenons à notre Jean Chapelle. J’ai retrouvé sa naissance, en 1767. Et son décès en 1840 ! Ce décès est confirmé par les tables de successions : ses héritiers sont ses enfants.

 

Donc comment Jean peut-il être déclaré propriétaire au cadastre jusqu’en 1928 alors qu’il est décédé dès 1840 ?

Avez-vous déjà rencontré ce cas ?

Je veux bien croire qu’un agent recenseur ne soit pas tout à fait rigoureux dans ses enregistrements, mais l’administration fiscale ?

Alors comment est-ce possible ?

 

Il va de soit qu’il n’y a pas d’autre Jean Chapelle (du moins officiellement), ni dans l’état civil, ni dans les recensements.

 

Pourtant le numéro de case est relativement petit (61), ce qui confirme son ancienneté. En effet, à partir du cadastre de 1882, chaque propriétaire dispose d'une fiche portant un numéro où sont regroupées toutes leurs possessions, appelée la « case » pour les propriétés bâties et le « folio » pour les non bâties. Les propriétaires déjà présents au cadastre précédent ont les premiers numéros de ces cases, tandis que les nouveaux propriétaires de cette fin du XIXème ont les numéros suivants, donc plus élevés (par exemple les derniers propriétaires dont le nom commence par un C indexés en 1882 ont des numéros autour de 350). D'après son numéro de case, ce propriétaire ne peut pas être un homonyme plus récent (il aurait alors un numéro dépassant la centaine).

 

Par ailleurs, le nouveau propriétaire de la parcelle C469 en 1928 est Léonard Fleitout (ou Eugène, ça dépend des jours)… qui se trouve être l’arrière petit fils de Jean Chapelle.
Filiation : Jean Chapelle > Marie Chapelle épouse Laluque > Marie Laluque épouse Fleitout > Léonard Fleitout fils.

 

Sur le cadastre de 1911, la case 125 a d’abord été attribuée à « Fleitout Léonard veuve à Mercier Ferrier » (c'est-à-dire Marie Laluque) avant d’échouer en 1921 à « Fleitout Léonard fils à Mercier Ferrier ». La C469 sort de la case appartenant à « Chapelle Jean à Mercier Ferrier » en 1928 pour entrer dans celle de Léonard Fleitout. Celui-ci l’a donc probablement hérité de son arrière grand père.

 

Sur les répertoires des formalités hypothécaires, Léonard Fleitout a bien une transaction en 1928, pour 23 315 francs, désignée sous le terme de « donation » (?). Je n’ai malheureusement pas plus d’information sur cette transaction, et notamment le propriétaire d’origine du bien.

 

J’ai pensé un temps qu’il y avait eu un changement de prénom d’usage, bien que je n’étais pas sûre que les prénoms d’usage puissent être employés dans le cadastre (mais bon, ils le sont bien dans l’état civil, alors…). Mais la transmission se fait par les filles : pas moyen de changer Marie en Jean (du moins j’espère).

 

Et vous savez quoi ? Le propriétaire de la C468 est, à partir de 1882, Antoine Ruby, petit fils par alliance du précédent propriétaire, Antoine Nauche. Il l’est toujours dans le cadastre de 1911… mais il est décédé en 1901 !

 

Bref, je cale. Si vous avez une explication pour ces mystérieux propriétaires fantômes, je suis preneuse.

 

 

mardi 7 juillet 2020

La maison du Palais

Ma famille paternelle a habité à Conques (12) pendant plus de deux cents ans. Pour deux de ces générations, Pierre Astié, marié en 1726, et son fils Antoine, marié en 1769, nous avons même l’adresse : rue du Palais (1775, 1776) ou « au Palais » (1809). Sur les hauts de Conques existe toujours aujourd’hui une place, dite place du Palais. Une petite rue (une ruelle !) en descend vers l’abbaye : elle s’appelle la rue du Palais.

 

Sur les traces de mes ancêtres à Conques, j’avais adopté cette rue sans barguigner. Mais restait à savoir quelle maison, dans cette rue ! Longtemps j’en suis restée à cette question, n’étant  pas sur place et ne pouvant pas percer ce mystère à distance.

 

Et puis cette année les archives départementales d’Aveyron ont mis en ligne le cadastre ; plans et matrices comprises. Pour Conques, le cadastre a été établi dans les années 1840. Ce sont donc les fils d’Antoine - Augustin, marié en 1805, et sa génération - qui ont été concerné. Il était temps : c’est son fils Pierre Jean qui va être le premier Astié à quitter Conques en 1850.

