« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

samedi 30 novembre 2024

Z comme zigouiller

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT


Les JAY ont finalement été condamnés (par contumace) et arrêtés. Du fond de leur prison, ils ont demandé, et obtenu, la grâce royale.


"Teneur de lettres de grâce de la peine de dix ans de galère à laquelle François JAY avait été condamné et de dix années de bannissement à laquelle Françoise GUILLOT sa femme avait été condamnée par le même arrêt.

 

Charles Emmanuel par la grâce de Dieu Roy de Sardaigne, de Chypre, et de Jérusalem, duc de Savoie, de Montferrat et prince de Piedmont,

Ayant vu dans nos audiences la requête ci jointe, et sa teneur considérée par les présentes, signée de notre main, de notre certaine science et autorité royale, eu sur ce l’avis de notre conseil, par un traité de notre souveraine clémence remettons, sans payement de finance, à François JAY la peine de dix années de galères, et à la consuppliante celle de dix ans de bannissement des états, auxquelles ils ont été condamnés par arrêt du Sénat de Savoie rendu le 7 juin 1748 sur les indices d’avoir tué en rixe la nuit du 25 au 26 janvier de ladite année, à coup d’instrument contondant et pointu, le nommé Vincent REY cavalier du Régiment de Séville qui s’était introduit dans leur maison armé de sabre et d’un stylet, dont il eu dans la rixe blessé les suppliants, car telle est notre volonté.

Donné à Turin l’onzième du mois d’avril l’an de grâce mil sept cent quarante neuf, et de notre règne le vingtième

Signé C Emmanuel

Scellé du grand sceau sur cire mole"

 

Zigouiller, création personnelle inspirée de patentes de 1767, Drouot
Zigouiller, création personnelle inspirée de patentes de 1767, Drouot



Présentation des grâces

L’an mille sept cent quarante neuf et le douze juillet a comparu par devant nous François Joseph BOURGEOIS Sénateur au Sénat de Savoie commissaire, en l’assistance de Monsieur PERRIN premier substitut avocat général dans une des chambres des prisons de la présente ville de Chambéry et écrivant sous nous Me BELLON greffier criminel au Sénat, François JAY, auquel nous avons fait prêter serment sur les saintes écritures entre nos mains touchées de dire la vérité sur ce qu’il sera interrogé concernant le fait d’autrui, et l’avons comminé de la dire sur son fait propre, à peine de dix écus d’or d’amende, après lui avoir représenté l’importance dudit serment et les peines qu’encourent ceux qui taisent la vérité ou disent le faux.

Interrogé de son nom, surnom, âge, qualité, habitation et patrie répond : « Je m’appelle François fils de feu Claude JAY, je suis âgé d’environ trente une années, natif et habitant de Samoëns en Faucigny, maçon de profession. »

Interrogé s’il n’était par chez lui dans la maison à Samoëns la nuit du vingt cinq au vingt six janvier mil sept cent quarante huit et si la même nuit, le nommé Vincent REY cavalier dans le régiment de Séville ne fut pas dans leur dite maison et si après avoir eu querelle ensemble lui répondant, et Françoise GUILLOT sa femme n’ont pas tué dans leur maison ledit cavalier REY à coup d’instrument contondant et pointu.

Répond : « J’avoue tout le contenu en icelluy. Cela été arrivé à l’occasion que ce cavalier REY venu en ladite nuit à ma porte laquelle s’estant trouvé ouverte ma servante ne pus l’empêcher d’entrer et, entendant du bruit, je me levais en chemise avec mes culottes et dès que je parus une chandelle à la main, le cavalier me tendit un coup de sabre. Je le luy enlevais, il me donna en même temps une quinzaine de coup de stylet. »

Interrogé si après avoir tué ledit cavalier il n’a pas conduit ou fait conduire le cadavre d’iceluy dans le bois de Bérouze à un quart de lieue environ dudit Samoëns.

Répond : « J’ai bien reçu ses coups de stylet comme je viens de dire. Je criais ma femme qui était couchée à mon secours. Laquelle vint à l’instant et arracher entre les mains dudit cavalier ce stylet ou couteau, après en avoir reçu elle même cinq à six coups. En luy mordant les doigts, elle enleva ledit stylet duquel je vois qu’elle frappa en même temps ledit cavalier. Lequel tomba mort, et ce fut ma femme qui aida à conduire sur un traîneau le cadavre dudit cavalier aux bois de Berrouzes. »

Interrogé s’il n’a pas recouru à S.M. [Sa Majesté] pour obtenir grâce de ce délit, s’il a narré la vérité et s’il veut profiter de la grâce qui lui a été accordée par lettres patentes du onze avril dernier dont nous lui avons fait faire lecture.

Répond : « J’ay recouru et obtenu les lettres pattentes de grâce dont vous venez de me faire lecture. J’ay narré la vérité à S.M. et je veux profiter de la grâce qu’elle m’a fait. »

Lecture faite audit JAY du présent acte, a répondu : « J’y persiste, je n’y veux rien adjouter ny diminuer » et a signé.

[suivent les signatures de François JAY, SEIGNEUR, PERRIN, BELLON]

 

L’an mil sept cent quarante neuf et le douze juillet a comparu par devant nous François Joseph BOURGEOIS Sénateur au sénat de Savoie, en l’assistance de Monsieur PERRIN premier substitut avocat fiscal général dans une des prisons de la présente ville de Chambéry et écrivant sous nous Me BELLON greffier criminel audit Sénat Françoise GUILLOT, à laquelle nous avons fait prêter serment sur les saintes écritures entre nos mains touchées de dire la vérité sur ce qu’elle sera par nous interrogée contenant le fait d’autrui et l’avons comminé de la dire sur son fait propre, à peine de dix écus d’or d’amende, et après lui avoir représenté l’importance dudit serment et les peines qu’encourent les parjures.

Interrogée de son nom, surnom, âge, patrie, demeure et profession.

Répond : « J’ay nom Françoise fille de Nicolas GUILLOT, je suis femme de François JAY, aagé d’environ vingt cinq ans, native et de Samoëns en Faucigny et je demeure audit Samoëns avec mon dit mary, et je n’ay de profession que celle d’avoir soin de notre maison. »

Interrogée si la nuit du vingt cinq au vingt six janvier mil sept cent quarante huit, si elle n’était pas chez elle avec son mari, et si ladite nuit le nommé Vincent REY cavalier dans le régiment de Séville n’alla pas dans leur maison, et si y est entré, ledit cavalier n’eut pas tenu querelle avec François JAY son mari, et si elle n’accourut à ses cris, et ne l’aida à tuer ledit REY à coup d’instrument contondant et pointu.

Répond : « J’avoue le contenu audit interrogat. Et je m’en vas vous dire comment cela s’est passé. Mon mary et moy étions déjà couché laditte nuit lorsque ce cavalier Vincent REY vint à notre maison à Samoëns. La porte s’estant trouvé ouverte, notre servante ne put l’empêcher d’entrer. Sur quoy mon mary se levait en chemise et culottes. Et un moment après j’entendis qu’il me criait à son secours. J’y allais dans l’instant, et le trouvait aux prises avec ledit cavalier qui l’avait déjà blessé de plusieurs coups de stylet. Je saisi la main dudit cavalier pour le luy arracher, et après en avoir reçu cinq coups, je luy mordis les doigts pour le luy arracher, ce qui m’ayant reussy. Et voyant mon mary par terre, je donnay deux ou trois coups dudit stylet au ventre dudit cavalier. Lequel étant tombé mort, je m’ayday à mettre son cadavre sur une luge, et à le conduire avec un cheval aux bois de Berrouzes, n’ayant avec moi que un curé que l’on appelle CHOMETTY. »

Interrogée si elle n’a pas recouru à S.M. pour obtenir grâce de ce délit, si elle a narré la vérité, et si elle veut jouir de ladite grâce portée par patentes du onze avril dernier dont nous lui avons fait lecture.

Répond : « J’ay obtenu ladite grâce. J’ay narré la vérité à S.M. et je veux me prévaloir de ladite grâce. »

Lecture faite à ladite GUILLOT du présent acte, répond : « Je dis, j’y persiste, je n’y veux rien adjouter ny diminuer » et ne sachant écrire de ce enquis a fait la marque que suivante.

