« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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mercredi 10 juin 2020

Les égarés du XVIème

Ils sont comme une foule située au loin. Ils marchent vers moi et ainsi je les devine de mieux en mieux (ou pas). Parmi eux, je peux distinguer trois groupes différents :
- les premiers sont bien identifiés. Ils sont 23 : ce sont mes ancêtres directs [1].
- derrière eux, le deuxième groupe. Je les connais un peu moins, je les ai trouvés par hasard. Il m’en manque certainement : ce sont les frères et sœurs des premiers. A ce jour ils sont au nombre de 124.
- les derniers sont plus flous : ils restent dans le brouillard. Je sais qu’ils sont là, mais je ne les ai pas trouvés formellement. Ce sont les ancêtres dont j’ai une mention de naissance au XVIème, mais dont je n’ai pas trouvé les actes les concernant. J’en compte 74.

Tous forment mes ancêtres nés au XVIème siècle. Ils sont mes « bouts de branches » [2], les extrémités de mon arbre.


  •  Les biens connus
J’ai donc retrouvé 23 actes de naissance du XVIème. Dans ce groupe je trouve Gaspard, Jean, Charlotte, Urban, Bernarde, Macé et les autres…
Les actes les plus anciens datent de 1567 et 1570

Naissance Ryondel Jean, 1560 © Coll. personnelle

9 sont ceux de femmes. J’y retrouve deux couples et trois cousins. Certains sont témoins d’actes d’autres membres de ce groupe. Ils sont originaires de Haute-Savoie et d’Anjou. En Haute-Savoie ils sont principalement originaires de Samoëns, qui a eu la bonne idée de conserver précieusement ses registres dans ses locaux de la mairie : baptêmes depuis 1552, décès depuis 1568, mariages depuis 1642. Les registres angevins ont été trouvés en ligne sur le site des archives départementales.
Pour certains, j’ai trouvé aussi leurs actes de mariage et décès mais dans ce n'est pas systématique car, dans plusieurs paroisses, il n’y a plus que les registres de baptêmes (mariages et sépultures ayant disparus).

Leurs dates de naissance me sont données par plusieurs sources : la bibliographie pour Gaspard de Sales, dont la branche noble a fait l’objet de plusieurs ouvrages, un répertoire pour deux autres ancêtres (ou du moins je le pense, car les tables ne donnent pas l'identité des parents), les actes de baptême eux-mêmes pour les derniers. Certains sont joliment calligraphié, d’autres… beaucoup moins. 

Naissance Dolbeau Urban, 1596 © AD49

Les actes de Haute-Savoie sont en latin, tandis que ceux de l’Anjou sont en français.
Leurs métiers sont rarement connus : quand ils le sont, nous rencontrons un métayer, des laboureurs, ou un seigneur de noble lignée.
Deux signatures ont été trouvées, dont celle du sergent royal et notaire angevin René Guespin.

Signature de Guespin René, né en 1597 © AD49

Le métier du second signataire, Maugars Jacques, n’est pas connu mais plusieurs sergents royaux et notaires sont témoins de ses noces ce qui suppose une appartenance à un milieu plutôt favorisé.



  •   Les fratries
Trouvés au hasard de mes pérégrination dans le XVIème, ces ancêtres collatéraux sont parfois seuls, parfois plus nombreux; se succédant alors souvent à un rythme d’une naissance tous les deux ans. Cela concerne 42 couples. La moyenne est de 3 enfants par couple, mais cela ne reflète pas la réalité puisque les enfants n’ont pas tous été systématiquement cherchés et que certains membres de la fratrie sont nés au tout début du XVIIème et ne sont donc pas comptabilisés. 
Néanmoins, le record de la plus grande fratrie née au XVIème est de 11 enfants. Il est détenu par le couple Felon Pierre et Chastillon Renée dont les enfants sont nés entre 1579 et 1599 (mon ancêtre direct, Jean, est le petit dernier). 
La naissance la plus ancienne date de 1522 ; il concerne encore la famille de Sales. Je n'ai pas trouvé l'acte, mais la bibliographie donne sa date précise. Or, comme cela concerne François de Sales, père de Saint François de Sales, j'ai tendance à y accorder foi. 

Détail tableau François de Sales © Pourpris historique

On retrouve les deux mêmes régions d’origine : la Haute-Savoie et l’Anjou.
Partir à la recherche des fratries, c’est aussi parfois débloquer une branche et atteindre une génération supplémentaire lorsque les parents sont cités dans un acte concernant un frère/une sœur alors qu’ils ne l’étaient pas dans l’acte de son ancêtre direct. Bref, c'est toujours utile.


  • Les égarés
J’ai trouvé leurs dates de naissance grâce à leurs décès, donnant l’âge « ou environ ». Après vérification, je n’ai pas trouvé leurs actes de baptêmes, souvent à cause de la disparition des registres. Le plus ancien daterait de 1500 tout rond : "l'état des âmes" [3] de Morzine en donne le nom, Jean Baud de Mollie (et même deux générations supplémentaires, mais sans date de naissance). 


