« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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jeudi 21 novembre 2024

R comme relevé

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Joseph BIORD notaire collégié de Samoëns, suite à la demande de Monsieur PRESSET substitut de l’avocat fiscal de le commettre pour procéder à l’annotation des meubles, immeubles, effets et bestiaux de François JAY et de la Françoise GUILLOT mariés, s’attela à la tache. Il devait en outre procéder à la vente de leurs meubles et bestiaux. L’avant-veille, les biens lui avaient été officiellement remis par Me Jean François GUILLOT frère et beau frère des mariés JAY. 

 

Relevé, création personnelle inspirée de Van Ostade
Relevé, création personnelle inspirée de Van Ostade

Il se transporta donc avec Me Pierre GERDIL, représentant le fisc, et accompagné de Jean Pierre SIMOND et de Jean François RUIN, pris pour témoins, depuis le bourg de Samoëns où il demeurait jusqu’au lieu de Levy où étaient situées les maisons et biens des JAY. Là, il procéda à l’annotation des biens, qui consistaient ainsi :

  • Premièrement une maison, composée de deux chambres, une grange, une écurie, le tout situé à Levy, avec un jardin au dessous un grenier et un verger contigu, contenant un demi journal [surface labourable par un homme en un jour] ;
  • Cinq pièces de terre situées à Lachat, aux Esserts, aux Fates, etc…
  • Plus une grange et une écurie au lieu de Lachat et un pré verger contenant un journal et demi.
  • S’ensuivirent les biens qui étaient situés rière les territoires des Rosses et de Lattey [le Latay] qui étaient dans des endroits très éloignés et dans des lieux de montagne et presque inaccessibles à cause de la grande quantité de neige « ce qui nous ayant empeché de nous y transporter, je me les suis fait indicquer par des voisins desdits biens ». Il vérifia ensuite sur la mappe [cadastre] de la paroisse comment ils étaient situés. Il s’agissait de prés et pacquages ou de bois et broussailles. Soit 7 parcelles.
  • Plus encore audit lieu de Lattey une grange, une écurie et une chambre faisant feu [pièce avec une cheminée].

Carte de Samoëns et ses environs

« Ce sont tous les biens appartenant audit François JAY ». Il ne fit pas l’annotation des bestiaux, meubles et effets des mariés JAY et GUILLOT parce qu’une requête avait été présentée à Monsieur le juge mage par Nicolas GUILLOT père et beau père des mariés JAY.

 

En effet Nicolas GUILLOT avait rédigé une requête pour que les biens de sa fille et de son beau-fils ne soient pas vendus aux enchères au profit du fisc « pour sureté des frais de justice auxquels les susnommés pourraient être condamnés ». Il fit valoir que leur fuite n’avait eu lieu qu’à cause de la crainte de tomber entre les mains de la troupe qui avait formé le soupçon contre eux.

Et qu’en général, suite à une telle annotation, la vente des meubles bestiaux et autres effets s’expédiaient ordinairement à vil prix. C’est pourquoi le suppliant, autant animé par des sentiments de charité que par le lien du sang, s’était déterminé à se rendre caution du prix que pourraient se monter les susdits meubles et effets suivant l’estimation qu’en serait faite par l’expert juré de la paroisse de Samoëns.

 

Vu qu’il était notoire dans Samoëns et alentours que le suppliant était solvable au-delà du prix auquel pourraient revenir les meubles bestiaux et effets appartenant aux mariés JAY, le substitut avocat fiscal émit un avis favorable pour qu’il se porte caution. Néanmoins à cause des charges qui incombaient au notaire commis pour l’annotation il accorda la somme de cent livres pour être employée à donner un cours aisé à la procédure. La somme devant ensuite être déposée par ledit Sieur commissaire entre les mains du greffier de la judicature mage, moyennant reçu de la part de ce dernier.

« Bonneville ce second mars mil sept cent quarante huit
Signé par Monsieur PRESSET substitut avocat fiscal
 »

 

Le même jour le juge mage, vu les conclusions du substitut avocat fiscal, accepta que le suppliant soit regardé comme caution. Me BIORD fut autorisé à poursuivre l’estimation des meubles, effets, bestiaux.

 

« État des meubles, bestiaux et effets portés par l’inventaire pris par Me DESSAUGEY avec l’estime de chaque espèce faitte par Honorable Guillaume SIMOND expert juré de la paroisse de Samoëns. »

Le bétail (des vaches, dont « une vache d’environ sept veaux », une génisse de deux ans, un veau, un cochon et trois brebis) fut estimés à 153 livres. Le linge (drap, couverte, tours de lits…) et vêtements (chemise, veste, bas, jupe…) souvent usés et de peu de valeur, furent évalués à 13,8 livres. La vaisselle, ustensiles et ornements (chaudron, pot, tour à filer, « tableau à cadre de noyer représentant la figure du St Esprit »…) valaient 8,9 livres. Les outils (haches, pioche, cardes à carder la laine…) 3,2 livres. Le mobilier (coffres de sapin ou de bois dur) 5,1 livres*. Les récoltes (chanvre, avoine, pois, « prune et cerises séchées ») 21,4 livres.

Soit un total de deux cents huit livres deux sols, « sauf erreur de calcul »**.

 

 

 

 

* Ni table ou chaises ne sont mentionnées, de même qu'aucun lit (alors que draps et couvertures sont décrits). Il devait pourtant bien y en avoir...

** Bon, l’addition que j’en fais donne un résultat de 205,40 livres. Il doit donc bien y avoir une erreur de calcul !

 

 __________________________________________

 

Pour en savoir plus
Les confiscations

Elles sont codifiées dans les Royales Constitutions de la façon suivante :


« La confiscation des biens aura non seulement lieu dans les cas où elle est imposée par nos Constitutions ou par le Droit commun ; mais encore pour raison de la contumace dans tous les délits pour lesquels on prononcera une Sentence de mort ou des galères perpétuelles.

Lorsqu'il y aura lieu à la confiscation pour raison de la contumace, Nous voulons que si les accusés sont arrêtés dans le terme de six mois après la publication & intimation des Arrêts, ou s'ils comparaissent volontairement dans celui de deux ans, ils puissent recouvrer la propriété de leurs biens avec les fruits ; mais s'ils font arrêtés après les six mois, ils recouvreront seulement la propriété, & si on les arrête, on qu'ils comparaissent après les deux ans, ils ne pourront recouvrer ni la propriété ni les fruits.

Dès qu'on aura fait la réduction des biens confisqués, on le notifiera par cri public à son de trompe, ou de tambour, ou d'autre instrument équivalent, devant la porte du Tribunal où la Sentence a été rendue. »

 

 

mercredi 20 novembre 2024

Q comme querelle

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Les deux juges successifs continuaient d’auditionner les témoins. Mais comme dans toutes les procédures, parfois, ils n’avaient pas grand-chose à dire.

Ainsi Jean François AMOUDRUZ, laboureur de la paroisse, déclara ne rien savoir sur l’affaire, si ce n’est qu’il a ouï dire publiquement, sans savoir de qui, que c’était le Révérend chanoine CHOMETTY et François JAY qui avaient tués le soldat. « Cela est si publique que je n’ay pas daigné faire attention à ceux qui me l’on dit. » De la même manière, il savait que le soldat était venu de Scionzier pour tuer ledit chanoine mais qu’il avait subit le sort qu’il lui préparait. « Comme je suis d’un village assez éloigné de celuy qu’habitait ledit François JAY au village de Levy, je n’ay pas appris et ne sais pas autre que ce que je vous dit. »

 

L’Honorable Perrine VIOLLAT avait elle aussi entendu la rumeur de querelle. Elle relata le bruit selon lequel François JAY était alité dans sa maison pour diverses blessures qu’il avait reçu fin janvier, sans savoir qui lui avait fait ses blessures. C’est quelque temps après, le dix du mois de février, que le bruit se répandit que l’on avait trouvé un cavalier du régiment de Séville mort plié dans son manteau dans les bois de Bérouze. Et comme sur ce bruit, le même jour, François JAY, ainsi que Françoise GUILLOT sa femme, et quelque temps après eux, Claudine VUAGNAT leur servante, et encore le Révérend Sieur CHOMETTY chanoine de la collégiale de Samoëns, prirent la fuite et se retirent du côté du pays de Valais.

« L’on a dit publiquement dans le bourg de Samoëns que ces plaies avaient été faites par le cavalier dans le débat qu’il eut lorsqu’il fut tué ». Et depuis l’on n’a pas hésité de dire que tel homicide avait été commis dans la maison de François JAY, et par celui-ci, sa femme, sa servante, et d’accuser le Révérend CHOMETTY de complicité. « Parce que celuy cy, suivant la voye publique, fréquentait lesdits mariés JAY. »

 

Querelle, création personnelle inspirée de Van Ostade
Querelle, création personnelle inspirée de Van Ostade 


Elle confirma qu’elle avait bien vu le cavalier aller plusieurs fois du côté de la maison de François JAY, mais elle ne l’avait pas vu ni entendu y entrer. Comme elle n’était pas entrée dans la maison dudit JAY depuis les fêtes de Noël dernières, elle n’avait pas eu l’occasion de lui parler, ni à sa femme. De cette manière, elle n’avait pas vu les plaies qu’il avait pu recevoir dans le débat qu’il avait eu avec ce cavalier.

