« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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vendredi 9 décembre 2022

#52Ancestors - 49 - François Assumel Lurdin

   - Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 49 : Vos prochaines recherches

 

Comme je l’ai dit récemment lors du #ChallengeAZ (voir article Z), je n’ai jamais véritablement exploré les archives des hypothèques.

Au début je pensais que cela ne concernait que les hypothèques dans le sens d’une garantie par lequel un emprunteur s'engage à remettre un bien à son créancier, en cas de défaut de paiement. Je ne voyais pas beaucoup l’intérêt en généalogie, considérant qu’il y a tant d’autres sources à exploiter.

Mais en me promenant sur les différents sites des archives, je me suis aperçue de définitions différentes, plus complètes… et qui m’ont donné envie. En effet, dans les hypothèques il y a aussi les transcriptions de tous les actes de mutation des propriétés (ventes d’immeubles, donations, partages…).

 

La recherche est fastidieuse car elle se fait en plusieurs temps (je prends ici le mode d’emploi des archives de l’Ain) :

1)       Identifier le bureau de la Conservation des hypothèques, chaque bureau ayant pour ressort un arrondissement. Pour mes ancêtres, c’est le Bureau de Nantua.

2)      Consulter le registre indicateur de la table alphabétique du répertoire des formalités (4 Q 2). On y trouve la mention d'un nommé ASSUMEL et le renvoi aux numéros du Volume (3) et du folio (8) de la table alphabétique du répertoire des formalités.

3)      Se reporter au volume 3 de la table alphabétique du répertoire des formalités (4 Q 36). Au folio 8, on trouve bien ASSUMEL LOURDIN François, propriétaire cultivateur, fils de Louis Marie, ainsi que les références au répertoire des formalités : volume 53, case 173.

4)      Consulter le répertoire des formalités hypothécaires, volume 53 (4 Q 108). La case 173 porte effectivement le compte de François ASSUMEL LOURDIN qui mentionne 18 transactions : 13 acquisitions, 4 ventes et 1 échange, datés entre 1845 et 1921, pour une valeur totale de 16 941 francs. 10 créances ont été inscrites, entre 1847 et 1894 pour une valeur totale de 18 425 francs.

5)      Muni des références trouvées dans le répertoire des formalités hypothécaires, on pourra consulter en salle de lecture le registre des transcriptions.

 

Répertoire des formalités hypothécaire de François Assumel Lourdin (Lurdin), détail © AD01


Et c’est là que les ennuis commencent : habitant à 400 km, ça coince un peu pur la consultation en salle de lecture. Mais dans son mode d’emploi, les archives de l’Ain précisent : « Vous pouvez aussi demander une copie de la transcription par courrier ou courriel en indiquant précisément les numéros de volume et d'article ainsi que les nom et prénom. » Chic ! Tant qu’à faire j’ai aussi demandé celles de son épouse Marie Antoinette Zélia BERROD (1 acquisition, 2 ventes et 1 donation).

Hélas, c’était trop beau. Les archives m’ont répondu : « Il n’est pas possible pour nos services de tout numériser car la reproduction ou numérisation de transcription(s) a un coût (forfait de 15 euros dans la limite de 30 pages à régler à réception d’une facture). »

Je me disais aussi… Bon, qu’il y ait un coût, je peux comprendre, mais autant le dire tout de suite, comme ça on sait à quoi s’attendre.

J’ai laissé tomber cette option là. Oui, parce qu’il n’y a pas que ce couple qui est concerné par les hypothèques : j’y ai trouvé 22 ancêtres, soit 64 transcriptions et 43 inscriptions.

La transcription est la formalité consistant dans le dépôt, au bureau de la conservation des hypothèques, d'un exemplaire de tous les actes translatifs, déclaratifs ou modificatifs de propriété, entre vifs ou par décès, soumis à la publicité.

L’inscription est la mention effectuée sur un registre tenu à la Conservation des hypothèques et qui signale qu'une propriété est hypothéquée.

De l’aveu des archives, « il est rare que nous numérisions les inscriptions car celles-ci n’apportent que très peu d’éléments ». Mais puisqu’on y est, autant être complète.

Donc 107 documents à consulter. Si toutefois j’avais envie d’aller en salle de lecture, seulement 5 cotes peuvent être demandées simultanément pour un nombre total de 20 communiqués dans une journée (s’il y a un peu d’affluence). Elle n’est ouverte que 3 jours par semaine.
Et tant qu’à faire d’y être, autant consulter les archives notariales qui ne sont pas en ligne (161 documents). Et je ne compte pas les dossiers personnels dont j’ai connaissance (un instituteur par exemple…).

Il me faudrait donc environ 13 jours ½, ou un peu moins de 5 semaines.

 

Comment dire…

Disons que pour le moment je vais me contenter des informations fournies par les répertoires des formalités hypothécaires.

 


vendredi 14 octobre 2022

#52Ancestors - 41 - Claude Janvion

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 41 : Transmission

 

La mort n’est pas une fin. Pas pour les survivants. Il faut donc penser à la transmission au-delà du décès. Pour les souvenirs, c’est la transmission orale, la mémoire. Pour les biens matériels c’est l’inventaire après décès (entre autre).

 

Un inventaire après décès (IAD) est un acte passé devant notaire visant à établir la liste des biens possédés par une personne lors de sa mort. Le notaire la dresse en parcourant chaque pièce de la maison afin de relever tous les biens (meubles, vêtements, vaisselle, ustensiles de cuisine, papiers divers, animaux, outils, grains, etc...). Sont aussi inventoriées les terres possédées, l’argent ou bien les dettes si le défunt en a laissées.

Les IAD sont réalisés depuis l'Ancien Régime et sont extrêmement courants jusqu'à la fin du XIXème siècle, quelle que soit la nature du bien, grand ou petit.

