Au sein de ce groupe de « paysans » nous trouvons différentes dénominations de métiers, recouvrant des réalités de vie très disparates.
J’ai dénombré en effet 37 métiers distincts dans ce groupe de paysans.
Les plus nombreux sont les laboureurs (165 ancêtres), détrônant d’une courte tête les vignerons (143 vignerons et 1 vigneronne).
Les laboureurs se situaient plutôt en bas de l’échelle sociale paysanne. Au pire ils sont propriétaires d'animaux de labour, et se louent avec leurs bêtes pour les travaux agricoles. Au mieux ils sont propriétaires de terres qu'ils cultivent, ou locataires à la façon d’un métayer (cf. plus bas : métayers et fermiers). On trouve parfois la mention complémentaire « laboureur à bras » (2 ancêtres) [*] : c’est un laboureur qui n'a d'autres moyens de travail que ses bras. Un curé charitable a précisé que l’un de mes ancêtres était « laboureur de terre », des fois qu’on le confondrait avec un laboureur de nuages… On peut les comparer aux bordiers (19 bordiers, 4 bordières) : paysans exploitant une borderie et payant une rente annuelle au propriétaire. Les borderies, inférieures en général à 10 ha, étaient plus petites que les métairies et le bâtiment principal ne comportait qu'une ou deux pièces. Dans la même veine le closier (18 ancêtres), qui est un petit métayer dont le terrain est en général trop petit pour faire travailler une paire d'animaux, ou le brassier (4 ancêtres) qui est le synonyme du laboureur à bras (quand il ne désigne pas un bûcheron ou un manœuvre).
« Mes » vignerons sont originaires de Conques en Rouergue, des hauts plateaux de l’Ain, de la Brie et de l’Anjou. Hormis en Anjou, où la culture de la vigne est toujours restée active, les autres régions ont vues peu à peu leurs treilles disparaître, pour différentes raisons (maladie, qualité médiocre due à des sols peu favorables, vin finalement concurrencés avec l’arrivée de meilleurs crus grâce au développement du chemin de fer…). De nos jours, quelques vignerons ont à nouveau planté des ceps, mais la vigne reste une exception.
Certains de mes ancêtres ont eu la vigne dans le sang, se transmettant le métier de génération en génération :
- 5 générations pour les Astié à Conques de 1671 à 1841 environ (une sixième génération vient se glisser avant la dernière : un « renégat » qui s’est fait chapelier !). Le dernier, d’abord vigneron, deviendra ensuite gendarme quittant pour la première fois dans l’histoire de sa famille et le métier et le pays.
- 6 générations pour les Macréau à Guérard en Seine et Marne, de 1656 à 1840 environ. Les hommes des générations suivantes sont manouvriers (entre autres).
- 5 générations pour les Noel (dont plusieurs enfants sur une même génération), eux aussi à Guérard, de 1641 à 1781 environ. Le métier se poursuit peut-être chez les hommes des générations suivantes, mais c’est une fille qui arrive après dans mon arbre. Elle épousera… un vigneron nommé Macréau (celui de la 4ème génération). Tiens, tiens ! Après tout ce temps, les familles ont fini par se réunir. On n’en ne s’en étonnera guère.
Aucun de mes vignerons n’était encore en activité quand le phylloxera a fait son apparition en France (à la fin des années 1860) : ce n’est donc sans doute pas cette raison qui a poussé les fils à quitter le métier de leurs pères.
Viennent ensuite, loin derrière, les cultivateurs (83 cultivateurs et 25 cultivatrices – souvent les épouses desdits cultivateurs) ; terme très en vogue aux XVIII et XIXème siècles, recouvrant des réalités un peu floues, changeantes selon les époques et les régions. Difficile de dire s’ils possédaient leurs terres, leurs matériels, leurs bestiaux…
Métayers (47 métayers et 7 métayères) et fermiers (19 et 4) se valent : les premiers exploitent une terre avec les matériels et animaux du propriétaire et partagent avec lui la moitié des fruits de leur labeur. Les seconds payent une somme à un propriétaire pour en exploiter son bien.
Les métairies pouvaient être assez importantes et l'exploitation pouvait aller jusqu'à 50 ha, mais bien souvent on n’a pas conservé suffisamment d’informations pour déterminer la taille des domaines cultivés. Dans l’Ain j’ai trouvé les termes de granger (2 ancêtres) et grangier (idem) : il désigne un paysan exploitant un grangeage, à la façon d’une métairie.
Les journaliers sont des ouvriers agricoles employés à la journée. Ils représentent un contingent assez important parmi mes ancêtres : 45 journaliers, 5 journalières, auxquels ont peut ajouter les 15 manouvriers et 5 manouvrières, ainsi que les 5 travailleurs. Ces dénominations recouvrent des réalités assez proches.