 

L’Honorable François Joseph DUNOYER DUPRAZ, le meunier de Madame de St Christophle, était chez lui, au moulin situé auprès de Vallon distant d’environ un quart de lieue du village de Levy : il ne s’était donc aperçu de rien la nuit du vingt cinq au vingt six janvier proche passé. Mais quelques temps après le meurtre du soldat, soit dans le commencement du mois de février dernier, il avait eu l’occasion de voir François JAY dans le bourg de Samoëns. Il l’entrevit marcher tout autrement qu’il faisait auparavant et d’une « fisionomie toute melancolique », comme une personne qui est malade. Il lui demanda ce qu’il avait. Il lui répondit que ses affaires n’allaient « rien qui vaille », qu’il était bien malade, sans savoir l’issue de sa maladie. Il dit qu’il avait entre autres reçu un coup de pied du cheval de Monsieur le chanoine CHOMETTY au côté qui lui faisait bien mal. Le meunier se contenta de lui dire qu’il fallait se conserver.

Et quelques temps après, soit le dix dudit mois de février, le bruit s’étant répandu que l’on avait trouvé ce cavalier mort et plié dans son manteau dans le bois de Bérouze. La fuite des accusés les fit envisager publiquement dans la paroisse qu’ils étaient responsables du meurtre de ce cavalier. Et c’est alors que le meunier se rappela de ce que lui avait dit François JAY au sujet de sa blessure : il pensa que n’était point l’effet du coup de pied du cheval du Révérend CHOMETTY mais plutôt de la querelle ou les débats qu’il avait pu avoir avec le cavalier.

Il se representa [rappela] alors que l’automne précédent, sans qu’il ne se rappela de quel jour ou nuit, ce cavalier était venu à la maison dudit JAY, sur les onze heures de la nuit. Et y ayant trouvé les portes et fenêtres fermées, il brisa les fenêtres, enfonça les volets ou ventaux et entra par une des fenêtres dans la maison. N’ayant trouvé que la servante, il lui lâcha un coup de sabre sur une des mains, qui lui fit une grande plaie qui l’avait laissée très longtemps indisposée. Et la Françoise GUILLOT s’étant allée cacher dans un cavot qui est au dessous du poile [chambre, salle commune], le cavalier, piqué de ne pas la trouver dans la maison, s’en fut chez Nicolas GUILLOT son père où ladite servante lui avait dit qu’elle était allée. A nouveau ne la trouvant pas, il se mit à faire grand carillon [crierie, grand bruit]. Le meunier l’avait entendu depuis sa maison d’habitation éloignée de celle de GUILLOT d’environ une vingtaine de pas. Il voulu même donner des coups de sabre audit GUILLOT, qui fut obligé de se réduire [cacher] sous un lit pour échapper à sa fureur. Et comme il ne pu pas excéder [frapper] ledit GUILLOT, il se mit à battre le briquet en menaçant de vouloir mettre le feu à la maison. Comme personne ne lui forma aucun obstacle ni réponse, il sortit ensuite de la maison, menaçant d’aller mettre le feu dans la maison de François JAY au village de Levy. Jeanne Antoine VUAGNAT femme dudit GUILLOT, avec Françoise GUILLOT sa fille, fut obligée d’aller garder la maison dudit JAY jusqu’au jour. Le meunier pensa que si ce cavalier avait voulu rentrer de la même façon chez François JAY et l’excéder, il aurait pu être, dans une légitime défense, commis et homicidé lui-même.

 

 

mardi 19 novembre 2024

P comme procédure

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Au cours des investigations, il apparu que le Révérend CHOMETTY avait joué un rôle dans cette affaire. Or, en tant qu’ecclésiastique, il ne pouvait être jugé par le tribunal laïc. L’avocat fiscal général prit donc sa plume :

« A nos seigneurs,
Il résulte, suite à la procédure faite par le Sieur juge de Samoëns à sujet d’un meurtre commis à la fin du mois de janvier, sur la personne du nommé Vincent REY soldat dans le régiment de Séville, que le Révérend Nicolas CHOMETTY chanoine de la collégiale dudit Samoëns se trouve impliqué dans ce délit avec François JAY et la Françoise GUILLOT sa femme. Et comme ledit juge de Samoëns ne peut pas être compétant à l’égard dudit ecclésiastique, et qu’il ne convient pas de faire différentes procédures sur le même fait, le vice fiscal requiert, à ce qu’il plaise au Sénat, de commettre le Sieur juge mage, et en cas d’absence ou d’empêchement le Sieur son lieutenant, qui sont les juges naturels des délits communs contre les ecclésiastiques.

Lettre signée par Monsieur DUFRESNEY 

 

Procédure, création personnelle inspirée de Griffo
Procédure, création personnelle inspirée de Griffo

 

Par cette demande, le juge mage* fut donc requis de poursuivre la procédure.


Horace-Victor SCLANDI SPADA, le Président du Sénat de Savoie, émit un décret énonçant que, suivant la demande de l’avocat fiscal général, le juge mage de Faucigny soit commis dans cette affaire - et en cas d’absence ou d’empêchement son lieutenant à sa place - pour procéder, en l’assistance de l’avocat fiscal provincial.
« Fait à Chambéry au bureau du Sénat le vingt quatre février mil sept cent quarante huit. »


Ce fut donc Me RAMBERT qui reprit le dossier après le juge DELAGRANGE, à partir du 24 février, suivant le décret du Président du Sénat de Savoie.


Deux jours plus tard, le juge mage fut encouragé à poursuivre la procédure. Si toutefois l’official [prêtre délégué par un évêque pour exercer en son nom des fonctions de juge] souhaitait reprendre l’affaire, ce serait au juge mage d’aller chez lui avec l’avocat fiscal, et son greffier, et il reviendrait audit official à interroger les témoins et dicter leurs dépositions à son greffier et à celui du juge mage. Néanmoins l’avocat fiscal général pensa que cette instruction resterait inutile parce que le tribunal de l’officialité de Genève n’avait fait aucune démarche dans ce sens.

« Au reste vous verrez ce qui a déjà été fait qu’il y aura encore d’autres choses à faire, c’est à dire de suivre un peu les accusés après leur fuite pour savoir ce qu’ils disent. »

L’histoire de la soutane d’été du Révérend CHOMETTY (voir la lettre H de ce ChallengeAZ) revint dans la procédure puisqu’il paraissait qu’il la portait immédiatement après la découverte du cadavre, sans doute pour qu’on ne vit pas le sang qui était sur celle d’hiver. « C’est un fait à éclaircir. »

« Chambéry le 26 février 1748,
Votre très humble très obéissant serviteur DUFRESNEY
 »

 

L’avocat fiscal de la province de Faucigny s’adressa à son tour à son juge mage, puisqu’à l’occasion du meurtre commis, plusieurs particuliers de Samoëns (notamment les nommés François JAY et la Françoise GUILLOT, mariés, et le Révérend Nicolas CHOMETTY, chanoine de la collégiale) étaient soupçonnés et qu’ils se trouvaient évadés ante inquisitionem [avant l’enquête]. Or la peine qu’ils pouvaient encourir était non seulement corporelle mais aussi ensuivie de la confiscation de leurs biens.

Il proposa donc de commettre Me BIORD notaire collégié, ou tel autre notaire résident rière Samoëns, pour procéder à l’annotation [état et inventaire des biens saisis et marqués par l’autorité de justice sur un criminel ou sur un accusé] des biens meubles et immeubles, effets et bestiaux desdits mariés JAY. Et comme les effets et biens dudit Révérend CHOMETTY se trouvaient sur le territoire de la Taninges, il demanda de commettre Me MONTANT, notaire collegié résident en ce lieu-là, pour procéder de même à l’annotation, en l’assistance du syndic ou de Me JACQUIER.
« Signé par Monsieur PRESSET substitut avocat fiscal provincial »

 

 

 

* Pour se remettre en mémoire les rôles attribués aux différents juges de Savoie, voir la rubrique « Pour en savoir plus » de l’intro de ce ChallengeAZ.

 

 

lundi 18 novembre 2024

O comme observations

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT


Après les déclarations de différents témoins et la visite faite au domicile des JAY, le juge avait cherché à en savoir plus sur les trous des vêtements, le couteau et les blessures du soldat. 