 

Ainsi, « le 13 thermidor an IV de la République une et indivisible » (31 juillet 1796) Me Guillermet Louis, « notaire public » s’est « porté dans la maison délaissée » par Claude Janvion. Claude est mon sosa n°64, ancêtre à la VIIIème génération, décédé à Lalleyriat (Ain) en 1796. On a remis au notaire « les clés [de ladite maison] sous lesquelles les scellés avaient été apposés » pour procéder à l’inventaire.

 

L’IAD est généralement demandé par le conjoint survivant ou l’héritier désigné pat testament si le défunt en a rédigé un avant de mourir. Ici il s’agit de « Marie Jacquiot veuve de Claude Janvion tutrice et curatrice de Blaize, Cecile et Joseph enfants dudit feu Claude Janvion ». Il est fait devant témoins. Pour l’inventaire de Claude, il s’agit des « citoyens André Joseph Figuet et Joseph Vion Loisel deux cultivateurs demeurant audit Lalleyriaz ».

Inventaire après décès © AD01

L'inventaire dure plus ou moins longtemps en fonction de la richesse du défunt. Ici il ne dure qu’un seul jour (pour 12 pages rédigées) mais il peut être beaucoup plus long ; ainsi celui de Jean Avalon (mon boucher héros du #ChallengeAZ 2019) dure 9 jours et fait 64 pages !

Pour les généalogistes, c’est document précieux car il décrit de façon minutieuse les biens possédés par l’ancêtre, mais aussi sa maison, son atelier, sa ferme (selon son activité), le nombre de pièces, les étages, l’état d’usure des vêtements ou des outils. Il donne à voir la richesse du défunt, son niveau de vie, ses goûts. C’est une véritable plongée dans l’intimité de l’ancêtre. Dans notre exemple, le notaire inventorie d’abord les animaux, les outils agricoles. Puis il entre dans le grenier* « qui est au fond de la grange sur laquelle était apposés les scellés que nous avons ouvert avec la clé a nous confiée par le citoyen juge de paix » où se trouve de l’avoine et d’autres outils.

Parfois l’IAD réserve des surprises. Ainsi le notaire relève la présence d’un « sabre de volontaire », ce qui semble indiquer que le défunt a été soldat de la Révolution. Les événements révolutionnaires parisiens sont à l’origine de la création de la Garde Nationale. En province, cette milice de citoyens fut placée sous l’autorité des municipalités et des districts dès 1790. Après la Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, l’Assemblée impose le même uniforme à tous les gardes nationaux. Ils doivent s’habiller et s’équiper à leurs frais. Seuls les "citoyens actifs" (c’est-à-dire payant une contribution directe égale à la valeur de trois journées de travail) peuvent être gardes nationaux. Sous la pression des événements révolutionnaires, la Garde Nationale devient une véritable "armée citoyenne". Après la fuite du roi à Varennes le 21 juin 1791, mais plus encore après la chute de la royauté, le 10 août 1792, l’Assemblée mobilise partout les Gardes nationaux, rejoints par les citoyens "passifs". En 1792 Claude avait 39 ans, ce qui paraît cohérent avec un service dans la Garde. Ce qui nous laisse supposer que le sabre appartenait bien à Claude; le fait que le notaire n'ait pas mentionné que le sabre était la propriété d'un autre vient appuyer cette hypothèse. Ce sabre est donc un indice précieux, mais je n’en sais pas plus sur sa possible activité dans la Garde Nationale.

Ensuite le notaire s’est « transporté dans la chambre à coté de la cuisine ». Ces petites mentions anodines permettent de visualiser l’intérieur de la maison et la répartition des pièces. Sont alors dénombrés les vêtements, le linge de lit.

Parfois quelques pièces n’appartiennent pas au défunt : ainsi une « couverte [= couverture] picquée appartenante a ladite Jacquiot pourquoy elle ne sera pas estimée » ou des outils appartenant à « Jean Janvion père du défunt qui se sont trouvés dans la maison du défunt dont il s’en est emparé étant à luy c’est pourquoy ils n’ont pas été estimés ».

La transmission des possessions est affaire importante. C’est pourquoi on trouve parfois des mentions du type : « Dans le buffet se sont trouvés une liasse de papier contenant différentes acquisitions par ledit Jean Janvion et ses ancêtres ». Malheureusement ici lesdits papiers ne sont pas détaillés. Pire encore (pour la généalogiste que je suis) le notaire a trouvé « une quesse [= caisse] remplie de vieux papier de famille qui ne méritent pas d’être inventorié ».

L’IAD est assorti d’une prisée, c'est-à-dire d’une estimation des biens inventoriés, selon leurs valeurs et leurs états. Par exemple « Un chariot a quatre roues ferrer tout neuf estimé cent livres ». Le notaire conclu par  un récapitulatif de la prisée : « tous lesquels effets cy dessus estimés [88 éléments listés] se montent en totalité a la somme de 592 livre valleur metalique ».

Ici il n'y a pas ni monnaie sonnante et trébuchante ni dette, ce que le notaire précise.

Il conclut en précisant que les « meubles et effets [demeurent] a la charge, garde et conservation de ladite Marie Jacquiot tutrice et curatrice qui a promis d’en avoir un soin particulier et de les représenter a qui de droit et lors quelle en sera requis ». Le document se termine par les formules d'usage et les signatures de ceux qui ne sont pas illettrés (dans le cas contraire, c'est précisé).


Remercions nos ancêtres et leur goût de la transmission du patrimoine qui nous permettent de nous approcher au plus près de leurs vies.

 

 

 

* Grenier : Édifice isolé de la maison, afin d’éviter que les biens du grenier ne soient détruits en cas d’incendie du bâtiment principal, caractéristique du patrimoine architectural de montagne. Construction servant à stocker les grains, les biens précieux (papiers de famille, vêtements du dimanche...), de la nourriture, etc...

