« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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jeudi 30 janvier 2025

Zélia - origine d'un prénom

Cet article est né de l’interrogation de ma petite-nièce Zélia, née en 1994, désirant en savoir plus sur le prénom qu’elle partage avec son ancêtre à la 6ème génération, Marie Antoinette Zélia Berrod, née en 1844.

 

Zélia est une variante de Zélie, elle-même étant un diminutif de l'ancienne forme du prénom Solène, qui s'écrivait Zéline, venant du latin « solemnis », signifiant « solennel ».

Sainte Solène était une chrétienne d’Aquitaine au IIIe siècle. Lors de l’invasion des troupes de l’empereur Dèce, elle fut emprisonnée après son refus de renier sa foi. Elle fut ensuite martyrisée à Chartres.

On fête les Zélie/Zélia le 17 octobre.

 

On compte deux périodes où le prénom Zélia a été le plus populaire : 1844/1905 et 1993/2016 (ce qui correspond exactement à nos deux Zélia familiales).

Aujourd’hui c’est un prénom très rare (seulement 49 Zélia née en 2023 en France).

 

Marie Antoinette Zélia Berrod est née à Montanges (01) en 1844, deuxième d’une fratrie de quatre. Son père était instituteur primaire. Les témoins de sa naissance sont un oncle (Claude Antoine Pernod) et un cousin éloigné (Antoine Gras).

A 22 ans, Zélia se marie au Poizat avec François Assumel-Lurdin, un cultivateur de la commune (son oncle Pernod est encore présent lors de cet événement, ce qui laisse à penser qu’il est proche de sa nièce). Le couple aura 5 enfants, dont Jules Assumel Lurdin (voir ici).

 

Mouchoir brodé au chiffre de Zélia Berrod
Mouchoir brodé au chiffre de Zélia Berrod © coll. personnelle

Zélia et François sont d’abord cultivateurs puis meuniers : Zélia hérite en effet du Moulin Meunant (commune du Poizat) en 1886 de sa tante maternelle, Jeanne Beroud et son époux Claude Antoine Pernod (couple resté sans descendance), signe probable de l’attachement de l’oncle à sa nièce. D’après les recensements elle y demeure au moins entre 1896 et 1911 (et sans doute dès 1886, mais des lacunes antérieures nous empêchent de le confirmer).

 

Moulin Meunant, Le Poizat © coll. personnelle

Aujourd’hui le Moulin Meunant est un gîte ouvert à la location.

L'époux de Zélia meurt en 1897. Leur fils François Émilien lui succède au moulin, transformé en scierie en 1901. De 1901 à 1916 Zélia vit avec son fils, toujours au moulin, mais elle est dite cultivatrice (et patronne). 

Zélia quitte le moulin, peut-être après la Première Guerre Mondiale, pour une petite maison dans le village du Poizat : d’après le recensement, elle y habite avec l’une de ses petites-filles, Suzanne, en 1921, tandis que le père de la fillette, Joseph Eugène, a été nommé facteur dans une commune voisine (veuf, il ne pouvait sans doute pas s’occuper de sa fille).

Après 30 ans de veuvage, Zélia meurt en 1923 au Poizat, âgée de 79 ans.


Selon les actes son prénom est orthographié Zéliaz (terminaison courante dans l’arc savoyard*) ou Zélie. Née Marie Antoinette Zéliaz, elle a Zélia comme unique prénom dans un certain nombre de documents, ainsi que sur sa tombe, ce qui laisse à penser que c'était son prénom d'usage.

 

Plaque tombe Zélia Berrod
Tombe de Zélia, détail © coll. personnelle

 

D’où vient ce prénom original que portait notre ancêtre ?

 

Dans son entourage il y a peu de Zélia : à Montanges (786 habitants en 1846), à la même époque, notre Zélia est la seule à porter ce prénom. Mais on trouve plusieurs Zélie :
- une demi-douzaine nées entre 1848 et 1890 (dont deux sœurs, la première étant décédée en bas âge et dont le témoin de naissance était le propre père de notre Zélia).
- trois mariées entre 1866 et 1869 (dont deux originaires de la paroisse voisine de Champfromier).

A Lalleyriat (445 habitants en 1866), deux Zélie sont nées entre 1852 et 1879.

Au Poizat (commune détachée de Lalleyriat en 1828, 681 habitants en 1866), trois autres Zélia ont été dénombrées :
- une petite fille née en 1865 et décédée en 1871, dont le témoin de naissance est probablement l’oncle de François Assumel Lurdin (Simon).
- une autre née en 1879 (décédée à Nantua en 1962), dont le témoin de naissance est François Assumel Lurdin lui-même.
- la dernière Zélie est née en 1911 : c’est la petite-fille de notre Zélia (fille de Joseph Eugène) : Suzanne Zélie Augustine (avec qui elle demeure en 1921).

Aucune Zélie/Zélia n’a donc été repérée avant la naissance de notre Zélia.

 

Toutes ces Zélie/Zélia portent ce prénom associé à d’autres (souvent Marie, n°1 des prénoms féminins toutes époques et régions confondues). L’ordre des prénoms a peu d’importance puisque le prénom utilisé tous les jours (le « prénom d’usage ») peut être n’importe lequel, comme on le verra plus bas.

 

Décerner un prénom n’est pas un geste anodin et obéit à des règles et usages bien précis, reflet des conditions sociales, religieuses, politiques ou idéologiques pesant sur les individus ou les groupes sociaux.

 

Sous l’Ancien Régime, les parents de l’enfant n’interviennent pas, ou peu, dans le choix du prénom. Ce rôle revient le plus souvent aux parrains et marraines. Ces derniers transmettent majoritairement leurs propres prénoms (pour 90 à 95% des enfants).

Avant la Révolution, le choix du prénom est aussi strictement contrôlé par l’Église qui doit donner son approbation et interdit en principe tout prénom non présent dans le martyrologe chrétien. Le catéchisme recommande de donner à un enfant « un nom qui doit être celui de quelqu’un qui ait mérité, par l’excellence de sa piété et de sa fidélité pour Dieu, d’être mis au nombre des saints, afin que par la ressemblance du nom qu’il a avec lui il puisse être excité davantage à imiter sa vertu et sa sainteté ».

 

Sous l’Ancien Régime, ce sont les actes paroissiaux qui nous guident dans notre généalogie : ce sont donc des actes religieux, où sont mentionnés les parrains et marraines. On peut donc ainsi facilement vérifier, ou non, le modèle dominant d’attribution de prénom parrain/filleul. Mais après la Révolution on utilise désormais les actes d’état civil : ce sont des actes laïcs où ne figurent plus les parrains et marraines (seulement des témoins, souvent des hommes). La question de la transmission des prénoms devient plus délicate à déterminer.