 

Observations, création personnelle inspirée d’A. Juillard
Observations, création personnelle inspirée d’A. Juillard


Il  présenta donc à Me Noël DELACOSTE le chirurgien la chemise d’homme qui avait sept coups de couteau : trois à la manche gauche (un sur le devant et deux sur le derrière du bras), deux au rein, un sur l’épaule, et l’autre un peu plus bas. Elle avait aussi deux boutonnières au bord du col et deux à chaque manche, dont l’une était rompue. Ladite chemise de toile mêlée était mouillée et ensanglantée en plusieurs endroits. Il présenta aussi des culottes de drap de pays de couleur minimes, qui avaient un coup de couteau sur la fesse gauche, avec un bouton jaune à la ceinture de la culotte. La ceinture était doublée d’une toile neuve ensanglantée du côté gauche, quatre boutons de la même étoffe, et des jarretières au bas des culottes.

 

Et après avoir fait enlever les cachets de l’étui à couteau de cuir, tendant sur le rouge au dessus, et au dessous couvert d’un cuir noir, de la longueur d’un pouce [2,5 cm], le juge somma ledit chirurgien de lui déclarer si le trou qui était plus près du bas de la chemise et celui qui était sur la culotte pouvaient avoir été faits du même coup. Et si tous les coups qui étaient dans la chemise et celui qui était dans la culotte avait été faits avec le même couteau. Et si ceux qu’il a observés dans la cuisse du cadavre de Vincent REY lors qu’il procéda à la visite le dimanche précédent avaient été faits avec la même arme. Comme encore si tous les coups pouvaient avoir été faits avec le couteau, auquel l’étui qu’il lui exhibait servait de gaine.

 

Le chirurgien confirma que le trou de la culotte et celui de la chemise avaient bien été faits du même coup, parce qu’ils étaient tous les deux à travers et qu’ils donnaient tous les deux sur le même endroit. « Et quoy que le troup quil y a dans la cullotte soit un peu plus large que celuy de la chemise, cela nempeche pas quil n’ayent été fait de la même arme ». En effet, la culotte étant plus près que la chemise du large de la lame, son trou devait aussi être plus large que celui de la chemise. De toute évidence, les trous étaient presque aussi larges que la gaine à couteau, ainsi que ceux observés dans la cuisse du cadavre de Vincent. En conséquence, le chirurgien conclut que tous les trous et les blessures devaient avoir été faits avec le couteau qui était dans l’étui.

 

Le juge prit l’avis d’un second chirurgien, Me Jean François DUSAUGEY. Il lui présenta à son tour les vêtements et le somma de déclarer s’il croyait que les coups avaient été fait avec la même arme et si celle-ci pouvait être le couteau qui devait entrer dans la gaine de cuir rouge qu’il lui montra. Le chirurgien pensa lui aussi que les trous avaient été faits avec une arme identique, bien qu’ils soient de largeurs différentes. « Cela n’oppere pas une difference d’arme, mais fait seulement qu’il y a des coups qui ont plus penetré les uns que les autres. »

 

 

 

samedi 16 novembre 2024

N comme nocif

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Avait-on tenté d’empoisonner le cavalier de Séville ?

C’est ce qu’ont semblé insinuer plusieurs témoins, comme le Sieur Jean François FERRIER, qui, le 11 février, discutait avec les nommés DELECHAUX et REVEL, de Cluses, au sujet de la mort du soldat. Le premier lui avait dit qu’il s’était trouvé à Scionzier avec Vincent REY le jour où celui-ci devait être parti sans autorisation. Il était en sa compagnie, dans la soirée, lorsque le soldat avait sorti de sa poche un morceau d’andouille et déclaré : « Voila une landouille que l’on m’a envoyé de Samoëns. Je voulais la mettre cuire mais mes camarades n’ont pas voulu. J’ai bien fait de suivre leur conseil car j’en a donné un morceau à un chat qui est crevé sur le champ. Mais il faut que ceux qui me l’ont envoyé me la payent avant que ce soit demain matin. »

 

Nocif, création personnelle inspirée d’A. Juillard et A.Quin
Nocif, création personnelle inspirée d’A. Juillard et A.Quin

 

L’Honorable Jean François MERMIN, de Scionzier, avait lui aussi confirmé l’histoire de l’andouille empoisonnée. C’était quelques jours après les fêtes de Noël : on avait envoyé au soldat une andouille de Samoëns, qu’il n’avait pas voulu manger parce qu’il avait craint qu’il y eut quelques choses de mauvais dedans. « Mais il ne m’a pas dit qu’il en avait donné à un chat et qu’il en fut crevé et qu’il l’avait enterré ». 

 

Par ailleurs, Jean François MERMIN avait bien connu le soldat Vincent REY du régiment de Séville, parce qu’il logeait chez lui lorsque la compagnie était de quartier à Scionzier. Un soir, sans se ressouvenir duquel, sur environ les sept à huit heures, il lui dit qu’il ne venait pas coucher à la maison, parce qu’il allait être de garde à l’écurie. Il sortit effectivement enveloppé dans son manteau. Il vit alors un petit couteau qui se mettait dans une gaine dont la lame pouvait avoir quatre à cinq pouces de long [10 à 12,5 cm], ne coupait que d’un côté, était pointu et dont la lame pouvait être large d’un pouce auprès du manche, qui était de corne de cerf. Il a assuré pouvoir reconnaître le couteau s’il le voyait mais, hélas, non pas la gaine que le soldat avait refaite entre temps, car celle qu’il avait auparavant étant entièrement gâtée.

 

L’enquête n’a pas pu en savoir d’avantage sur cet épisode. Mais peut-être avait-il augmenté le ressentiment du soldat Vincent REY et nourri sa colère contre les JAY ?

 

 

 

vendredi 15 novembre 2024

M comme meurtrissures

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Les rumeurs vont bon train à Samoëns. Non seulement Vincent REY fréquentait la maison de Levy, comme c’était de notoriété publique, mais de nombreux témoins ont aussi vu François JAY assez gravement blessé.

 

Meurtrissures, création personnelle inspirée d’A. Juillard
Meurtrissures, création personnelle inspirée d’A. Juillard

 

Le Sieur Jean François FERRIER, avait vu à plusieurs reprises Vincent REY fréquenter la maison de François JAY, puisqu’elle n’était guère éloignée de chez lui. Il le voyait depuis son jardin. Il y allait lors de l’après dîner, indifféremment que François JAY fut absent ou qu’il fut dans la paroisse, de nuit comme de jour. L’amitié que portait Vincent REY à ladite Françoise GUILLOT femme dudit JAY était bien connue.

En outre, il avait entendu dire, une quinzaine de jours auparavant, que François JAY se plaignait d’avoir des plaies, qu’il disait avoir été faites par des coups de pied du cheval du Révérend chanoine CHOMETY. Il paraissait même qu’il avait gardé le lit à cause de ces plaies pendant trois à quatre jours. Cependant il ne l’avait pas vu lui même et ne se rappelait pas ceux qui le lui avait dit.

 

Le Sieur Michel ANDRIER se rappelait fort bien que le jour de St François de Sales [24 janvier*] dernier, il vit sortir François JAY de l’église, entre environ midi ou une heure, et que l’ayant salué il vit au front qu’il avait une petite plaie ou une contusion. Mais il ne put pas bien l’observer parce qu’il était éloigné de lui d’environ neuf à dix pas et qu’il s’occupait d’autres affaires.

 

Nicolas BIORD, était un voisin des JAY mais ne les fréquentait pas beaucoup parce que leur maison était un peu éloignée de la sienne. Il lui avait cependant bien dit qu’il avait été malade parce qu’il avait gardé un cheval qui l’avait renversé et maltraité et cela aux environs de la St François de Sales passée. Mais il ne lui avait vu aucune plaie. Françoise GUILLOT sa femme aurait été malade pendant ce temps là aussi, mais il ne l’avait pas vue : c’était seulement un bruit publique. Lui-même n’avait rien su au sujet de sa maladie.

 

Il fallut attendre le témoignage de François SIMOND pour avoir un peu plus qu’une rumeur.

Un jour de la semaine passée, sans se ressouvenir positivement duquel, François JAY vint le trouver chez lui. Ayant su qu’il avait de la fièvre, il venait s’informer de l’état de sa santé et segayir [s’égayer, de divertir] un peu avec lui. « Je le remerciay de sa politesse et luy dit que je ne pouvait point sortir que la fievre m’avais trop fatigué. Il passa une partie de l’après midy avec moy. »

Vers les trois à quatre heures après midi, voyant que la Claudaz Michelle BURNIER sa femme allait goûter, il l’invita à manger un morceau avec eux. Il vit alors François JAY s’assoir avec beaucoup de peine sur un banc, qui était cependant fort haut, et prendre le pain avec la main droite et le mettre entre les genoux pour en couper. Il lui demanda pourquoi il ne se servait pas de la main gauche et pourquoi il s’asseyait avec tant de peine. Il lui répondit qu’il avait mal au bras gauche, de même qu’à la hanche gauche, qu’un cheval qu’il avait emprunté au chanoine CHOMETTY l’avait extrêmement maltraité à coup de pied. Il ne le questionna pas davantage sur ces coups mais il observa bien qu’il avait encore une plaie ou une contusion au milieu du front, large comme une belle faine.

