Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT
Après le témoignage du Sieur Jean André DELACOSTE (voir la lettre E de ce ChallengeAZ), l’Honorable Thérèse DELACOSTE femme de François Joseph DUNOYER. confirma qu'elle avait bien vu Françoise GUILLOT avant sa fuite le samedi passé, dixième février. La Françoise GUILLOT femme de François JAY vint alors chez elle, c'est-à-dire dans le moulin appelé le Moulin de la Maison, situé au village du Moulin, dans la présente paroisse, sur environ midi. Elle lui demanda si elle avait fait moudre un quart d’orge qu’elle avait apporté chez elle. Lui ayant répondu que non, Françoise GUILLOT lui en demanda qui n’était pas moulu. Mais la meunière n’en n’avait pas non plus.
Lui ayant demandé où elle allait, Françoise GUILLOT lui dit : « le chanoine CHOMETTY s’est sauvé, il faut que je me sauve aussy ». Là dessus elle passa le pont de Clevieux qui est dans le susdit village et s’en alla chez Nicolas GUILLOT son père, où la meunière la suivit pour prendre du lait. Elles ne parlèrent plus de rien en chemin parce que Françoise GUILLOT marchait devant l’autre. Et quand elle fut chez Nicolas GUILLOT elle trouva la Françoise GUILLOT arrêtée au devant de la maison. Elle la laissa là et s’en alla dans l’écurie prendre du lait, que lui donna Jeanne Antoine mère de ladite GUILLOT [Jeanne Antoinette VUAGNAT épouse GUILLOT]. Et ensuite elle s’en revint chez elle.
Nombreux furent ceux qui virent les accusés dans leur fuite. Le samedi, sur environ les dix heures du matin, Jean Baptiste SAULTHIER avait vu passer le Révérend CHOMETTY qui avait voulu lui cacher sa destination. Il était à cheval, au village des Moulins, avec un manteau et des grosses sacoches. Lorsqu’il lui demanda où il allait comme cela, le chanoine lui répondit qu’il allait en sixt [à Sixt, paroisse voisine]. Il le laissa partir mais vit, à quelques pas de là, qu’il s’arrêtait et discutait avec Jeanne GUILLOT sœur de Françoise GUILLOT femme de François JAY. Il n’entendit pas ce qu’il lui disait en l’abordant, mais en la quittant il lui dit : « Ne dites pas que je fus partis ». Plus tard, on lui a dit qu’on l’avait vu passer et qu’il prenait le chemin du village des plagnies [Les Pleignes] et qu’il prenait par là un chemin contraire à celui de Sixt, et qu’il s’en éloignait au lieu d’y aller.
Celle-ci avait trouvé le Révérend CHOMETTY un peu triste. Il lui avait dit uniquement : « Il ne faut pas dire que vous m’avez vu ny parler, mais cependant faite dire à votre sœur, en parlant de la Françoise GUILLOT femme de François JAY, de se retirer à cause des Espagnols. » Sans lui dire le motif pour lequel sa sœur dû craindre les Espagnols ni moins encore pour avoir trempé dans l’homicide du cavalier ou pour d’autres choses. Il se retira et suivit sa route du côté de Valley [le Valais, en Suisse]. Elle s’en fut donc dire à sa sœur de se retirer. Ce que sa sœur lui dit qu’elle ferait.
Une rumeur commence à se répandre... L’Honorable Henry DUBUISSON, âgé de quarante deux ans, employé aux gabelles de profession, natif de la paroisse de Nouvelle En France [non identifiée, NDLR], de poste à Samoëns habitait depuis environ trois ou quatre mois dans une maison tout près de celle du Révérend Nicolas CHOMETTY : de fait, il le connaissait bien. S’il ne savait rien concernant le meurtre qui était arrivé à un cavalier trouvé mort à Samoëns, il savait néanmoins que depuis cette découverte le chanoine avait quitté la paroisse de Samoëns. Il l'avait lui aussi rencontré ce samedi dixième février. Il « monta à cheval et me toucha la main sans me dire où il allait. Et demy heure après partit un nommé CHOMETTY, son frère, qui me dit qu’il reviendrait le lundy après ». Le chanoine était allé au pays de Valais, d’après ce qu’il avait ouï dire. Le Sieur Aymé ROUGE et le Révérend Sieur GRILLET l’auraient rencontré sur le chemin de Turin.
Lors de son audition le juge lui demanda comment il était
habillé, s’il portait une soutane d’été ou d’hiver, mais le témoin n’y avait
pas fait attention.