 

Dans les rares cas où le prénom de l’enfant n’est pas celui du parrain, d’autres usages de transmission du prénom existent, déterminés par la sphère psychologique et familiale : les aînés des enfants reçoivent les prénoms de leurs grands-parents, les cadets ceux des oncles et tantes et les benjamins quant à eux peuvent porter les prénoms des enfants aînés, de cousins ou de personnes étrangères. En effet, il existait un véritable souci, plus ou moins conscient, de préserver les prénoms de la lignée et également de faire « revivre » un proche récemment disparu (c’est ainsi que plusieurs enfants de la même fratrie peuvent porter le même prénom).

 

La Révolution remet en cause le modèle dominant du choix de prénom par l’introduction de l’état civil laïc, qui rend le baptême facultatif (2 à 5% des enfants ne sont plus baptisés). Il dissocie également l’acte administratif de l’acte religieux, accentuant le relâchement des réseaux familiaux. On observe par ailleurs dans la société un désir d’individualisation, qui se concrétise dans le choix de prénoms hors références religieuses ou familiales classiques. Au contraire, le besoin d’identification et d’intégration au groupe social, matérialisé par les prénoms empruntés aux parents ou aux parrains/marraines, régresse.

 

Un prénom est alors considéré comme « librement choisi » lorsqu’il relève d’un principe de transmission n’étant emprunté ni aux parents, ni aux parrains de l’enfant. Lorsque ce prénom est choisi hors de tout héritage familial, il marque une prise de liberté significative à l’égard du système.

 

Dans le cas qui nous occupe, il semble qu’il n’y avait pas de Zélia dans l’entourage proche de la famille qui aurait pu donner son prénom à notre ancêtre.

 

Avant la Révolution, deux filles sur trois s’appellent Marie. Ce prénom figure le plus souvent en première position, mais sa disparition progressive dans les actes montre qu’il est peu utilisé comme prénom usuel. Son choix n’est sans doute pas motivé par un attachement particulier au culte marial mais plutôt comme une simple habitude, symbole de l’intégration de l’enfant à la communauté des chrétiens.

La répartition des prénoms masculins obéit au même phénomène majoritaire quoique de manière légèrement atténuée : Jean y prédomine, mais moins largement que Marie pour les filles.

 

Si la Révolution marque un changement significatif dans le choix des prénoms, il est sans doute excessif de parler d’un bouleversement ou d’un renouvellement complet du système de nomination des enfants. On constate une coexistence entre des habitudes anciennes, en recul mais néanmoins persistantes, et des attitudes nouvelles, qui progressent sans encore s’imposer totalement. Les modes de transmission traditionnels perdent néanmoins leur caractère obligatoire et laissent de plus en plus de place à la diversité, à la nouveauté et à l’originalité Le rôle croissant des prénoms choisis hors des modes de transmission traditionnels, attestent d’une liberté accrue dans le choix des familles.

Bien qu’elle ne soit pas la seule responsable, il ne faut pas pour autant mésestimer le rôle de la Révolution dans ces évolutions : par la laïcisation de l’état civil, l’affaiblissement du contrôle religieux sur les familles et la déchristianisation de la société, elle a créé des conditions favorables au développement de ce processus, et l’a peut-être accéléré.

Alors que le curé veillait à ce que le choix des prénoms soit conforme aux règles fixées par l’Église, l’officier civil n’exerce en principe aucune pression. Les parents disposent ainsi d’une entière liberté de choix, qui ne peut être atténuée que par des obligations voulues ou consenties par eux-mêmes : engagements moraux, exigences religieuses, relations familiales ou pressions de l’entourage, par exemple. Le choix des prénoms peut alors exprimer autre chose que l’attachement religieux : engagement révolutionnaire, admiration pour des personnages illustres, amour de la nature, goût de l’antique, ou tout simplement adhésion aux phénomènes de mode.

 

Sous l’effet du contexte politique et de l’ambiance culturelle, le système de références anciennes se délite. Les familles peuvent alors se permettent de choisir les prénoms de leurs enfants dans de nouvelles sources d’inspiration, parfois même d’exprimer une inventivité tout à fait inédite.

 

Tout d’abord, les parents ont tendance à s’éloigner de plus en plus des usages d’identification (familiale, religieuse) pour ceux de l’individualisation. Il ne s’agit plus de marquer les liens de l’enfant avec son ascendance, sa famille, mais au contraire de le distinguer au sein de ce groupe et, au-delà, de l’ensemble de la société. La première conséquence de ces nouveaux usages est l’élargissement exceptionnel du stock des prénoms.

 

Selon certaines études** on constate une augmentation de 75% du stock de prénoms en cinquante ans. La progression est constante, au moins jusqu’au milieu du XIXème siècle, avec un pic en 1790- 1794 dû notamment à l’enrichissement temporaire du corpus par les prénoms républicains, et qui affecte davantage les prénoms masculins. Après cette parenthèse révolutionnaire, ce sont les prénoms féminins qui sont en constante progression.

 

La part des principaux prénoms donnés avant la Révolution décroît constamment. Pour les prénoms féminins, les transformations sont particulièrement notables. Marie perd en cinquante ans 60 % de son influence. Si Louise et Françoise conservent une audience constante, c’est sans doute lié au retour à la mode du prénom Louis (compte tenu du contexte politique) pour la première et par la reconversion en prénom à connotation patriotique à partir de la Révolution pour la seconde. Ensuite, la liste varie d’une période à l’autre, en fonction des reculs (Jeanne, Madeleine) et des progressions (Joséphine, Augustine, Virginie).

Les prénoms à forte connotation religieuse sont les plus touchés par les effets de l’accroissement du corpus de prénoms et de sa diversification. Jean et Marie (les prénoms les plus donnés avant la Révolution) connaissent un recul spectaculaire. Anne et Jean Baptiste suivent cette tendance tout comme, bien qu’à une moindre échelle, les noms des archanges (Michel, Gabriel), des évangélistes (Mathieu) ou des saints patrons des paroisses. L’influence de la Révolution paraît ici déterminante : elle accentue le recul de l’emprise religieuse sur la vie familiale et augmente l’attrait de nouvelles sources d’inspiration. Celui-ci est stimulé par le contexte idéologique, le développement de la vie culturelle, ainsi que l’ouverture des villages sur l’extérieur, la circulation des hommes, des informations et des idées.