Dans ce groupe, la zone géographique est étendue à la Suisse, l’Ain, la Seine et Marne, la Bretagne. Quelques uns sont des frères et sœurs des personnes identifiées dans les deux groupes précédents. Les informations les concernant sont réduites à la portion congrue.
On notera la présence, dans ce groupe, de Le Floc Mathurine, qui serait née en 1573 et décédée en janvier 1677 à Loudéac (Côtes d'Armor)... soit à l'âge de 104 ans ! Il y a bien un acte de naissance en 1573 qui pourrait correspond, cependant, j'ai du mal à lire ce document (ci-dessous). De ce fait l'année de naissance n'est pas très sûre... Mais si l'âge est exact, ce serait assurément la doyenne de ma généalogie !

Possible acte de naissance de Le Floc Mathurine, 1573 © AD22
(oui, je sais, on ne voit rien ! Pour les plus curieux, cet acte de naissance est dans le 
registre de Loudéac, AD22, Lot 1, B 1556/1624, vue 49/386, page de droite)

Ce troisième groupe est suivi d'un éventuel quatrième groupe, composés de ceux qui se sont mariés et/ou sont décédés au tout début du XVIIème (et donc forcément nés au XVIème). Mais ceux-là restent davantage encore dans le brouillard et n'ont pas été comptés. Du travail pour l'avenir peut-être ? 


 
[1] Sur les 1 242 actes de naissances trouvés à ce jour, concernant les 11 200 personnes que compte ma base généalogique (chiffre qui évolue en permanence...).
[2] Exception faite de ma branche noble qui remonte jusqu'au XIVème siècle, voire plus loin selon certaines bibliographies.
[3] Le but de ce document était d’établir la liste de toutes les personnes -les âmes- qui dépendaient spirituellement du curé : il importait donc de procéder à la reconstitution des familles de la paroisse.


samedi 7 avril 2018

Etranges naissances

J’avais dans l’idée de rédiger cet article depuis un moment déjà. Et puis @lulusorciere a fait part de la première publication de l’archiviste Sylvie Boudaud (@deedee8586) dans laquelle elle raconte comment Pierre Proust et sa sœur Mathurine sont nés à un intervalle très particulier (voir ici).

Je protestais aussitôt sur Twitter de ce plagiat inopportun (même s’il est vrai que mon article n’était pas encore écrit, mais quand même : j’avais eu l’idée avant, c’est sûr) :

Hélas, on ne se débarrasse pas des sorcières comme ça et c’est ainsi qu’après avoir renoncé à vous expliquer « mon » cas, j’acceptais finalement de le faire.

Voici donc l’histoire de Modeste Boissinot et son deuxième époux François Bertrand. Ils se sont mariés à Saint-Amand-sur-Sèvre (Deux-Sèvres) quelques années après la Révolution, mais à une époque où le calendrier révolutionnaire est encore en place.

Pour cette affaire de calendrier, il suffit de se rappeler qu’au cours de notre histoire nous avons changé plusieurs fois de calendrier : calendrier julien (dont le nom vient de Jules César), puis grégorien (venant du pape Grégoire XIII qui réforma le précédent au XVIème siècle) et enfin le fameux calendrier républicain. Si les deux premiers faisaient commencer l’année le 1er janvier, le premier jour du troisième est placé au 22 septembre 1792, date de la proclamation de la République, et donc départ d’une nouvelle année/nouvelle ère (même si ledit calendrier n’est entré véritablement en vigueur que le 6 octobre 1793 – 15 vendémiaire an II).
Mais les petits rigolos qui ont décidé de changer le calendrier ont aussi décidé de faire véritablement table rase du passé (c’était dans l’ère du temps faut dire) et ils ont tout changé : le début d’année, donc, mais aussi le nom les mois, des jours, des années. Et c’est là que ça rigole moins pour tous ceux qui ont à faire avec les dates de cette période.

Les Révolutionnaires sont des poètes, c’est bien connu, et c’est ainsi que les nouveaux noms s’inspirèrent des saisons, de la végétation et de la plume de Fabre d’Eglantine, écrivain et homme politique à qui l’on doit cette nouvelle nomenclature :
- mois d’automne :
Vendémiaire (22 septembre/21 octobre) : mois des vendanges ;
Brumaire (22 octobre/20 novembre) : des brouillards et brumes ;
Frimaire (21 novembre/20 décembre) : du froid sec ou humide ;
- mois d’hiver :
Nivôse (21 décembre/19 janvier) : de la neige qui blanchit la terre ;
Pluviôse (20 janvier/18 février) : des pluies qui tombent avec plus d'abondance ;
Ventôse (19 février/ 20 mars) : des giboulées et du vent qui vient sécher la terre ;
- mois du printemps :
Germinal (21 mars/19 avril) : de la germination et de la montée de la sève ;
Floréal (20 avril/19 mai) : de l'épanouissement des fleurs ;
Prairial (20 mai/18 juin) : de la récolte des prairies et de la fécondité ;
- mois d’été :
Messidor (19juin/18 juillet) : des moissons dorées qui couvrent les champs ;
Thermidor (19 juillet/17 août) : de la chaleur solaire et terrestre qui embrase le sol ;
Fructidor (18 août/16 septembre) : des fruits que le soleil dore et mûrit.