 

J’espérais donc trouver Augustin rue du Palais. Que nenni ! S’il apparaît bien dans les matrices, Augustin ne demeure néanmoins plus à cette adresse. Possédant la parcelle 96, je l’ai retrouvé dans les bas de Conques. En superposant le plan cadastral de la ville et celui de Google Maps, j’ai en effet localisé une maison qui pourrait être la sienne. (*)

 

Chapellerie d’Augustin (parcelle 96) ?

 

Située dans la rue montant à l’abbaye, la maison d’Augustin, nous dit le cadastre, a trois « portes et fenêtres ». Pour l’identifier je pars des parcelles à partir du haut de la rue, un vaste ensemble qui fait l’angle, et je compte en descendant la rue.

En 1840 l’ensemble se partage en plusieurs propriétaires :

- parcelle 88 près de l’abbaye, François Nolorgues ;

- sur l’arrière au 89 le rez-de-chaussée appartient à Germain Jeuliens, le premier étage à Jean Louis Avalon, géomètre, et le « dessus » à Joseph Combes et ses héritiers ;

- sur le devant le 90 à Laurens Chivalier, tailleur d’habits ;

- le rez-de-chaussée du 91 à André Besses tandis que les étages appartiennent au Jean Louis Avalon cité plus haut.

Puis en descendant la rue la parcelle 92, un espace non bâti (passage pour aller vers la rue voisine sans doute), la 95 et ma fameuse parcelle paternelle, la 96. Suivent la 97, un autre passage et, tout à fait en aval, la 98 qui fait l’angle avec une rue montant sur les hauts de Conques.

 

En rédigeant cet article, cet intitulé de découpage en étages m’interpelle. En examinant mieux le parcellaire, je m’aperçois que j’ai fait une erreur : la disposition des rues a changé et ce que je prenais pour la grande rue montant à l’abbaye est aujourd’hui une rue secondaire. Du coup je tournai le dos à la maison d’Augustin au lieu de lui faire face.

 

 

(nouvelle) Chapellerie d’Augustin, vue d'en haut ?

 

Et là, le découpage en étage s’explique aisément : ce sont des maisons en rez-de-jardin car la pente, ici, est très prononcée. Les parties à l’étage (appartenant à Jean Louis Avalon) correspondent aux entrées dans la rue actuelle, et les rez-de-chaussée donnent sur la rue située en contrebas.

La maison elle-même ne devait pas être un palais (sans mauvais jeu de mot) car elle est classée en catégorie 9 (la plus basse). Ses voisines oscillent entre 8 et 9, mais on voit tout de même au bout de la rue une maison classée en 4. (**)

 

La maison de la parcelle 96 vue du bas © JP Barthe

Bref, Augustin a déménagé ! Mais qu’est devenue la maison rue du palais ?

 

L’enquête continue. Je ne trouve pas d’autre Astié dans les états des sections dressés en 1840. Augustin est le deuxième enfant (sur trois) d’Antoine.

- Pierre est l’aîné. Il est décédé en 1836, son épouse Marianne Frances en 1840 : c’est pourquoi ils n’apparaissent pas dans les états des sections.

- Marie Anne est la sœur cadette. Elle est mariée à Jean Pierre Barbes. Mais ils disparaissent des radars après leur mariage : je ne les retrouve pas non plus dans le cadastre de Conques.

 

Il me faut explorer la génération suivante.

- je sais déjà que les 8 enfants d’Augustin ne sont pas héritiers de la maison du Palais : ils appartiennent à ma branche directe, je les ai donc bien étudiés et aucun acte ne les concernant ne mentionne la maison du Palais.

- je débusque Marie Anne et son époux à Sénergues, une commune voisine : ils ont déménagés et ne sont donc plus concernés.

- reste l’aîné Pierre. C’est ma meilleure piste. Rapidement mon intuition se confirme : Pierre est décédé en 1836 "à la survivance de son épouse en sa maison, en son quartier du palais à Conques." Et sa veuve après lui (en 1840) "est décédée en sa maison située au palais de cette ville". C’était logique : il est l’aîné il a donc hérité de la maison paternelle.

 

Mais il y a un point que j’ignore encore : où était située cette fameuse maison au Palais ?

 

Dans la rue du Palais, les maisons occupent les parcelles 183, 182, 181, 180, 179. Elles appartiennent à Jean Dalmon (183), Antoine Lacombe (181  et 182), Georges Jordy (180), Jean Baptiste Ladrech (179). Je ne trouve aucun lien entre ces personnes et ma famille.

 

Je poursuis donc mes recherches en repartant de Pierre. En épluchant les registres d’état civil, je découvre que Pierre a eu trois filles, toutes mariées à Conques :

- la cadette Christine déménage à Decazeville après son mariage : elle sort du jeu.