[Suivent la marque de la répondante et les signatures de SEIGNEUR, PERRIN, BELLON] 

 

Teneur d’arrêt de vérification des lettres de grâce ci dessus

Sur la requête présentée céans par François JAY et Françoise GUILLOT mariés de la paroisse de Samoëns tendant à ce que S.M. [Sa Majesté] ayant daigné leur faire grâce de la peine de dix ans de galères à laquelle ledit JAY a été condamné par arrêt du Sénat de Savoie du 7 juin année dernière, et de celle de dix ans de bannissement à laquelle ladite GUILLOT a été condamnée par ledit arrêt, ainsi que par lettres patentes du onze avril dernier dûment scellées et signées, il plaise au Sénat en entérinant lesdites lettres ordonne que les suppliants jouiront du fruit et bénéfice d’icelles, suivant leur forme et teneur et autrement, comme est portées par ladite requête

Signé CHABERT

 

Teneur d’entérinement des lettres de grâce

Le Sénat faisant droit sur ladite requête, icelle entérinant, ayant égard aux conclusions et consentement prêté par l’avocat fiscal général, a vérifié et autorisé lesdites lettres patentes, ordonne que les suppliants jouiront du fruit et bénéfice d’icelles suivant leur forme et teneur en payant les dixièmes de frais de justice

Délibéré à Chambéry au bureau du Sénat le douze juillet mille sept cent quarante neuf
Signé BOURGEOIS

 

Prononcé au seigneur avocat fiscal général et au suppliant François JAY en audience tête nue et à genoux auquel S.E. [Son Excellence] le seigneur premier président a fait l’autorisation porté par les Royales Constitutions

 

 

[Note manuscrite au crayon à papier - postérieure ?]

L’homicide avait été précédé de provocations graves et attentatoires à la vie des mariés JAY accusés. La servante Claudine VUAGNAT a été présente à l’homicide sans y prendre même part. Le chanoine CHOMETTY et son frère n’y ont non plus pris aucune part : ils ont seulement contribué ensuite, le 1er par son conseil, et le 2nd par son fait à tenter de dérober le cadavre à la connaissance de la justice.

Les mariés JAY condamnés ont été graciés par lettre patentes de S. M. Les autres accusés ont été envoyés par le Sénat quittes et absous.

An 1748 (sauf la grâce de 1749)

 

 

[Pour savoir ce que sont devenus les protagonistes de cette affaire, lisez "l'épilogue" publié demain]

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Pour en savoir plus

Les grâces

Elles sont codifiées dans les Royales Constitutions de la façon suivante :

 

« Tous ceux qui obtiendront de Nous des Lettres Patentes de grâce, pardon, ou abolition de crime ou de quelque peine, seront obligés de les présenter dans le terme de trois mois ; autrement ils seront privés du bénéfice desdites Lettres.

On présentera par devant le Sénat les grâces des peines afflictives & des pécuniaires.

Lesdites Lettres seront communiquées à l'Avocat Fiscal Général ou Provincial & le Sénat ou le Juge-Mage  reconnaîtront respectivement si elles sont subreptices [grâce obtenue par subreption, c'est-à-dire omission de ce qui s’opposerait à l’obtention d’un droit que l’on fait valoir] ou autrement défectueuses.

Lorsque ces Lettres contiendront la grâce d'une peine corporelle, elles ne seront pas reçues par le Sénat, à moins que l'impétrant ne se soit constitué dans les prisons pour donner ses réponses sur le délit dont il s'agit, sans qu'on puisse l'en élargir, qu'après qu'elles auront été reconnues comme dessus.

S'il n'y a rien de défectueux dans lesdites Lettres, les Sénats devront les entériner, & les Juges-Mages les faire enregistrer & les uns & les autres ordonneront qu'elles soient observées, suivant leur forme & teneur.

Lorsque les Lettres contiendront la grâce de la peine de mort ou des galères, l'impétrant sera obligé, avant qu'on l'entérine, de la présenter en personne dans l'Audience publique au Sénat, à genoux & tête nue, en présence des Avocats & des Procureurs; & le premier Président, ou celui qui régit le Magistrat, devra l'exhorter de ne plus commettre à l'avenir de semblables ou autres crimes.

On ne pourra retenir le criminel qui se sera volontairement constitué prisonnier pour présenter la grâce qu'il aura obtenue sur un exposé véritable. »

 

 

 

vendredi 29 novembre 2024

Y comme y ayant cas de nécessité

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Vu les conclusions de Mr le substitut avocat fiscal provincial du sixième avril dernier, la procédure de prise de corps du premier jour, l’exploit du 6 suivant et les trois certificats de contumace signés JACQUIER, nous observons que ledit Sieur substitut par ses conclusions susvisées a bien recueilli [plaidé] à l’occasion du meurtre du soldat Vincent REY. Mais il parait contraire à lui-même, en ce qu’il a rendu à prise de corps tant contre Révérend CHOMETTY, la Claudine VUAGNAT que contre les mariés JAY.

En effet il a fait voir qu’il conste [qu’il est évident] de la procédure primo que c’était la Françoise GUILLOT seule qui avait tué ce soldat. Du moins y a-t-il beaucoup d’apparence que la chose s’est passée comme les mariés JAY et leur servante l’ont raconté, par toutes les réflexions mise en avant dans les susdites conclusions, que s’était pour sauver la vie à son mari et la sienne. Que Révérend CHOMETTY ne se soit point trouvé chez JAY lors du meurtre et que la servante n’y a qu’aucune part, sauf pour ne l’avoir pas empêché.

Et par conséquent quand même l’on pourrait regarder que la conduite du Sieur Révérend CHOMETTY et Claudine VUAGNAT peut mériter quelque peine afflictive. L’expression de complicité de meurtre à leur égard se trouve trop forte, ce qui rend les lettres de prise de corps nulles. Desquelles nous concluons et requérons en conséquence de décerner de nouvelles lettres de simple ajournement personnel contre la Claudine VUAGNAT.

Et comme le conseil donné par le Révérend CHOMETTY, et prétendument effectué par son frère, ne paraît pas devoir assujettir cet ecclésiastique à une peine afflictive et corporelle. Nous disons n’y avoir lieu à aucune procédure contre lui. Mais y avoir lieu de décréter au susdit ajournement personnel le frère cadet dudit Révérend CHOMETTY, pour avoir par son fait voulu empêcher les poursuites de la justice et priver Vincent REY de la sépulture, qui est le seul délit auquel son frère le chanoine a donné lieu par son conseil. Car la fuite de la VUAGNAT et des frères CHOMETY ne saurait fournir un indice pressant de complicité de meurtre dont il s’agit avec d’autant plus de raison qu’il résulte d’ailleurs par qui, et comment l’homicide a été commis.

Aussi nous réservons de fournir de nos conclusions définitives après que la nouvelle contumace à faire l’aura été validement

Chambéry le 31 Mai 1748 #
DUFRENEY [avocat fiscal général]

 

# et pendant que le Sénat regarde les lettres de prises de corps valides, nous observons qu’il est prouvé par la formalité susvisée que le meurtre a été commis chez les mariés JAY, que par leurs aveux extrajudiciels c'est eux qui l'ont commis. Cependant il y a des indices présents que le cavalier a été l’agresseur. Les blessures en grand nombre reçues par le marié et la femme, les menaces du cavalier qui ont précédé le meurtre font croire qu’il est vraisemblable que l’homicide ait été commis ad defensant.

Les mariés JAY et la servante ont déclaré à plusieurs reprises que le Révérend CHOMETTY n’a pris aucune part à ce meurtre. Et les deux premiers innocentant aussi la servante, de même que le frère dudit Révérend CHOMETTY.

Et par conséquent nous disons y avoir lieu de condamner François JAY à cinq années de galères et la Françoise GUILLOT à cinq années de bannissement et au dépens et frais de justice solidaire, et au dédommagement envers le régiment et des héritiers de l’occis.

Et de dire qu’il n’y a lieu à aucune recherche contre le Révérend CHOMETTY et la Claudine VUAGNAT, et à aucune provision contre le frère dudit chanoine.

DUFRENEY

 

Y ayant cas de nécessité, création personnelle inspirée de F. Bourgeon et F. Volante
Y ayant cas de nécessité, création personnelle inspirée de F. Bourgeon et F. Volante


Arrêt criminel du Sénat de Savoye

Entre l’avocat fiscal général demandeur en cas d’homicide d’une part

Et François JAY, Françoise GUILLOT sa femme, Claudine VUAGNAT servante dudit Jay,

Et le Révérend Nicolas CHOMETTY chanoine de la collégiale de Samoëns tous habitants dudit lieu accusés défaillants et contumax d’autre [part].

