« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 29 novembre 2024

Y comme y ayant cas de nécessité

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Vu les conclusions de Mr le substitut avocat fiscal provincial du sixième avril dernier, la procédure de prise de corps du premier jour, l’exploit du 6 suivant et les trois certificats de contumace signés JACQUIER, nous observons que ledit Sieur substitut par ses conclusions susvisées a bien recueilli [plaidé] à l’occasion du meurtre du soldat Vincent REY. Mais il parait contraire à lui-même, en ce qu’il a rendu à prise de corps tant contre Révérend CHOMETTY, la Claudine VUAGNAT que contre les mariés JAY.

En effet il a fait voir qu’il conste [qu’il est évident] de la procédure primo que c’était la Françoise GUILLOT seule qui avait tué ce soldat. Du moins y a-t-il beaucoup d’apparence que la chose s’est passée comme les mariés JAY et leur servante l’ont raconté, par toutes les réflexions mise en avant dans les susdites conclusions, que s’était pour sauver la vie à son mari et la sienne. Que Révérend CHOMETTY ne se soit point trouvé chez JAY lors du meurtre et que la servante n’y a qu’aucune part, sauf pour ne l’avoir pas empêché.

Et par conséquent quand même l’on pourrait regarder que la conduite du Sieur Révérend CHOMETTY et Claudine VUAGNAT peut mériter quelque peine afflictive. L’expression de complicité de meurtre à leur égard se trouve trop forte, ce qui rend les lettres de prise de corps nulles. Desquelles nous concluons et requérons en conséquence de décerner de nouvelles lettres de simple ajournement personnel contre la Claudine VUAGNAT.

Et comme le conseil donné par le Révérend CHOMETTY, et prétendument effectué par son frère, ne paraît pas devoir assujettir cet ecclésiastique à une peine afflictive et corporelle. Nous disons n’y avoir lieu à aucune procédure contre lui. Mais y avoir lieu de décréter au susdit ajournement personnel le frère cadet dudit Révérend CHOMETTY, pour avoir par son fait voulu empêcher les poursuites de la justice et priver Vincent REY de la sépulture, qui est le seul délit auquel son frère le chanoine a donné lieu par son conseil. Car la fuite de la VUAGNAT et des frères CHOMETY ne saurait fournir un indice pressant de complicité de meurtre dont il s’agit avec d’autant plus de raison qu’il résulte d’ailleurs par qui, et comment l’homicide a été commis.

Aussi nous réservons de fournir de nos conclusions définitives après que la nouvelle contumace à faire l’aura été validement

Chambéry le 31 Mai 1748 #
DUFRENEY [avocat fiscal général]

 

# et pendant que le Sénat regarde les lettres de prises de corps valides, nous observons qu’il est prouvé par la formalité susvisée que le meurtre a été commis chez les mariés JAY, que par leurs aveux extrajudiciels c'est eux qui l'ont commis. Cependant il y a des indices présents que le cavalier a été l’agresseur. Les blessures en grand nombre reçues par le marié et la femme, les menaces du cavalier qui ont précédé le meurtre font croire qu’il est vraisemblable que l’homicide ait été commis ad defensant.

Les mariés JAY et la servante ont déclaré à plusieurs reprises que le Révérend CHOMETTY n’a pris aucune part à ce meurtre. Et les deux premiers innocentant aussi la servante, de même que le frère dudit Révérend CHOMETTY.

Et par conséquent nous disons y avoir lieu de condamner François JAY à cinq années de galères et la Françoise GUILLOT à cinq années de bannissement et au dépens et frais de justice solidaire, et au dédommagement envers le régiment et des héritiers de l’occis.

Et de dire qu’il n’y a lieu à aucune recherche contre le Révérend CHOMETTY et la Claudine VUAGNAT, et à aucune provision contre le frère dudit chanoine.

DUFRENEY

 

Y ayant cas de nécessité, création personnelle inspirée de F. Bourgeon et F. Volante
Y ayant cas de nécessité, création personnelle inspirée de F. Bourgeon et F. Volante


Arrêt criminel du Sénat de Savoye

Entre l’avocat fiscal général demandeur en cas d’homicide d’une part

Et François JAY, Françoise GUILLOT sa femme, Claudine VUAGNAT servante dudit Jay,

Et le Révérend Nicolas CHOMETTY chanoine de la collégiale de Samoëns tous habitants dudit lieu accusés défaillants et contumax d’autre [part].

Vu par le Sénat les informations et procédures faites contre lesdits accusés, les conclusions de l’avocat fiscal général du trente un mai dernier, tous les actes et pièces visés.

