« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 1 novembre 2024

A comme alerte

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Joseph François DELAGRANGE, avocat au Sénat et juge ordinaire du Marquisat de Samoëns, était à l’abbaye de Sixt lorsqu’on vint l’avertir, ce dimanche 11 février 1748, que l’on avait trouvé dans les bois communs [communaux] de Bérouze un cadavre. Aussitôt il se transporta à Samoëns (la paroisse voisine) et mit pied à terre au devant de la maison de Me Joseph BIORD notaire collégié*. La procédure commença immédiatement. Le juge se fit assister de Me Jean Joseph VUARCHEX, substitut du greffier de Samoëns, et de Me George Marie BIORD vice fiscal de la juridiction et châtelain de Samoëns.

 

Un cadavre dans la neige..., création personnelle inspirée d’A. Juillard

 

Le manteau blanc du cadavre faisant conjoncturer qu’il était du régiment de Séville, qui occupait la vallée (voir l’intro de ce ChallengeAZ), Pierre DEHUMADAZ officier et aide major dudit régiment avait aussitôt été fait mandé à ses quartiers de Cluses [situés 3,9 lieues / 19 km]. Après avoir été rejoint par Monsieur DEHUMADAZ, le vice fiscal fut requis de mener toute la troupe auprès du cadavre pour y procéder à sa reconnaissance.

Deux hommes, Claude BAUD et Michel RUIN, tous les deux natifs et habitants de la paroisse, furent choisis pour assister le juge et servir de témoins. Me Noël DELACOSTE, chirurgien du bourg, les accompagnait. La troupe se transporta jusqu’au bois appelé les communs de Bérouze, au pied d’un sapin où on leur montra le cadavre.

 

Effectivement ils virent la jambe gauche d’un homme qui passait au dessous d’un manteau blanc dans lequel il était enfermé, et enveloppé d’une manière que rien d’autre ne sortait du manteau que la jambe. Ayant ordonné que l’on ouvre le manteau, ils remarquèrent qu’il était doublé d’une étoffe bleue. « Et au-dedans un cadavre ».

 

Celui-ci avait un gant de laine à la main gauche et un gant de peau bleu à la droite. Il n’avait qu’une veste bleue, telle que sont celles du régiment de Séville, avec une chemisette de matelote** rouge, des culottes bleu de la même étoffe que la veste, des bas de laine blanche, des souliers carrés et des boucles de laiton plates, avec un petit bonnet rouge qui n’était pas sur sa tête mais dans un repli du manteau ensanglanté. Le cadavre avait aussi en ceinture une cravate de coton blanc. Et dans la cravate il y avait l’étui d’un couteau à gaine, couvert d’un cuir rouge grossièrement cousu, pointu au bout, de la longueur de cinq pouces [12,7 cm]. Le couteau qui y entrait ne pouvait pas être large de plus d’un travers de doigt [1,9 cm]. De plus il avait le bouton de la culotte ôté, la chemise toute remplie de sang gelé, ainsi que la culotte du côté droit qui en était entièrement teinte. 

 

Me Antoine Joseph DUSAUGEY, notaire collégié et châtelain de Samoëns, avait été averti la veille, samedi matin dix du courant mois par la Claudaz DUCREST qu’il y avait un cadavre au dessous d’un sapin dans les bois de BérouzeMais comme il n’avait pas confiance en cette femme qui passait « communément pour une imbecille et un peu folle », il ne voulu pas se fier à ce qu’elle lui disait et se déplacer lui-même. Il envoya donc le menuisier FERRIER et Claude Joseph JACQUARD dans les bois pour vérifier les dires de la DUCREST. Lesquels lui ayant assuré que ce fait était très véritable et que, de plus, se devait être un soldat du régiment de Séville. Il informa sur le champ Monsieur D’AGUILLARD,  commandant du régiment, ainsi que le juge DELAGRANGE. C’est ainsi que la procédure débuta.

 

Aussitôt averti, le Sieur D’AGUILLARD lui ordonna de mettre des gardes auprès du cadavre. Ce que fit le châtelain « sur les trois à quattre heures du soir » : il envoya quatre hommes pour le surveiller.

Lui-même se rendit dans les bois. Là, il vit les pas d’hommes que la DUCREST lui avait annoncés. Ils remarquèrent tous qu’on avait pris soin de mettre ses pas, au retour, dans les empreintes faites à l’aller. Ils pensèrent que les empreintes de souliers devaient être d’homme parce qu’elles étaient larges sur le talon. Ce qu’ils vérifièrent en mettant eux-même les pieds dans les empreintes de soulier, qui étaient aussi larges que les leurs et même plus puisqu’ils ne touchaient pas la neige en les y mettant. 

 

Puis ils arrivèrent au cadavre, qui était sous un sapin et dans des petites broussailles et environ à vingt cinq pas de distance du chemin. Le cadavre était tout enveloppé dans son manteau, dont seule la jambe gauche en dépassait. Autour de lui, il n’y avait aucun pas à moins de deux grands pas d’homme. Le châtelain et ses acolytes pensèrent alors que ce n’était pas là où l’on n’avait tué le cadavre parce que la neige n’était pas battue aux alentours et qu’on avait dû l’y amener. Laissant les hommes en garde auprès du cadavre, le châtelain se retira et averti le juge du marquisat.

 

 

 

 

* Notaire collégié : notaire qui a fait ses études dans un collège de droit.

** Matelote : à la mode, à la façon des matelots.

 

 

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