 

Jean François VIOLLAT autre voisin de Levy avait aussi rencontré François JAY blessé. Il lui avait expliqué qu’une dizaine de jour auparavant il avait reçu un coup de pied du cheval de Monsieur CHOMETTY, qui l’embarrassait bien. Sa femme lui avait aussi dit quelques jours avant, vers la St François de Sales, que son mari était malade et qu’il gardait le lit. Il avait été le voir sur les six heures du soir et l’avait trouvé effectivement couché. Lui demandant ce qu’il avait François JAY lui avait répondu qu’il était un peu malade, et que cela n’était rien. Il observait bien qu’il avait une contusion au milieu du front de la grosseur d’une noisette et lui demanda ce qui l’avait fait mal-là. Il répondit que c’était lui-même qui se l’était fait, par le moyen d’une chute. Sur cette réponse, il se retira. Par contre, il ne vit pas si Françoise GUILLOT sa femme avait une plaie au bras ou ailleurs.

 

Claudaz DUNOYER avait souvent travaillé comme journalière chez François JAY pendant le courant de l’été et du printemps passé. Elle avait souvent vu Vincent REY dans cette maison.

Quelques jours avant la St André [30 novembre] elle était à Cluses et elle y avait rencontré le soldat Vincent REY. Il lui avait chargé de dire à la Françoise GUILLOT de venir le trouver à Cluses. Si elle ne venait pas, il viendrait mettre le feu à la maison, et la tuerait. Il lui fit voit un mouchoir d’indienne bleu qu’il lui avait pris quelques temps auparavant et il voulait le lui rendre. Et aux environs de la St André passée, la Claudine VUAGNAT servante dudit JAY lui avait dit que le soldat était venu de Cluses, où il était de quartier, chez ledit JAY. Sur quelques difficultés qu’ils avaient eues, ils avaient fait fermer la porte mais le soldat était entré par la fenêtre de la cuisine. Il avait alors dégainé son sabre et blessé la servante à une main lorsqu’elle avait fermé la porte du poile où elle avait voulu se retirer. Il avait d’abord menacé de tous les tuer, et de tout saccager, et mais à la fin il s’était adouci et était redevenu tranquille. Il était resté jusqu’à deux heures après minuit, puis s’en était retourné à Cluses.

Quelques jours avant sa déposition, peut-être le vendredi passé, Françoise GUILLOT lui fit voir une plaie qu’elle avait à la main gauche, large d’un pouce et demi, près du petit doigt. Elle lui dit que cette plaie l’empêchait de laver la lessive et lui demanda qu’elle lui fasse le plaisir d’y aller, mais la journalière ne le pouvait pas. 

 

Devant ces témoignages, le juge demanda à Me Noël DELACOSTE le chirurgien s’il n’avait pas pansé et médicamenté ledit François JAY et Françoise GUILLOT sa femme. « Il y a plus de deux ans que je n’ay pas mis les pieds chez François JAY du village de Levy, si ce n’est que pour médicamenter un cavalier du régiment de Séville qui y était logé et qui y était malade. Je n’ay donné aucun remedes aux mariés JAY ny pansé aucune playes. Et il y a comme je vous dit plus de deux ans que je n’ay pas été appelé de leur part et ne leur ay donné aucun souin. »

 

Me Jean François DUSAUGEY, aussi chirurgien de la paroisse, n’a pas été appelé dans cette maison-là depuis plus de six mois, ne leur a fourni aucun remède et ne les a pas pansé. « Et, Seigneur, je n’y ay pas été depuis environ le mois de juin ou juillet dernier pour y soigner sa femme dudit François JAY. Et il y a plus dune année et demy que je n’ay pas vendu arssenis [arsenic] qui est la seule drogue que jaye là en fait de poison, n’en ayant plus tenu depuis lors. Et je ne sache pas que les mariés JAY aye été malade. »

 

Me Jean Baptiste BOEGEAT, maître chirurgien du bourg de Taninges, avait vu le Révérend CHOMETTY aux environs du vingt cinq ou vingt six janvier dernier, un des deux jours qui était un jeudi [jeudi 25 janvier**] et qui était jour de marché à Taninges, vers les dix à onze heures du matin. Le Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY chanoine de la collégiale de Samoëns, qu’il connaissait parfaitement pour être natif de sa paroisse, vint le trouver un peu enfarouché dans sa boutique située au bourg de Taninges. Il lui demanda s’il n’avait point d’onguent. « Quel ongan et pour le mettre sur quoi ? » répondit le chirurgien. Le Révérend lui répliqua que c’était un ami qu’il lui avait écrit et qu’il ne lui avait pas demandé quel onguent précisément il voulait. « Il sortit une lettre de sa poche sans me la montrer ny m’en faire la lecture. Et je luy dit ensuite que je ne pourrais point donner d’ongan sans que je ne vis les playes. Et il me dit que vous ne voulez pas m’en donner, je m’en vay ailleurs. » Un petit moment après le chirurgien le vit passer à cheval.

Depuis, au vu des bruits publics, il pensait que le Révérend était venu chercher chez lui cet onguent pour guérir les plaies qu’avait faites le cavalier de Séville, tant à François JAY qu’à Françoise GUILLOT sa femme dans le débat qu’ils devaient avoir eu lorsque celui-ci a été tué. D’autant que ce François JAY avait été obligé de tenir le lit à l’occasion de ces plaies, ainsi qu’il avait été rapporté au chirurgien, sans qu’il puisse dire précisément qui le lui avait rapporté. Il parait d’autant plus probable que ce Révérend Sieur CHOMETTY, suivant le même bruit public, était très bien avec ledit JAY et même accusé de complicité de cet homicide. Mais le témoin reconnu cependant que ce même bruit public n’avait pour fondement précisément que la fuite des mariés JAY et du Révérend Sieur CHOMETTY, aussitôt qu’ils s’étaient aperçu que l’on avait découvert le cadavre dans les bois de Bérouze.

 

 

 

* Ce n’est pas logique : François JAY ne peut être blessé qu’après le 26 janvier (pas le 24). De même les soldats espagnols à la recherche de leur déserteur sont venus à Samoëns le 26 et non pas quelques jours avant la St François.

** Ce devait plutôt être le vendredi car le jeudi personne n’était encore blessé.

 

 

jeudi 14 novembre 2024

L comme linges

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT


Lorsque le juge fit la visite dans la maison de François JAY le 12 février, il demanda à Me Antoine Joseph DUSAUGEY, notaire collégié et châtelain, de faire procéder à une description des effets qui était dans la maison de Levy, et d’en charger un gardiateur pour que rien n’en soit soustrait. François JAY, sa femme et leur servante avaient alors abandonné la maison depuis deux jours et l’avaient laissé ouverte. Le lendemain, alors qu’il procédait à la description demandée qu’il n’avait pas terminé la veille, « et ne l’étant pas même encore asteure » [à cette heure], il trouva dans le poile [pièce de vie de la demeure savoyarde] les linges ensanglantés en présence des gardiateurs Pierre SIMOND et Claude DEFFAUG, pris pour témoins pour l’assister dans ladite description. 

 

Linges, création personnelle inspirée de Van Ostade
Linges, création personnelle inspirée de Van Ostade

 

Sur le lit qui est le plus près de la fenêtre, parmi un tas de linge qui paraissait nouvellement lessivé, se trouvaient deux chemises, l’une d’homme et l’autre de femme, toutes tachées de sang. Il y avait aussi une paire de culotte de toile de couleur minime [qui est d’une couleur tannée, fort obscure, comme celle de l’habit des religieux minimes] faite à la Française, qui étaient aussi tachée de sang. « J’y bien cru devoir les faire mettre au coing pour vous les exhiber ». Il y avait également une petite veste couverte de toile de rite sans manche qui n’avait des boutonnières que d’un côté et des gros boutons rouges de fillet [fil ?] de l’autre côté, sur laquelle on voyait de même des taches de sang, notamment à la troisième boutonnière.

La chemise d’homme était déchirée sur environ quatorze pouces [35,56 cm] au milieu des deux épaules et depuis un pouce [2,54 cm] du bord du cou. Il y avait une tache sur le côté gauche de la fente, qui paraissait être un reste de sang qui ne s’en est pas allé à la lessive. Et cette tache tendait même jusque dans la manche gauche. Il y avait d’autres taches et déchirures encore à différents endroits de la chemise. Il n’y avait pas de boutonnière autour du col mais apparemment on l’attachait avec du fil, comme on en voyait encore des petits bouts.