Vu par le Sénat les informations et procédures faites contre lesdits accusés, les conclusions de l’avocat fiscal général du trente un mai dernier, tous les actes et pièces visés.

Le Sénat, sur les indices résultants des actes que ledit François JAY et Françoise GUILLOT sa femme ont tué en rixe la nuit du vingt cinq au vingt six janvier dernier d’un coup d’instrument contondant, et dans leur maison située à la paroisse de Samoëns le nommé Vincent REY cavalier dans le régiment de Séville, dans laquelle maison il était allé depuis son quartier de Scionzier, le cadavre duquel a été trouvé dans les bois de Bérouze à un quart de lieue environ au dessus dudit Samoëns le dix février suivant. Et pour le profit de la contumace qu’il dit avoir bien et dûment observé et entretenu.

A condamné et condamne ledit François JAY à servir par force S.M. [Sa Majesté] sur ses galères pendant dix ans, avec inhibition et défenses qui lui sont faites de les désempêcher pendant ledit temps à double peine. Et l’a déclaré avoir encouru les peines aux bandits du second catalogue, auquel son nom sera inscrit.

Et a condamné et condamne ladite GUILLOT à être et demeure bannie des États de S.M. pendant dix ans avec inhibition qui lui sont faites d’y revenir pendant ledit temps à double peine.

Et les a condamnés solidairement aux dommages et intérêts tant envers ledit régiment en ce qui le concerne qu’envers les héritiers de l’occis.

Et aux dépens et frais de justice fait pour leur regard.

Et a déclaré et déclare n’y avoir eu lieu à aucune réserve contre ledit Révérend Nicolas CHOMETTY ni contre ladite Claudine VUAGNAT, sans dépens fait pour leur regard.

Fait à Chambéry au bureau du Sénat le septième juin mil sept cent quarante huit et prononcé au seigneur avocat fiscal général le dit jour

BELLON [greffier criminel au Sénat, NDLR]

 

 

L’an que dessus et le douze dudit mois, je sergent royal soussigné certifie m’être, en exécution de l’arrêt ci devant écrit, à la réquisition du fisc, exepray [exprès] transporté de mon domicile à Bonneville jusqu’au devant l’auditoire des causes d’icelles, où j’ai à ma haute intelligible voix lu et publié l’arrêt ci devant écrit et copie que j’ai affiché à la porte du tribunal après avoir fait battre la caisse à la manière accoutumée. Et c’est en présence de Charles TOURNIER et de Claude DUBYS témoins requis, in cy est BENET sergent

 

L’an mille sept cent quarante huit et le seizième jour du mois de juin, je sergent royal du Sénat soussigné certifie qu’en exécution de l’arrêt du Sénat écrit et à la réquisition du seigneur avocat fiscal général, je me suis transporté depuis Bonneville mon habitation jusqu’au lieu et bourg de Samoëns distant d’environ quatre lieues où étant et au devant de la porte du dernier domicile des François JAY et Françoise GUILLOT sa femme condamnés. J’ai, après le son du tambour à la manière accoutumée lu, signifié et publié le susdit arrêt à haute et intelligible voix, duquel arrêt et présent exploit, j’ai affiché copie au devant de la porte du dernier domicile desdits François JAY et Françoise GUILLOT condamnés après due lecture faite, en présence de Joseph GEDAT et de Nicolas REYMOND témoins requis, ANTHOYNE

 

 

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Pour en savoir plus

La publication des sentences et leur exécution

Elles sont codifiées dans les Royales Constitutions de la façon suivante :

 

« Les sentences qui porteront peine de mort, des galères, du fouet & du bannissement seront publiées à son de trompe, ou de tambour, ou d'autre instrument équivalent, & affichées à la porte du Tribunal de l'endroit où le délit a été commis, de celui du lieu où le condamné a son domicile. & l’avocat fiscal général devra même prendre soin, dans les cas de sentences portant peine de mort, de les faire imprimer, afin que le Public en soit mieux informé.

Dès que les Arrêts des Magistrats suprêmes auront été prononcés, ou que les Sentences des Tribunaux, portant peine afflictive, auront été confirmées par les susdits Magistrats, on devra aussitôt les mettre en exécution.

Si l'on condamne à mort, ou à quelqu'autre peine afflictive une femme enceinte, l'on différera l'exécution de la Sentence jusqu'à ce qu'elle ait accouché & qu'elle soit en état de pouvoir subir la peine.

Déclarons qu'en matière criminelle, lorsqu'il s'agira de délits graves & atroces, on réputera pour majeurs ceux qui auront accompli l’âge de vingt ans, & ils devront être punis de la peine ordinaire.

Quand il s'agira de délits pour lesquels la peine des galères, ou celle de la chaîne ou de l'estrapade est imposée aux hommes, & que ces mêmes crimes auront été commis par des femmes, on les punira par celle du fouet, ou du bannissement, ou de la prison, suivant qu'on la croira proportionnée à la qualité du cas, du sexe & des personnes.

Les délinquants qui seront condamnés en contumace à la mort ou aux galères, seront décrits dans l'un des deux catalogues que l’on tiendra exposés publiquement dans l'Auditoire de chacun de nos Magistrats suprêmes.

On écrira dans le premier de ces catalogues le nom de ceux qui seront condamnés à mort pour des crimes de lèze-Majesté, des homicides proditoires [par trahison], des vols faits de force, avec violence ou menaces, & autres crimes très-atroces ; on écrira dans le second catalogue les noms de ceux qui seront condamnés à la mort, ou aux galères à perpétuité ou à temps, pour des crimes moins atroces : cette disposition aura aussi lieu à l'égard des femmes qui seront condamnées à une peine qui leur aura été infligée en place de celle des galères.

Lorsque quelque bandit sera libéré ou par grâce qu'il aura obtenue de Nous, ou par Arrêt, ou par nomination, son nom sera rayé des catalogues. »

 

 

 

 

jeudi 28 novembre 2024

X comme x (absent)

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Teneur de premier verbal

Je soussigné greffier de la judicature mage de Faucigny certifie qu’à la réquisition du Sieur substitut avocat fiscal provincial de Faucigny avoir fait exacte perquisition dans le registre et livre d’écrou des royales prisons de la présente ville de Bonneville et n’y avoir point trouvé, que les François JAY et Françoise GUILLOT sa femme, Claudine VUAGNAT leur servante et Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY se soient présentés, quoique assignés par exploit du sergent ANTOINE du sixième du courant. 

Savoir pour le premier délai au dix du courant mois pour venir répondre en personne et par leurs propres bouches aux interrogatoires du fisc dans les prisons sur les charges contre eux résultantes des informations à peine d’être tenus prononcé pour confessé du délit dont ils sont accusés. Et avoir ainsi lesdits François JAY, Françoise GUILLOT, Claudine VUAGNAT et Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY défaillant, et en foi de quoi ai dressé le présent certificat que j’ai signé à Bonneville ce onze mai mil sept cent quarante huit

Signé JACQUIER greffier  

 

Absent, création personnelle inspirée d’A. Juillard
Absent, création personnelle inspirée d’A. Juillard


Je soussigné greffier susdit certifie qu’à la réquisition du Sieur substitut avocat fiscal provincial de Faucigny avoir fait exacte perquisition dans le registre et livre d’écrou des royales prisons de la présente ville de Bonneville et n’avoir point trouvé que les François JAY et Françoise GUILLOT sa femme, Claudine VUAGNAT leur servante et Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY accusés s’y soient présentés, quoique assignés par exploit du Sergent ANTOINE du sixième du courant. Savoir pour le second délai au quatorzième dudit mois pour venir répondre en personne et par leurs propres bouches dans les royales prisons aux interrogatoires du fisc et sur les charges contre eux résultantes des informations à peine d’être tenus prononcé pour confessé du délit dont ils sont accusés. Et avoir ainsi lesdits François JAY, Françoise GUILLOT, Claudine VUAGNAT et Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY défaillant, et en foi de quoi j’ai dressé le présent que j’ai signé à Bonneville ce quinze mai mil sept cent quarante huit

Signé JACQUIER greffier

 

Je soussigné greffier susdit certifie qu’à la réquisition du Sieur substitut avocat fiscal provincial de Faucigny avoir fait exacte perquisition dans le livre ou registre d’écrou des royales prisons de la présente ville de Bonneville et n’y avoir point trouvé que les François JAY, Françoise GUILLOT mariés, Claudine VUAGNAT leur servante et Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY accusés se soient présentés, quoi qu’assignés de ce faire par exploit du sergent ANTOINE du sixième du courant, savoir pour le troisième et dernier délai au vingt trois dudit courant mois de mai pour venir ouïr la prononciation du jugement qui sera contre eux rendue sur les plus amples conclusions du fisc ainsi lesdits François JAY, Françoise GUILLOT, Claudine VUAGNAT et Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY défaillant et contumax. En foi de quoi j’ai dressé le présent que j’ai signé à Bonneville ce vingt quatre mai mil sept cent quarante huit

Signé par Me JACQUIER greffier.