 

Peu de prénoms disparaissent complètement : ce sont essentiellement ceux qui s’inspirent des papes, évêques ou abbés, dont la notoriété est récente et semble plus fragile que celles des saints et martyrs traditionnels. Par contre, beaucoup de références totalement nouvelles apparaissent. On l’observe davantage chez les filles que chez les garçons. Certains prénoms sont donnés selon un phénomène de mode, au début du siècle, puis s’inscrivent durablement dans les habitudes. C’est le cas par exemple de Virginie, Caroline, Augustine, Clémence ou Élisa pour les filles, Alphonse, Adolphe, Eugène ou Jules pour les garçons. Cependant nombre de ces nouveaux prénoms gardent une occurrence modeste et limitée dans le temps. Ce qui laisse à penser qu’ils n’ont pas vocation à être transmis ni à identifier les individus, mais au contraire à singulariser ceux et celles qui les ont reçus. Ce qui se confirme par leur présence fréquente en deuxième ou troisième position.

 

Les nouveaux prénoms masculins sont en majorité des noms de saints, donc parfaitement acceptables par l’Église. Ils s’inspirent de références nouvelles à l’Antiquité (Flavien, Cassien, Fabius), au Moyen Âge (Arnould, Geoffroy, Olivier) ou à des influences étrangères (Gustave, Édouard, Stanislas). Dans une recherche d’originalité plus poussée, on puise dans les noms de saints rares ou à la consonance inhabituelle, comme Agoard, Aglibert, Badilon ou Philéas. Nettement minoritaires, les prénoms non présents dans le martyrologe chrétien ont des origines diverses : des références antiques (Achille, Ulysse, Polynice) comme des influences étrangères (Jesse, Koenig) ou des prénoms construits à partir de qualificatifs (Désiré, Fortuné).

Pour les filles, le phénomène est très différent. Certaines nouveautés sont en fait des prénoms anciens momentanément inutilisés (Adèle, Barbe, Luce par exemple) remis au goût du jour.

Mais surtout une large majorité de prénom féminin apparaît comme de véritables créations et présentent des caractères originaux. On voit ainsi d’anciens diminutifs, tels que Jeannette, Annette ou Nanette, donnés comme véritables prénoms. Les variantes se multiplient : Élisabeth donne Élisa, Élise, Lisa, ou Lise ; à partir de Céline on trouve Célina et Célinie, etc... Mais le fait le plus marquant est la création de prénoms féminins à partir de prénoms masculins déjà existants. Louise, Françoise et Jeanne connaissent un succès grandissant, sans doute lié à celui de Louis, François et Jean, trois des prénoms les plus souvent attribués aux garçons. On n’hésite pas non plus à créer de nouveaux prénoms féminins par l’adjonction d’un suffixe (ie, ine, ette) aux prénoms masculins. Ainsi apparaissent les Albertine, Pascaline, Sébastienne, Ambroisie, Guillaumette, etc… Dans ces nouveaux prénoms féminins, on retrouve souvent les mêmes sources d’inspiration que pour les garçons : l’Antiquité (Ida, Olympe, Palmyre), les qualités morales (Fortunée, Prudente, Prospère), les consonances étrangères (Jenny) souvent teintées d’exotisme (Mélina, Zaïre, Zélia, Zulma).

Plus rarement on retrouve des prénoms d’origine biblique (Esther, Sara). Le retour de certains noms de saintes oubliées semble répondre à un souci d’originalité (Avoye, Basilide) et répond le plus souvent à des sonorités à la mode (comme Adeline, Lussine, Félicie). La progression des terminaisons en ie et ine est constante et régulière au XIXème siècle, sans doute parce que leur sonorité évoque un marqueur de féminité.

L’accroissement du stock des prénoms féminins se fait donc majoritairement en dehors du martyrologe chrétien, par la création de nouveaux prénoms obtenus en modifiant les anciens.

 

Ce caractère étranger ou exotique est marqué par certains sons : des consonnes inhabituelles (k, w ou x par exemple), certaines diphtongues (oa, ia, oé, aé) ou terminaisons (a, ia, y) ou encore les consonnes finales prononcées, comme dans im ou ior par exemple, et plus encore la combinaison de ces divers éléments comme dans Zélia, Zulma, pour les filles, Joachim ou Melchior pour les garçons.

L’utilisation de consonnes sourdes ou sonores, occlusives ou nasales, détermine à l’audition des impressions différentes et suggère des représentations mentales : force, douceur, austérité, sensualité, agressivité par exemple.

 

Le choix de prénoms étrangers au martyrologe chrétien a deux conséquences : une rupture culturelle avec les usages traditionnels et surtout un problème religieux parce que ces prénoms ne sont pas, en principe, autorisés par l’Église. On voit ainsi les curés omettre en nombre ces nouveaux prénoms, les remplacer ou effectuer des corrections orthographiques dans leurs registres paroissiaux. C’est ainsi que Jenny (dans l’état civil) devient Eugénie (sur l’acte de baptême), Héloïse se transforme en Louise, Élisa en Élisabeth. Mais petit à petit l’Église change d’attitude, soucieuse avant tout de conserver la pratique du baptême et la fréquentation du catéchisme, en baisse depuis la Révolution et la déchristianisation de la société. Elle fait donc des concessions à ses paroissiens dans des domaines jugés moins prioritaires comme le choix des prénoms.

 

Néanmoins l’Église n’a pas été aussi sévère à l’égard du choix des prénoms en tout temps et en tous lieux, puisque bien avant la Révolution, certaines personnes ont été baptisées avec des prénoms n’appartenant pas au martyrologe chrétien, notamment inspirés de la mythologie ou de l’histoire antique. César, Pompée, Olympe, Aglaé sont déjà portés parmi les notables de certaines paroisses. Cette rupture envers les usages et les prescriptions de l’Église était cependant assez rare et constituait surtout un privilège unique des classes les plus favorisées. Mais avec la Révolution, le phénomène à tendance à s’amplifier, et surtout à s’étendre à toutes les classes sociales.

 

Donner à son enfant le prénom du roi ou d’un membre de sa famille ne doit pas forcément être considéré comme un acte d’allégeance ou d’adhésion au principe de la monarchie. Il ne faut pas oublier la familiarité avec des prénoms souvent entendus et généralement respectés, et le fait que le roi et sa famille constituent, de par leur fonction même, une « référence » : l’attribution d’un prénom appartenant aux personnages les plus hauts placés peut être de bon augure pour l’enfant qu’on baptise (tout comme lorsque l’on donne à l’enfant le prénom d’un saint pour le mettre sous sa protection).