14 fois je trouve le terme de paysan et une seule celui d’exploitant agricole.
17 bêcheurs figurent dans mon arbres, tous en Anjou, sauf un dans l’Orne. D. Chatry [*] donne comme définition un ouvrier employé dans l'exploitation d'une tourbière, qui extrayait les pains de tourbe employés ensuite comme engrais ou chauffage à l'aide d'une pelle spéciale. Or en Anjou (où se trouvent mes bêcheurs, donc), il n’y a pas de tourbière. Ce sont donc plus vraisemblablement des paysans ne possédant que leur bêche pour travailler ( ?).
Parmi les pauvres paysans on peut classer les bergers (7 ancêtres), personne qui garde les moutons mais aussi les oies, vaches, cochons et en général tous les animaux de la ferme quand ils sont dans les pacages et pâtures ; les vachers (1) et vacherons (1) – petits gardiens de vaches - spécialisés dans la surveillance des troupeaux de vaches, comme on peut s’en douter, et parfois responsable de la fabrication du fromage.
J’ajouterai dans la catégorie « paysan » les deux jardiniers de mon arbre, mais pas l’employé des fermes du Roy qui est un faux ami : ce n’est pas un paysan, mais un collecteur d’impôt !
Quant au terme de ménagère (qui n’a pas forcément moins de 50 ans), il désigne celle qui tient le ménage. En gros l’épouse, la « mère au foyer », mais selon les époques, ce terme désigne aussi un métier de la terre : lorsque l'agriculteur dispose d'une grande surface de terres, qu'il est riche, il est qualifié de "ménager", c'est à dire chef de maison. Son épouse est donc la ménagère. On peut donc ajouter mes 16 ménagères au groupe des paysans.
Enfin, il y a trois catégories spécifiques : les « inconnus », les originaux et les « cumulards ».
Dans la première catégorie, on trouve les métiers de :
- marchand. A part deux de mes ancêtres qui sont spécifiés marchands fermiers et un couple dits marchand/e de vin, je compte 63 marchands dont j’ignore la nature des marchandises vendues. Peut-être font-ils parti du groupe des paysans au sens large… ou pas.
- propriétaire. 16 de mes ancêtres sont dits propriétaires… mais de quoi ? d’une ferme ? d’une boutique en ville ? d’un château ?
A part, les deux marchands fermiers, les autres n’ont pas été comptabilisés parmi les paysans : trop d’incertitudes ; même si certains d’entre eux en faisaient sans doute partie.
Viennent ensuite quelques métiers représentés par un seul ancêtre dans mon arbre :
- le botteleur : désigne un fermier en Aunis et dans le Bas-Poitou.
- le cabanier : est aussi un fermier, terme de l’Ouest de la France, en Vendée particulièrement.
- la campagnarde : bon, disons que c’est une variante de fermière (faute de mieux).
- l’herbager : éleveur de bovins dont le métier était de faire ré-engraisser, aux portes des grandes villes, les animaux un peu fatigués provenant de l’arrière-pays.
- le poulailler : négociant en volaille allant généralement de ferme en ferme. A ne pas confondre avec le lieu où sont élevées les gallinacées…
- le bonnier : celui-ci nous pose problème. Le bonnier est une mesure agraire, anciennement utilisée dans les Flandres, représentant environ 1 hectare (selon les époques). Est-ce que le métier correspondant serait celui qui travaille/loue/possède une terre d’un bonnier ? Affaire à suivre.
Dans la dernière catégorie, on trouve les « cumulards », c'est-à-dire ceux qui ont été désignés par plusieurs métiers au cours de leur vie, dans les différents actes les concernant. J’en trouve 25 parmi mes ancêtres. Ils peuvent être toujours en rapport avec le travail de la terre :
- laboureur, cultivateur.
- laboureur, journalier.
- vigneron, laboureur.
- bêcheur, closier, bonnier.
Ou bien varier les plaisirs :
- blanchisseuse, domestique, cultivatrice.
- métayer, tisserand.
- tissier, journalier.
- etc…
Pour les premiers, est-ce juste une dénomination différente adoptée par le rédacteur de l’acte ou un véritable changement de statut ? Et pour les seconds, est-ce un changement de métier ou une activité annexe ? Difficile à dire…
Parmi ces cumulards on peut, si on lit entre les lignes, deviner ceux qui ont probablement bien géré leurs affaires et prospéré :
- d’abord journalier, il devient ensuite marchand ou propriétaire.
- de cultivateur il est ensuite qualifié de propriétaire ou rentier.
