« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 26 mai 2023

Une drôle de vente

Lors de mon séjour aux archives de Rodez, j’ai trouvé une série de document concernant Jean Chivalié, mon sosa 130, charpentier à Conques (12).

 

Tout d’abord une vente passée le 24 avril 1792 devant Me Flaugergues Pierre Paul (3E31 242). Jean Chivalié achète à Pierre Antoine Flaugergues* juge de paix du canton demeurant à la Paraquie, de St Cyprien (commune voisine de Conques), par une « vente pure et simple à titre de propriété irrévocable sans retenues ni réservation aucune […] une maison de haut et bas avec basse court, jardin et cloaque** de l’autre côté de la rue [...] comme aussi des meubles et effets qui sont actuellement dans ladite maison sauf un coffre […] qui se trouve placé à la cave de ladite maison […] avec toutes ses entrées, issues et servitudes [… ], quitte de toutes charges [et sans] hypotheque quelconque ».

Vente Flaugergues-Chivalié, 1792 (extrait) © AD12

 

Le lieu de la maison n'est pas mentionné mais d’après ses confronts il doit s’agir d’une maison à Conques : elle est située entre une rue publique, le fossé de la ville, une grange appartenant au sieur André Baurs et des jardins appartenant à Mr d’Humières et au sieur François Labro.

 

L’acquéreur dit « avoir une parfaite connaissance » que la maison est « en mauvais état ».

Il achète cette maison « moyennant  la somme de onze cent livres ». Pour cela il verse un acompte de 200 livres « présentement payé », sous la forme d’une charretée de vin valant 100 livres que ledit requéreur doit lui délivrer et 100 autres livres « en bonnes espèces de cours » ; les 900 livres restantes à raison de 100 livres par an « le premier terme d’aujourd’hui en un an ainsi à continuer année par année jusqu’à l’entier paiement » avec un intérêt de « trois livres pour cent », taux augmenté à 5% en cas de défaut de paiement.

 

Curieusement, il fait cet achat « pour son ami élu ou à élire » ; cette formulation étrange sera expliquée dès le jour suivant.

 

Le lendemain en effet, 25 avril 1792, il repasse devant le même notaire (3E31 242). Celui-ci le nomme alors Jean Sivalié au lieu de Chivalié (nom qu’il gardera désormais dans tous les actes rédigés par ce notaire). « Ayant acquis par acte du jour d'hier devant nous notaire soussigné une maison jardin, patus***, basse cour et cloaque pour lui ou son ami, de Me Flaugergues de La Paraquie, [il] a par le présent acte élu le sieur André Baurs bourgeois habitant dudit Conques ici présent et acceptant pour recueillir partie de la maison. […] Laquelle dite partie de maison consiste en une cour, chambre, galetas, galerie, jardin, escalier mitoyen ».

André, ou Jean André Baurs est un propriétaire de Conques, alors âgé de 33 ans. Quelques années plus tôt, en 1786, il est dit greffier de la temporalité de la ville (= juridiction du domaine temporel).

 

Donc la maison achetée la veille est revendue pour moitié le lendemain par cet « acte d’élection ». Il n’est pas étonnant de voir, à Conques, des propriétaires de demi-maison. En effet, la ville est établie sur un site en très forte pente : de nombreuses maisons ont un propriétaire pour le haut de la maison, donnant sur une rue haute, et un autre pour le bas, donnant sur une rue basse.

 

« Laquelle dite élection de ladite partie de maison faite moyennant le prix de quatre cents livres »; ledit sieur Baurs a payé « tout présentement » audit Sivalié cent livres « en bonne espèces de cours, compte vérifié reçu et retiré par ledit Sivalié » en présence de témoin, le reste à payer en « 6 termes égaux de cinquante livres chacun le premier desquels en sera d’aujourd’hui et en an ainsi a continuer année par année jusqu’à l’entier et effectif payement » avec un taux d’intérêt de 3%, passant à 5% en cas de défaut de paiement.

 

Différents travaux sont prévus dans cet acte. La questions des écoulements des eaux étant toujours primordiales entre voisins, il est « convenu entre les parties que les eaux pluviales ou autres qui se rassembleront dans la basse cour restante audit Sivalié seront sorties d'icelles au moyen d'un aqueduc construit et entretenu à frais commun desdites parties.

Comme aussi a été convenu que ledit sieur Baurs réparera la porte de la cour qui leur manque [dans] ladite basse cour et fera construire une fenêtre grillée [grillagée] uniquement pour donner le jour et de l'air a ladite cave.

[Il] sera tenu aussi de faire une grille sur la fenêtre de la chambre donnant sur ladite basse cour et [au-dessus de] ladite cave.

De même [il est] convenu que les degrés mitoyen sus énoncés servant d'entrée aux deux parties de maison sera entretenu à frais commun, ainsi que la porte d'entrée. »

 

Comme est clair pour tous que la « porte de maison vendue audit sieur Baurs est en très mauvais état et menace […] ruine […] ledit Sivalié consent que ledit sieur Baurs jouisse de ladite porte de maison ».

 

Trois mois plus tard, le 20 juillet 1792, il revient chez le même notaire pour une obligation (3E31 242). Jean Sivalié se fait prêter 300 livres par le sieur Biart, « prêtre chanoine du chapitre de Conques ». En réalité c’était plutôt un ancien chanoine, les ordres religieux ayant été dissous en 1790 (même si les chanoines ont continué d’assurer leurs fonctions jusqu’en février 1791). Bref, les deux hommes concluent un « vrai et admirable prêt, tout présentement fait audit Sivalié par ledit sieur Biart en bonne espèces de cours » reçu au vu de tous,  notaire et témoins. Somme qu'il promet de rembourser « de jour en jour et à sa volonté toutefois sans intérêt ».

Fait-il ce prêt afin de rembourser la somme due pour l’achat de la maison ? Peut-être. Mon ancêtre devra en tout cas se dépêcher de rembourser ses dettes car l’ex-chanoine, alors âgé d’environ 75 ans, décédera deux ans plus tard.

 

Le 9 septembre 1792, il vient cette fois devant Me Flaugergues (3E31 242) affirmant avoir « reçu du sieur André Baurs bourgeois habitant dudit Conques ici présent et acceptant la somme de trois cents livres pour l'entente [passée] en l'acte du 25e avril dernier retenu par le notaire soussigné ». C’est donc le reste de la dette due par André pour l’achat de la maison.

 

Tous ces protagonistes sont décédés lors de la création du cadastre napoléonien. Mais en analysant les propriétés de leurs descendants j'ai peut-être retrouvé l’emplacement de la maison achetée en 1792 : le fossé de la ville à gauche, la rue, les jardins de Labro et d'Humières au Nord, les bâtiments Baurs, la ruelle. Peut-être que cette maison correspond à la parcelle 102, appartenant à Jean Antoine, le fils de Jean Chivalié ?

Extrait cadastre napoléonien Conques © AD23

 

* Les deux Flaugergues ne semblent pas être de la même famille.
** Réceptacle des eaux sales, des eaux ménagères.
*** Terrain dépendant d'un bâtiment, destiné à ses commodités (cour intérieure…).