L’Honorable Jean Aymé GINDRE, le marguillier [laïc chargé de la garde et de l’entretien de l’église] de la paroisse avait bien vu le Révérend CHOMETTY dans l’église de Samoëns tous les jours après le vingt cinq ou vingt six janvier, et par diverses fois encore, jusqu’au temps où il avait prit la fuite pour le pays de Valais. Mais il n’avait pas observé que depuis cette date du vingt six janvier il ait porté une autre soutane que celle qu’il était revêtu habituellement ou qu’il ait porté une soutane d’été.
Le Sieur Aymé ROUGE revenait de Turin, où il était au service de Sa Majesté du Roy de Sardaigne comme garde du corps, lorsqu'il rencontra le vingt six février dernier au lieu d’orssier [Orsières] dans le pays de Valais le Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY. Surpris, il lui demanda où il allait. « Il me dit qu’il allait à Turin, qu’il avait eut quelques différents avec les chanoines de Samoëns et qu’il s’en allait chercher du pain ailleurs. Et il m’adjouta que s’il n’en trouvait pas il s’en retournerait. » Et ensuite il ne fut plus question entre eux ni de son voyage ni du pays. Mais il ne le vit plus en Valais ni ailleurs. Ni lui, ni François JAY, la Françoise GUILLOT sa femme ou leur servante. Ce n’est que de retour dans sa maison de Samoëns qu’il apprit, « par la voye publique » que l’on avait tué un cavalier du régiment de Séville dans la maison de François JAY et que l’on accusait de complicité le Révérend CHOMETTY.
Ce fameux samedi, l’Honorable Gaspard Joseph BURNIER revenait à Samoëns avec son épouse et son frère, après avoir diné en abbondance [à Abondance, 55 km au Nord de Samoëns]. Cheminant pour passer la montagne du corbi [Le Corbier] située dans la paroisse du Biot, il y fit la rencontre de la Françoise GUILLOT femme de François JAY et de la Claudine VUAGNAT sa servante et précédées d’un homme qui n’est pas de la paroisse de Samoëns et qui lui était inconnu. Demandant à ladite GUILLOT où elle allait, elle répondit : « Je m’en vais un peu contre ce pays. » Il lui en demanda le motif, parce qu’il l’observait un peu triste, mais elle ne fit aucune réponse. Il suivit alors sa route. Et ce n’est qu’arrivés à Taninges, dans le logis du nommé LACROIX, que deux hommes qui buvaient en ce cabaret, qui lui étaient inconnus, lui apprirent ce qui c’était passé à Samoëns. Apprenant qu’il rentrait chez lui, ils dirent : « Hé ! quel malheur qu’il est arrivé à Samoëns. L’on n’y a tué un cavalier, et même dans le village de Levy. L’on n’y a envoyé une compagnie de dragon en direction. » Ne sachant rien sur cette affaire-là, il ne répondit pas.
C’est après s’être restauré et, rentré chez lui, que la rumeur lui détailla l’affaire et les soupçons portés contre les accusés.
La mère de la servante, l’Honorable Claudaz Françoise PARCHET, femme de Jean Pierre VUAGNAT, elle aussi, s’était aperçue de la fuite des JAY après la découverte du cavalier du régiment de Séville mort et plié dans son manteau dans les bois de Bérouze. Comme la Claudine VUAGNAT sa fille était à leur service et ne n’avait encore point avoir prit la fuite, elle eu l’occasion de la rejoindre. Et comme elle se disposait aussi elle-même à se retirer, elle l’aida à porter, pendant quelques temps, une partie de son bagage. Cependant elle ne lui dit pas les motifs pour lesquels elle se retirait, ni ceux pour lesquels lesdits mariés JAY s’étaient retirés. Après avoir cheminé quelques temps, arrivées près de la maison de son mari, elle la quitta et lui remis son bagage. « Ce qu’il a y a de sûr, c’est que je ne l’ay jamais vue ny me suis apperçu où elle est allée, ny que lesdits mariés JAY non plus que le Révérend chanoine CHOMETTY, lequel pris aussi la fuite le même jour et pour le même fait. »
Finalement, la rumeur se confirme : les fuyards sont en Valais. L’Honorable Claude RIONDEL, tailleur de pierre, les a rencontrés là-bas : « Comme j’étais informé que Révérend Sieur CHOMETTY chanoine de la collégiale de Samoëns s’était enfuit les pays de Valley, avec la Françoise GUILLOT, femme de François JAY, et celuy cy, avec la Claudine VUAGNAT leur servante. Et que le Révérend Sieur CHOMETTY me devait deux cent cinquante livres à la suite d’une commande qu’il m’avait passé le neuf janvier dernier, je me rendis à Bex [en Suisse, NDLR] […] où j’y trouvais ledit Révérend CHOMETTY avec François son frère et la Françoise GUILLOT. Et là je lui demandais mon payement […]. »
Étant entré en conversation avec lui, de même qu’avec la Françoise GUILLOT, au sujet dudit homicide et de leur fuite, ils lui dirent l’un et l’autre qu’ils étaient forts innocents de ce meurtre et qu’ils avaient mieux aimé prendre la fuite que de se laisser saisir. Le Révérend CHOMETTY lui demanda avec empressement ce que l’on disait en Savoye à l’occasion de ce meurtre. Il lui répondit que la justice avait saisis les effets des JAY et que l’official* enquêtait sur sa vie et ses mœurs.