La semaine ne comporte plus 7 jours, mais dix, d’où le nom de décade. Pour chaque jour, là franchement, on s’est pas foulé :
1er jour     : primidi ;
2ème jour : duodi ;
3ème jour : tridi ;
4ème jour : quartidi ;
5ème jour : quintidi ;
6ème jour : sextidi ;
7ème jour : septidi ;
8ème jour : octidi ;
9ème jour : nonidi ;
10ème jour : décadi (jour de repos - dimanche).

Néanmoins chaque jour de l'année a reçu un nom en propre, les noms des saints du calendrier grégorien ayant été remplacés par des noms de fruits, de légumes, d'animaux, d'instruments, etc… Ainsi, par exemple, je suis née un jour nommé « crible » - une passoire, un tamis quoi (pas terrible, mais bon, on ne choisit pas…).

Cependant, il reste une période bissextile, parce que décidément les calendriers ne s’entendent jamais bien avec la rotation de la Terre et du Soleil. Du coup, on hérite d’une « Franciade » (période de quatre ans au bout de laquelle il faut ajouter un jour pour qu'elle reste alignée avec l'année tropique) et de « sanculotides » (5 ou 6 jours selon les années qui s’ajoutent à l’année ordinaire qui est composée de 12 mois de 30 jours chacun, soit 360 jours au total). Les sanculotides, aussi appelés « jours complémentaires », sont ajoutés  afin que les années comportent plus ou moins 365 jours (365,242 25 jours en moyenne exactement) [1] ; ce que vous n’avez pas manqué de remarquer en lisant le présent article, un peu plus haut : le calendrier commence le 22 septembre et se termine le 16 : les sanculotides viennent donc combler ce trou.

On notera que certains ont fait de la résistance : dans les registres d’état civil on utilise parfois toujours « l’ancienne date ». Ou bien on met les deux : celle du nouveau calendrier et celle de « l’ancien style ». En tout cas « l’ère vulgaire », comme la nomme le décret instituant ce nouveau calendrier, est abolie ; ce qui, avouons-le, ne nous facilite pas le travaille tous les jours.

Par ailleurs, le nouveau découpage de la journée qui faisait aussi partie du package révolutionnaire, n’a jamais eu de succès et fut rapidement abandonné. [2]

Enfin, des esprits censés ont décidé de l’abrogation de ce calendrier le 1er janvier 1806 (11 nivôse an XIV). On est alors revenu à notre bon vieux calendrier grégorien, toujours en usage aujourd’hui.

Bon, heureusement, pour éviter les maux de tête, des convertisseurs de calendrier existent, ce qui nous évite d’avoir à apprendre par cœur tout le calendrier républicain (sauf si le cœur vous en dit…). Personnellement, j’utilise celui-ci

Mais pourquoi ces précisions quant à ce calendrier républicain ? Et bien parce que si l’on n’y prend pas garde, on peut passer à côté de situations assez cocasses. Ainsi, pour en revenir à Modeste et François mes ancêtres, je leur ai très vite trouvé deux enfants. La première, Marie Françoise (mon ancêtre directe) est née le 21 thermidor an XI. Son frère, Pierre, est né le 5ème jour complémentaire An XI (déclaré le 6). S’il est facile de discerner que les deux naissances sont rapprochées (car la même année), j’ai mis une fraction de seconde de plus pour m’apercevoir que le 6ème jour complémentaire suit d’environ un mois et demi le 21 thermidor (soit en bon français grégorien respectivement le 22 septembre et le 8 août 1806). Morale de l’histoire : il faut toujours faire les conversions de calendriers. Toujours.


Vu la période, le lieu, les remous de l’histoire, j’ai bien sûr pensé à une erreur de déclaration, mais il semble bien que non (celle de Pierre en tout cas est confirmée dans son acte de mariage ; celle de Marie Françoise n’apparaît pas et l’âge qui lui est donné est plus ou moins fluctuant selon les actes). Quoi qu’il en soit aucune mention particulière ne signale un événement qui expliquerait ce délai peu ordinaire, ou bien une erreur de date, entre les deux naissances.

Donc, soit on a là la grossesse la plus courte de l’histoire. Soit c’est l’accouchement le plus long de l’histoire. Franchement, si c’est la deuxième hypothèse, je plains ma pauvre Modeste. Inévitablement, je me pose des questions : à cette époque, dans les campagnes, on accouchait à la maison. Mais qu’a pensé Modeste, mère de trois enfants, âgée de 36 ans, quand elle s’est rendu compte après la naissance du troisième qu’elle était encore enceinte ???? Parce que j’imagine que l’accouchement n’a pas duré un mois et demi (on n’a certainement pas entendu du « Poussez madame ! Poussez ! » pendant ce délai : même les sages-femmes les plus endurantes y aurait perdu leur latin). Alors, quoi ? Elle est repartie tranquille au champ moissonner un coup et puis au bout d’un moment elle s’est dit « Tiens, et si j’y retournais ? » !

Les commentaires ayant suivi la parution de l’article de Sylvie ont exploré quelques hypothèses médicales pour expliquer ce phénomène de naissances si rapprochées. Mais loin de la science, je ne peux m’empêcher de penser à mon ancêtre, à ce qu’elle a pu ressentir et/ou imaginer concernant cet double accouchement peu ordinaire.