Louis est le nom des rois de France depuis le début du XVIIIème siècle (sans compter les périodes précédentes). À l’attrait qu’il présente à ce titre s’ajoute l’usage lié à la transmission du prénom par les parents et parrains depuis plusieurs générations. À la veille de la Révolution il est l’un des prénoms les plus attribués (10% des garçons). Contre toute attente, la Révolution n’affaiblit pas son audience.

Le prénom Marie Antoinette n’a pas connu un succès comparable (environ 1% des prénoms attribués). C’est sans doute dû au fait que ce prénom est moins ancré dans la tradition que Louis et à cause de la forte impopularité de la reine dans l’ensemble du pays. Néanmoins, comme pour Louis, le fait de donner ce prénom n’est pas forcément à considérer comme un signe d’attachement à la monarchie. A l’inverse, on peut envisager que la disparition du couple royal, et la rupture de la Révolution, aient levé toute ambiguïté liée à ces prénoms et les ait débarrassés de leur connotation politique, ce qui a permis de les donner plus facilement, sans crainte ni arrière-pensée.

Est-ce que c'est ce qu'a pensé le père de Marie Antoinette Zélia lorsqu'il lui a attribué ces prénom ? Difficile à dire. Mais d'une manière générale, il semble que ce ne soit pas l’attachement aux souverains, et aux personnalités politiques de premier plan en général, ou à leur fonction et action, qui suscitent l’attribution de prénoms. Simplement, leur notoriété contribue à faire connaître les prénoms qu’ils portent. Chacun a la possibilité de les utiliser ou non, en dehors de tout usage ou pression traditionnelle.

 

L’emprunt des prénoms au monde littéraire et artistique est difficile à cerner. Les choix d’attribution d’un prénom n’étant jamais explicités, on ne peut qu’émettre des hypothèses. La relation entre l’œuvre et le donneur du prénom n’est jamais prouvée. On peut appeler son fils Adolphe sans avoir lu le roman de Benjamin Constant, ni même en connaître l’existence.

 

Le XIXème siècle voit aussi un phénomène en croissance constante : l’attribution des prénoms multiples. Il se fait notamment par imitation des élites du pays. Si l’attribution de trois prénoms est de plus en plus courante, on peut donner jusqu’à cinq prénoms ou plus à l’enfant. Dans cette multiplication de prénoms, il n’est pas rare de conserver au moins un prénom à connotation religieuse, en premier ou second prénom. Le premier prénom est généralement donné par les parents, librement choisi. Toutefois il ne remplace pas entièrement les usages anciens mais s’y ajoute : les deux autres prénoms continuent à être donné par le parrain et la marraine. Dans cette optique, il n’est pas étonnant de voir que notre ancêtre se nommait Marie Antoinette Zélia (3 prénoms). Antoine pourrait être son parrain (on se rappelle que Claude Antoine Pernod était très proche de Zélia : il était probablement son parrain, même si seul son acte de baptême pourrait le confirmer).

 

Bien qu’ayant des prénoms multiples, la personne était généralement désignée sous un seul prénom, le « prénom d’usage » : ce peut être avant tout l’un des prénoms de baptême, en général le deuxième ou troisième prénom. En effet, Marie, souvent placée en première position chez les filles, n’est pas utilisé, tandis que les autres prénoms permettent une meilleure identification de la personne (comme pour notre Zélia).

Mais ces prénoms de baptême ne sont pas toujours utilisés pour désigner un individu. Ainsi, dans notre famille, la tante Henriette (1891/1985) se prénommait en fait Célestine, mais ses patrons ne souhaitant pas se fatiguer à retenir le prénom de leur domestique l’ont « renommée » Henriette (la servante précédente), prénom d’usage qu’elle a conservé toute sa vie. De même un individu peut modifier de lui-même son appellation. C’est là un phénomène lié à la personnalité de chaque individu. Ainsi une personne qui déteste son prénom peut en choisir un autre dans son usage quotidien ou le faire modifier de façon officielle.

 

 

Si on ignore d’où vient ce prénom de Zélia (aucune personne proche portant ce prénom original n’ayant été identifiée), on peut sans doute penser que son père ait été inspiré par les nouvelles modes soufflées par la Révolution pour donner ce prénom à sa fille : changement d’influences, élargissement du corpus de prénom, goût de l’originalité et de l’individualisation. L’enfant a donc reçu les prénoms de Marie (perpétuation des usages du prénom religieux, en première position), prénom vraisemblablement donné par le parrain en deuxième position (Antoinette, féminisation du prénom masculin Antoine) et prénom exotique, nouvel usage devenu à la mode en dernier lieu (Zélia).

On notera par ailleurs que les deux frères de notre Zélia se nomment Ildefonce François Marie (le premier étant décédé avant la naissance du second) et sa sœur Marie Alphoncine ; tous des prénoms déterminés par les mêmes usages de dénomination post-révolutionnaires.

 

Enfin notre Zélia, si elle n’a pas hérité son prénom d’une autre, a sans doute influencé à son tour l’attribution du prénom Zélia aux jeunes filles qui le portent au Poizat après elle.

 

Quant à ma petite nièce, il faudrait demander à sa mère pourquoi elle lui a attribué ce prénom ! 😉

 

 

* La terminaison en -az ou -oz est courante dans l’arc savoyard. Ce z final n'est en fait jamais prononcé : il servait à indiquer que le -a des noms féminins et le -o des noms masculins étaient atones, autrement dit que l'accent tonique devait porter sur l'avant-dernière syllabe. Ainsi, un nom comme La Clusaz devrait, à quelques nuances près, se prononcer "la Cluse".

** Philippe Daumas : Familles en Révolution - Vie et relations familiales en Île-de-France, changements et continuités (1775-1825)

 

 

vendredi 9 décembre 2022

#52Ancestors - 49 - François Assumel Lurdin

   - Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 49 : Vos prochaines recherches

 

Comme je l’ai dit récemment lors du #ChallengeAZ (voir article Z), je n’ai jamais véritablement exploré les archives des hypothèques.

Au début je pensais que cela ne concernait que les hypothèques dans le sens d’une garantie par lequel un emprunteur s'engage à remettre un bien à son créancier, en cas de défaut de paiement. Je ne voyais pas beaucoup l’intérêt en généalogie, considérant qu’il y a tant d’autres sources à exploiter.

Mais en me promenant sur les différents sites des archives, je me suis aperçue de définitions différentes, plus complètes… et qui m’ont donné envie. En effet, dans les hypothèques il y a aussi les transcriptions de tous les actes de mutation des propriétés (ventes d’immeubles, donations, partages…).