- les deux aînées Marianne et Marie Jeanne se marient à Conques en 1827. Les gendres, Jean Antoine Dujou et Jean Antoine Marty, apparaissent dans les folios du cadastre : le premier est propriétaire des parcelles 138 et 141 et le second de la 135.

 

 

Plan cadastral de Conques © AD12

 

Si ces parcelles viennent bien de l’héritage des épouses et non de leurs lignées paternelles j’aurais localisé la maison du Palais. Les parents Dujou ont vécu est sont décédé à Grand-Vabre (paroisse voisine) : les parcelles 138 et 141 ne proviennent donc pas d’un héritage paternel. Est-ce donc la maison transmise par le beau-père Astié ? La 141 est une toute petite bâtisse : un grenier ou un appentis peut-être ? La 138 serait donc la maison Astié au Palais.

Conques © GoogleMaps

Ces maisons sont bien dans le quartier du Palais, mais pas dans la rue du même nom. Un mythe s’effondre. Un peu.

 

Hypothèse subsidiaire : mes ancêtres ont habité cette rue dans les années 1775 et ont déménagé plus loin dans le quartier avant 1809. Ce qui ne change pas grand-chose à la situation :

1) Je ne peux pas identifier une éventuelle maison rue du Palais avant le cadastre (en l’état actuel de mes connaissances)

2) La 138 reste en lice pour une maison Astié « au Palais »

 


La maison de la parcelle 138 © JP Barthe

La 138 est une bâtisse tout en longueur, à 4 portes et fenêtres selon le cadastre. La 141 en compte seulement 2. Les deux sont transmises en 1874 à son fils Pierre Dujou.

La maison 135 (appartenant à Jean Antoine Marty) ne connaîtra pas une grande destinée : en 1855 elle subit un incendie. Elle est transmise 10 ans plus tard en état de ruine à Henri Boudes et sort ainsi de la famille. Aujourd’hui cette parcelle est non bâtie : c'est un jardin.


Le jardin de la parcelle 135 © JP Barthe


Et que devient la parcelle 96, la maison d'Augustin, me direz-vous ? C'est l'histoire de Louis et Julie Astié, les petits-enfants d'Augustin : une histoire que je vous raconterai peut-être une autre fois...

Pour clore cette enquête il faudrait consulter l'enregistrement et voir si les maisons transmises sont minutieusement décrites. Mais en attendant j’ai la satisfaction d’avoir résolu une énigme en identifiant (probablement) la parcelle où vécut une partie de mes ancêtres.

 

 

* Cet épisode a été conté dans le récent #RDVAncestral : Le déménagement

** Pour mémoire les parcelles de meilleure qualité sont classées 1 (et paient l’impôt le plus élevé) ; plus on s’éloigne de ce score, moins bonne est la parcelle.

 

 

lundi 9 mars 2020

Cadastre napoléonien en généalogie

Bonne nouvelle : les archives départementales commencent à mettre en ligne le cadastre napoléonien. Et quand je dis cadastre, je parle de l’ensemble des documents du cadastre, pas seulement des plans. En effet, si les plans sont mis en ligne depuis assez longtemps déjà, ils ne sont néanmoins quasi inutilisables en généalogie : ils peuvent vous donner une idée de l’environnement de vos ancêtres, mais sans la "documentation cadastrale" on ne peut pas situer leurs possessions dans cet environnement. Et ce sont justement ces documents qui arrivent en ligne.

Le cadastre est composé de plusieurs types de documents :
- les plans eux-mêmes (tableau d’assemblage représentant l’ensemble de la commune et planches détaillant les parcelles)
- une documentation "littérale" ou "cadastrale" composée des état des sections (registres qui répertorient pour chaque section les différentes propriétés qui la composent) et des matrices des propriétés foncières - devenues ensuite matrices des propriétés bâties et non bâties - (qui recensent l’ensemble des propriétés d’une personne sur un territoire donné.)

Rappelons que le service fiscal a été mis en place à partir de 1807 par Napoléon Ier. Il a pour but de prélever la taxe foncière sur les biens bâtis et non bâtis en respectant la nature et la qualité du sol (pré, jardin, vigne, étang, maison...).

Ainsi grâce aux matrices vous pouvez avoir une vision globale des possessions de votre ancêtre.
Grâce aux états des sections, vous pouvez analyser plus finement ces possessions.
Grâce aux plans vous pouvez les situer dans l’espace.

Prenons l’exemple de l’Ain : le cadastre concernant mes aïeux y a été réalisé entre 1810 et 1840. En entrant par les états des sections, j’y ai retrouvé 8 de mes ancêtres, répartis sur 6 communes (et davantage encore en entrant par les matrices puisque celles-ci sont évolutives dans le temps).