La chemise de femme était beaucoup plus tachée de sang que celle d’homme. Il y avait une tache au bras gauche qui était presque tout à fait noire. Il y en avait d’autres sur les deux côtés du sein qui étaient plus grande que la première mais pas si noire, s’étant mieux en allée dans la lessive. Il y avait de plus différentes autres taches de sang dans différents endroits de la chemise, sur les manches. Elle avait été ouverte [déchirée] au devant jusqu’aux creux de l’estomac.

De même que dans la veste, il y avait dans les culottes un trou de la largeur d’un petit doigt qui paraissait avoir été fait avec un couteau. Et quoique ces culottes aient été lavées, on observait qu’il avait coulé du sang du trou jusqu’au bas de la culotte, grâce aux vestiges et les traces qui en restaient. D’autres taches étaient situées sur le devant du gousset [petite poche]. Les culottes ne paraissaient pas avoir été doublées et elles avaient quatre boutons de chaque côté ainsi qu’une jarretière de même étoffe et une boutonnière à chaque jarretière. Elles étaient ouvertes en devant et avaient un gros bouton jaune à la ceinture.

 

Le juge ordonna à Me VUARCHEX de garder les chemises, veste et culottes et d’en saisir le greffe pour en conserver toute identité de corps de délit. C’est après y avoir apposé sur cire rouge son cachet ordinaire, représentant un chevron traversant où sont trois liquernes et deux poules dessus et une dessous. En foi de quoi il dressa son rapport et le signa.

 

 

 

mercredi 13 novembre 2024

K comme Klak

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Le juge apprit par ailleurs que le Révérend CHOMETTY possédait une arme. Son voisin, le Discret Claude François DUNOYER qui habitait une maison éloignée de trente à trente cinq pas de la sienne, et dont les fenêtres donnaient sur celles du Révérend, l’affirma en témoignant à son tour : Un soir il l’entendit depuis son lit. Se levant et se rendant à sa fenêtre, il le vit entrer chez lui et plus précisément dans sa cuisine, parce que la porte faisait du bruit et qu’on distinguait parfaitement ce bruit-là parmi plusieurs. 

 

Klak, création personnelle inspirée de M. Manara
Klak, création personnelle inspirée de M. Manara

Et avant d’entrer dans sa cuisine le Révérend lâcha un coup de pistolet. Deux heures sonnèrent immédiatement après. « Je ne sais point d’où le Révérend CHOMETY venait mais il ne pouvait venir que du côté de la place du présent bourg, suivant le bruit qu’il avait fait en venant qui provenait de ce côté. » Si le témoin ne se souvenait pas exactement de quelle nuit il s’agissait, il pensait que c’était trois ou quatre nuit avant la St François de Sales [24 janvier] précédente. En effet, c’était le lendemain, qu’étant allé à Taninges, on lui avait dit qu’ils avaient bonne compagnie à Samoëns, qu’il y était venu un maréchal des logis et deux soldats du régiment de Séville qui venaient chercher un autre soldat auprès de sa maîtresse, mais qu’il n’y était pas. Il devait avoir déserté.

Il entendait très souvent le Révérend CHOMETTY rentrer fort tard et même après minuit. Il savait bien qu’il portait des pistolets de poches et même qu’il en avait acheté un du brigadier nommé LA RAISSE pour le prix de huit livres.


Le Sieur Joseph GUILLOT natif de Charraz [Charrat, Suisse] et habitant de la paroisse de Samoëns, corrobora ce fait :

« J’habite et couche dans une chambre d’une des maisons du Sieur procureur RIONDEL d’Annecy qui m’a été louée par le Révérend chanoine CHOMETTY, que je say s’appeler Nicolas, lequel occupait cy devant l’appartement dessous de ladite maison. » Lui aussi avait remarqué le bruit particulier que faisait la porte de la cuisine du Révérend CHOMETTY et l’entendait souvent jusqu’à deux ou trois heures après minuit. Par contre, il ne savait pas qui ouvrait et fermait cette porte parce qu’il n’avait pas cherché à le savoir.

Contrairement à son voisin, il n’avait pas entendu tirer des coups de pistolet avant la St François de Sales précédente au devant de la maison. « Et quant même je l’aurais ouï, je ny aurait pas non plus fait attention parce que il y a des Valaisans qui en tirent beaucoup en venant se promener dans la paroisse. »

A l’heure où il déposait, cela faisait plusieurs jours qu’il n’avait pas vu le Révérend CHOMETTY. Le dimanche après midi, alors que des personnes le cherchait, il observa qu’il n’y avait plus personne dans la maison, que les volets des fenêtres en étaient fermés et qu’il n’y avait plus aucun meuble dans la cuisine, dont le plancher était tout sale et remplis de paille. La porte de la cuisine n’était pas fermée à clef. C’était peut-être pendant la nuit que tout avait été debagagé.

Le témoin précisa que le Révérend CHOMETTY ne confessait plus et qu’il y avait plus d’une année qu’on lui avait enlevé son admission.

Il confirma qu’un nommé LA RAISSE, brigadier des employés, lui avait vendu un pistolet de poche pour le prix de huit livres.

 

Me Noël DELACOSTE, le chirurgien avait lui aussi appris par le bruit commun qui se répandait depuis longtemps que le Révérend chanoine CHOMETTY fréquentait presque tous les jours la maison de François JAY située au village de Levy. Il l’avait vu aller très souvent pendant le jour mais jamais pendant la nuit. Il savait aussi qu’on lui avait enlevé la confession il y a plus d’une année.

Le jour de Notre Dame [Nativité de Notre-Dame, le 8 septembre] de septembre dernier, revenant de la foire de Megève il s’était arrêté à Magland [à 26 km de Samoëns] pour y entendre la messe. Il y rencontra Claude Joseph JACQUARD qui l’invita à aller boire un coup avec lui. En y allant ils croisèrent le Révérend chanoine CHOMETTY avec François BURNIER tous deux de cette paroisse, que ledit JACQUARD invita de même à déjeuner. Ils déjeunèrent sur environ les dix heures du matin. Et après déjeuner ils repartirent chez eux. Le Révérend CHOMETTY s’en fut à cheval. Il tira alors un pistolet de sa poche et lâcha un coup en l’air. 

 

 

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Pour en savoir plus
Le port d’armes

Il est codifié dans les Royales Constitutions de la façon suivante :

« Permettons à toutes personnes le port des armes longues à feu & des pistolets ; on ne pourra cependant porter les pistolets que dans les fourreaux […]  mais jamais sur eux & moins encore à la ceinture, sous peine de soixante écus, & subsidiairement de deux ans de galères.

On sera aussi censé abuser du port des armes, lorsqu'on les portera dans les bals ou noces, dans les endroits où il y aura concours de peuple à l'occasion de quelque Fête, ou pour d'autres motifs; comme encore lorsqu'on les portera de nuit en errant par les Villes, terres & autres lieux ; la peine de ceux qui en auront ainsi abusé sera de vingt ans de galères, s'ils sont mage urs.

Défendons non seulement de porter des pistolets courts, des balestrins, stylets, poignards, couteaux à la Génoise, & autres armes fuselées, mais encore de les retenir dans les maisons, sous peine aux contrevenants, quant au port, de dix ans de galères, & pour la rétention, de celle de cinq.

Nous défendons aussi le port des couteaux à pointe, vulgairement appelles couteaux à gaine […] à peine de cinq ans de galères. Nous exceptons ceux à qui ces couteaux sont nécessaires pour l'exercice de leur métier, pourvu qu'ils n'en abusent pas. »

 

 

 

mardi 12 novembre 2024

J comme jules

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

De nombreux témoins déclarèrent attester des relations étroites qu’entretenaient Françoise GUILLOT avec Vincent REY. Ainsi le Sieur Victor ROUGE bourgeois de Samoëns, qui avait bien connu le soldat pendant l’hiver et le printemps où il avait été de quartier dans le bourg (il avait même eu son cheval dans son écurie) avait bien sûr reconnu le cadavre conduit sur un traîneau et mis dans la chambre où s’assemble le conseil de la paroisse. C'était celui de Vincent REY. Il déclara au juge que ce soldat fréquentait la maison de François JAY et il l’avait vu aller très souvent du côté de cette maison. Un bruit public disait qu’il aimait Françoise GUILLOT femme dudit François JAY.

« L’on m’a bien dit aussi, et je crois que c’est Antoine Joseph GERDIL du présent bourg de Samoëns, que le susdit soldat était venu de Cluses où il était de quartier dans le courant du mois de novembre proche passé pour voir la susdite Françoise GUILLOT. » Très en colère, Vincent REY avait alors déclaré audit GERDIL, entre autres, qu’il « fallait qu’il coupasse la soutane du Révérend chanoine CHOMETY si haute qu’il montra le cul ». Il n’avait pas su la raison de ce discours, mais comme il était aussi bien connu que le Révérend chanoine CHOMETTY fréquentait aussi la maison dudit François JAY, où on le voyait souvent, et qu’il était bon ami avec la Françoise GUILLOT femme dudit François JAY… Il n’était pas difficile d’imaginer les raisons de cette colère. 