 

La recherche est fastidieuse car elle se fait en plusieurs temps (je prends ici le mode d’emploi des archives de l’Ain) :

1)       Identifier le bureau de la Conservation des hypothèques, chaque bureau ayant pour ressort un arrondissement. Pour mes ancêtres, c’est le Bureau de Nantua.

2)      Consulter le registre indicateur de la table alphabétique du répertoire des formalités (4 Q 2). On y trouve la mention d'un nommé ASSUMEL et le renvoi aux numéros du Volume (3) et du folio (8) de la table alphabétique du répertoire des formalités.

3)      Se reporter au volume 3 de la table alphabétique du répertoire des formalités (4 Q 36). Au folio 8, on trouve bien ASSUMEL LOURDIN François, propriétaire cultivateur, fils de Louis Marie, ainsi que les références au répertoire des formalités : volume 53, case 173.

4)      Consulter le répertoire des formalités hypothécaires, volume 53 (4 Q 108). La case 173 porte effectivement le compte de François ASSUMEL LOURDIN qui mentionne 18 transactions : 13 acquisitions, 4 ventes et 1 échange, datés entre 1845 et 1921, pour une valeur totale de 16 941 francs. 10 créances ont été inscrites, entre 1847 et 1894 pour une valeur totale de 18 425 francs.

5)      Muni des références trouvées dans le répertoire des formalités hypothécaires, on pourra consulter en salle de lecture le registre des transcriptions.

 

Répertoire des formalités hypothécaire de François Assumel Lourdin (Lurdin), détail © AD01


Et c’est là que les ennuis commencent : habitant à 400 km, ça coince un peu pur la consultation en salle de lecture. Mais dans son mode d’emploi, les archives de l’Ain précisent : « Vous pouvez aussi demander une copie de la transcription par courrier ou courriel en indiquant précisément les numéros de volume et d'article ainsi que les nom et prénom. » Chic ! Tant qu’à faire j’ai aussi demandé celles de son épouse Marie Antoinette Zélia BERROD (1 acquisition, 2 ventes et 1 donation).

Hélas, c’était trop beau. Les archives m’ont répondu : « Il n’est pas possible pour nos services de tout numériser car la reproduction ou numérisation de transcription(s) a un coût (forfait de 15 euros dans la limite de 30 pages à régler à réception d’une facture). »

Je me disais aussi… Bon, qu’il y ait un coût, je peux comprendre, mais autant le dire tout de suite, comme ça on sait à quoi s’attendre.

J’ai laissé tomber cette option là. Oui, parce qu’il n’y a pas que ce couple qui est concerné par les hypothèques : j’y ai trouvé 22 ancêtres, soit 64 transcriptions et 43 inscriptions.

La transcription est la formalité consistant dans le dépôt, au bureau de la conservation des hypothèques, d'un exemplaire de tous les actes translatifs, déclaratifs ou modificatifs de propriété, entre vifs ou par décès, soumis à la publicité.

L’inscription est la mention effectuée sur un registre tenu à la Conservation des hypothèques et qui signale qu'une propriété est hypothéquée.

De l’aveu des archives, « il est rare que nous numérisions les inscriptions car celles-ci n’apportent que très peu d’éléments ». Mais puisqu’on y est, autant être complète.

Donc 107 documents à consulter. Si toutefois j’avais envie d’aller en salle de lecture, seulement 5 cotes peuvent être demandées simultanément pour un nombre total de 20 communiqués dans une journée (s’il y a un peu d’affluence). Elle n’est ouverte que 3 jours par semaine.
Et tant qu’à faire d’y être, autant consulter les archives notariales qui ne sont pas en ligne (161 documents). Et je ne compte pas les dossiers personnels dont j’ai connaissance (un instituteur par exemple…).

Il me faudrait donc environ 13 jours ½, ou un peu moins de 5 semaines.

 

Comment dire…

Disons que pour le moment je vais me contenter des informations fournies par les répertoires des formalités hypothécaires.

 


vendredi 14 octobre 2022

#52Ancestors - 41 - Claude Janvion

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 41 : Transmission

 

La mort n’est pas une fin. Pas pour les survivants. Il faut donc penser à la transmission au-delà du décès. Pour les souvenirs, c’est la transmission orale, la mémoire. Pour les biens matériels c’est l’inventaire après décès (entre autre).

 

Un inventaire après décès (IAD) est un acte passé devant notaire visant à établir la liste des biens possédés par une personne lors de sa mort. Le notaire la dresse en parcourant chaque pièce de la maison afin de relever tous les biens (meubles, vêtements, vaisselle, ustensiles de cuisine, papiers divers, animaux, outils, grains, etc...). Sont aussi inventoriées les terres possédées, l’argent ou bien les dettes si le défunt en a laissées.

Les IAD sont réalisés depuis l'Ancien Régime et sont extrêmement courants jusqu'à la fin du XIXème siècle, quelle que soit la nature du bien, grand ou petit.

 

Ainsi, « le 13 thermidor an IV de la République une et indivisible » (31 juillet 1796) Me Guillermet Louis, « notaire public » s’est « porté dans la maison délaissée » par Claude Janvion. Claude est mon sosa n°64, ancêtre à la VIIIème génération, décédé à Lalleyriat (Ain) en 1796. On a remis au notaire « les clés [de ladite maison] sous lesquelles les scellés avaient été apposés » pour procéder à l’inventaire.

 

L’IAD est généralement demandé par le conjoint survivant ou l’héritier désigné pat testament si le défunt en a rédigé un avant de mourir. Ici il s’agit de « Marie Jacquiot veuve de Claude Janvion tutrice et curatrice de Blaize, Cecile et Joseph enfants dudit feu Claude Janvion ». Il est fait devant témoins. Pour l’inventaire de Claude, il s’agit des « citoyens André Joseph Figuet et Joseph Vion Loisel deux cultivateurs demeurant audit Lalleyriaz ».

Inventaire après décès © AD01

L'inventaire dure plus ou moins longtemps en fonction de la richesse du défunt. Ici il ne dure qu’un seul jour (pour 12 pages rédigées) mais il peut être beaucoup plus long ; ainsi celui de Jean Avalon (mon boucher héros du #ChallengeAZ 2019) dure 9 jours et fait 64 pages !