 

 

vendredi 10 juin 2022

#52Ancestors - 23 - Les frères Jeanvion

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 23 : Quelles erreurs avez-vous commises ?

 

Quand j’ai commencé ma généalogie, je ne m’intéressais qu’aux lignées directes. Peut-être était-ce parce que l’arbre de mon grand-père qui a été le déclencheur de mes recherches ne comportait que les ancêtres directs. Ou peut-être était-ce parce qu’ainsi j’avais l’impression d’avoir un arbre « pur », c'est-à-dire ne comportant que les ancêtres ayant un lien direct avec moi.

 

Mais avec l’expérience, je me suis rendue compte que c’était une erreur. Parce qu’en ne recherchant pas les frères et sœurs, par exemple, ou les unions multiples, c’est se priver de tout un environnement familial.

 

Ainsi je me rappelle un jour, il n’y a pas si longtemps, où je faisais des recherches autour d’un ancêtre – son nom m’échappe, alors que ce qui va suivre est resté gravé dans ma mémoire – il était seul, ses parents étaient décédés. Je m’aperçu que je n’avais pas exploré sa famille : je lui ai trouvé plusieurs frères et sœurs vivants, des proches, un tuteur choisi parmi eux. Et soudain mon regard changeait : mon ancêtre n’était plus seul. J’en ai ressenti une grande joie (bien que le pauvre homme fût mort depuis plusieurs siècles).

 

Mais plus bien souvent encore explorer les proches m’a permis de débloquer une situation. Ainsi avec les Jeanvion, famille de Lalleyriat (01) ayant vécu à la fin du XVIIème siècle.

J’avais d’un côté un Jean (Sosa 1312) et de l’autre un Claude (Sosa 1382). Lalleyriat étant un petit village, il y avait des chances pour qu’ils appartiennent à la même famille. Mais rien en l’état ne permettait de le prouver.

Alors j’ai réexaminé les actes paroissiaux. J’ai recherché tous les enfants de Jean et ceux de Claude. La tâche de fut pas aisée, les registres étant partiellement lacunaires. Si Claude a eu une descendance  relativement abondante (6 enfants et un certain nombre de petits-enfants), je n’ai trouvé qu’un fils de Jean, mon ancêtre Joseph. Alors j’ai examiné la génération suivante : naissances, mariages, décès… J’y ai traqué la moindre allusion familiale. Un oncle témoin ? Une cousine marraine ?

  • Claude est plusieurs fois dit l’Aîné. A son décès en 1704 sont présents Jean et Claude le Cadet. C’est ainsi que je (re)découvre un autre frère potentiel.
  • Bartholomière Jeanvion, fille de Claude, est la marraine de Barthélémière Alhumbert sa nièce née en 1721 et Claude Jeanvion, petit-fils de Jean, né en 1718.
  • Joseph Jeanvion, fils de Jean, est le parrain de Joseph Alhumbert, petit-fils de Claude né en 1709.
  • Au baptême du fils de Claude la Cadet sont témoins… Jean et Claude (probablement l’Aîné).
  • Aimé (ou Esmé – c’est le même prénom) Jeanvion est le parrain d’Esmé Jeanvion fils de Claude l’Aîné. Mais Aimé/Esmé est aussi le témoin au mariage de Claudine Jeanvion.

Et ainsi de suite (je vous épargne une longue liste fastidieuse). Les fils sont ténus, mais ils sont là. Claude et Jean sont frères.

Famille Jeanvion


Bref, en relisant les actes (souvent une information nous échappe, surtout quand les actes ont été trouvés il y a longtemps et que les méthodes de travail n’étaient pas les mêmes) et en explorant ceux que je n’avais pas examinés autrefois je suis parvenue à modifier totalement l’environnement familial des Jeanvion. De deux hommes isolés, j’ai fait une famille, complété la fratrie, bouleversé le paysage.

 

 

vendredi 6 mai 2022

#52Ancestors - 18 - Claude Joseph Robin

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 18 : Quelle était leur vie en société ?

 

Quand je rencontre Claude Joseph Robin, il est laboureur à Martignat (01). Né en 1717 (et mort en 1784), il est fils de François, lui-même laboureur. Il est son probable fils aîné, bien que les registres étant lacunaires, il est difficile de l’affirmer avec certitude.

 

Ce métier de laboureur recouvre des réalités un peu floues, différentes selon les régions et les époques :

  • Le laboureur peut être un simple traceur de sillons, n’ayant d’autre moyens de travail que ses bras et son savoir-faire, mais ne possédant pas d’attelage ; il est alors dit « laboureur à bras ».  Ce savoir-faire est néanmoins complet : « préparer la terre (essarter, épierrer, aménager des fossés), labourer (avec bœuf, cheval, mulet, âne), fumer la terre, semer, sarcler, moissonner, conserver les blés »*.
  • Il peut aussi être propriétaire d’une charrue et d’animaux de labour, se louant avec ses bêtes de ferme en ferme pour les travaux agricoles ; il peut alors être qualifié de « laboureur à bœufs ».
  • Mais il peut être aussi locataire ou même propriétaire de ses terres, et donc placé plus haut dans l’échelle sociale. Ce laboureur n’a plus rien à voir avec l’indigence car il implique un certain capital afin d’entretenir les bestiaux en plus des investissements liés aux instruments, aux semences, fourrages, etc… Il est entrepreneur mais aussi pourvoyeur d'emplois, puisqu’il entretient une domesticité permanente ainsi que, durant les gros travaux agricoles, des travailleurs saisonniers. C’est un paysan qui s’est enrichi. Il est aisé. Il a un statut reconnu dans la communauté, considéré comme un notable des campagnes, très présent dans les assemblées villageoises. Il peut prétendre à des unions avec la noblesse locale. On leur donne alors le qualificatif d’"Honorable" ou de "Maître".  Certains sont très riches, d’autres moins, ils représentent néanmoins l'élite de la paysannerie.

