« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mardi 8 septembre 2020

Marié deux fois

Tout commence par un mariage, à Saint-Amand-sur-Sèvre (79). Il est assez bizarrement formulé, mais on est en période révolutionnaire : les nouveaux maires, en plus de leurs diverses responsabilités communales, sont en charge de l’état civil – jusque là chasse gardée des curés.

Donc une Révolution, un nouveau calendrier, des nouveaux citoyens… on peut comprendre que le maire soit perturbé que son style s’en ressente.

 

Mariage Ribouleau Jacques, 1801 © AD79

 

LE BEL maire de la commune de St Amand sur Sèvre arrondissement communal

de Thouars le nommé JACQUES RIBOULEAU maréchal

talandier demeurant au village de la Gidalière  commune de

Saint-Amand fils de CHARLES RIBOULEAU bordier né commune de

Saintes ( ?), son père est CHARLES RIBOULEAU ; et sa mère

est JEANNE JADAU, décédée de l'an huit, son frère

est PIERRE RIBOULEAU, et sa femme du dit

RIBOULEAU talandier de la Gidalière est

 MARIANNE GABARD femme du dit citoyen RIBOULEAU

demeurant au village de la Gidalière commune

de Saint-Amand fille de feu GABARD, sa mère

est HANNE GOBIN vivante demeurante commune de Saint

Amand, les témoins est le beau-frère de la femme

de JACQUES RIBOULEAU, son oncle est JACQUES

GABARD qui m'ont déclaré savoir signer et

ont signé avec moi. Louis Martineau,

J Gabard, Le Bel maire, Jacques Ribolleau,

Marie Anne Gabard,

 

Bon, Monsieur le Maire n’aurait sans doute pas reçu le grand prix de grammaire et de conjugaison. Passons cela.

Ce qui m’a interpellé d’abord c’est la façon de désigner les fiancés que l’on marie : « le nommé X (son nom n’a pas d’importance ici), son père est X et sa mère est X ». Jusqu’à présent, ici et ailleurs, même en période révolutionnaire, on ne dit pas que untel « est ». On dit plutôt Untel « fils de ». Ceci dit pourquoi pas ? Cela ne change pas grand-chose à l’affaire, me suis-je dis au début.

Par ailleurs, les lecteurs attentifs auront remarqué qu’il n’y a pas de date non plus. Ça arrive aussi parfois. L’acte précédent est daté du 7 thermidor an IX, le 28 juillet 1801. Les deux suivant n’ont pas de date, le troisième est du 2  thermidor an IX. Bon le calendrier est peu chamboulé, passé au shaker de la Révolution. Les personnes ayant déposé leurs arbres sur Geneanet sont un peu perdus aussi : ils ont parfois daté le mariage du 20 mai (30 floréal). D’autres ne s’y sont pas risqué et sont resté sur un prudent « 1801 » tout court.

Et puis aussi il y a cette mention particulière : la fiancée, future épousée (normalement) est désignées deux fois de suite par le terme « femme de », ce qui sous-entend qu’elle est déjà mariée.

Enfin, dans l’acte de décès du père de la mariée, une autre mention tire carrément la sonnette d’alarme : l’un des témoins est Jacques Ribouleau, qualifié de gendre du défunt. Or Jacques Gabard est décédé en 1798, trois ans avant le fameux mariage bizarre. On peut tout accepter : des mariages sans date, des mariages libellés curieusement, mais des gendres avant mariage, ça non.

Et quand on découvre un enfant né en 1799 du couple Ribouleau/Gabard, là c’est la goutte d’eau. Bon d’accord les enfants nés avant mariage arrivent quelques fois, mais là c’est n’est plus un péché c’est une anomalie spatio-temporelle. En examinant bien cet acte de 1799 on s’aperçoit que Marianne est dite « sa femme en légitime mariage ». Plus de doute possible. Un mariage a eu lieu avant 1801 (acte de confirmation ?). Avant 1799 (naissance du fils). Avant 1798 (décès du père).

Pourquoi ne pas feuilleter les registres, me direz-vous ? Et bien parce que nous sommes en pleine Deux-Sèvres vendéenne, que les registres paroissiaux ont subi les foudres des colonnes infernales. Que dans la décennie 1790 ont est davantage occupé à ne pas se faire embrocher par un sabre qui traîne plutôt que de remplir des lignes dans un registre.

Mais dans la décennie suivante on régularise les choses. Et c’est ce qui a du se passer pour Jacques et Marianne. C’est ce qui explique que Marianne soit dite « femme de » Jacques dans cet acte de 1801. Reste à trouver le véritable acte de mariage.

C’est le relevedu79 qui me met sur la piste : un acte daté du 20 janvier 1796, filiatif, avec des informations complémentaires du genre parmi les témoins on compte le frère du marié et l’oncle et parrain de la mariée. Hum… ça donne envie de voir cet acte en vrai. Il précise même « Mariage célébré par Pierre GABART curé de Chambreteau » : ah ! l’ancêtre mythique qui ferait partie de la famille et qui permettrait de compléter une génération supplémentaire car ses parents à lui sont connus (contrairement « aux miens »).

Le Cercle Généalogique des Deux-Sèvres confirme cette pépite. Hélas ni l’un ni l’autre ne donne la cote du document : ça se complique pour « le voir en vrai ».

Bref, quoi qu’il en soit Jacques et Marianne ne se sont pas vraiment mariés deux fois. Ils ont simplement fait confirmer ce qui s’était sans doute perdu. Et les petites lumières qui ont clignoté à la lecture de l’acte de 1801 avaient bien un sens caché. Toujours faire confiance à son instinct.