Pour les généalogistes, c’est document précieux car il décrit de façon minutieuse les biens possédés par l’ancêtre, mais aussi sa maison, son atelier, sa ferme (selon son activité), le nombre de pièces, les étages, l’état d’usure des vêtements ou des outils. Il donne à voir la richesse du défunt, son niveau de vie, ses goûts. C’est une véritable plongée dans l’intimité de l’ancêtre. Dans notre exemple, le notaire inventorie d’abord les animaux, les outils agricoles. Puis il entre dans le grenier* « qui est au fond de la grange sur laquelle était apposés les scellés que nous avons ouvert avec la clé a nous confiée par le citoyen juge de paix » où se trouve de l’avoine et d’autres outils.

Parfois l’IAD réserve des surprises. Ainsi le notaire relève la présence d’un « sabre de volontaire », ce qui semble indiquer que le défunt a été soldat de la Révolution. Les événements révolutionnaires parisiens sont à l’origine de la création de la Garde Nationale. En province, cette milice de citoyens fut placée sous l’autorité des municipalités et des districts dès 1790. Après la Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, l’Assemblée impose le même uniforme à tous les gardes nationaux. Ils doivent s’habiller et s’équiper à leurs frais. Seuls les "citoyens actifs" (c’est-à-dire payant une contribution directe égale à la valeur de trois journées de travail) peuvent être gardes nationaux. Sous la pression des événements révolutionnaires, la Garde Nationale devient une véritable "armée citoyenne". Après la fuite du roi à Varennes le 21 juin 1791, mais plus encore après la chute de la royauté, le 10 août 1792, l’Assemblée mobilise partout les Gardes nationaux, rejoints par les citoyens "passifs". En 1792 Claude avait 39 ans, ce qui paraît cohérent avec un service dans la Garde. Ce qui nous laisse supposer que le sabre appartenait bien à Claude; le fait que le notaire n'ait pas mentionné que le sabre était la propriété d'un autre vient appuyer cette hypothèse. Ce sabre est donc un indice précieux, mais je n’en sais pas plus sur sa possible activité dans la Garde Nationale.

Ensuite le notaire s’est « transporté dans la chambre à coté de la cuisine ». Ces petites mentions anodines permettent de visualiser l’intérieur de la maison et la répartition des pièces. Sont alors dénombrés les vêtements, le linge de lit.

Parfois quelques pièces n’appartiennent pas au défunt : ainsi une « couverte [= couverture] picquée appartenante a ladite Jacquiot pourquoy elle ne sera pas estimée » ou des outils appartenant à « Jean Janvion père du défunt qui se sont trouvés dans la maison du défunt dont il s’en est emparé étant à luy c’est pourquoy ils n’ont pas été estimés ».

La transmission des possessions est affaire importante. C’est pourquoi on trouve parfois des mentions du type : « Dans le buffet se sont trouvés une liasse de papier contenant différentes acquisitions par ledit Jean Janvion et ses ancêtres ». Malheureusement ici lesdits papiers ne sont pas détaillés. Pire encore (pour la généalogiste que je suis) le notaire a trouvé « une quesse [= caisse] remplie de vieux papier de famille qui ne méritent pas d’être inventorié ».

L’IAD est assorti d’une prisée, c'est-à-dire d’une estimation des biens inventoriés, selon leurs valeurs et leurs états. Par exemple « Un chariot a quatre roues ferrer tout neuf estimé cent livres ». Le notaire conclu par  un récapitulatif de la prisée : « tous lesquels effets cy dessus estimés [88 éléments listés] se montent en totalité a la somme de 592 livre valleur metalique ».

Ici il n'y a pas ni monnaie sonnante et trébuchante ni dette, ce que le notaire précise.

Il conclut en précisant que les « meubles et effets [demeurent] a la charge, garde et conservation de ladite Marie Jacquiot tutrice et curatrice qui a promis d’en avoir un soin particulier et de les représenter a qui de droit et lors quelle en sera requis ». Le document se termine par les formules d'usage et les signatures de ceux qui ne sont pas illettrés (dans le cas contraire, c'est précisé).


Remercions nos ancêtres et leur goût de la transmission du patrimoine qui nous permettent de nous approcher au plus près de leurs vies.

 

 

 

* Grenier : Édifice isolé de la maison, afin d’éviter que les biens du grenier ne soient détruits en cas d’incendie du bâtiment principal, caractéristique du patrimoine architectural de montagne. Construction servant à stocker les grains, les biens précieux (papiers de famille, vêtements du dimanche...), de la nourriture, etc...

 

 

vendredi 10 juin 2022

#52Ancestors - 23 - Les frères Jeanvion

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 23 : Quelles erreurs avez-vous commises ?

 

Quand j’ai commencé ma généalogie, je ne m’intéressais qu’aux lignées directes. Peut-être était-ce parce que l’arbre de mon grand-père qui a été le déclencheur de mes recherches ne comportait que les ancêtres directs. Ou peut-être était-ce parce qu’ainsi j’avais l’impression d’avoir un arbre « pur », c'est-à-dire ne comportant que les ancêtres ayant un lien direct avec moi.

 

Mais avec l’expérience, je me suis rendue compte que c’était une erreur. Parce qu’en ne recherchant pas les frères et sœurs, par exemple, ou les unions multiples, c’est se priver de tout un environnement familial.

 

Ainsi je me rappelle un jour, il n’y a pas si longtemps, où je faisais des recherches autour d’un ancêtre – son nom m’échappe, alors que ce qui va suivre est resté gravé dans ma mémoire – il était seul, ses parents étaient décédés. Je m’aperçu que je n’avais pas exploré sa famille : je lui ai trouvé plusieurs frères et sœurs vivants, des proches, un tuteur choisi parmi eux. Et soudain mon regard changeait : mon ancêtre n’était plus seul. J’en ai ressenti une grande joie (bien que le pauvre homme fût mort depuis plusieurs siècles).

 

Mais plus bien souvent encore explorer les proches m’a permis de débloquer une situation. Ainsi avec les Jeanvion, famille de Lalleyriat (01) ayant vécu à la fin du XVIIème siècle.

J’avais d’un côté un Jean (Sosa 1312) et de l’autre un Claude (Sosa 1382). Lalleyriat étant un petit village, il y avait des chances pour qu’ils appartiennent à la même famille. Mais rien en l’état ne permettait de le prouver.

Alors j’ai réexaminé les actes paroissiaux. J’ai recherché tous les enfants de Jean et ceux de Claude. La tâche de fut pas aisée, les registres étant partiellement lacunaires. Si Claude a eu une descendance  relativement abondante (6 enfants et un certain nombre de petits-enfants), je n’ai trouvé qu’un fils de Jean, mon ancêtre Joseph. Alors j’ai examiné la génération suivante : naissances, mariages, décès… J’y ai traqué la moindre allusion familiale. Un oncle témoin ? Une cousine marraine ?