[1] Pour les fans de chiffres, l’année tropique (ou année solaire, c'est-à-dire le temps que met la Terre à faire le tour du Soleil) comporte environ 365,242 189 8 jours ; bien loin de celle des calendriers juliens (365,25 jours) et grégoriens (365,2425 jours) !
Une année sextile désigne l'année qui avait un 6e jour complémentaire et ce jour lui-même. Tous les quatre ans, l'année républicaine comptait donc un sixième jour complémentaire, en plus des cinq jours complémentaires ordinaires. Le terme sextile a pour origine un terme d'astrologie : l’aspect sextil est l'aspect de deux planètes qui sont éloignées entre elles de soixante degrés, ou de deux signes entiers, qui font la sixième partie du zodiaque. Dans notre calendrier, cette année qui comporte un jour supplémentaire est nommée bissextile.
[2] Pour les plus curieux : la journée allait de minuit à minuit, comportait 10h, découpées en 10 parties, elles-mêmes décomposables en 10 parties et ainsi de suite.


lundi 5 février 2018

Baptisés chez le voisin

Jean Le Tessier et Michelle Houdebine se marient à Ménil (Mayenne) en mars 1696. Lui est originaire de la paroisse voisine de Daon (il a 27 ans) et elle de Ménil (22 ans). Ils auront 11 enfants entre août 1696 (hum… une grossesse un peu courte ! C’est peut-être pour cela qu’ils ont reçu une dispense de deux bans accordée par l’évêque pour pouvoir se marier…) et juin 1714 – soit en l’espace de 18 ans –. On peut dire que Michelle n’aura pas chômé et rares sont les années où elle n’était pas « grosse ».

Le père de Jean et deux de ses frères étaient pêcheurs. Lui était pontonnier, c'est-à-dire qu’il était préposé à une station de bateaux de voyageurs. En d’autres termes il était batelier, passeur. Un pontonnier peut aussi être chargé de percevoir le droit de pontonage (droit qui se percevait sur les personnes, voitures ou marchandises qui traversaient une rivière, soit sur un pont soit dans un  bac). Parmi les parrains de ses enfants on trouve plusieurs meuniers. Bref, des hommes de l’eau, de la rivière.

Ménil et Daon sont donc des paroisses voisines. Les deux bourgs sont distants de 6 km, chacun en bordure de la rivière (Ménil rive droite, Daon rive gauche). Le premier comptait près de 300 feux en 1700 (environ 1 500 habitants), le second un peu plus de 200 (1 000 habitants). C’est la Mayenne (la rivière) qui fait plus ou moins la limite entre les deux communes aujourd’hui, et probablement entre les deux paroisses autrefois.
Ménil-Daon, Carte de Cassini © cassini.ehess.fr

En 1696 et 1697 il est dit demeurant à La Petite Valette (paroisse de Ménil), comme son frère André, mais dès 1699, dans les actes de naissance de ses enfants, Jean et son épouse sont dits demeurant au Port Marot, paroisse de Daon. Cependant, si le métier de Jean a rapidement été identifié, son lieu d’habitation a été plus délicat à localiser. En effet, j’ai suivi la rivière, ses affluents, je m’en suis même éloignée (bien qu’en tant que pontonnier il devait logiquement habiter au plus près de l’eau), mais je ne suis jamais parvenue à localiser ce Port Marot, ni sur les Cartes de Cassini, ni  sur les cartes moderne (IGN, état-major…). Est-ce trop petit ? A-t-il disparu ? A-t-il « changé d’identité » ? En effet, le long de la rivière il existe un « La Porte » et plus bas un « Le Pont » : l’un d’eux est-il mon Port Marot ? On notera toutefois qu’au niveau de La Porte il existe aujourd’hui un bac traversant la rivière, prolongé par une « rue du Port » : tiens, tiens…

Je continue mes recherches et, dans le Dictionnaire  historique, topographique et biographique de la Mayenne de l'abbé Alphonse Angot (publié en 1900/1910), je trouve cette note : « Le château de la Porte nargue le bourg de Ménil, assis sur l’autre rive […]. Le seigneur de la Porte de Daon avait, 1769, droit de port et de passage au Port Marot, sur la rive gauche de la Mayenne, vis-à-vis du bourg ». Bingo ! Le Port Marot se trouvait donc là où existe toujours le bac aujourd’hui. Un peu plus tôt, toujours selon cette source, le seigneur de Daon déclarait en 1457 : « Mon port et passaige de Daon que j’ay en la rivière de Maine [Mayenne] avec l’emplacement d’iceluy des deux coustés [côtés] de ladite rivière et la meson en laquelle demeure mon potonnier, à passer gens à pied, à chevaulx, à charetttes, lequel est de présent affermé à 30 livres ». En 1774 le passage « était de 3 deniers par personne, 1 sol par cheval, 5 sols pour une charrette ; le retour dans la même journée était gratuit ». On apprend par ailleurs qu’en 1769 il n’y avait « pas d’autre port où aborder en Chambellay et Château-Gontier ». Un poste de gabelle complétait le passage de Daon. Jean est donc l’héritier d’une longue succession de pontonnier au Port Marot.