 

Je pense de Claude Joseph appartient à cette dernière catégorie. Son père est ainsi qualifié d’Honorable.

Pour confirmer cette hypothèse de paysan aisé, il faudrait trouver un inventaire après décès mais les inventaires et registres notarial de Martignat ne sont pas en ligne.

Cependant ma « cousine » Bernadette a trouvé un document en allant sur place, qui semble confirmer cette hypothèse. Une lettre extraite de l’étude de Me Andrea, signée de Claude Joseph et rédigée en 1748. Par cette lettre il « confesse avoir reçu du sieur Benoist Picquet [...] la somme de quinze livres deux sols six deniers ». Or, dans ce document, il se présente comme « scindic de la paroisse de martignat » pour l’année 1747.

 

Le syndic est un notable chargé de représenter, d'administrer et de défendre les intérêts d'une paroisse ou d'une communauté rurale. « Il fait & reçoit les mémoires qui regardent les affaires ou les intérêts de la communauté ; il contrôle & corrige les actions & les fautes des particuliers qui dépendent de la communauté, ou du-moins il les fait blâmer ou réprimander dans les assembles publiques. » **.

Dans le cas d'une paroisse, il est généralement élu par une assemblée constituée des hommes considérés comme les « chefs de famille » de la paroisse. Les modalités d’élection/nomination sont variables et changent plusieurs fois pendant le XVIIIème siècle. Ordinairement, la communauté d'habitants se réunissait “dans la manière ordinaire à la sortie de la messe de dimanche” pour élire, pour un ou deux ans, un habitant pour les représenter comme syndic.***

L’administration royale précise peu à peu leur rôle et nomination. On préconisait ainsi que les syndics soient choisis parmi les “personnes intelligentes et qui sachent écrire”***, la population qualifiée de « la plus saine, la plus compétente »****. Les habitants proposaient plusieurs personnes aptes à remplir la fonction et leurs noms étaient mis aux voix par la communauté réunie. Étaient élus (ou cooptés : souvent ce sont les même hommes qui exercent cette fonction à tour de rôle) celui ou ceux qui en remportaient le plus. Ladite communauté n’est composée que des hommes, comme ont l’a dit plus haut. Normalement la présence de tous était obligatoire. Ces réunions avaient lieu tous les ans (ou deux ans) et élisaient donc des « syndics annuels ». Au début du XVIIIème siècle, la monarchie créa la charge de « syndic perpétuel » qui devait représenter non seulement la communauté d'habitants mais aussi l'administration royale.*** La charge fut éphémère (supprimée en 11717), mais on le trouve parfois dans nos archives familiales. Les syndics sont donc élus parmi les notables de la ville ; c’est pourquoi Claude Joseph s’est retrouvé dans cette fonction en 1747.

 

Le rôle du syndic se précise peu à peu : il peut convoquer l'assemblée de la communauté et veiller aux réunions de ces assemblées ; il gère les affaires fiscales de la communauté ; il est chargé de fonctions relatives à la levée des impôts et à l'adjudication et la réparation des églises et des presbytères ; il s'occupe du recrutement de la milice ; il gère la garnison des troupes dans le village ; il administre les corvées; il préside aux affaires légales qui pouvaient intéresser la communauté. Néanmoins, les attributions des syndics continuent à rester variables selon les endroits et les époques.***

 

Pieter Brueghel, Le collecteur des tailles, 1617 - détail - Wikimedia commons


Je n’ai malheureusement pas plus d’exemples concrets concernant l’activité de syndic de Claude Joseph Robin. Par la suite il deviendra « hobergiste » : en tant qu’aubergiste il a dû avoir aussi une « vie en société » importante. Mais ça, c’est une autre histoire…

 

 

* Olivier de Serres : Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs, publié en 1600.

** Encyclopédie, 1751

*** Cynthia Bouton : Les syndics des villages du bassin parisien des années 1750 à la Révolution

**** Les Syndics - Conférence présentée par Claude R. en janvier 2005 à Saint Méard de Dronne

 

jeudi 24 mars 2022

#52Ancestors - 12 - Marie Anne Guilin

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 12 : Matriarcat


Marie Anne Guilin n’a pas beaucoup connu sa mère : elle est décédée quand la fillette n’avait que 6 ans. S’est-elle, si jeune, occupée de sa sœur Félicité (4 ans) et son frère Charles (1 an) ? Ou les grands-mères ont-elles aidée le jeune veuf ? Toujours est-il que Jean Baptiste Guilin attendit 3 ans pour se remarier, en 1762. Catherine Bouvret a sans doute joué ensuite un rôle de substitution pour la petite Marie Anne. Elle-même ne semble pas avoir donné d’enfant à Jean Baptiste. Je perds sa trace ensuite.

Difficile de dire ce que furent les jeunes années de Marie Anne. On espère que, malgré son deuil à un si jeune âge, elle fut heureuse. Elle vient d’un milieu lettré, plutôt aisé où l’on se part de titres tels que « sieur », « honorable », et où l’on fréquente des « bourgeois ». Elle est une des rares personnes de la famille (femmes comprises) à ne pas savoir signer : son enfance difficile l'a-t-elle privée d'école ? 