Bref, des paysans il y en a. Mais il n’est pas toujours facile de déterminer leur profil spécifique, leur véritable activité et le niveau de vie qui en découle.
[*] La plupart des définitions de métiers est donnée par D. Chatry, Les métiers de nos ancêtres.
Le sens de "laboureur" varie énormément selon les régions. A certains endroits, il s'agit des paysans les plus aisés, à d'autres, c'est simplement un terme générique pour désigner le "paysan moyen".
RépondreSupprimerPour la Saône-et-Loire, j'avais établi ce classement dans la hiérarchie sociale :
- Fermier(c'est celui qui possède les domaines et les loue aux laboureurs et aux grangers, il en existe en général qu'un seul par paroisse)
- Laboureur(le paysan moyen, il a son exploitation familiale mais peut louer des terres au fermier)
- Granger(il n'a rien mais loue les terres du fermier en échange d'une partie de sa récolte)
- Manouvrier(comme son nom l'indique, il n'a que ses mains)
Après, les paysans ne restaient pas toute la vie au même statut. L'ascenceur social fonctionnait. J'ai un ancêtre qui a démarré manouvrier dans les années 1720, il a beaucoup navigué dans les différents hameaux de la paroisse. Il s'est enrichi et est devenu laboureur dans une paroisse voisine dans les années 1740. Puis, dans les années 1770, il est finalement devenu fermier dans une troisième paroisse.
Avant 1800, il me semble que fermier n'est pas propriétaire mais afferme un domaine qu'il sous-loue à des métayers ou à des closiers. C'est un gestionnaire de biens en quelque sorte.
SupprimerLes "propriétaires" : j'ai moi aussi dans mes ancêtres des "propriétaires" ; pour moi, j'ai compris comme propriétaires exploitants agricoles, par opposition aux métayers et fermiers (les cultivateurs qui paient un "fermage", un loyer pour les terres qu'ils exploitent) ; dans la même branche, mes AR AR AR grands parents qui étaient fermiers, puis à la génération suivante, mes AR AR grands parents, toujours agriculteurs, mais propriétaires de leurs terres ; les professions indiquées aux recensements sont alors "propriétaires" (sous entendus "propriétaires cultivateurs"); ils avaient monté une ou deux marches dans l'échelle sociale, même si leur bien n'était pas encore un grand domaine : environ 20 hectares au milieu XIXème, en Touraine.
RépondreSupprimerDans la région de Ploërmel, au début du 18ème siècle, l'appellation laboureur désignait plutôt les ''riches paysans'' ayant des animaux de traits (il y fallait au moins 8 ha, me semble-t-il; le plus souvent 10 ha ou nettement plus) ce qui leur permettait de louer leurs services à leurs voisins qui en étaient dépourvus (un peu comme une entrepreneur agricole d'aujourd'hui). Au fil des décennies, il apparait avoir désigné de plus en plus souvent le paysan moyen cultivant environ 5 ha.
RépondreSupprimerLe terme propriétaire n'est-il pas aussi parfois attribué aux personnes qui sont suffisamment imposées pour avoir le droit de participer au suffrage censitaire ?
Dans le Hainaut belge ou le terme Ménager est souvent employé, il s'agit essentiellement d'un travailleur de la terre qui vit en autarcie avec la terre qu'il possède ou qu'il loue.
RépondreSupprimerMerci pour vos commentaires : comme on le voit chaque région et chaque époque a fait petit à petit sa propre définition de chaque métier...
RépondreSupprimerBonjour
RépondreSupprimerMerci pour ce bel article qui recoupe le recensement que je pourrai avoir de mes ancêtres en Poitou et Anjou :-)
En gâtine deux sévrienne il me semble que avoir deux métiers (ce que je contaste dans mon arbre), cultivateur + sabotier ou tisserand par ex ou de passer de sabotier a cultivateur révélait qu'on ne pouvait pas vivre d'une seule profession. La polyvalence des Gatineaux ét gatinelles a été je crois reconnue car ils vivaient plutôt de facon isolée, en quasi- autarcie dans des terres difficiles.
Je vais partager votre article de suite ;-)
Bonne soirée
Caroline / @LaDrolesse4979
Bonjour,
RépondreSupprimerEn Anjou, au 18e s., j'ai trouvé dans certains registres paroissiaux, de nombreux "bêcheurs". Je suppose qu'il s'agit de (petits ?) vignerons qui, à cette époque, sont des laboureurs à bras (sauf peut-être pour les plus aisés).L'emploi de ce mot semble aussi dépendre du prêtre. L'un emploie ce terme et pas son successeur ou l'inverse.
En suivant certains, ils sont mentionnés vignerons et laboureurs à bras ou vignerons et bêcheurs.