Bac de Ménil © Google Maps
Après cette énigme géographique, qui m’a égarée quelques temps, revenons aux baptêmes des enfants Le Tessier. Les parrains et marraines des enfants sont des amis ou des membres de la famille (une tante, un oncle). Ils sont meuniers (ou épouses de meuniers) comme on l’a dit plus haut, pêcheurs, métayers, tisserands, closiers. Lorsque leurs lieux d’habitation sont connus (et localisés), on les voit demeurer dans des villages de part et d’autre de la Mayenne, indifféremment à Ménil ou Daon ; le plus éloigné habitant la paroisse de Château-Gontier à 8 km au Nord de Ménil.

Quoi qu’il en soit, Jean fait baptiser ses 11 enfants à Ménil, bien qu’il demeure au Port Marot qui appartient à la paroisse de Daon lors de la naissance de 9 d’entre eux. En effet, de 1699 à 1714 le prêtre précise à chaque baptême que le père est « de la paroisse de Daon » et que le baptême se fait avec l’autorisation du prieur ou du vicaire (selon les cas) de Daon.

Août, novembre, juillet, janvier, octobre, mai, février, juin, mars : peu importe le mois de naissance (et sa météo), Jean va toujours à l’église de Ménil faire baptiser ses enfants. Donc, soit le curé de Daon était un horrible personnage, soit la proximité de l’église de Ménil est plus commode. D’autant qu’en tant que pontonnier, Jean avait des facilités pour traverser la rivière. En tout cas, quelle que soit la raison, Jean devait trouver qu’on est mieux baptisé chez le voisin !



vendredi 17 avril 2015

Des enfants exposés

Le berceau de mes ancêtres éponymes se situe à Conques en Rouergue (aujourd'hui département de l'Aveyron). En feuilletant les registres, j'ai rencontré un phénomène inédit (pour moi en tout cas) : la présence d'enfants exposés.

Ces enfants sont abandonnés à proximité de l’hôpital. De pères et de mères inconnus, on leur trouve des parrains/marraines et ils sont alors baptisés. Ces actes se ressemblent beaucoup en général, mais on peut distinguer quelques variantes : en voici quelques exemples, sur une décennie prise au hasard (1771/1782).

 Abandon d'enfant © Geneancetre

Lieu de dépôt de l'enfant : le plus souvent c'est l'hôpital de Conques
  • "a été trouvé exposé devant la porte de l'hôpital un enfant de père et mère inconnus" 
  • "a été trouvée exposée dans la rue de l'hôpital une fille à père et mère inconnus"
  • "a été trouvé exposé devant la porte de l'église un enfant à père et mère inconnus"
  • "a été trouvée devant la porte de l'hôpital une fille à laquelle nous avons donné le baptême"
  • "a été baptisé sous condition un enfant trouvé à nous présenté par l'hôpital" (cf. plus bas)
  • "a été baptisé un enfant trouvé de père et mère inconnus à nous présenté par l'hôpital de Conques" 
  • "trouvée devant la porte de l'hôpital de Conques"

Parfois les enfants sont trouvés plus loin :
  • "un enfant à père et mère inconnus qui a été trouvé exposé devant la porte de l'église"
  • "a été trouvé exposé dans la rue"
  • "fille trouvée au delà du pont de Conques"
  • "a été trouvée exposée au fond du faubourg une fille à père et mère inconnus"
  • "a été trouvée exposée au delà du pont de Dourdou une fille à père et mère inconnus"
  • "fille a père et mère inconnus exposée à la porte de monsieur le curé de Saint Marcel [paroisse voisine] dans la nuit du vingt et un au vingt deux [...] et a été remise et portée à l'hôpital de cette ville ledit vingt deux"
  • "fille a père et mère inconnus exposée à Calviguière [ ? ] paroisse de Saint Marcel [...] remise à l'hôpital de Conques"

Les parrains et marraines ont souvent des liens avec l'hôpital :
  • ce sont des pauvres dudit hôpital : Jeanne Chauri, Anne Gaillac, Joseph Calmel, etc...
  • des filles de l'hôpital ou "fille associée audit hôpital" : Marie Vidal, Marie Albespy
  • une femme veuve demeurant à l'hôpital [marraine non nommée]
  • des servantes audit hôpital : Marie Anne Garric, Anne Morisset
  • des marraines dites "restantes à l'hôpital de Conques" : Marie Jeanne Vidal, Jeanne Delagnes

Plus rarement, parrains et marraines n'ont aucun lien avec ledit hôpital :
  • Louis Carles, "de la présente paroisse"
  • Delphine Doumergue, "du faubourg"
  • Catherine Fraysse, "de la paroisse de Grandvabre"
  • et d'autres dont les liens ne sont pas précisés : Jean Teissonier, Marie Anne Planhol, Pierre Fabre...

Certains sont parrains ou marraines plusieurs fois :
  • Joseph Salesse et Jean Costes "pauvres de l'hôpital" - quatre fois
  • Pierre Chatelie "garçon à l'hôpital" (1774), "pauvre de l'hôpital" (en 1776 et 1777 : il n'est plus signalé comme tel les années suivantes) - cinq fois
  • Elisabeth Marc et Marguerite Garric, "servantes", puis "filles restantes audit l'hôpital" - trois fois
  • Catherine Selves "servante audit hôpital" - deux fois
  • Joseph Delagnes "demeurant audit l'hôpital" - trois fois
  • Catherine Landes "de la paroisse de Grandvabre" - deux fois

Lorsque l'enfant est une fille elle n'a pas de parrain, et inversement lorsque c'est un garçon il n'a pas de marraine.