Bref, les JAY ne se sont pas rendus...

 

 

mercredi 27 novembre 2024

W comme wam tarapa wam

Wam tarapa wam (roulement de tambour)

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Teneur de lettre

Nous noble Joseph RAMBERT, juge mage de la province de Faucigny et commis par le Sénat par décret du vingt quatre février dernier, au premier huissier ou sergent de ce pays sur ce requis salut.

Nous vous mandons et commandons par ces présentes, que suivent notre décret de ce jourd’hui, mis au pied des conclusions du Sieur substitut avocat fiscal provincial (le Sieur avocat fiscal absent) demandeur en cas d’homicide commis en la personne de Vincent REY Cavalier dans le régiment de Séville à coup de couteau ou stylet la nuit du vingt cinq au vingt six janvier proche passé au village de Levy paroisse de Samoëns dans la maison de François à feu Claude JAY contre ledit François JAY, la Françoise GUILLOT sa femme, Claudine VUAGNAT leur servante et Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY chanoine de la collégiale de Samoëns, tous habitants pour lors audit Samoëns accusés.

Et qu’à la requête du Sieur substitut avocat fiscal provincial les François JAY, Françoise GUILLOT, Claudine VUAGNAT et Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY soit saisis au corps et traduis, sous serrée et bonne garde, dans les royales prisons de la présente ville de Bonneville pour y être détenus jusqu’à ce que leur procès soit fait, formé et parachevé.

Et s’ils ne peuvent être appréhendés, qu’ils soient cités à trois briefs délais pour répondre en personne et par leurs propres bouches dans lesdites prisons sur les charges contre eux résultantes des informations. Savoir pour le premier et second délai de trois jours francs, chacun pour venir répondre aux interrogatoires du fisc sur les charges contre eux résultantes des informations à peine d’être tenus prononcé pour confessé du délit dont ils sont accusés. Et pour le dernier et troisième délai de huitaine aussi franche, pour venir ouïr la prononciation du jugement qui sera contre eux rendu sur les plus amples conclusions du fisc. Passé lesquels trois délais, ils seront déclarés suffisamment cités et contumacés. De ce faire vous donnons pouvoir.

Donné à Bonneville ce second mai mil sept cent quarante huit
Signé par ledit Monsieur le juge mage et Me VUARCHEIX substitut du greffier.

 

Wam tarapa wam,  création personnelle à partir d'un dessin trouvé sur Pinterest (source inconnue)
Wam tarapa wam, 
création personnelle à partir d'un dessin trouvé sur Pinterest (source inconnue)

Teneur d’exploit

L’an mil sept cent quarante huit et le sixième jour du mois de mai, je brigadier de la famille de justice de la province de Faucigny, sergent royal du Sénat soussigné, certifie qu’en exécution des lettres ci devant extraites, et à la réquisition de Monsieur PRESSET substitut avocat fiscal provincial, je me suis transporté à cheval depuis Bonneville mon habitation jusqu’au lieu et paroisse de Samoëns, distant d’environ quatre lieues, suivi des Pierre JACQUIER et Charles FONTANIES soldats de justice à pied. 

Où étant aux derniers domiciles des François JAY, Françoise GUILLOT, Claudine VUAGNAT et du Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY j’ai, séparément des uns aux autres, fait l’acte de réquisition et recherche de leurs personnes, en présence des témoins ci après nommés. 

Et après due diligence faite dans toute l’étendue de leurs derniers domiciles, n’ayant iceux François JAY, Françoise GUILLOT, Claudine VUAGNAT, et Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY accusés pu être appréhendés, je me suis transporté au devant des portes de leurs derniers domiciles, de même que les deux soldats de justice et témoins, où étant, et après le son du tambour à la manière accoutumée j’ai, à haute et intelligible voix, cités et ajournés les François JAY, Françoise GUILLOT sa femme, Claudine VUAGNAT leurs servante et Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY accusés, devant comparaître en personne dans les prisons royales de la province de Faucigny à trois briefs délais.

Et consécutivement les deux premiers délais de trois jours francs chacun pour répondre par leurs propres bouches dans lesdites prisons aux interrogatoires du fisc sur les charges résultantes des informations contre eux prises. Et le troisième et dernier délai de huit jours francs pour ouïr la prononciation du jugement qui sera contre eux rendus sur les plus amples conclusions du fisc.

Et que passé les trois délais ils seront tenus pour suffisamment cités et contumax. Et j’ai au surplus affiché copie des lettres et présent exploit à la porte des derniers domiciles des ajournés.

Et c’est après avoir fait lecture du tout à haute et intelligible voix, en présence des soldats de justice et des Nicolas REYMOND et Nicolas GUILLOT témoins requis.

Signé ANTOINE brigadier de justice.

 

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Pour en savoir plus

L’état de contumace

Il est codifié dans les Royales Constitutions de la façon suivante :

 

« Si l'on n'a pu arrêter le délinquant, & que l'on ait achevé de prendre les informations, il sera cité sur les conclusions fiscales [afin de] comparaître en personne pour défendre & répondre aux interrogatoires du Fisc.

On insérera trois actes d'ajournement en un seul exploit, dans lequel on assignera trois briefs délais qui courront l'un après l'autre immédiatement, à savoir, trois jours pour le premier, trois autres jours pour le second, & huit jours pour le troisième, lequel portera assignation à ouïr la prononciation du jugement sur les conclusions du Fisc, & dès que ces délais feront écoulés, l'accusé fera tenu pour contumax.

Dans les causes de délits qui méritent une peine afflictive, on fera l'ajournement à son de trompe, ou de tambour, ou d'autre instrument équivalent, à haute voix, devant la maison ordinaire où l'accusé demeurait en dernier lieu où il habitait auparavant.

On attachera l'exploit d'ajournement ainsi publié, à la porte ou à la muraille dudit domicile.

Le Greffier sera chargé de marquer, après que chacun desdits termes sera écoulé, que l'accusé n’a point comparu.

Mais si l'accusé s'est enfui avant qu'il ait été interrogé, on procédera en ce cas contre lui formellement en contumace de la manière prescrite ci-dessus.

Le délit ne sera pas tenu pour confessé par la seule fuite de l'accusé.

Les accusés qui seront arrêtés dans le terme de six mois, ou qui se constitueront volontairement en prison dans l'année après que leur sentence a été prononcée, seront ouïs au fond de la cause, en payant par un préalable les dépens de contumace, & on les admettra à faire leurs défenses comme s'ils n'avaient pas été contumax.

Les accusés seront interrogés sur les circonstances & la qualité du délit de la manière ci- devant prescrite, & après qu'on leur aura lu la sentence qui a été rendue contre eux, on les assignera à faire leurs défenses.

S'il reste encore après les défenses une semi-preuve en faveur du Fisc, & qu'il s'agisse d'un accusé qui ait été arrêté, la sentence sera mise en exécution ; mais si la semi-preuve se trouve affaiblie en quelque, façon, la peine sera modérée, suivant que le persuaderont les circonstances du fait.