 

Jules, création personnelle inspirée d’A. Juillard
Jules, création personnelle inspirée d’A. Juillard

 

Le Discret Joseph GERDIL, vers le dix ou quinzième du mois de novembre dernier, se promenait en effet derrière les asle [halles] du bourg, lorsque vers les dix heures du soir, il rencontra le soldat Vincent REY du régiment de Séville. Il était pour lors de quartier à Cluses. Le connaissant parfaitement, ils se saluèrent. « Après quoy je luy demanday par quel hazard il se trouvait icy. Il me dit qu’il était venu trouver la Françoise GUILLOT femme de François JAY de cette paroisse qui luy avait promis du beurre et pour luy rendre une chemise de son mary quelle luy avait porté. » Il lui demanda ensuite depuis combien de temps il était à Samoëns. Le soldat répondit qu’il n’y avait pas longtemps qu’il était parti de Cluses et qu’en arrivant il était allé chez ladite Françoise GUILLOT femme de François JAY au village de Levy. Là, ayant entendu la voix d’un homme qui parlait dans la maison, il était allé vers la fenêtre pour distinguer à qui appartenait cette voix. N’ayant pu le déterminer, il n’était pas entré. Vincent REY lui demanda si François JAY était dans la paroisse et si c’était lui qui était avec la Françoise GUILLOT sa femme. Mais Joseph GERDIL n’en savait rien. Il « luy demanday aussi en badinant s’il n’avait rien à craindre en venant ainsy trouver les femmes des autre et sil n’appréhendait rien de la part du Révérend chanoine CHOMETTY », puisqu’il savait qu’il fréquentait cette maison. Vincent REY répliqua en sortant son sabre de son fourreau : « Voilà ce qui est pour Monsieur CHOMETY si je l’y attrappe. Iceluy veux couper la robe si près qu’il montrera le cu et si l’on ne m’ouvre pas la porte je passeray par la fenestre et il y aurat du carillon. » Après quelques tours en parlant de choses semblables, ils se quittèrent et Vincent REY alla dans cette maison en disant : « Si l’on ne m’ouvre pas il ny aura que Monsieur CHOMETTY qui me le payera. »

 

Les témoignages firent valoir que non seulement Françoise GUILLOT avaient des relations avec Vincent REY, mais aussi avec le Révérend CHOMETTY. Ce que confirma notamment l’Honorable Jean Louis GRENAND, natif de la vallée delit [de Liddes ?] pays de Valley [Valais] habitant de la paroisse de Samoëns depuis environ six mois, au juge RAMBERT.

Il avait bien connu le Révérend chanoine CHOMETTY et se souvenait que plusieurs jours avant la St François de Sales [24 janvier], dans le mois de décembre dernier, en se retirant vers les neuf à dix heures avant minuit, il rencontra ce Révérend CHOMETTY qui allait du côté de la maison de François JAY marié à Françoise GUILLOT.

Et peu de temps après, c’est à dire vers la nuit du vingt cinq au vingt six janvier dernier, il le rencontra encore aux environs de minuit. Il était suivi d’une servante qu’il ne connaissait pas. Il allait vers la maison dudit François JAY. Jean Louis GRENAND se trouvait alors avec un nommé Joseph GALLEY, qui était à présent en Valais, qui lui dit que Françoise GUILLOT était sa maîtresse.

Lors de son témoignage, Jean Louis GRENAND ajouta qu’Anne Christine REY sa femme, ayant appris que le Révérend CHOMETTY s’était sauvé, lui avait dit que cela lui faisait bien plaisir. Elle espérait qu’il ne viendrait plus par ici car elle n’aimait pas les prêtres « qui aimaient à caresser les femmes ». En effet, un jour il était venu chez elle sous le prétexte de voir un tailleur qui travaillait chez eux et il avait voulu l’embrasser

 

 

lundi 11 novembre 2024

I comme investigations sanglantes

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT


Mais revenons un peu en arrière. Le Sieur Philibert BARDY, bourgeois de la paroisse de Samoëns, avait bien connu le soldat Vincent REY pendant qu’il était de quartier pendant l’hiver et le printemps proche passé. Il l'avait vu passer presque tous les jours, au devant de sa maison qui est au pied du bourg de Samoëns, allant au village de Levy. « Et comme le bruit était publique qu’il aimait la femme de François JAY appelée Françoise GUILLOT je ne l’ai pas suivi pour voir où il allait, persuadé qu’il allait dans cette maison et ne m’étant pas aperçu qu’il en aye frequenté d’autre. »

Il avait entendu dire aussi, peut-être de Me REVEL magasinier de Cluses, que ledit Vincent REY venait très souvent à Samoëns pendant la nuit pour voir la Françoise GUILLOT. Et que même cette dernière était allée le trouver une fois à Cluses.

 

C’était connu, aussi, que le Révérend chanoine CHOMETTY allait très souvent chez François JAY, tant de jour que de nuit, que ledit François JAY soit dans la paroisse ou non.

 

La rumeur se précisait sur le modus operandi du meurtre : d’après Josette DUC, la servante de BARDY, c’était le Révérend chanoine CHOMETTY avec François JAY qui avait tué le soldat Vincent REY et qu’ils l’avaient mis dans un grand seau pour le porter. Mais que n’ayant pas put y entrer on l’avait mis dans un pétrissoire [pétrin, maie] pour le transporter dans l’endroit où on l’avait trouvé et ce, afin que l’on ne voit pas les traces qu’aurait put faire le sang qu’il répandait.

 

Investigations, création personnelle inspirée de Van Ostade
Investigations, création personnelle inspirée de Van Ostade


Le juge fit donc venir Josette DUC et lui demanda comment elle savait que CHOMETTY et JAY avaient agit ainsi. Elle répondit que c’était Claudine DUC sa sœur qui le lui avait dit le dimanche précédent en sortant de l’église. Celle-ci, interrogée à son tour, expliqua comment elle l’avait appris : « Je passais dimanche dernier un peu avant la grand messe au devant du château de Madame la baronne de St Christophle et je vis une vingtaine de personnes assemblées qui parlaient sur la mort du cadavre du soldat que l’on avait mis dans la chambre où l’on tient le conseil. Et j’entendis que le fils de feu Claude BIORD, dont j’ignore le nom de baptême, disait aux autres qui étaient assemblés avec lui que c’était Monsieur le chanoine CHOMETY avec François JAY du village de Levy qui avait tué le susdit soldat et avait porté son cadavre dans les bois du commun de Bérouze. » C’est là qu’elle avait entendu l’histoire du seau et du pétrissoire.

 

Le juge remonta la source de la rumeur et fit venir le fils BIORD, qui se prénommait Pierre François. Celui-ci expliqua qu’il avait fait partie des gardes envoyés par le Sieur DUSAUGEY, châtelain, pour surveiller le cadavre qu’on venait de découvrir dans les bois, couché au dessous d’un sapin dans un petit buisson. Il s’y était rendu sur environ les dix, onze heures du soir et y releva Pierre Joseph BURNIER qui était de garde depuis l’après-midi. A dix pas du cadavre on avait allumé un feu pour se réchauffer. Et étant là, il se mit à discourir sur la mort de ce cadavre avec Claude EXCOFFIER, Joseph FAVRE et Joseph TRONCHET, qui étaient comme lui venus relever les autres gardiateurs. Après être tous convenus que le soldat n’avait pas été tué sur l’endroit, puisque l’ont n’y voyait point la neige foulée ni aucune marque de sang, et que de plus on ne voyait point de traces de sang tout le long du chemin, ils convinrent qu’il fallait que le cadavre eût été apporté là dans un seau. Ou dans un pétrissoire, parce que peut-être qu’il n’avait pas pu aller dans le seau et qu’il fallait bien qu’il eut été apporté dans quelque meuble semblable. « Ce que nous dimes par conjectures et sans aucun fondement que celuy dont je viens de parler » conclu le témoin.

- Et ce ne fut aussi que comme des conjectures et comme une simple imagination que vous avez répété cela dimanche passé, au devant de la maison de madame la baronne de St Christophle ? demanda le juge.

Acquiescement du témoin. « Mais je ne dis point que ce fut François JAY ny le Révérend chanoine CHOMETY qui eusse tué ledit cadavre. Il est bien vray qu’il y en eut un de la compagnie, sans me rappeler lequel c’est, qui dit que ce ne pouvait pas être autre que ledit Révérend chanoine CHOMETY et ledit François JAY qui eussent tué le susdit cadavre, puisqu’ils s’étaient sauvé dès le moment qu’on l’avait découvert. Et parce que ce cadavre avait beaucoup fréquenté en son vivant, pendant qu’il était de quartier icy, la maison dudit François JAY. Laquelle ledit Révérend CHOMETTY fréquentait aussi, ainsy que la chose est publique. Mais il ne parlait de même que sur ses deux conjonctures » admit-il.