Dans deux cas, les marraines sont elles-mêmes d'anciennes filles exposées, habitantes dudit hôpital.

Une seule fois, il est fait mention d'une lettre accompagnant l'enfant... mais comportant bien peu d'informations (sinon l'essentielle) : "avec un billet portant quelle n'était point baptisée".

En général deux témoins complètent l'assemblée; ce sont souvent Pierre Chatelie (lorsqu'il n'est pas lui-même parrain) et Antoine Lagarrigue. Ce dernier est cordonnier. Tous les deux signent les actes.

Trois enfants sont "baptisés sous condition". Le baptême efface le pêché originel. Un enfant mort sans baptême est condamné à errer éternellement dans les limbes. C’est pourquoi il faut le baptiser au plus vite (en général le jour même) : quelque soit le temps, il faut se rendre à l'église la plus proche. Un enfant mort-né ou en danger de mort à la naissance est "ondoyé" par la sage femme ; acte qui lui ouvre le ciel en cas de décès (c’est l’une des raisons pour lesquelles la sage-femme était nommée par le curé et prêtait serment). Ensuite, le prêtre baptise le nouveau né "sous condition" : il suffit que les témoins attestent qu’ils ont aperçu un mouvement du cœur, un semblant de respiration, le tressaillement d’un doigt, un souffle L’enfant mort, retrouve la vie quelques instants, le temps de recevoir le baptême. [ 1 ]

On ignore l'âge de la plupart de ces enfants exposés. Seuls deux actes précisent que l'enfant est "âgé d'environ trois ou quatre mois" et "d'environ un an". Ils n'ont sans doute en général guère plus de quelques jours car, lorsqu'ils décèdent, on compte à partir dudit baptême considérant qu'ils viennent de naître.

Exceptionnellement, ce sont des jumeaux qui ont été trouvés : ainsi "le 14 octobre 1777 ont été trouvés deux garçons de père et mère inconnus". Deux "pauvres dudit hôpital" leur ont été attribués comme parrains.

Entre 1771 et 1782 ces enfants exposés représentent 46 des 243 baptêmes enregistrés sur les registres, soit près de 19 % [ 2 ]; ce qui est tout de même assez conséquent.

Quel aura été l'avenir de ces enfants ? Difficile de le dire. On sait néanmoins que les enfants jumeaux exposés en 1777 "ont été donnés à l'hôpital".
L'un d'entre ne survivra pas, puisqu'à la date du 18 octobre de la même année il est signalé le décès "à l'hôpital d'un enfant [...] âgé de deux ou trois jours".
Sans doute les autres ont-ils suivis le même chemin, car, sur ces 46 enfants, sur la même période, 18 ont été retrouvés et signalés "décédés à l'hôpital"; ce qui nous laisse supposer que ces enfants y sont élevés. Une seule enfant est signalée "décédée au village de Camaly sur la présente paroisse"; âgée de deux mois et demi, était-elle placée en nourrice ?

Qu'est-ce qui fait qu'il y a tant d'enfants exposés à Conques ? Est-ce le fait que c'est un lieu réputé de pèlerinage ? Est-ce une histoire de climat rigoureux ou de disette particulièrement sévère à cet endroit, à cette époque ?
L'histoire ne le dit pas. Puissent certains d'entre eux avoir survécu et avoir eu une vie plus belle qu'elle n'avait commencé.


[ 1 ] Source : le blog de Geneanet.
[ 2 ] Ce chiffre ne prend en compte que les enfants exposés; les enfants illégitimes nés de pères inconnus ont été comptabilisés avec les naissances "normales".

jeudi 25 décembre 2014

Un Noël à Noël

Il faisait froid ce soir-là. Le ciel cristallin était émaillé d'une myriade d'étoiles. L'air était fort vif. Toute la famille était dans la salle commune en train de s'habiller chaudement pour se rendre à la messe de minuit, fêter la naissance du Christ.

Charlotte peinait à habiller François, âgé de 5 ans, qui ne cessait de gigoter. Mais surtout, son gros ventre l'empêchait de se mouvoir comme elle le souhaitait. Son souffle était court, dès qu'elle faisait le moindre mouvement. Enfin, le garçonnet chaudement emmitouflé signala que toute la famille était prête à partir pour l'église. 

Embrassant tous ses enfants d'un regard, Charlotte eut une pensée émue pour le petit Jean, son premier-né, qui n'avait vécu que deux jours. Douze ans déjà étaient passés. Son second fils avait été aussi prénommé Jean, comme son père. Puis était venus René, François, Charles et la jeune Sébastienne, aujourd'hui âgée de deux ans et bien emmaillotée dans une chaude couverture. 

Alors que Jean, le père, avait une main sur la poignée de la porte, une violente douleur força Charlotte à s'assoir. Tout le jour elle avait eu mal au bas du dos. Reprenant son souffle, elle se releva et rassura son époux d'un regard. De toute façon, c'était bien trop tôt pour que le bébé arrive. Toute la famille sortit donc du logis et pris le chemin de l'église. Les enfants jouaient tranquillement le long du trajet, semblant ignorer le froid piquant. Au contraire, il sembla à Charlotte que l'église n'avait jamais été aussi loin. Elle avait l'impression de reculer au lieu d'avancer !