Mais si l'accusé s'est volontairement constitué en quelque temps que ce puisse être, la semi-preuve ne suffira point pour le condamner. »

 

 

mardi 26 novembre 2024

V comme violon

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Teneur de conclusion

Vu les informations prises à notre instances comme demandeur en cas d’homicide commis en la personne du nommé Vincent REY cavalier dans le régiment de Séville à coup de couteau ou stylet la nuit du vingt cinq au vingt six janvier proche passé au village de Levy paroisse de Samoëns dans la maison de François à feu Claude JAY contre ledit François JAY, la Françoise GUILLOT sa femme, Claudine VUAGNAT leur servante et Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY chanoine de la collégiale dudit Samoëns accusés ; icelles contenants les dépositions de dix neuf témoins ouïs les dix huit, dix neuf, vingt six, vingt huit et vingt neuf mars proche passé ;

Du décret de Monsieur le juge mage du second dudit mois de mars donné sur nos conclusions et notre remontrance du même jour ;

De l’acte d’annotation des biens desdits mariés JAY du vingt deux dudit mois de mars signé par les Me BIORD et GERDIL notaires ;

De la lettre du seigneur DUFRESNAY substitut avocat fiscal général du vingt six du mois de février ;

Des lettres et décret du Sénat portant commission à Monsieur le juge mage pour la continuation desdites informations en notre assistance du vingt quatre dudit mois de février, obtenus sur remontrance du seigneur avocat fiscal général par le Sieur juge du marquisat de Samoëns à requête du procureur fiscal de la même juridiction pour et occasion du même homicide ; icelles contenants les dépositions de trente sept témoins ouïs les onze, douze, treize, quatorze et quinze dudit mois de février ; icelles contenant deux verbaux dudit Sieur juge desdits jours douze et treize février, et en date desdits jours douze treize quatorze et quinze dudit mois de février ;

Du décret dudit Sieur juge dudit jour onze février donné sur remontrance à lui présenté de la part dudit Sieur vice fiscal de la même juridiction ;

D’autre verbal dudit Sieur juge du même jour, et de la lettre d’avis dudit homicide adressé audit Sieur juge par le châtelain DUSAUGEY dudit mois de février ; 

 

Violon, création personnelle inspirée d’A. Juillard
Violon, création personnelle inspirée d’A. Juillard


Nous observons qu’aucuns des témoins ouïs dans lesdites informations ne déposent avoir vu commettre tel homicide. Que néanmoins il n’en laisse pas que d’en résulter une preuve assez complète contre les accusés, notamment contre lesdits mariés JAY, qu’il a été commis de leurs faits, et dans leur maison située rière [sur le territoire] le village de Levy paroisse de Samoëns la susdite nuit du vingt cinq au vingt six janvier proche passé. 

Leur soin de prendre la fuite et de se retirer de leur maison, et même de la paroisse, pour se réfugier dans un pays étranger le dixième dudit mois de février, aussitôt que le bruit se fut répandu dans la paroisse que l’on avait trouvé ce cavalier mort plié dans son manteau dans le bois de Bérouze, établi par tous les témoins ouïs dans lesdites informations, en forme un indice des plus pressants surtout s’agissant d’un délit a quod probandum plan probatio requisitur [qui doit être prouvé par pleine preuve requise], et d’une fuite prise ante formatan inquisitionem vel assompta informationes [avant de formuler une enquête ou d’obtenir une information]. 

Qui se trouve corroboré par les concessions ou aveux de ces mariés JAY d’avoir commis tel homicide, rapportés par les cinquante unième, cinquante quatrième, cinquante cinquième et cinquante sixième témoins, en forme une preuve complète. D’autant que tel aveux se trouvent geminés [réitérés] et saisissent par la nature d’un aveu judiciel suivant la définition vingt cinq cod fab [du Codex Fabrianus, voir le « Pour en savoir plus » ci-dessous, NDLR]. Et cette gémination d’aveu se trouve établie non seulement pour avoir été faite au cinquante unième témoin au lieu de Valais suivant sa déposition, mais pour avoir été fait au lieu de Bex canton de Suisse aux cinquante cinq et cinquante sixième témoins, et à tous les deux ensemble comme le rapportent ceux-ci. Et encore auxdits cinquante quatre et cinquante cinquième témoin au lieu de Samoëns et dans la maison de Nicolas GUILLOT de la part dudit JAY comme il se trouve l’avoir déposé l’un et l’autre. Et tels aveux se trouvent d’autant plus en faire pleine foi que l’on les envisage conformes aux déclarations faites auxdits cinquante cinq et cinquante sixième témoins par la Claudine VUAGNAT servante desdits mariés JAY. […]

Et qu’il résulte des informations que l’homicide de ce cavalier a été commis au point qu’il n’y est question que d’en quérir qui en est le meurtrier. Outre que de tels aveux se présentent dans les informations un concours d’indices vraisemblables, comme ceux tirés du verbal dudit Sieur juge du douze février. Et encore de celui du treize par les taches de sang trouvées dans la maison dudit JAY tant contre les parois du lieu où tel homicide a été avoué avoir été commis que sur le plancher. Selon la voix publique qu’il a été commis par les mariés JAY, rapporté par tous les témoins, de la fréquentation à laquelle était ce cavalier dans la maison dudit JAY par préférence à tous autres. Des lamentations de la Claudine VUAGNAT lors qu’elle prit la fuite, rapportée par les quarante quatre, quarante cinq et cinquantième témoins.

Mais comme la preuve que tel homicide a été commis par lesdits mariés JAY ne se tire précisément que de leurs aveux, et que tels aveux se trouvent qualifiés de circonstances qui paraissent les rendre excusables de leur délit, au point même de n’avoir encouru ni peine corporelle ni pécuniaire. D’autant qu’à les suivre, ils ne pouvaient conserver leur vie qu’en sacrifiant celle de ce cavalier.

Suivant Monsieur FAVRE dans la definition cinq cod Ad L cor delie et les L 2.3. au cod sous le même titre [référence au Codex Fabrianus, voir ci-dessous, NDLR], il ne paraît pas que leur aveux dussent leur préjudicier ou que l’on en dussent faire usage à leur préjudice, en supprimant les avantages qu’il auraient tirés des circonstances qui les ont accompagnées comme étant là un acte mere indeviduus [simplement isolé ?] et des qualités enséparables de leurs objets.

Néanmoins ce principe de jurisprudence ne saurait les relever d’établir la justice de leur défense comme exception dont ils ont accompagnés leur délit pour le délivrer de la peine qu’ils peuvent avoir encourue. Parce que dès qu’il est établit qu’ils ont commis tel homicide ils sont censé l’avoir commis avec dol [manœuvre frauduleuse employée pour tromper quelqu’un et l’amener à donner son consentement à un acte juridique contraire à ses intérêts], dès qu’ils ne sont pas constés [qu’ils ne sont pas certains] du contraire suivant la loi première cod ad l cor [… ? reliure étroite] su qua delinquens habet presumtion contra se [sur lequel le contrevenant a une présomption l'un contre l'autre].

Mais comme cette preuve de délit avec dol n’est que présomptueuse elle peut se détruire par un autre de la même nature quia contra dolum presumtum contraria probatis presumptina sifficit [car contre l'astuce présomptive, contrairement aux présomptions prouvées sont faites].

Lesdites informations paraissent en fournir d’elles mêmes une de cette nature puisque ce François JAY se trouve déclaré d’une très bonne réputation. Et lui et son épouse ont été grièvement excédés par cet individu avec sa propre arme, dont l’espèce joint à la manière dont il s’en est servi établit assez qu’il en voulait à leur vie suivant la deff. 11 n° 70. Et ce propos délibéré se vérifie assez par la route qu’a fait cet individus d’au delà de trois lieues de son quartier pour se rendre chez ledit JAY avec cette arme, de nuit et sans aucune permission de ses officiers.

Par le verbal dudit Sieur juge de Samoëns du onze février il est établi que ce cavalier avait en ceinture une cravate de coton blanc et que dans la cravate il y avait un étui d’un couteau à gaine, icelle couverte d’un cuir rouge grossièrement cousue, pointue au bout de la longueur de cinq pouces, et que le couteau qui y entrait ne pouvait pas être large de plus d’un travers de doigt.

Par celui du lendemain il est établi que les trous qui ont été trouvés à la chemise dudit François JAY avaient été faits avec le couteau qui entrait dans ladite gaine. Et suivant le vingt deuxième témoin, ce cavalier avait un couteau de la même espèce, qu’il mettait dans un étui ou une gaine. D’où est constaté que ce cavalier était effectivement armé de tel couteau lorsqu’il fut chez ledit JAY et qu’il en a vraiment excédé ledit François JAY de la manière que celui ci en a fait l’aveu. Ce qui est d’ailleurs établi par les cinquante unième, cinquante quatrième, cinquante cinquième et cinquante sixième témoins qui déposent avoir vu les plaies, et par les vingt cinq, vingt six, vingt huit, trente un, trente quatre, trente cinq, trente sept, trente huit, quarante quatre, quarante cinq, quarante six et cinquantième témoins qui déposent sur la maladie dudit Jay survenue le vingt six dudit mois de janvier où il s’alita le lendemain dudit homicide, et sur les trous trouvés dans la chemise et ses culottes faits et procurés par les coups qu’il a reçus.