Son père, ancien « maréchal des logis des troupes de sa majesté le Roy de Sardagne », devenu vigneron était installé à Cerdon (Ain). Ce vignoble ancien se déploie sur le Bugey, région qui se démarque par son relief très contrasté, dans la partie montagneuse de l’Est de l’actuel département de l’Ain. Il connaîtra son apogée dans les années 1870 avant que le phylloxéra en ravage les rangs. Gravement touché le vignoble décline alors pendant plusieurs décennies. Aujourd’hui il est reconnu par une AOC. Cerdon produit des vins mousseux rosés au processus d'élaboration original, appelé « méthode ancestrale ». La fermentation, arrêtée par une étape de filtration, donne un vin pétillant, faiblement alcoolisé et dans lequel le raisin non fermenté apporte sucre et arômes. Jean Baptiste Guilin appliquait-il déjà cette « méthode ancestrale » ?

Malheureusement Jean Baptiste ne resta pas longtemps pour faire prospérer son domaine : il meurt en 1775. Marie Anne a alors 22 ans, mais elle est encore mineure (la majorité étant alors fixée à 25 ans). Elle est orpheline de père et de mère. Un curateur lui est adjugé : son oncle Jean Claude Jacquet, marchand. Qui a alors géré l'exploitation familiale ? Marie Anne ? L'oncle qui n'habite pas Cerdon ? Charles, le petit frère qui n'a que 17 ans ? Tous ensemble ? Ce que l'on sait, c'est que Félicité est la première a quitter le domicile familial : en 1776 elle se marie à Saint Jean le Vieux, à une douzaine de kilomètres au Sud, où elle est installée comme tailleuse. Il ne reste sur place que Marie Anne et son jeune frère.

Marie Anne se marie deux ans plus tard, avec un « marchand vigneron » de Cerdon, Charles François Colomb. Il est issu du même milieu qu’elle, des vignerons de Cerdon, lettré, sans doute plutôt aisé. Il a 27 ans. Ensemble ils ont 7 enfants, et ont eu la chance de n’en perdre aucun en bas âge. Marie Anne a veillé à l’éducation de ses enfants qui ont fréquenté l’école : tous signent leur acte de mariage, sauf Françoise, la fille aînée, dans un étrange effet miroir de la propre vie de Marie Anne.

Moins de 20 ans après son mariage, en 1797, Anne Marie enterre son époux. A 44 ans, elle se retrouve à nouveau seule. Un autre défi s’annonce pour elle : gérer la vigne et établir ses enfants. A-t-elle participé à l’exploitation du vignoble après le décès de son mari ? Sans doute car au moment de son décès elle sera dite « cultivatrice », comme le sont dits parfois les vignerons au XIXème siècle.

Féminisme 


Ses deux fils aîné restent à Cerdon et s’établissent aussi comme vignerons. Peut-être reprennent-ils l’exploitation familiale avec leur mère ? Sa fille aînée, Françoise, reste dans le milieu en épousant un vigneron de Cerdon. Ces derniers sont mes ancêtres directs. Ils sont dits propriétaire (pour lui) ou rentière (pour elle). On les retrouve dans les archives au fil des acquisitions (maison et jardin à Cerdon, pré et chasal* en montagne) et successions où ils laissent meubles et immeubles. Les deux filles suivantes s’installent à Fleurie (69) : Marie Marguerite s’y marie en 1817 et Marie la rejoint : elle demeure célibataire mais reste proche de sa sœur et de son beau-frère (qui déclare son décès). Elle aussi sera dite rentière. Les deux cadettes s’exilent aussi : Marianne épouse un cabaretier de Champdor (01) et Louise un marchand de chaux de Saint Symphorien d’Ancelles (71).

Malgré l’éloignement physique, la mère est restée proche de ses enfants : si elle ne peut être présente aux mariages de ses filles, elle a néanmoins pris le soin, à chaque fois, de rédiger un acte de consentement devant notaire.

Marie Anne ne s’est jamais remariée. Elle est restée veuve 44 ans. Après une enfance marquée par le deuil qui a dû la faire grandir plus vite que prévu, elle se retrouve à nouveau seule à l’âge mûr. Elle a alors dû assumer, sans aide masculine (un mari, un père), les tâches d’une femme, d’une mère : gérer (probablement) l’exploitation familiale, l’éducation de ses enfants et les conduire sur les chemins de la vie. Elle s’est éteinte à Cerdon le 17 janvier 1841, à l’âge de 88 ans.



 

* Voir la page lexique de ce blog.

 

vendredi 18 février 2022

#52Ancestors - 7 - Jean Claude Assumel Lurdin

 

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 7 : Cadastre


La famille agnatique de ma grand-mère paternelle est originaire des hauts plateaux de l’Ain. Ils se nomment Assumel Lurdin (ou Lourdin parfois, comme ici dans les matrices cadastrales). D’aussi loin que je remonte (c'est-à-dire au milieu du XVIIème siècle), ils ont toujours habité le hameau du Poizat, commune de Lalleyriat. Le Poizat est situé sur le Plateau de Retord au cœur du Haut-Bugey.

Au XIXème siècle le Bugey, assez peuplé, est plutôt pauvre. En dehors des plaines et des vallons, seules quelques enclaves fertiles au cœur de la montagne sont cultivées. Les Bugistes, sont régulièrement confrontés aux intempéries et aux disettes. Dans le Haut-Bugey, terres froides, les cultures de type alpin produisent des céréales dites « pauvres » : orge, seigle, avoine, méteil (seigle et froment mêlés semés et récoltés ensemble)… qui assurent à peine les besoins alimentaires. C’est là que l’élevage va s’intensifier avec la création des fromageries ou « fruitières » qui apporteront une source de revenus.*

C’est donc naturellement qu’on retrouve les Assumel Lurdin dans le hameau du Poizat lors de la création du cadastre dit « napoléonien » en 1827.

Jean Claude Assumel Lurdin (1758/1836) est journalier (en 1786, 1789) ou cultivateur (1801, 1836).

