« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

jeudi 24 mars 2022

#52Ancestors - 12 - Marie Anne Guilin

- Challenge #52Ancestors : un article par semaine et par ancêtre -

Semaine 12 : Matriarcat


Marie Anne Guilin n’a pas beaucoup connu sa mère : elle est décédée quand la fillette n’avait que 6 ans. S’est-elle, si jeune, occupée de sa sœur Félicité (4 ans) et son frère Charles (1 an) ? Ou les grands-mères ont-elles aidée le jeune veuf ? Toujours est-il que Jean Baptiste Guilin attendit 3 ans pour se remarier, en 1762. Catherine Bouvret a sans doute joué ensuite un rôle de substitution pour la petite Marie Anne. Elle-même ne semble pas avoir donné d’enfant à Jean Baptiste. Je perds sa trace ensuite.

Difficile de dire ce que furent les jeunes années de Marie Anne. On espère que, malgré son deuil à un si jeune âge, elle fut heureuse. Elle vient d’un milieu lettré, plutôt aisé où l’on se part de titres tels que « sieur », « honorable », et où l’on fréquente des « bourgeois ». Elle est une des rares personnes de la famille (femmes comprises) à ne pas savoir signer : son enfance difficile l'a-t-elle privée d'école ? 

Son père, ancien « maréchal des logis des troupes de sa majesté le Roy de Sardagne », devenu vigneron était installé à Cerdon (Ain). Ce vignoble ancien se déploie sur le Bugey, région qui se démarque par son relief très contrasté, dans la partie montagneuse de l’Est de l’actuel département de l’Ain. Il connaîtra son apogée dans les années 1870 avant que le phylloxéra en ravage les rangs. Gravement touché le vignoble décline alors pendant plusieurs décennies. Aujourd’hui il est reconnu par une AOC. Cerdon produit des vins mousseux rosés au processus d'élaboration original, appelé « méthode ancestrale ». La fermentation, arrêtée par une étape de filtration, donne un vin pétillant, faiblement alcoolisé et dans lequel le raisin non fermenté apporte sucre et arômes. Jean Baptiste Guilin appliquait-il déjà cette « méthode ancestrale » ?

Malheureusement Jean Baptiste ne resta pas longtemps pour faire prospérer son domaine : il meurt en 1775. Marie Anne a alors 22 ans, mais elle est encore mineure (la majorité étant alors fixée à 25 ans). Elle est orpheline de père et de mère. Un curateur lui est adjugé : son oncle Jean Claude Jacquet, marchand. Qui a alors géré l'exploitation familiale ? Marie Anne ? L'oncle qui n'habite pas Cerdon ? Charles, le petit frère qui n'a que 17 ans ? Tous ensemble ? Ce que l'on sait, c'est que Félicité est la première a quitter le domicile familial : en 1776 elle se marie à Saint Jean le Vieux, à une douzaine de kilomètres au Sud, où elle est installée comme tailleuse. Il ne reste sur place que Marie Anne et son jeune frère.

Marie Anne se marie deux ans plus tard, avec un « marchand vigneron » de Cerdon, Charles François Colomb. Il est issu du même milieu qu’elle, des vignerons de Cerdon, lettré, sans doute plutôt aisé. Il a 27 ans. Ensemble ils ont 7 enfants, et ont eu la chance de n’en perdre aucun en bas âge. Marie Anne a veillé à l’éducation de ses enfants qui ont fréquenté l’école : tous signent leur acte de mariage, sauf Françoise, la fille aînée, dans un étrange effet miroir de la propre vie de Marie Anne.

Moins de 20 ans après son mariage, en 1797, Anne Marie enterre son époux. A 44 ans, elle se retrouve à nouveau seule. Un autre défi s’annonce pour elle : gérer la vigne et établir ses enfants. A-t-elle participé à l’exploitation du vignoble après le décès de son mari ? Sans doute car au moment de son décès elle sera dite « cultivatrice », comme le sont dits parfois les vignerons au XIXème siècle.

Féminisme 


Ses deux fils aîné restent à Cerdon et s’établissent aussi comme vignerons. Peut-être reprennent-ils l’exploitation familiale avec leur mère ? Sa fille aînée, Françoise, reste dans le milieu en épousant un vigneron de Cerdon. Ces derniers sont mes ancêtres directs. Ils sont dits propriétaire (pour lui) ou rentière (pour elle). On les retrouve dans les archives au fil des acquisitions (maison et jardin à Cerdon, pré et chasal* en montagne) et successions où ils laissent meubles et immeubles. Les deux filles suivantes s’installent à Fleurie (69) : Marie Marguerite s’y marie en 1817 et Marie la rejoint : elle demeure célibataire mais reste proche de sa sœur et de son beau-frère (qui déclare son décès). Elle aussi sera dite rentière. Les deux cadettes s’exilent aussi : Marianne épouse un cabaretier de Champdor (01) et Louise un marchand de chaux de Saint Symphorien d’Ancelles (71).

Malgré l’éloignement physique, la mère est restée proche de ses enfants : si elle ne peut être présente aux mariages de ses filles, elle a néanmoins pris le soin, à chaque fois, de rédiger un acte de consentement devant notaire.

Marie Anne ne s’est jamais remariée. Elle est restée veuve 44 ans. Après une enfance marquée par le deuil qui a dû la faire grandir plus vite que prévu, elle se retrouve à nouveau seule à l’âge mûr. Elle a alors dû assumer, sans aide masculine (un mari, un père), les tâches d’une femme, d’une mère : gérer (probablement) l’exploitation familiale, l’éducation de ses enfants et les conduire sur les chemins de la vie. Elle s’est éteinte à Cerdon le 17 janvier 1841, à l’âge de 88 ans.



 

* Voir la page lexique de ce blog.

 

2 commentaires:

  1. J'avoue que je ne connaissais pas ce signe, du poing levé, en symbole de droit des femmes. Il serait peut-être intéressant de mettre en bas de page une ligne d'explication.

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    1. Bonsoir,
      ce signe est le symbole de la révolte des femmes. C'est un des symboles féministes les plus largement partagés. Le poing levé dans le signe féminin représente la puissance et la détermination des femmes à triompher du patriarcat.
      Mélanie - Murmures d'ancêtres

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