Examinons quelques cas :

Jean Claude Assumel-Lurdin possède 28 parcelles dans la commune du Poizat : 2 jardins, 1 maison et cour, 1 pâture, 7 prés, 16 terres et 1 [terrain] vague en copropriété avec la veuve Beroud Maure Pierre; pour un total de 33,60 francs. Sa maison n'a qu'une porte et une fenêtre, elle est classée dans la 5ème catégorie (la dernière), 3ème du revenu non imposable (elle vaut 88 centimes).


Extrait du cadastre d'Assumel Lurdin JClaude © AD01


Bien sûr, comme toutes autres sources, il faut croiser les éléments. Ainsi la matrices des propriétés bâties et non bâties indique qu'il possède d'autres parcelles en section C, mais il ne faut pas perdre de vue que ce document date de 1842 (or lors de la création du cadastre en 1827 elles appartenaient à un autre propriétaire) et en section G, mais celle-ci est manquante dans les états des sections (ce que l'on ne peut donc pas vérifier).

Blaise Jeanvion, lui, ne possède que 12 parcelles dans sa commune de Lalleyriat, et toutes en copropriété (ou indivision) avec son frère Joseph. Leur maison ne vaut que 82 centimes (l’impôt le plus bas parmi cet échantillon d'ancêtres).

Si Jean Antoine Gros ne possède que 27 parcelles dans la commune proche de Groissiat, elles valent en revanche 128, 76 francs – presque quatre fois plus que celles de Jean Claude Assumel-Lurdin.

Quand à Claude Cochet, outre les terres cultivables il possède une masure, une maison et trois "bâtiments et cours". La masure mesure 4 perches*, ce qui en fait l’une des parcelles les plus vastes, classée en première catégorie (la meilleure). De ce fait on pourrait déduire que cette "masure" n’a rien d’une ruine, comme son nom le fait penser. Mais si on regarde les plans : surprise ! La propriété est non bâtie. D'où l'importance d'avoir accès à tous les documents du cadastre. Et voici une nouvelle énigme à résoudre : pourquoi la "masure" n'est pas bâtie...

A lire les états des sections concernant Benoît Mollie, on voit tout de suite qu’il est vigneron (il possède 24 vignes sur les 57 parcelles possédées dans la commune de Cerdon). Et sans doute un vigneron assez aisé : de nombreuses parcelles, plusieurs maisons à 2 ou 3 portes/fenêtres valant 24 francs. Le total de son imposition vaut 204,09 francs. C’est lui qui paye le plus d’impôts.

Joseph Marie Prost n’a que 12 parcelles ; mais il n’en n’a pas vraiment besoin : il tire l’essentiel de ses revenus de la parcelle n°210 située à Martignat. C’est une maison d’habitation, réunie à la patente d’aubergiste. En effet, contrairement aux précédents il n’est pas cultivateur, mais aubergiste. De ce fait sa « maison » comporte 12 ouvertures (portes et fenêtres) et deux portes cochères. Elle vaut donc logiquement beaucoup plus cher que les petites fermes vues précédemment : 30 francs pour le bâtiment à lui seul.
Si l’ont rapproche le cadastre napoléonien de l’habitat d’aujourd’hui, on retrouve nettement la parcelle de l’auberge. Autrefois elle était située au milieu d’un verger ; aujourd’hui près d’un rond-point. 


Martignat hier / aujourd’hui © Cadastre napoléonien AD01 / GoogleMaps

Et si l’on examine le bâtiment on s’aperçoit que sa partie gauche peut tout à fait correspondre à l’ancienne auberge, avec portes cochères et multiples fenêtres.

Emplacement de l’ancienne auberge de Martignat © GoogleStreetview

Si les états des sections donne un aperçu des possessions à un instant T, on peut suivre les propriétés sur le long terme grâce aux matrices des propriétés bâties et non bâties. Ainsi on retrouve le nom de Jean Marie Prost dans ce registre : sur un folio récapitulatif, indiquant l'entrée et la sortie de chaque parcelle, ou bien au fur et à mesure des agrandissements de l'auberge (en 1855 et 1867) puis une diminution (en 1868) et jusqu'au moment où l'auberge passe à l'un de ses fils (en 1878). 
On peut ainsi suivre l'auberge de main en main, de travaux en travaux.

Bref, ce cadastre « global » permet d’en savoir plus sur vos ancêtres : une nouvelle source qui permet de donner corps à votre généalogie... Et qui ouvre parfois de nouvelles perspectives de recherches.


* Pour en savoir plus sur le vocabulaire spécifique, voir la page Lexique de ce blog.