La messe de minuit était un moment qui plaisait beaucoup à Charlotte. La chaude voix du curé Pierre Michel qui s'élevait sous les voûtes de la vieille nef faisait naître chez elle une certaine émotion. Et elle attendait toujours l'instant où les enfants admireraient le petit Jésus enfin placé dans la précieuse crèche

Nativité, émaux de Limoges, vers 1500, © La Gazette de Drouot

Le curé parlait ce soir-là de la venue du Christ comme étant le plus beau des cadeaux qu'on pût recevoir. Mais Charlotte avait du mal à fixer son attention sur ses propos et la sainte messe toute entière. Même la joie des bambins de la paroisse eut du mal à lui arracher un sourire : au fil de la soirée, la douleur était devenue de plus en plus lancinante et rapprochée. Elle eut toute les peines du monde à regagner la maison, d'autant plus qu'elle devait porter sa fille tandis que Jean, lui, se chargeait de Charles qui s'était endormi sitôt le bout de la grand rue atteint.

A la maison, les enfants gagnèrent rapidement leurs lits, mais Charlotte ne se coucha pas. De toute évidence, l'heure était venue. Elle s'installa le plus confortablement possible devant la cheminée, tandis que Jean partit en quête de la sage-femme de la paroisse. Elle pensa un instant au berceau : celui que Jean avait fabriqué pour leur premier-né et qui avait accueilli ses six premiers enfants; il était désormais trop abîmé pour le septième. Jean devait en refaire un autre, mais ils pensaient qu'ils avaient encore un peu de temps pour cela. Où allait-on mettre ce petit pressé qui avait décidé d'arriver avant l'heure ?

Jean revint bien vite avec la sage-femme et heureusement tout se passa bien : même s'il était petit, le bébé était en bonne santé. Encore un fils, pensa Charlotte, en admirant le poupon tout fripé. A défaut de berceau, le petit garçon fut installé confortablement dans une caisse en bois garnie de linges.

Au petit matin, les enfants se réveillèrent. Jean et Charlotte leur présentèrent leur nouveau petit frère. Charles, du haut de ses trois ans, les mains agrippées à la caisse, son petit nez dépassant à peine du rebord du berceau improvisé, le regarda fixement. Puis il s'écria : "Mais ? C'est le petit Jésus !". Cela fit bien rire la famille et cette histoire se racontait encore à la veillée bien des années après. Chétif comme il était, on s'empressa d'aller le faire baptiser le jour même à l'église.

On ne l'appela pas Jésus, mais Noël... C'était bien le plus beau cadeau qu'ils pouvaient recevoir pour ces fêtes de la Nativité.


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Noël Le Boucher, 7ème fils (sur 15 !) de Jean Le Boucher et Charlotte Le Peintre, a été baptisé le 25 décembre 1625 à Jarzé (49). Il est mon ancêtre à la 11ème génération. Il fait parti des 12 ancêtres de mon arbre nés un 25 décembre (dont 5 ont été prénommés Noël).

390 ans après sa naissance, j'espère que vous avez passé un bon Noël (avec ou sans un Noël dans la crèche... vous me suivez ?) et je vous souhaite de joyeuses fêtes et une très bonne année 2015 !


jeudi 23 janvier 2014

Hélas monsieur...

. . . l'enfant se présente mal.
C'est ce que l'on a dû dire à Pierre Martin, marchand vigneron à Conques (Aveyron). Pourtant, jusque là, tout se passait bien. L'année précédente il avait épousé Marianne Amagat, la fille du tailleur d'habit. Bien sûr, il avait pris son temps pour la trouver (il avait 48 ans lors des noces) ; il faut dire qu'il avait mis toute son énergie dans son métier. Lui, le fils de sabotier, n'avait pas repris l'atelier familial, mais s'était investi dans le travail de la vigne. Et cela marchait bien. Et maintenant il le savait : c'était elle. Forcément elle. Les noces avaient eu lieu en mai 1758 et quelques mois plus tard leur union avait été bénie : le ventre de Marianne s'arrondissait doucement. Elle était si belle, avec juste ses 33 ans, rayonnante de bonheur.

Ce 24 avril 1759, la nuit tombe. La soirée est fraîche. La neige a fondu il n'y a pas si longtemps et le brouillard monte, recouvrant la vallée étroite de l'Ouche. Le village de Conques semble flotter au-dessus d'une mer de nuage, lentement envahi par la pénombre. Marianne est dans sa chambre depuis plusieurs heures déjà. Pierre l'entend haleter et crier à travers la cloison. Il a bien tenté d'entrer, mais la matrone et les voisines réunies auprès de la parturiente l'en ont empêché. Enfin, la porte s'ouvre. Pierre pense que c'est fini, que l'enfant est né. Mais en voyant le visage soucieux de la matrone, il comprend qu'il se passe quelque chose d'anormal.
"J'y ai épuisé toute ma science. Il vaudrait mieux appeler Antoine Nolorgues."
Le chirurgien ? Alors la situation est grave. "Qu'on aille le quérir de suite." Il arrive rapidement, mais il n'est pas seul : le vicaire Rolland l'accompagne. 