 

Compte tenu de ces déclarations, le juge DELAGRANGE se transporta de nouveau jusqu’au village de Levy, accompagné de Me BIORD vice fiscal et Me VUARCHEX, assisté du Sieur Philibert BARDY et de Nicolas REMOND métral de la présente paroisse, pris pour témoins.

Après avoir fait prêter serment aux témoins, ils entrèrent dans la cuisine de la maison appartenant à François JAY, puis dans la chambre qui est au levant de ladite cuisine où avaient été remarqué lors de leur précédente visite deux pétrissoires. Les ayant retrouvés, ils les examinèrent de nouveau et en firent sortir un, de la longueur de cinq pieds et demi de Roy [167,64 cm] et large d’un bon pied et demi de Roy [45,72 cm], qui était fendu d’un côté à trois endroits et de l’autre d’un seul. Dedans ils remarquèrent que l’on avait pétri. Le juge le fit renverser, et remarqua que l’on avait appliqué une pièce de fer pour soutenir les trois fentes. Laquelle pièce ne tenait plus que d’un côté avec un clou. De l’autre, on avait bouché une fente avec de la peau blanche en façon d’emplâtre et quatre clous. Et du côté où était la pièce de fer, le pétrissoire était tout ensanglanté.

Le sang avait ruisselé par les trois fentes notamment auprès de la pièce de fer. On voyait qu’il était sorti de l’intérieur du pétrissoire vers le dehors, avec plus d’abondance à ces endroits là que dans les autres.

 

Ils s’accordèrent tous pour dire qu’il fallait que l’on eut renversé le pétrissoire pendant que le sang était encore frais pour qu’il eût coulé depuis le milieu jusqu’au bord. Et qu’il fallait encore que le sang eut été fort abondant pour se répandre de la manière constatée. Après quoi ils firent de nouveau tourner le pétrissoire pour observer s’ils voyaient des traces de sang en dedans, mais bien qu’ils l’aient correctement ratissé, ils n’y trouvèrent rien que de la pâte à pain sèche.

 

Cependant,  en se tournant à la droite de la chambre, du côté de la paroi, ils remarquèrent dans un vieux coffre de sapin couvert, plusieurs taches de sang. Et dans la chambre, une aisse [esse=objet, crochet, agrafe en forme de S] ensanglantée.

 

Ayant fait apporter l’autre pétrissoire, ils le trouvèrent de la longueur de trois pieds  [91,44 cm] sur un pied de large [30,48 cm], soutenu par quatre pièces de bois qui y étaient attachées. Dans ce pétrissoire, ils ne trouvèrent pas le moindre vestige de sang.

Ayant remarqué qu’il y avait un trou dans le plancher près de la paroi le juge le fit fouiller et y trouva une quantité de poils de cochons. Sur quoi il demanda si François JAY avait fait tuer un cochon mais aucun des témoins ne le savait. Claude DUNOYER DUPRAZ, qui était par hasard dans la cuisine, déclara avoir vu François JAY en faire tuer un, vers la saint Martin [11 novembre] proche passé. Sur cette déclaration, le juge enjoignit audit Claude DUNOYER DUPRAZ, à la réquisition dudit vice fiscal, de revenir en donner la déclaration authentique.

 

Ils ne trouvèrent aucune autre marque dans la chambre, nonobstant leurs diligentes recherches.

 

Le lendemain Claude DUNOYER DUPRAZ, revint déposer officiellement et déclara qu’il passait au village de Levy un matin quelques jours après la St Martin proche passé et, étant entré dans la maison du François JAY pour prendre du feu et allumer sa pipe, il vit que la Françoise GUILLOT sa femme « plumait un cochon » [sic] dans la chambre qui est au levant de ladite maison. Que ledit cochon était dans un pétrissoire qui était à peu près de la longueur de cinq pieds et demi et de la largeur d’un et demi, « qui est le même que celuy où nous trouvates du sang. […] Je puis vous assurer Monsieur que c’est bien dans ce même petrissoire où ledit cochon était. Je le reconnais à la longueur, largeur et aux deux extrémités par lequel on le porte. D’ailleurs l’autre est trop petit et le cochon n’aurait pas put y entrer parce qu’il était fort gros. »  

 

samedi 9 novembre 2024

H comme Hop ! Il faut fuir

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Après le témoignage du Sieur Jean André DELACOSTE (voir la lettre E de ce ChallengeAZ), l’Honorable Thérèse DELACOSTE femme de François Joseph DUNOYER. confirma qu'elle avait bien vu Françoise GUILLOT avant sa fuite le samedi passé, dixième février. La Françoise GUILLOT femme de François JAY vint alors chez elle, c'est-à-dire dans le moulin appelé le Moulin de la Maison, situé au village du Moulin, dans la présente paroisse, sur environ midi. Elle lui demanda si elle avait fait moudre un quart d’orge qu’elle avait apporté chez elle. Lui ayant répondu que non, Françoise GUILLOT  lui en demanda qui n’était pas moulu. Mais la meunière n’en n’avait pas non plus.

Lui ayant demandé où elle allait, Françoise GUILLOT lui dit : « le chanoine CHOMETTY s’est sauvé, il faut que je me sauve aussy ». Là dessus elle passa le pont de Clevieux qui est dans le susdit village et s’en alla chez Nicolas GUILLOT son père, où la meunière la suivit pour prendre du lait. Elles ne parlèrent plus de rien en chemin parce que Françoise GUILLOT marchait devant l’autre. Et quand elle fut chez Nicolas GUILLOT elle trouva la Françoise GUILLOT arrêtée au devant de la maison. Elle la laissa là et s’en alla dans l’écurie prendre du lait, que lui donna Jeanne Antoine mère de ladite GUILLOT [Jeanne Antoinette VUAGNAT épouse GUILLOT]. Et ensuite elle s’en revint chez elle.


Village des Moulins, création personnelle inspirée de Delcampe
Village des Moulins, création personnelle inspirée de Delcampe

Nombreux furent ceux qui virent les accusés dans leur fuite. Le samedi, sur environ les dix heures du matin, Jean Baptiste SAULTHIER avait vu passer le Révérend CHOMETTY qui avait voulu lui cacher sa destination. Il était à cheval, au village des Moulins, avec un manteau et des grosses sacoches. Lorsqu’il lui demanda où il allait comme cela, le chanoine lui répondit qu’il allait en sixt [à Sixt, paroisse voisine]. Il le laissa partir mais vit, à quelques pas de là, qu’il s’arrêtait et discutait avec Jeanne GUILLOT sœur de Françoise GUILLOT femme de François JAY. Il n’entendit pas ce qu’il lui disait en l’abordant, mais en la quittant il lui dit : « Ne dites pas que je fus partis ». Plus tard, on lui a dit qu’on l’avait vu passer et qu’il prenait le chemin du village des plagnies [Les Pleignes] et qu’il prenait par là un chemin contraire à celui de Sixt, et qu’il s’en éloignait au lieu d’y aller. 

Celle-ci avait trouvé le Révérend CHOMETTY un peu triste. Il lui avait dit uniquement : « Il ne faut pas dire que vous m’avez vu ny parler, mais cependant faite dire à votre sœur, en parlant de la Françoise GUILLOT femme de François JAY, de se retirer à cause des Espagnols. » Sans lui dire le motif pour lequel sa sœur dû craindre les Espagnols ni moins encore pour avoir trempé dans l’homicide du cavalier ou pour d’autres choses. Il se retira et suivit sa route du côté de Valley [le Valais, en Suisse]. Elle s’en fut donc dire à sa sœur de se retirer. Ce que sa sœur lui dit qu’elle ferait.  

 

Une rumeur commence à se répandre... L’Honorable Henry DUBUISSON, âgé de quarante deux ans, employé aux gabelles de profession, natif de la paroisse de Nouvelle En France [non identifiée, NDLR], de poste à Samoëns habitait depuis environ trois ou quatre mois dans une maison tout près de celle du Révérend Nicolas CHOMETTY : de fait, il le connaissait bien. S’il ne savait rien concernant le meurtre qui était arrivé à un cavalier trouvé mort à Samoëns, il savait néanmoins que depuis cette découverte le chanoine avait quitté la paroisse de Samoëns. Il l'avait lui aussi rencontré ce samedi dixième février. Il « monta à cheval et me toucha la main sans me dire où il allait. Et demy heure après partit un nommé CHOMETTY, son frère, qui me dit qu’il reviendrait le lundy après ». Le chanoine était allé au pays de Valais, d’après ce qu’il avait ouï dire. Le Sieur Aymé ROUGE et le Révérend Sieur GRILLET l’auraient rencontré sur le chemin de Turin.