Néanmoins desdites informations ou des aveux desdits mariés JAY, si l’on peut tirer que tel homicide a pu être commis sans leur dol, il ne parait pas que l’on puisse dire ou tirer desdites informations qu’il a été commis sans leur faute, du moins qu’ils n’avaient pu échapper la mort autrement qu’en commettant tel homicide. Ce qui les rend toujours coupable du crime d’homicide.

Et de la peine imposée contre son auteur et à l’égard de la Claudine VUAGNAT leur servante, sa fuite établie de même par tous les témoins ouïs dans lesdites informations avoir été ante formatas inquisiones [formé avant inquisition], forme un indice très pressant de complicité à tel homicide. Et quoique lesdits mariés JAY dans leurs aveux ne l’accusent point de telle complicité, ils paraissent laisser entrevoir que si bien elle ne leur a pas prêté aide, elle a toute fois été négligente à empêcher leur crime, même par affectation à s’aller cacher. Et par là l’on peut dire qu’elle a occasionné et s’en est rendu coupable ou complice qui enim hoc in casu damno accasionem dedit damnum faisse videtur [car celui qui dans ce cas a donné lieu à la perte, semble avoir causé la perte].

Le même indice de complicité se présente desdites informations contre Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY chanoine de la collégiale de Samoëns, puisqu’il y est de même établi qu’il a prit la fuite à l’occasion de ce même homicide ante formatas inquisitiones et qu’il fréquentait la maison où tel délit a été commis. Et même que l’on en avait formé des ombrages, néanmoins à suivre les aveux de ces mariés JAY et même ceux de ladite Claudine VUAGNAT, ces indices paraissent user du moins pour une complicité ad delictum commitandum [à commettre une infraction]. Mais non pas pour leur donner un secours à leur éviter la peine qu’ils peuvent avoir encouru, en faisant traduire par son conseil son frère et son cheval, le cadavre de cet individu dans les bois de Bérouze. Et en enlevant à la justice et la connaissance de tel délit, et celle de ces auteurs, par le moyen duquel secours il parait avoir encouru sinon la même peine que les auteurs de cet homicide, du moins une peine corporelle, comme l’établissent la loi première, seconde cod, outre celle qu’il se trouve avoir encouru en privant par tel procédé ce cadavre de la sépulture. 


Ainsi il y a l’air de conclure comme nous le faisons à ce que François à feu Claude Jay, Françoise GUILLOT mariés de la paroisse de Samoëns, Claudine VUAGNAT leur servante et Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY chanoine de la collégiale dudit Samoëns soient décrétés de prises de corps et à ces fins saisis au corps pour être traduits sous due garde dans les prisons royales de cette ville. Et là y être écroués dans le livre d’écrou et gardés avec la même sévérité jusqu’à ce que leur procès soit fait et parachevés. Et s'ils ne peuvent être appréhendés, qu’ils soient cités pour se rendre dans lesdites prisons et se défendre en personne sur les charges contre eux résultantes desdites informations, et répondre aux interrogatoires du fisc. Et c’est à trois briefs délais, et à la forme prescrite par le paragraphe second, titre quatorze, livre quatre des Royales Constitutions. Le dernier desdits délais portant leur assignation d’ouïr la prononciation de leur jugement qui sera rendu sur les plus amples conclusions du seigneur avocat fiscal général.

Bonneville, ce sixième avril mil sept cent quarante huit

Signé par Monsieur PRESSET substitut avocat fiscal.

 

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Pour en savoir plus

Le Codex Fabrianus

Antoine Favre était un juriste savoyard du XVIe siècle. Connu principalement comme le président du tribunal de Savoie à la fin des années 1500, Favre a publié un important ouvrage sur le droit, le « Codex Fabrianus Definitionum Forensium ». Ce livre était une collection de rapports juridiques et de décisions de justice basés sur le célèbre Codex justinien.

 

Les conclusions de l’avocat fiscal

Elles sont codifiées dans les Royales Constitutions de la façon suivante :

« Les conclusions de l'Avocat Général & de l’avocat fiscal général, devront contenir une succincte narration du fait avec la désignation des pièces & écritures, & ils y exprimeront positivement leurs sentiments & leurs motifs ;& dans les conclusions qui regardent les causes criminelles, s'il s'agit de peine pécuniaire, l’on y exprimera la somme, & s'il est question de peine corporelle, l'on en marquera l'espèce & les circonstances ; & toutes lesdites conclusions devront être datées par jour, mois & an.

Les conclusions de l'Avocat Fiscal Provincial seront remises aux Greffiers respectifs des Tribunaux, en annotant le jour qu'elles leur seront remises, & ils les porteront aussitôt au Juge-Mage , ou au Juge, après en avoir donné copie, ou communication à l'Avocat, ou au Procureur de l'Accusé, lorsque la cause sera en contradictoire. »

 

La prise de corps

Elle est codifiée dans les Royales Constitutions de la façon suivante :

« On ne pourra ordonner l'emprisonnement de qui que ce soit, qu'après que les informations auront été prises & que le Fisc aura donné ses conclusions.

On fera emprisonner personne que pour des délits qui, en conformité de nos Constitutions ou du droit commun, pourront mériter une peine corporelle ou pécuniaire considérable, pour laquelle le délinquant se trouve hors d'état de donner une caution suffisante.

Le Magistrat, Juge-Mage  ou Juge à qui appartiendra la connaissance du délit, pourra faire arrêter l'accusé, en quelque lieu de nos Etats qu'il puisse le trouver, sans réquisitoires.

Les Juges pourront cependant, avant qu'on ait pris les informations & que le Fisc ait donné ses conclusions, faire arrêter l'accusé lorsqu'il sera suspect de fuite ou pris en flagrant délit, ou aux clameurs du peuple, ou qui fera ou pourrait être cause de quelque tumulte, ou que le délit sera public & atroce, & la personne du délinquant notoire. 

Dès que l'on aura arrêté quelqu'un, il sera conduit dans les prisons du Tribunal qui a donné l'ordre de l'arrêter. On exécutera les prises de corps, quand même les accusés s'y opposeraient. »

 

 

 

lundi 25 novembre 2024

U comme ultime dispute

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Aux alentours du 20 mars, François JAY vint chez Nicolas GUILLOT son beau-père aux fins d’y venir prendre un de ses enfants pour le conduire à Bex en Valais. S’en étant aperçu, François Joseph DUNOYER DUPRAZ le fut trouver et se mit à parler de cet homicide, en l’assistance de Sieur Jean GUILLOT son beau-frère. Il lui dit : « Voyez mon cher JAY, l’on dit publiquement dans la paroisse que ce meurtre a été commis chez vous. Dites moy au juste comme cela c’est passé. » 

 

Ultime dispute, création personnelle inspirée de Van Ostade
Ultime dispute, création personnelle inspirée de Van Ostade


Et alors François JAY lui répondit : « La nuit du vingt cinq au vingt six janvier proche passé je soupay avec Jean BURNIER maitre maçon du village de Bérouze de notre paroisse de Samoëns et le Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY. » Lesquels après, avoir soupé, se retirèrent sur les huit heures. Quelques temps après, il s’était allé coucher auprès de la Françoise GUILLOT sa femme qui était malade. La Claudine VUAGNAT leur servante était restée dans la cuisine auprès du feu jusqu’environ les dix à onze heure. Elle avait mis à coucher les petits enfants. Et lorsqu’elle voulut aller se coucher, elle entreprit d’aller fermer la porte d’entrée de la maison. Ayant vu un homme auprès de la porte armé d’un sabre, qu’elle entrevit à la faveur de la lune, elle se mit à appelé JAY d’un air effrayé en lui disant : « Hé François, je ne peut pas fermer la porte, il y a un homme qui m’en empêche. »

Sur de tels discours, il s’était levé et avait mis ses culottes et ensuite avait allumé une chandelle avec laquelle il vint auprès de la porte pour savoir de quoi il s’agissait. Aussitôt y étant arrivé, il vit le cavalier qui lui décocha un grand coup de sabre sur la tête qui lui aurait peut-être partagé le crâne s’il n’avait eut le bonheur de le parer avec la main. En faisant cela, il essuya cependant une grande plaie. Ensuite ce cavalier le saisit près du col de sa chemise pour le traîner dehors de la maison dans le chemin, en lui disant : « Zena a cha’ ». François JAY tenta de s’y opposer en saisissant d’une main le cavalier par le col et de l’autre la main celle où il tenait son sabre. François JAY s’étant trouvé le plus fort dans le débat qu’il y eut entre eux, il traîna le cavalier dans la cuisine. L’ayant saisit par derrière, il le tenait recogné [repoussé] contre la muraille. Le cavalier, voyant qu’il ne pouvait plus se servir de son sabre ainsi, s’était saisi avec la main qu’il avait de libre de son stylet. Il excéda [frappa] François JAY de divers coups, notamment un au dessous du téton en lui disant : « Toy, bougre de paysan ». 