Au début du XIXème siècle, vaches et bœufs de race locale rustique « rudes à la tâche et se nourrissant de peu » sont utilisés pour le travail de la terre. Les chevaux, peu nombreux, fournissent force de traction et engrais. Le paysan veut avant tout du grain, à côté de l’huile et du chanvre qui constituent l’essentiel de sa production. Bovins, ovins et caprins sont élevés principalement pour produire le cuir, l’os, la corne, la laine... et accessoirement la viande et le fromage (le gruyère apparaît vers 1820).*

Jean Claude et sa femme ont eu sept enfants. L’ainé est probablement décédé en bas âge car je ne le retrouve pas ensuite. Il reste donc trois fils et trois filles.

Jean Claude possède  28 parcelles dans la commune : 2 jardins, 1 maison et cour, 1 pâture, 7 prés, 16 terres et 1 [terrain] vague en copropriété avec la veuve Beroud Maure Pierre; pour un total de 33,6 francs (n'oublions pas que le but du cadastre est d'être un document à vocation fiscale). Sa maison, située parcelle 1004, n'a qu'une porte et une fenêtre, elle est classée dans la 5ème catégorie (la dernière), 3ème du revenu non imposable (elle vaut 88 centimes).

 

Possessions Jean Claude Assumel Lurdin © AD01

 

Pourquoi Jean Claude possède une parcelle en copropriété avec « la veuve Beroud Maure Pierre » ? Je n’en sais rien. Cette veuve se nomme en fait Claudine Assumel. Son mari était Pierre Beroud Maure (ou Mouroz) décédé en 1790. Ils ne semblent pas apparentés à mon ancêtre.

Les parcelles possédées par Jean Claude sont disséminées dans la commune. La plupart sont de fines et longues lamelles. Et on comprend pourquoi quand on regarde les courbes de niveaux d’une carte topographique : le relief est très accidenté. Le village du Poizat est situé sur un replat à environ 850 m d’altitude, dominé par un massif montagneux culminant à plus de 1 100 m.


Carte topographique du Poizat


Aujourd’hui la maison de Jean Claude n’existe plus. Une nouvelle route, toute droite, a quelque peu modifié le paysage.


Le Poizat aujourd’hui – possessions de Jean Claude Assumel Lurdin

 

Le jardin de Jean Claude a laissé place à une maison et la maison de Jean Claude a laissé place à un jardin.


Emplacement de la maison de Jean Claude Assumel Lurdin


A l’arrière plan, le pignon de la maison construite sur la parcelle de jardin et au premier plan l’emplacement de la maison disparue de Jean Claude. Entre les deux, la nouvelle route.

Après la mort de Jean Claude, en 1836, c’est son fils Pierre qui hérite de la maison. Pierre est le fils aîné, si l’on considère que le premier-né Joseph est décédé en bas âge. Il est cultivateur, comme son père.

Pour l’anecdote Pierre aura une fille en 1833 prénommée Mélanie – l’une des trois collatérales de mon arbre portant ce prénom qui est le mien aujourd’hui (aucune ancêtre directe n'est prénommée comme moi).


Possessions de Pierre Assumel Lurdin © AD01


Simon, le deuxième fils, lui aussi cultivateur, reçoit plusieurs terres (pas de maison; il demeure dans un autre hameau, nommé Le Replat).

 

Possessions de Simon Assumel Lurdin © AD01

 

Le dernier fils, Louis Marie (de qui je descends) en reçoit d’autres. Il s’éloigne un peu de la tradition familiale puisqu’il est dit tailleur d’habit en 1838 et 1839. Puis il semble revenir dans la lignée de ses pères en étant qualifié de cultivateur (en 1842, 1844, 1866, 1870) et même propriétaire (en 1857 et 1859).


Possessions de Louis Marie Assumel Lurdin © AD01


Certaines de ces terres sont héritées à plusieurs. Ainsi les parcelles 375 et 376 (une terre et un pré) sont échues à la fois aux trois frères.

Plus tard, Louis Marie fera construire une maison sur la parcelle 1099 héritée de son père. C’est ce qu’indique le cadastre. Toutefois la parcelle 1099 est longue est fine, bien fine pour y construire une maison. Juste à côté néanmoins, il y a une maison, qui existe toujours aujourd’hui : est-ce la maison de Louis Marie ?


Détail parcelle 1099


Cette « maison 1099 » passera en héritage à son fils aîné Emile (frère de mon ancêtre François).

Quand à l’antique maison familiale, parcelle 1004, elle a en effet disparu comme on l’a vu plus haut : dans le folio de Pierre, il est noté qu’elle a été détruite lors d’un incendie en 1855. La partie « sol et cour » est transmise quelques années après sa mort, en 1867,  à son gendre Jean Antoine Jacquiot (le mari de Mélanie) puis finalement incluse dans la nouvelle voirie en 1870.

 

* patrimoines.ain.fr


lundi 9 mars 2020

Cadastre napoléonien en généalogie

Bonne nouvelle : les archives départementales commencent à mettre en ligne le cadastre napoléonien. Et quand je dis cadastre, je parle de l’ensemble des documents du cadastre, pas seulement des plans. En effet, si les plans sont mis en ligne depuis assez longtemps déjà, ils ne sont néanmoins quasi inutilisables en généalogie : ils peuvent vous donner une idée de l’environnement de vos ancêtres, mais sans la "documentation cadastrale" on ne peut pas situer leurs possessions dans cet environnement. Et ce sont justement ces documents qui arrivent en ligne.

Le cadastre est composé de plusieurs types de documents :
- les plans eux-mêmes (tableau d’assemblage représentant l’ensemble de la commune et planches détaillant les parcelles)
- une documentation "littérale" ou "cadastrale" composée des état des sections (registres qui répertorient pour chaque section les différentes propriétés qui la composent) et des matrices des propriétés foncières - devenues ensuite matrices des propriétés bâties et non bâties - (qui recensent l’ensemble des propriétés d’une personne sur un territoire donné.)