  • Claude est plusieurs fois dit l’Aîné. A son décès en 1704 sont présents Jean et Claude le Cadet. C’est ainsi que je (re)découvre un autre frère potentiel.
  • Bartholomière Jeanvion, fille de Claude, est la marraine de Barthélémière Alhumbert sa nièce née en 1721 et Claude Jeanvion, petit-fils de Jean, né en 1718.
  • Joseph Jeanvion, fils de Jean, est le parrain de Joseph Alhumbert, petit-fils de Claude né en 1709.
  • Au baptême du fils de Claude la Cadet sont témoins… Jean et Claude (probablement l’Aîné).
  • Aimé (ou Esmé – c’est le même prénom) Jeanvion est le parrain d’Esmé Jeanvion fils de Claude l’Aîné. Mais Aimé/Esmé est aussi le témoin au mariage de Claudine Jeanvion.

Et ainsi de suite (je vous épargne une longue liste fastidieuse). Les fils sont ténus, mais ils sont là. Claude et Jean sont frères.

Famille Jeanvion


Bref, en relisant les actes (souvent une information nous échappe, surtout quand les actes ont été trouvés il y a longtemps et que les méthodes de travail n’étaient pas les mêmes) et en explorant ceux que je n’avais pas examinés autrefois je suis parvenue à modifier totalement l’environnement familial des Jeanvion. De deux hommes isolés, j’ai fait une famille, complété la fratrie, bouleversé le paysage.

 

 

vendredi 6 mai 2022

#52Ancestors - 18 - Claude Joseph Robin

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 18 : Quelle était leur vie en société ?

 

Quand je rencontre Claude Joseph Robin, il est laboureur à Martignat (01). Né en 1717 (et mort en 1784), il est fils de François, lui-même laboureur. Il est son probable fils aîné, bien que les registres étant lacunaires, il est difficile de l’affirmer avec certitude.

 

Ce métier de laboureur recouvre des réalités un peu floues, différentes selon les régions et les époques :

  • Le laboureur peut être un simple traceur de sillons, n’ayant d’autre moyens de travail que ses bras et son savoir-faire, mais ne possédant pas d’attelage ; il est alors dit « laboureur à bras ».  Ce savoir-faire est néanmoins complet : « préparer la terre (essarter, épierrer, aménager des fossés), labourer (avec bœuf, cheval, mulet, âne), fumer la terre, semer, sarcler, moissonner, conserver les blés »*.
  • Il peut aussi être propriétaire d’une charrue et d’animaux de labour, se louant avec ses bêtes de ferme en ferme pour les travaux agricoles ; il peut alors être qualifié de « laboureur à bœufs ».
  • Mais il peut être aussi locataire ou même propriétaire de ses terres, et donc placé plus haut dans l’échelle sociale. Ce laboureur n’a plus rien à voir avec l’indigence car il implique un certain capital afin d’entretenir les bestiaux en plus des investissements liés aux instruments, aux semences, fourrages, etc… Il est entrepreneur mais aussi pourvoyeur d'emplois, puisqu’il entretient une domesticité permanente ainsi que, durant les gros travaux agricoles, des travailleurs saisonniers. C’est un paysan qui s’est enrichi. Il est aisé. Il a un statut reconnu dans la communauté, considéré comme un notable des campagnes, très présent dans les assemblées villageoises. Il peut prétendre à des unions avec la noblesse locale. On leur donne alors le qualificatif d’"Honorable" ou de "Maître".  Certains sont très riches, d’autres moins, ils représentent néanmoins l'élite de la paysannerie.

 

Je pense de Claude Joseph appartient à cette dernière catégorie. Son père est ainsi qualifié d’Honorable.

Pour confirmer cette hypothèse de paysan aisé, il faudrait trouver un inventaire après décès mais les inventaires et registres notarial de Martignat ne sont pas en ligne.

Cependant ma « cousine » Bernadette a trouvé un document en allant sur place, qui semble confirmer cette hypothèse. Une lettre extraite de l’étude de Me Andrea, signée de Claude Joseph et rédigée en 1748. Par cette lettre il « confesse avoir reçu du sieur Benoist Picquet [...] la somme de quinze livres deux sols six deniers ». Or, dans ce document, il se présente comme « scindic de la paroisse de martignat » pour l’année 1747.

 

Le syndic est un notable chargé de représenter, d'administrer et de défendre les intérêts d'une paroisse ou d'une communauté rurale. « Il fait & reçoit les mémoires qui regardent les affaires ou les intérêts de la communauté ; il contrôle & corrige les actions & les fautes des particuliers qui dépendent de la communauté, ou du-moins il les fait blâmer ou réprimander dans les assembles publiques. » **.

Dans le cas d'une paroisse, il est généralement élu par une assemblée constituée des hommes considérés comme les « chefs de famille » de la paroisse. Les modalités d’élection/nomination sont variables et changent plusieurs fois pendant le XVIIIème siècle. Ordinairement, la communauté d'habitants se réunissait “dans la manière ordinaire à la sortie de la messe de dimanche” pour élire, pour un ou deux ans, un habitant pour les représenter comme syndic.***

L’administration royale précise peu à peu leur rôle et nomination. On préconisait ainsi que les syndics soient choisis parmi les “personnes intelligentes et qui sachent écrire”***, la population qualifiée de « la plus saine, la plus compétente »****. Les habitants proposaient plusieurs personnes aptes à remplir la fonction et leurs noms étaient mis aux voix par la communauté réunie. Étaient élus (ou cooptés : souvent ce sont les même hommes qui exercent cette fonction à tour de rôle) celui ou ceux qui en remportaient le plus. Ladite communauté n’est composée que des hommes, comme ont l’a dit plus haut. Normalement la présence de tous était obligatoire. Ces réunions avaient lieu tous les ans (ou deux ans) et élisaient donc des « syndics annuels ». Au début du XVIIIème siècle, la monarchie créa la charge de « syndic perpétuel » qui devait représenter non seulement la communauté d'habitants mais aussi l'administration royale.*** La charge fut éphémère (supprimée en 11717), mais on le trouve parfois dans nos archives familiales. Les syndics sont donc élus parmi les notables de la ville ; c’est pourquoi Claude Joseph s’est retrouvé dans cette fonction en 1747.