Lors de son audition le juge lui demanda comment il était habillé, s’il portait une soutane d’été ou d’hiver, mais le témoin n’y avait pas fait attention.

L’Honorable Jean Aymé GINDRE, le marguillier [laïc chargé de la garde et de l’entretien de l’église] de la paroisse avait bien vu le Révérend CHOMETTY dans l’église de Samoëns tous les jours après le vingt cinq ou vingt six janvier, et par diverses fois encore, jusqu’au temps où il avait prit la fuite pour le pays de Valais. Mais il n’avait pas observé que depuis cette date du vingt six janvier il ait porté une autre soutane que celle qu’il était revêtu habituellement ou qu’il ait porté une soutane d’été


Le Sieur Aymé ROUGE revenait de Turin, où il était au service de Sa Majesté du Roy de Sardaigne comme garde du corps, lorsqu'il rencontra le vingt six février dernier au lieu d’orssier [Orsières] dans le pays de Valais le Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY. Surpris, il lui demanda où il allait. « Il me dit qu’il allait à Turin, qu’il avait eut quelques différents avec les chanoines de Samoëns et qu’il s’en allait chercher du pain ailleurs. Et il m’adjouta que s’il n’en trouvait pas il s’en retournerait. » Et ensuite il ne fut plus question entre eux ni de son voyage ni du pays. Mais il ne le vit plus en Valais ni ailleurs. Ni lui, ni François JAY, la Françoise GUILLOT sa femme ou leur servante. Ce n’est que de retour dans sa maison de Samoëns qu’il apprit, « par la voye publique » que l’on avait tué un cavalier du régiment de Séville dans la maison de François JAY et que l’on accusait de complicité le Révérend CHOMETTY.

 


Ce fameux samedi, l’Honorable Gaspard Joseph BURNIER revenait à Samoëns avec son épouse et son frère, après avoir diné en abbondance [à Abondance, 55 km au Nord de Samoëns]. Cheminant pour passer la montagne du corbi [Le Corbier] située dans la paroisse du Biot, il y fit la rencontre de la Françoise GUILLOT femme de François JAY et de la Claudine VUAGNAT sa servante et précédées d’un homme qui n’est pas de la paroisse de Samoëns et qui lui était inconnu. Demandant à ladite GUILLOT où elle allait, elle répondit : « Je m’en vais un peu contre ce pays. » Il lui en demanda le motif, parce qu’il l’observait un peu triste, mais elle ne fit aucune réponse. Il suivit alors sa route. Et ce n’est qu’arrivés à Taninges, dans le logis du nommé LACROIX, que deux hommes qui buvaient en ce cabaret, qui lui étaient inconnus, lui apprirent ce qui c’était passé à Samoëns. Apprenant qu’il rentrait chez lui, ils dirent : « Hé ! quel malheur qu’il est arrivé à Samoëns. L’on n’y a tué un cavalier, et même dans le village de Levy. L’on n’y a envoyé une compagnie de dragon en direction. » Ne sachant rien sur cette affaire-là, il ne répondit pas.

C’est après s’être restauré et, rentré chez lui, que la rumeur lui détailla l’affaire et les soupçons portés contre les accusés.

 

La mère de la servante, l’Honorable Claudaz Françoise PARCHET, femme de Jean Pierre VUAGNAT, elle aussi, s’était aperçue de la fuite des JAY après la découverte du cavalier du régiment de Séville mort et plié dans son manteau dans les bois de Bérouze. Comme la Claudine VUAGNAT sa fille était à leur service et ne n’avait encore point avoir prit la fuite, elle eu l’occasion de la rejoindre. Et comme elle se disposait aussi elle-même à se retirer, elle l’aida à porter, pendant quelques temps, une partie de son bagage. Cependant elle ne lui dit pas les motifs pour lesquels elle se retirait, ni ceux pour lesquels lesdits mariés JAY s’étaient retirés. Après avoir cheminé quelques temps, arrivées près de la maison de son mari, elle la quitta et lui remis son bagage. « Ce qu’il a y a de sûr, c’est que je ne l’ay jamais vue ny me suis apperçu où elle est allée, ny que lesdits mariés JAY non plus que le Révérend chanoine CHOMETTY, lequel pris aussi la fuite le même jour et pour le même fait. »

 

Finalement, la rumeur se confirme : les fuyards sont en Valais. L’Honorable Claude RIONDEL, tailleur de pierre, les a rencontrés là-bas : « Comme j’étais informé que Révérend Sieur CHOMETTY chanoine de la collégiale de Samoëns s’était enfuit les pays de Valley, avec la Françoise GUILLOT, femme de François JAY, et celuy cy, avec la Claudine VUAGNAT leur servante. Et que le Révérend Sieur CHOMETTY me devait deux cent cinquante livres à la suite d’une commande qu’il m’avait passé le neuf janvier dernier, je me rendis à Bex [en Suisse, NDLR] […] où j’y trouvais ledit Révérend CHOMETTY avec François son frère et la Françoise GUILLOT. Et là je lui demandais mon payement […]. »

Étant entré en conversation avec lui, de même qu’avec la Françoise GUILLOT, au sujet dudit homicide et de leur fuite, ils lui dirent l’un et l’autre qu’ils étaient forts innocents de ce meurtre et qu’ils avaient mieux aimé prendre la fuite que de se laisser saisir. Le Révérend CHOMETTY lui demanda avec empressement ce que l’on disait en Savoye à l’occasion de ce meurtre. Il lui répondit que la justice avait saisis les effets des JAY et que l’official* enquêtait sur sa vie et ses mœurs. 

 

François SIMOND, maçon et tailleur de pierre de profession s’était rendu en Valais, à Bex, à cause de travaux qu’il réalisait en ce lieu, avec Jean François BURNIER. François JAY et sa femme, virent les y rejoindre. Après s’être informé de ce qu’ils faisaient de bon et leur avoir dit qu’on les accusait à Samoëns d'avoir tué ce cavalier, ils répondirent que ce n’était que trop vrai. Ils racontèrent comme la chose s’était passée, produisant l’un et l’autre le même récit dans toutes les circonstances. François JAY ajouta encore qu’il ne croyait pas avoir péché véniellement et que s’il n’avait craint d’avoir à faire avec la justice ordinaire, il ne se serait point bougé ni évadé. Mais il avait appréhendé que la troupe ne le saisisse et de n’être pas écouté par elle.

 

 

Carte de Samoëns et autres lieux

 

 

* Juge ecclésiastique. Voir intro de ce ChallengeAZ pour en savoir plus sur le rôle des juges.

 

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Pour en savoir plus

Les suspects n’ont peut-être pas tort de prendre la fuite car les faits commis étant passibles de la peine de mort, ils risquent avant tout la torture pendant leurs interrogatoires.

 

La torture

Elle est codifiée dans les Royales Constitutions de la façon suivante :

« Lorsqu'on condamnera l'accusé à la peine de mort, ou à celle des galères, on ordonnera toujours la torture sur le chef des complices ; ce qu'on observera aussi à l'égard des femmes, lorsque la peine de la prison, du fouet, ou du bannissement leur aura été infligée au lieu de celle des galères. »

En effet, le recours à la torture est habituel, destiné à arracher la confession du suspect. Elle peut ainsi être ordonnée par le juge dans les crimes graves lorsque les indices ne sont pas suffisants pour condamner l’accusé : on le soumet à la question afin d’obtenir ses aveux, et disposer ainsi contre lui d’une preuve complète pouvant entraîner sa condamnation. La torture ordonnée par le juge est celle du « trait de corde », ou estrapade, qui consiste à attacher l’accusé par les membres, le soulever du sol en tirant sur les cordes, puis le laisser retomber lourdement. Ce peut être aussi le tourment des « dadi » » (brodequins) : pièces de bois servant à serrer les jambes du suspect. L’inculpé qui avoue lors de son application à la torture ou lors de l’interrogatoire qui la précède, doit répéter ses déclarations le jour suivant et hors du lieu de torture. En cas de rétractation, il peut être de nouveau questionné jusqu’à trois reprises.

De même, « ceux qui cachent les Bandits », sont condamnables de la façon suivante :

« Il est défendu à toute sorte de personnes, de quelque état & qualité qu'elles soient, de cacher, favoriser ou secourir aucun bandit de notre domination, condamné à la mort ou aux galères tant perpétuelles que pour un temps, sous peine d'une peine pécuniaire considérable ; excepté que les contrevenants ne soient leur père, mère, fils, frère, sœur, ou femme, lesquels cependant seront punis d'une peine proportionnée aux circonstances du cas & à la qualité du délit.

Nous exemptons de toute peine les femmes à l'égard de leurs maris, & ceux-ci par rapport à leurs femmes, comme aussi les parents jusqu’au troisième degré, qui les secourront hors de nos Etats à une distance au moins de quinze milles, en leur fournissant de l'argent ou d'autres secours, pour vivre. »