La servante, si effrayée qu’elle se trouvait d’un tel procédé, ne put pas les séparer. Voyant que le cavalier en voulait à sa vie, qu’il ruisselait de son sang et sentant sa santé affaiblie, François JAY se mit à appeler la Françoise GUILLOT sa femme de venir à son secours, qu’il était un homme mort.

Celle ci était venue, toute en chemise, au secours de son mari. Comme le cavalier continuait à donner des coups de son stylet à François JAY, il la sollicita de grâce d’enlever à ce cavalier la vie et qu’elle devait ôter le couteau qu’il avait à la main ou que s’en serait fait de lui. Sa femme, qui avait reçu divers coups du même couteau, tant sur le bras que sur un des tétons, voyant son mari dans un danger si évident, lui cria de tenir ferme ce cavalier, faute de quoi il allait perdre la vie. Elle, de son côté, se saisit du bras où le cavalier tenait son couteau. Après quelques efforts, voyant qu’elle ne pouvait pas lui enlever ce couteau, elle s’imagina de mordre ferme le pouce de la main du cavalier avec laquelle il tenait le stylet pour l’obliger à le relâcher. Ce que lui fit lâcher prise.

François JAY ne cessait de dire « Ah mon dieu, je ne puis plus me deffendre, je suis un homme mort » et ne pouvait plus résister. Françoise GUILLOT  devait arrêter la rage et la furie de ce cavalier. Se trouvant nantie du couteau, elle se mit en devoir de plonger de divers coups le cavalier en lui disant « misérable pourquoy venir nous assassiner de cette façon ? ». Pour toute réponse, le cavalier leur dit, en faisant un dernier effort « je suis venus pour vous tuer et vous bruler ». Aussitôt qu’elle eut enlevé le couteau, François JAY lui avait dit : « Hé mon Dieu, si nous ne le tuons pas nous sommes perdus tous les deux. Quant à moy je ne suis plus en force ny en état de me défendre. » Voyant que ses coups n’évitaient point la fureur du cavalier, elle sauta sur une barre de fer qui était dans la maison et l’en frappa avec tant de force qu’il s’arrêta.

Enfin, étant tombé par terre, de même que François JAY, il expira. Celui-ci resta sans sentiment à côté du cavalier, rempli de sang de toute part. Françoise GUILLOT était toute désolée de cette conjoncture et remplie du sang des blessures que le cavalier lui avait faites dans ce débat.

Pendant cette querelle, la Claudine VUAGNAT leur servante s’était allé cacher au poile, au lieu de les secourir, selon François JAY. Le cavalier étant mort des coups qu’il avait reçus, François JAY cria qu’il voulait se confesser. Sa femme envoya immédiatement la servante chercher le Révérend Sieur CHOMETTY pour secourir son mari et voir ce que l’on ferait de ce cavalier.

Étant venu sur le même instant, le Révérend l’avait trouvé tout étendu auprès de son feu, rependant de toute part son sang. Il était resté environ trois heures dans cet état, jusqu’à ce que le Révérend Sieur CHOMETTY avec la Françoise GUILLOT sa femme et la servante eurent bien bassiné ses plaies avec de l’eau de vie, qu’il lui fit même boire pour lui faire reprendre ses sens. Les plaies nettoyées, il y avait mit des charpies et apposé divers bandages pour arrêter l’effusion de sang. Cela fait, il l’avait porté se coucher dans son lit. De ce fait, il reprit un peu ses forces.

Ensuite le Révérend CHOMETTY avait dit, en regardant le cavalier, qu’il fallait conduire ce cavalier ou ce cadavre dans le bois de Bérouze. Il avait envoyé la servante prendre son cheval et fait appeler son frère cadet pour cette expédition. Ils avaient pris le cadavre et le mirent sur un traîneau, dans un de ses grands paniers appelés vulgairement clia [claie en osier] duquel on se sert pour conduire le foin sur les champs. Le frère du Sieur CHOMETTY le conduisit dans les bois avec Françoise GUILLOT.

Si Claudine VUAGNAT ignorait le motif qui avait occasionné ce cavalier à un tel procédé, elle se rappelait en revanche que c’était déjà la troisième fois qu’il était venu dans cette maison pour les maltraiter. Mais c’était l’unique fois qu’il y avait rencontré François JAY.

 

François JAY avait reçu treize plaies, certaines faites avec un couteau ou stylet et celle de la main droite avec un sabre. Il en avait une au même endroit où il disait avoir reçu le coup de pied du cheval.

Lorsque François Joseph DUNOYER DUPRAZ entendit le récit de François JAY, il pensa que ce ne pouvait être que la réalité. Le cavalier avait dû procéder ainsi, irrité de ce que le Sieur son capitaine l’avait mis en prison à l’occasion de sa précédente absence de l’automne passé, sur la plainte qu’en avait fait le Révérend Sieur CHOMETTY par lettre au nom de la Françoise GUILLOT.

François JAY ajouta : « Voyez, je n’aurais point pris la fuite si j’avais bien été à croire qu’il ny eut que la justice ordinaire qui eut pris connaissance de mon cas mais j’ay haprehendé et aprehende que la trouppe n’en prenne connaissance et d’estre jugé sans que l’on aye égard à mes justes motifs. Car si l’on m’imposait la moindre peine, il faut dire qu’un homme n’est pas en liberté de défendre sa vie et doit se laisser égorger sans autre [forme]. »

 

 

samedi 23 novembre 2024

T comme tourment

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

L’Honorable Claude DUNOYER DUPRAZ était parti de Samoëns au début du mois de mars, avec Monsieur GUILLOT Procureur en Tarentaise, frère de Françoise GUILLOT femme de François JAY. Ils étaient arrivés le mercredi suivant dans un cabaret du bourg de St Maurice [Suisse] qui est sous l’enseigne « au lieu de Valais ». Et là étant, il apprit que François JAY et Françoise GUILLOT étaient à Bex [Suisse], ville éloignée du bourg de St Maurice d’environ une heure de chemin.

Il se rendit à Bex, et lorsqu’il les trouva il leur dit que Monsieur GUILLOT les attendait au bourg de St Maurice. Il venait pour leur donner des nouvelles de leurs effets et prendre une procuration pour l’administration de leurs biens.

Alors qu’il les abordait, ils lui dirent que lorsqu’on avait découvert le cadavre de Vincent REY, cavalier dans le régiment de Séville, ils s’étaient sauvés dans la crainte qu’ils fussent que la troupe ne se saisir de leurs personnes. François JAY ajouta qu’il revenait dessus ses pas, et qu’il était même parvenu jusqu’à Taninges, animé par l’empressement de voir comme les choses allaient. Mais ayant trouvés Messieurs CHOMETTY, le Révérend et son frère, ils lui conseillèrent de rebrousser chemin, et il s’en retourna en Valais.

Lorsqu’ils furent tous ensemble dans le cabaret « au lieu de Valais », François JAY conta naturellement à son beau frère GUILLOT comment les affaires s’étaient passées, les tourments qu'il avait subi.

 

Tourment, création personnelle inspirée de Van Ostade
Tourment, création personnelle inspirée de Van Ostade


Monsieur GUILLOT, frère de ladite Françoise GUILLOT, leur conseilla de rester au pays de Valais jusqu’à ce que la procédure fût finie. Il ajouta même que François JAY serait consigné en prison dès que la formalité serait finie. 