Dans la maison tout est calme. Seuls les cris de Marianne percent le silence. Mais ils sont de plus en plus faibles. Pierre est dans la salle commune. La flamme d'une bougie perce les ténèbres. Il a beau chercher, fouiller dans sa mémoire, il ne se rappelle plus qui l'a allumée. Il ne pense qu'à une chose : cette phrase qu'a prononcée le chirurgien après un rapide examen de son épouse : "Hélas, monsieur, l'enfant se présente mal. La situation est très préoccupante. On risque de perdre et la mère et l'enfant." De toutes ses forces, il adresse ses prières à sainte Foy, la jeune sainte de l'abbaye, patronne de la ville. Les pèlerins viennent de loin pour la voir. Elle doit sûrement pouvoir faire quelque chose pour Marianne.

A présent tout est silencieux. On n'entend plus rien. Pierre se prend la tête dans les mains. Il ne sait pas ce qui serait le plus terrible : perdre cet enfant qu'il n'a même pas vu; ou perdre son épouse chérie qu'il a trop peu connue.

Enfin, le chirurgien et le vicaire sortent de la chambre. Sans un mot, Pierre les interroge du regard. C'est le vicaire qui prend la parole : "Votre épouse va bien. Elle est très fatiguée mais va se remettre. Malheureusement, nous avons perdu l'enfant. Pour le bien de son âme, nous avons pu le baptiser. Mais lorsque le chirurgien a enfin pu le mettre au monde, il était mort."
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Est-ce que cela s'est passé ainsi ? Nul ne le saura jamais vraiment. Mais l'acte (de naissance et/ou de décès) peut nous le laisser supposer :


Registre BMS, AD12

Le 24e avril 1759 le sr nologues chirurgien
a baptisé par un pied un enfant de pierre martin et
marianne amagat mariés, et puis la tiré mort lequel
a été enseveli le 25e du mois present au convoy me
jean baptiste Rolland vicaire soussigné et pierre bonal clerc
qui requis de signer a dit ne scavoir


  • La présence du chirurgien montre que le travail a dû être long et que l'habituelle matrone n'y a pas suffit.
  • La naissance a eu lieu par le siège, les pieds en avant, comme l'indique l'acte : le bébé a été "baptisé par un pied" avant que le chirurgien ne le "tire" complètement hors du ventre de sa mère.
  • Cette naissance difficile n'a pas dû être une partie de plaisir pour la mère; sans parler de la douleur de perdre son premier-né.
  • Le vicaire, selon les usages, n'hésite pas à baptiser le bébé alors qu'il n'est pas encore véritablement né, pressentant la mort probable du nourrisson.
  • On ignore le sexe de l'enfant, non précisé dans l'acte. Aucun prénom n'est cité non plus.
  • Le bébé est effectivement mort-né. La mère a survécu.

Pierre Martin et Marianne Amagat auront encore deux enfants, les deux années suivantes; dont notre ancêtre Pierre Jean.

Une pensée pour Marianne et sa famille. Elle est mon sosa n°277.

mercredi 4 décembre 2013

Drôles de naissances

On compte quelques naissances "curieuses", parmi mes ancêtres directs ou leurs collatéraux.

Grossesse, ©PhotoPin
    • Une grossesse trop courte :
  • Coutand François et Cousseau Renée se marient le 12 novembre 1736 au Boupère (Vendée) et leur premier fils Pierre naît le 22 décembre de la même année, soit un mois et demi après les noces.


    • Une grossesse vraiment très courte !
  • Bertrand François et Boissinot Modeste déclarent deux naissances à un mois d'intervalle à Saint Amand sur Sèvre (Deux Sèvres) : le 21 thermidor an 11 et le 5ème jour complémentaire an 11, soit le 9 août 1803 pour le premier et le 22 septembre 1803 pour le second ! Le premier de ces enfants est mon ancêtre Marie Françoise.


    • Un père inconnu... pas tant que ça :
  • Lors de leur mariage, Borrat-Michaud Joseph Auguste et Jay Antoinette Adélaïde (à Samoëns, Haute-Savoie, en 1893) demandent à reconnaître et légitimer deux filles, née en 1881 pour la première (dite "enfant naturel de Jay Antoinette") et en 1892 pour la seconde (dite "enfant illégitime de Borrat-Michaud Joseph").


    • Des enfants nés hors mariage :
  • Borrat-Michaud Joseph Auguste est l'enfant illégitime de Borrat-Michaud Justine, né à Champéry (Suisse) en 1863. Le père n'est pas connu.
  • Duchemin Simone est née, en 1657 à Guérard (Seine et Marne), hors mariage, "extra matrimonium" comme le précise son acte de mariage; dans son acte de naissance en effet il n'y a pas de mention du père. Par contre, lors de son mariage, son père (qui lui a donné son nom de famille) est nommé. 

  • Guibé Jacques est qualifié de "bastard" dans son acte de mariage (1640) et celui de son fils (1674). Il serait né en 1612 (selon son acte de décès), mais on le peut pas le vérifier : il n'y a pas de registre de naissance antérieur à 1615 à la Coulonche (Orne).

Et ce n'est là qu'un florilège : de bien belles entorses à la morale . . .