Rappelons que le service fiscal a été mis en place à partir de 1807 par Napoléon Ier. Il a pour but de prélever la taxe foncière sur les biens bâtis et non bâtis en respectant la nature et la qualité du sol (pré, jardin, vigne, étang, maison...).

Ainsi grâce aux matrices vous pouvez avoir une vision globale des possessions de votre ancêtre.
Grâce aux états des sections, vous pouvez analyser plus finement ces possessions.
Grâce aux plans vous pouvez les situer dans l’espace.

Prenons l’exemple de l’Ain : le cadastre concernant mes aïeux y a été réalisé entre 1810 et 1840. En entrant par les états des sections, j’y ai retrouvé 8 de mes ancêtres, répartis sur 6 communes (et davantage encore en entrant par les matrices puisque celles-ci sont évolutives dans le temps).

Examinons quelques cas :

Jean Claude Assumel-Lurdin possède 28 parcelles dans la commune du Poizat : 2 jardins, 1 maison et cour, 1 pâture, 7 prés, 16 terres et 1 [terrain] vague en copropriété avec la veuve Beroud Maure Pierre; pour un total de 33,60 francs. Sa maison n'a qu'une porte et une fenêtre, elle est classée dans la 5ème catégorie (la dernière), 3ème du revenu non imposable (elle vaut 88 centimes).


Extrait du cadastre d'Assumel Lurdin JClaude © AD01


Bien sûr, comme toutes autres sources, il faut croiser les éléments. Ainsi la matrices des propriétés bâties et non bâties indique qu'il possède d'autres parcelles en section C, mais il ne faut pas perdre de vue que ce document date de 1842 (or lors de la création du cadastre en 1827 elles appartenaient à un autre propriétaire) et en section G, mais celle-ci est manquante dans les états des sections (ce que l'on ne peut donc pas vérifier).

Blaise Jeanvion, lui, ne possède que 12 parcelles dans sa commune de Lalleyriat, et toutes en copropriété (ou indivision) avec son frère Joseph. Leur maison ne vaut que 82 centimes (l’impôt le plus bas parmi cet échantillon d'ancêtres).

Si Jean Antoine Gros ne possède que 27 parcelles dans la commune proche de Groissiat, elles valent en revanche 128, 76 francs – presque quatre fois plus que celles de Jean Claude Assumel-Lurdin.

Quand à Claude Cochet, outre les terres cultivables il possède une masure, une maison et trois "bâtiments et cours". La masure mesure 4 perches*, ce qui en fait l’une des parcelles les plus vastes, classée en première catégorie (la meilleure). De ce fait on pourrait déduire que cette "masure" n’a rien d’une ruine, comme son nom le fait penser. Mais si on regarde les plans : surprise ! La propriété est non bâtie. D'où l'importance d'avoir accès à tous les documents du cadastre. Et voici une nouvelle énigme à résoudre : pourquoi la "masure" n'est pas bâtie...

A lire les états des sections concernant Benoît Mollie, on voit tout de suite qu’il est vigneron (il possède 24 vignes sur les 57 parcelles possédées dans la commune de Cerdon). Et sans doute un vigneron assez aisé : de nombreuses parcelles, plusieurs maisons à 2 ou 3 portes/fenêtres valant 24 francs. Le total de son imposition vaut 204,09 francs. C’est lui qui paye le plus d’impôts.

Joseph Marie Prost n’a que 12 parcelles ; mais il n’en n’a pas vraiment besoin : il tire l’essentiel de ses revenus de la parcelle n°210 située à Martignat. C’est une maison d’habitation, réunie à la patente d’aubergiste. En effet, contrairement aux précédents il n’est pas cultivateur, mais aubergiste. De ce fait sa « maison » comporte 12 ouvertures (portes et fenêtres) et deux portes cochères. Elle vaut donc logiquement beaucoup plus cher que les petites fermes vues précédemment : 30 francs pour le bâtiment à lui seul.
Si l’ont rapproche le cadastre napoléonien de l’habitat d’aujourd’hui, on retrouve nettement la parcelle de l’auberge. Autrefois elle était située au milieu d’un verger ; aujourd’hui près d’un rond-point. 


Martignat hier / aujourd’hui © Cadastre napoléonien AD01 / GoogleMaps

Et si l’on examine le bâtiment on s’aperçoit que sa partie gauche peut tout à fait correspondre à l’ancienne auberge, avec portes cochères et multiples fenêtres.

Emplacement de l’ancienne auberge de Martignat © GoogleStreetview

Si les états des sections donne un aperçu des possessions à un instant T, on peut suivre les propriétés sur le long terme grâce aux matrices des propriétés bâties et non bâties. Ainsi on retrouve le nom de Jean Marie Prost dans ce registre : sur un folio récapitulatif, indiquant l'entrée et la sortie de chaque parcelle, ou bien au fur et à mesure des agrandissements de l'auberge (en 1855 et 1867) puis une diminution (en 1868) et jusqu'au moment où l'auberge passe à l'un de ses fils (en 1878). 
On peut ainsi suivre l'auberge de main en main, de travaux en travaux.

Bref, ce cadastre « global » permet d’en savoir plus sur vos ancêtres : une nouvelle source qui permet de donner corps à votre généalogie... Et qui ouvre parfois de nouvelles perspectives de recherches.


* Pour en savoir plus sur le vocabulaire spécifique, voir la page Lexique de ce blog.


samedi 15 février 2020

#RDVAncestral : Les deux fillettes

Les deux bébés gazouillaient dans leur panier rembourré qui leur servait de lit. 