François JAY dit encore qu’il avait reçu treize coups, desquels il en fit apercevoir plusieurs au bras et un à la cuisse qui le faisait boiter encore, et qui peut-être le laissera indisposé pendant sa vie entière. Le Révérend Sieur CHOMETTY lui avait donné une boîte d’onguent avec lequel il avait pansé ses plaies, sans que ce Révérend ne lui eut dit qui lui avait donné cet onguent. Françoise GUILLOT ajouta que la Claudine VUAGNAT leur servante avait reçu deux coups, sans avoir dit si c’étaient des coups de sabre ou de stylet, ni à quel endroit elle les avait reçu. Sitôt qu’elle les eut reçus, elle s’était allée cachée au poile.

 

Ce n’était pas la première fois que le cavalier venait ainsi chez les JAY. Une nuit de l’automne précédant, il était venu de Cluses ou de Scionzier son quartier, sur les onze heures. Il était entré par la fenêtre après l’avoir cassée. S’en étant aperçu Françoise GUILLOT s’était sauvée et cachée. Le cavalier, ne la voyant pas, excéda la servante d’un coup de sabre sur la main et lui donna divers coups contre la poitrine. Ensuite il prit du feu avec de la paille et feignit de vouloir l’allumer entre la maison et le grenier, sans doute pour qu’elle dise où était sa maîtresse. Mais ne cédant pas, le cavalier se retira.

Le cavalier avait aussi ordonné à Françoise GUILLOT, quelques temps avant la St André, d’aller à la foire de Cluses, qui avait lieu le lendemain de cette fête. N’ayant pas voulu y aller, elle avait envoyé sa servante. Ayant rencontré ce cavalier, apprenant que Françoise GUILLOT n’était pas venue, il lui avait dit, très en colère : « Vous faitte bien les fiers par la haut, il fautque jy monte pour vous tuer et vous bruler ».

 

 

 

 

vendredi 22 novembre 2024

S comme servantes

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Le matin du vingt six janvier, l’Honorable Claude JAY, cousin au troisième degré et voisin immédiat de François JAY au village de Levy, vit que Claudine VUAGNAT la servante, qui mettait dans la grange de François JAY un traîneau. Celui-ci avait une branche rompue. Lorsqu’il le lui fit remarquer, elle lui dit : « c’est mon maître qui at gaté ce trainaux hier en apportant, de Taninge, des raves pour le Révérend CHOMETTY. »

Claude JAY était bien chez lui la nuit précédente, mais il ne s’aperçu pas que l’on fit le moindre bruit dans la maison de son cousin, ni même que l’on en sortit aucun cadavre ni autre chose pendant la nuit, ni qu’aucun traîneau ne fut conduit de la maison par le chemin d’en haut allant aux Bérouze. 

 

Servantes, création personnelle inspirée d’A. Juillard
Servantes, création personnelle inspirée d’A. Juillard


Si les JAY entretenaient une servante à demeure, la Claudine VUAGNAT aussi accusée, ils faisaient aussi appel à du personnel occasionnel. C’était le cas de Marie Michel PELLISIER, journalière chez Nicolas GUILLOT qui battait le blé depuis la St André [30 novembre], par exemple. Le samedi matin 10 février Jeanne Antoine VUAGNAT femme dudit GUILLOT lui ordonna d’aller laver la lessive à François JAY son beau fils.

Ce qu’elle fit, bien sûr. Vers les dix heures du matin, Françoise GUILLOT femme JAY lui dit : « Allé toujours, la servante et vous, laver la lessive. Je men vay faire un tour, je reviendray pour apporter a goutter. » Marie PELISSIER s’y rendit donc avec la Claudine VUAGNAT la servante de la maison. Et un moment après la Jotte [Josette] PIN femme de Claude SAUGE vint laver avec elles.

En effet, Françoise GUILLOT le lui avait demandé. Comme elle n’avait pas de liaison avec elle, elle ne voulait pas y aller, mais sur son insistance, la jeune femme s’y résolut. Françoise GUILLOT prit le chemin du bourg en lui disant qu’elle allait vers le pont de Clevieux. On ne la revit plus, bien que les servantes restèrent jusqu’à trois heures environ à laver la lessive.

 

Vers les deux heures, quand elles eurent fini de laver, elles retournèrent à la maison JAY, mais elles n’y trouvèrent ni Françoise GUILLOT ni les enfants.

Elles allèrent étendre la lessive dans la loge [galerie en bois placée, comme un balcon, sur la face la mieux exposée d'une maison] qui est devant de la maison. C’est là que Josette PIN fit observer à Marie PELISSIER une chemise de femme et une d’homme qui étaient toutes ensanglantées. Marie PELLISIER remarqua que celle d’homme était fendue sur le devant et entre les deux épaules. Un moment après la PIN lui fit observer une paire de culottes qui étaient sur une planche au soleil et toute ensanglantée.

Elles demandèrent à la servante des JAY « de quel mal guerissait ces chemises ». Celle-ci répondit : « Laisse les, quelles craivent ».

Elle ajouta quand même que François JAY et Françoise GUILLOT avaient été malades quelques temps auparavant, sans leur dire de quelle maladie il s’agissait. Effectivement Josette PIN avait vu que Françoise GUILLOT avait une plaie à la main au dessus du petit doigt, bien qu’elle ne se souvenait pas dans quelle main. Elle ne lui avait pas demandé comment elle s’était fait mal.

 

Après avoir étendu la lessive Marie PELISSIER retourna chez Nicolas GUILLOT son maître où elle trouva les deux enfants JAY. Mais elle ne s’informa pas de qui les y avaient portés ni de ce que la Françoise GUILLOT était devenue. 

 

Le 15 février elle fut auditionnée par le juge DELAGRANGE qui lui présenta une paire de culottes de toile en drap de pays couleur minime, ainsi que deux chemises, l’une d’homme et l’autre de femme. Il lui demanda si c’était les mêmes linges ensanglantés qu’elle avait vu dans le logis JAY et s’ils appartenaient aux mariés JAY. La servante répondit c’étaient bien les mêmes que ceux qu’elle avait vu le jour de la lessive. Elle les reconnaissait aux taches de sang, aux endroits où elles étaient situées, aux boutons, à l’étoffe de drap de pays et la façon. Par contre elle ne savait pas si ces linges appartenaient aux mariés JAY car elle ne leur avait jamais vu porter. 

 

Josette PIN confirma ce qu’avait dit Marie Michel PELLISIER au juge et identifia aussi les linges qui lui furent présentés.

 

Plusieurs personnes croisèrent Claudine VUAGNAT qui se lamentait, comme l’Honorable Jeanne GAUDY veuve de Charles JAY qui l’avait rencontré le samedi 10 février, toute désolée, qui disait : « Hé mon Dieu nous sommes tous perdus ». Entendant cela, elle lui demanda ce qu’il y avait. Elle répondit qu’il n’y avait que trop. Elle se chargea ensuite avec sa mère de deux trousses de linges et se retirèrent toutes les deux. 

 

L’Honorable François Joseph JAY, maçon âgé dix neuf ans, ne la vit pas partir mais quand il la croisa ainsi troublée et la questionna, elle répondit qu’elle ne pouvait le dire mais cependant qu’il y avait bien du mal.

 

Les jours passaient et Claudaz Françoise PARCHET s’inquiétait du sort de sa fille. Le bruit public la disait en Valais. Or, vers la fin du mois de février, elle apprit que François SIMOND allait s’y rendre accompagné de Jean François BURNIER qui se rendait sur un chantier qu’il avait à Bex. Elle vint le rejoindre et le chargea de s’informer de ce que faisait Claudine VUAGNAT sa fille en Valais. Celui-ci accepta la commission. Arrivé au bourg de St Maurice, il s’informa où il pourrait rencontrer la servante. Et ayant appris qu’elle était dans un moulin qui était à côté du bourg, il s’y rendit. L’ayant trouvé il lui dit : « votre mere m’at chargé de vous voir et de minformer de ce que vous fesiez dans ce pays ». L’ayant remercié, elle lui demanda ce que l’on disait à Samoëns. Il lui répondit : « Hé là ! on dit que le cavalier a été tué chez François JAY ». Ce qu’elle nia. Mais il lui répliqua que c’était inutile de nier parce que l’on n’en accusait pas d’autre et que d’ailleurs ils ne se seraient pas sauvés comme cela les uns et les autres.

C’est alors qu’elle lui en fit l’aveu. Elle fit le récit des événements tel que Jean François BURNIER le rapporta au juge mage RAMBERT qui l’auditionna le vingt neuf mars mil sept cent quarante huit, à Bonneville dans sa chambre d’étude et maison d’habitation…