 

Le rôle du syndic se précise peu à peu : il peut convoquer l'assemblée de la communauté et veiller aux réunions de ces assemblées ; il gère les affaires fiscales de la communauté ; il est chargé de fonctions relatives à la levée des impôts et à l'adjudication et la réparation des églises et des presbytères ; il s'occupe du recrutement de la milice ; il gère la garnison des troupes dans le village ; il administre les corvées; il préside aux affaires légales qui pouvaient intéresser la communauté. Néanmoins, les attributions des syndics continuent à rester variables selon les endroits et les époques.***

 

Pieter Brueghel, Le collecteur des tailles, 1617 - détail - Wikimedia commons


Je n’ai malheureusement pas plus d’exemples concrets concernant l’activité de syndic de Claude Joseph Robin. Par la suite il deviendra « hobergiste » : en tant qu’aubergiste il a dû avoir aussi une « vie en société » importante. Mais ça, c’est une autre histoire…

 

 

* Olivier de Serres : Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs, publié en 1600.

** Encyclopédie, 1751

*** Cynthia Bouton : Les syndics des villages du bassin parisien des années 1750 à la Révolution

**** Les Syndics - Conférence présentée par Claude R. en janvier 2005 à Saint Méard de Dronne

 

jeudi 24 mars 2022

#52Ancestors - 12 - Marie Anne Guilin

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 12 : Matriarcat


Marie Anne Guilin n’a pas beaucoup connu sa mère : elle est décédée quand la fillette n’avait que 6 ans. S’est-elle, si jeune, occupée de sa sœur Félicité (4 ans) et son frère Charles (1 an) ? Ou les grands-mères ont-elles aidée le jeune veuf ? Toujours est-il que Jean Baptiste Guilin attendit 3 ans pour se remarier, en 1762. Catherine Bouvret a sans doute joué ensuite un rôle de substitution pour la petite Marie Anne. Elle-même ne semble pas avoir donné d’enfant à Jean Baptiste. Je perds sa trace ensuite.

Difficile de dire ce que furent les jeunes années de Marie Anne. On espère que, malgré son deuil à un si jeune âge, elle fut heureuse. Elle vient d’un milieu lettré, plutôt aisé où l’on se part de titres tels que « sieur », « honorable », et où l’on fréquente des « bourgeois ». Elle est une des rares personnes de la famille (femmes comprises) à ne pas savoir signer : son enfance difficile l'a-t-elle privée d'école ? 

Son père, ancien « maréchal des logis des troupes de sa majesté le Roy de Sardagne », devenu vigneron était installé à Cerdon (Ain). Ce vignoble ancien se déploie sur le Bugey, région qui se démarque par son relief très contrasté, dans la partie montagneuse de l’Est de l’actuel département de l’Ain. Il connaîtra son apogée dans les années 1870 avant que le phylloxéra en ravage les rangs. Gravement touché le vignoble décline alors pendant plusieurs décennies. Aujourd’hui il est reconnu par une AOC. Cerdon produit des vins mousseux rosés au processus d'élaboration original, appelé « méthode ancestrale ». La fermentation, arrêtée par une étape de filtration, donne un vin pétillant, faiblement alcoolisé et dans lequel le raisin non fermenté apporte sucre et arômes. Jean Baptiste Guilin appliquait-il déjà cette « méthode ancestrale » ?

Malheureusement Jean Baptiste ne resta pas longtemps pour faire prospérer son domaine : il meurt en 1775. Marie Anne a alors 22 ans, mais elle est encore mineure (la majorité étant alors fixée à 25 ans). Elle est orpheline de père et de mère. Un curateur lui est adjugé : son oncle Jean Claude Jacquet, marchand. Qui a alors géré l'exploitation familiale ? Marie Anne ? L'oncle qui n'habite pas Cerdon ? Charles, le petit frère qui n'a que 17 ans ? Tous ensemble ? Ce que l'on sait, c'est que Félicité est la première a quitter le domicile familial : en 1776 elle se marie à Saint Jean le Vieux, à une douzaine de kilomètres au Sud, où elle est installée comme tailleuse. Il ne reste sur place que Marie Anne et son jeune frère.

Marie Anne se marie deux ans plus tard, avec un « marchand vigneron » de Cerdon, Charles François Colomb. Il est issu du même milieu qu’elle, des vignerons de Cerdon, lettré, sans doute plutôt aisé. Il a 27 ans. Ensemble ils ont 7 enfants, et ont eu la chance de n’en perdre aucun en bas âge. Marie Anne a veillé à l’éducation de ses enfants qui ont fréquenté l’école : tous signent leur acte de mariage, sauf Françoise, la fille aînée, dans un étrange effet miroir de la propre vie de Marie Anne.

Moins de 20 ans après son mariage, en 1797, Anne Marie enterre son époux. A 44 ans, elle se retrouve à nouveau seule. Un autre défi s’annonce pour elle : gérer la vigne et établir ses enfants. A-t-elle participé à l’exploitation du vignoble après le décès de son mari ? Sans doute car au moment de son décès elle sera dite « cultivatrice », comme le sont dits parfois les vignerons au XIXème siècle.

Féminisme 


Ses deux fils aîné restent à Cerdon et s’établissent aussi comme vignerons. Peut-être reprennent-ils l’exploitation familiale avec leur mère ? Sa fille aînée, Françoise, reste dans le milieu en épousant un vigneron de Cerdon. Ces derniers sont mes ancêtres directs. Ils sont dits propriétaire (pour lui) ou rentière (pour elle). On les retrouve dans les archives au fil des acquisitions (maison et jardin à Cerdon, pré et chasal* en montagne) et successions où ils laissent meubles et immeubles. Les deux filles suivantes s’installent à Fleurie (69) : Marie Marguerite s’y marie en 1817 et Marie la rejoint : elle demeure célibataire mais reste proche de sa sœur et de son beau-frère (qui déclare son décès). Elle aussi sera dite rentière. Les deux cadettes s’exilent aussi : Marianne épouse un cabaretier de Champdor (01) et Louise un marchand de chaux de Saint Symphorien d’Ancelles (71).

Malgré l’éloignement physique, la mère est restée proche de ses enfants : si elle ne peut être présente aux mariages de ses filles, elle a néanmoins pris le soin, à chaque fois, de rédiger un acte de consentement devant notaire.

Marie Anne ne s’est jamais remariée. Elle est restée veuve 44 ans. Après une enfance marquée par le deuil qui a dû la faire grandir plus vite que prévu, elle se retrouve à nouveau seule à l’âge mûr. Elle a alors dû assumer, sans aide masculine (un mari, un père), les tâches d’une femme, d’une mère : gérer (probablement) l’exploitation familiale, l’éducation de ses enfants et les conduire sur les chemins de la vie. Elle s’est éteinte à Cerdon le 17 janvier 1841, à l’âge de 88 ans.



 

* Voir la page lexique de ce blog.