© Pixabay

Soudain, dans un bel ensemble, elles se relevèrent maladroitement et se mirent en position assise, l’une en face de l’autre. Elles commencèrent alors un dialogue, compris d’elles seules, fait de babillages et de monosyllabes, entrecoupé de rires. Puis elles décidèrent de s'évader et elles sortirent du panier. Elles rampèrent et s’accrochaient à tout ce qu’elles pouvaient pour s’aider à se lever. Bientôt elles marcheraient toutes seules et il serait sans doute bien difficile de les contenir. Tout en gambadant, elles continuaient de se raconter une histoire, semble-t-il très drôle. Des boucles folles se formaient dans le fin duvet qu’était leur chevelure. L’une était le miroir de l’autre : elles se ressemblaient tant !

La femme qui m’avait invité à entrer les couvait d’un regard attendri. Nous nous étions rencontrées le matin et j’avais été invitée à dîner. J’étais curieuse, en effet, d’en savoir plus sur ces deux petites filles, si semblables.

Marie Thérèse, épouse Beroud, se détourna afin de s’occuper du dîner qui mijotait dans la cheminée.
- Mon mari et mes beaux-parents ne vont pas tarder à nous rejoindre.
Je tentai de capter l’attention des deux fillettes, mais je devais reconnaître que c’était un échec cuisant : je n’existai pas pour elles. Elles étaient dans leur monde et tout ce qui n’était pas elles ne semblait pas les intéresser.
Je me retournai, désemparée, vers Marie Thérèse :
- Mais… on dirait que je n’existe pas ?
Marie Thérèse eut un sourire et un haussement d’épaules :
- Je sais : elles font souvent ça. Et, si ça peut vous rassurer, je n’ai pas beaucoup d’existence pour elles moi non plus ; du moins tant qu’elles n’ont pas faim !

Les petites diablesses ! Elles agissaient déjà comme de véritables jumelles. Pourtant, elles n’étaient pas sœurs… mais tante et nièce ! Et seulement trois mois et demi d’écart les séparaient. L’une appartenait à la sixième génération de mon arbre et l’autre à la septième.
Claudine Marie était l’aînée ; elle était la nièce.
Marie Joseph était la cadette ; elle était la tante.
C’est cette bizarrerie temporelle qui m’avait fait venir ici.

Sur ce, mari et beaux-parents arrivèrent, comme l’avait prédit Marie Thérèse. Celle-ci fit les présentations et, sans attendre nous nous mîmes à table. J’observais Claude à la dérobée. Il n’avait pas encore 50 ans, mais il était père de onze enfants ; Marie Joseph était sa petite dernière. Pierre, quant à lui, était son deuxième enfant ; Claudine Marie était la première-née de ce dernier. C’est ainsi que la dernière d’une génération s’était trouvée à naître quelques mois après la première de la génération suivante !

Cette situation peu banale semblait amuser la compagnie. Entre deux bouchées Claude tenta d’expliquer ce phénomène :
- C’est que, voyez-vous, je me suis marié très jeune : je n’avais que 15 ans quand j’ai épousé Marie Françoise.
- Et moi j’étais déjà vieille, renchérit l'intéressée : j’en avais 18 !
Le marié le plus jeune de mon arbre…
- Notre aînée est arrivée quinze mois après. Puis ce fut notre Pierre dit-il en posant une main remplie de fierté sur l’épaule de son fils.
- Moi j’ai attendu un peu plus longtemps, enchaîna-t-il avec un clin d’œil vers son père. J’avais 20 ans !
- Mais tu n’as mis que 12 mois à nous faire une petite ! rétorqua le père dans un grand rire.
Je soupçonnais que cette gentille scène avait déjà été donnée au cours d’un, voire de plusieurs, échanges précédents.

Les deux fillettes continuaient leur conversation secrète, indifférentes au monde qui les entourait. Leurs royaume était fait de rêves, de jeux et de rires. Point de roi déchu, comme dans le royaume des grands : chez elles il n'y avait que deux reines. Qui, pour l’heure, riaient aux éclats, se tenant les côtes et se roulant par terre.

Inconsciemment le silence s’était fait autour de la table et tout le monde regardait les drôlesses. Chacun était perdu dans ses pensées.  
- Je les imagine rentrant de leur journée vagabonde, des traces d’herbes des prés, de poussière du chemin et d’eau de la rivière maculant leurs visages et leurs robes, dit doucement Marie Thérèse.
- Humph ! il va falloir les dompter, les diablesses : il n’est pas question qu’elles fassent la loi ici ! gronda Claude.
- Et mon Dieu quand elles seront en âge, je plains d’avance leurs futurs maris, s’alarma Pierre.
- Il sera bien temps alors de s’inquiéter, ajouta Marie Françoise, clôturant ainsi le débat.
Elle avait dit cela d’une voix morne. La voix de celle qui a déjà perdu deux enfants et craint toujours d’en perdre un autre. Elle se leva et mit le holà au jeu des fillettes en les reconduisant d’autorité dans leur lit pour les coucher.

Hélas ce n’était que trop vrai. Si j’étais venue en ce mois de février 1800, c’est que je savais que l’une de ces petites filles comptait, sans le savoir, son temps sur cette terre. En effet la tante (la cadette) ne survivrait pas à cet hiver. Les deux fillettes ne grandiraient pas ensemble, n’épuisant ni père ni mari. Est-ce que la mélancolie gagnerait l’aînée survivante ? Ou était-elle trop jeune pour que ce traumatisme de la petite enfance ne la marquât à jamais ? L’agréable soirée que je passai chez les Beroud ne répondrait pas à ces funestes questions.

Le dîner se termina et je quittai la maison alors que résonnaient dans la nuit glaciale les rires cristallins des deux fillettes, innocentes du sort qui les attendait, tout à leur joie d'être ensemble... et visiblement pas encore endormies comme elles l'auraient dû depuis longtemps déjà.