François SIMOND, maçon et tailleur de pierre de profession s’était rendu en Valais, à Bex, à cause de travaux qu’il réalisait en ce lieu, avec Jean François BURNIER. François JAY et sa femme, virent les y rejoindre. Après s’être informé de ce qu’ils faisaient de bon et leur avoir dit qu’on les accusait à Samoëns d'avoir tué ce cavalier, ils répondirent que ce n’était que trop vrai. Ils racontèrent comme la chose s’était passée, produisant l’un et l’autre le même récit dans toutes les circonstances. François JAY ajouta encore qu’il ne croyait pas avoir péché véniellement et que s’il n’avait craint d’avoir à faire avec la justice ordinaire, il ne se serait point bougé ni évadé. Mais il avait appréhendé que la troupe ne le saisisse et de n’être pas écouté par elle.
* Juge ecclésiastique. Voir intro de ce ChallengeAZ pour en savoir plus sur le rôle des juges.
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Pour en savoir plus
Les suspects n’ont peut-être pas tort de prendre la fuite car les faits commis étant passibles de la peine de mort, ils risquent avant tout la torture pendant leurs interrogatoires.
La torture
Elle est codifiée dans les Royales Constitutions de la façon suivante :
« Lorsqu'on condamnera l'accusé à la peine de mort, ou à celle des galères, on ordonnera toujours la torture sur le chef des complices ; ce qu'on observera aussi à l'égard des femmes, lorsque la peine de la prison, du fouet, ou du bannissement leur aura été infligée au lieu de celle des galères. »
En effet, le recours à la torture est habituel, destiné à arracher la confession du suspect. Elle peut ainsi être ordonnée par le juge dans les crimes graves lorsque les indices ne sont pas suffisants pour condamner l’accusé : on le soumet à la question afin d’obtenir ses aveux, et disposer ainsi contre lui d’une preuve complète pouvant entraîner sa condamnation. La torture ordonnée par le juge est celle du « trait de corde », ou estrapade, qui consiste à attacher l’accusé par les membres, le soulever du sol en tirant sur les cordes, puis le laisser retomber lourdement. Ce peut être aussi le tourment des « dadi » » (brodequins) : pièces de bois servant à serrer les jambes du suspect. L’inculpé qui avoue lors de son application à la torture ou lors de l’interrogatoire qui la précède, doit répéter ses déclarations le jour suivant et hors du lieu de torture. En cas de rétractation, il peut être de nouveau questionné jusqu’à trois reprises.
De même, « ceux qui cachent les Bandits », sont condamnables de la façon suivante :
« Il est défendu à toute sorte de personnes, de quelque état & qualité qu'elles soient, de cacher, favoriser ou secourir aucun bandit de notre domination, condamné à la mort ou aux galères tant perpétuelles que pour un temps, sous peine d'une peine pécuniaire considérable ; excepté que les contrevenants ne soient leur père, mère, fils, frère, sœur, ou femme, lesquels cependant seront punis d'une peine proportionnée aux circonstances du cas & à la qualité du délit.
Nous exemptons de toute peine les femmes à l'égard de leurs maris, & ceux-ci par rapport à leurs femmes, comme aussi les parents jusqu’au troisième degré, qui les secourront hors de nos Etats à une distance au moins de quinze milles, en leur fournissant de l'argent ou d'autres secours, pour vivre. »
Les fuyards sont repérés !
RépondreSupprimerVu la facilité déconcertante avec laquelle ils ont été localisés (on verra même plus tard que plusieurs personnes ont été leur parler directement), je ne comprends pas comment ils n'ont pas été arrêtés : est-ce une histoire de frontière (pas de "mandat international" en 1748 ?) ? Bon, cela ne leur évitera pas vraiment les ennuis, mais ça c'est pour plus tard...
SupprimerMélanie - Murmures d'ancêtres