Le Sénat, sur les indices résultants des actes que ledit François JAY et Françoise GUILLOT sa femme ont tué en rixe la nuit du vingt cinq au vingt six janvier dernier d’un coup d’instrument contondant, et dans leur maison située à la paroisse de Samoëns le nommé Vincent REY cavalier dans le régiment de Séville, dans laquelle maison il était allé depuis son quartier de Scionzier, le cadavre duquel a été trouvé dans les bois de Bérouze à un quart de lieue environ au dessus dudit Samoëns le dix février suivant. Et pour le profit de la contumace qu’il dit avoir bien et dûment observé et entretenu.

A condamné et condamne ledit François JAY à servir par force S.M. [Sa Majesté] sur ses galères pendant dix ans, avec inhibition et défenses qui lui sont faites de les désempêcher pendant ledit temps à double peine. Et l’a déclaré avoir encouru les peines aux bandits du second catalogue, auquel son nom sera inscrit.

Et a condamné et condamne ladite GUILLOT à être et demeure bannie des États de S.M. pendant dix ans avec inhibition qui lui sont faites d’y revenir pendant ledit temps à double peine.

Et les a condamnés solidairement aux dommages et intérêts tant envers ledit régiment en ce qui le concerne qu’envers les héritiers de l’occis.

Et aux dépens et frais de justice fait pour leur regard.

Et a déclaré et déclare n’y avoir eu lieu à aucune réserve contre ledit Révérend Nicolas CHOMETTY ni contre ladite Claudine VUAGNAT, sans dépens fait pour leur regard.

Fait à Chambéry au bureau du Sénat le septième juin mil sept cent quarante huit et prononcé au seigneur avocat fiscal général le dit jour

BELLON [greffier criminel au Sénat, NDLR]

 

 

L’an que dessus et le douze dudit mois, je sergent royal soussigné certifie m’être, en exécution de l’arrêt ci devant écrit, à la réquisition du fisc, exepray [exprès] transporté de mon domicile à Bonneville jusqu’au devant l’auditoire des causes d’icelles, où j’ai à ma haute intelligible voix lu et publié l’arrêt ci devant écrit et copie que j’ai affiché à la porte du tribunal après avoir fait battre la caisse à la manière accoutumée. Et c’est en présence de Charles TOURNIER et de Claude DUBYS témoins requis, in cy est BENET sergent

 

L’an mille sept cent quarante huit et le seizième jour du mois de juin, je sergent royal du Sénat soussigné certifie qu’en exécution de l’arrêt du Sénat écrit et à la réquisition du seigneur avocat fiscal général, je me suis transporté depuis Bonneville mon habitation jusqu’au lieu et bourg de Samoëns distant d’environ quatre lieues où étant et au devant de la porte du dernier domicile des François JAY et Françoise GUILLOT sa femme condamnés. J’ai, après le son du tambour à la manière accoutumée lu, signifié et publié le susdit arrêt à haute et intelligible voix, duquel arrêt et présent exploit, j’ai affiché copie au devant de la porte du dernier domicile desdits François JAY et Françoise GUILLOT condamnés après due lecture faite, en présence de Joseph GEDAT et de Nicolas REYMOND témoins requis, ANTHOYNE

 

 

_________________________________________

 

Pour en savoir plus

La publication des sentences et leur exécution

Elles sont codifiées dans les Royales Constitutions de la façon suivante :

 

« Les sentences qui porteront peine de mort, des galères, du fouet & du bannissement seront publiées à son de trompe, ou de tambour, ou d'autre instrument équivalent, & affichées à la porte du Tribunal de l'endroit où le délit a été commis, de celui du lieu où le condamné a son domicile. & l’avocat fiscal général devra même prendre soin, dans les cas de sentences portant peine de mort, de les faire imprimer, afin que le Public en soit mieux informé.

Dès que les Arrêts des Magistrats suprêmes auront été prononcés, ou que les Sentences des Tribunaux, portant peine afflictive, auront été confirmées par les susdits Magistrats, on devra aussitôt les mettre en exécution.

Si l'on condamne à mort, ou à quelqu'autre peine afflictive une femme enceinte, l'on différera l'exécution de la Sentence jusqu'à ce qu'elle ait accouché & qu'elle soit en état de pouvoir subir la peine.

Déclarons qu'en matière criminelle, lorsqu'il s'agira de délits graves & atroces, on réputera pour majeurs ceux qui auront accompli l’âge de vingt ans, & ils devront être punis de la peine ordinaire.

Quand il s'agira de délits pour lesquels la peine des galères, ou celle de la chaîne ou de l'estrapade est imposée aux hommes, & que ces mêmes crimes auront été commis par des femmes, on les punira par celle du fouet, ou du bannissement, ou de la prison, suivant qu'on la croira proportionnée à la qualité du cas, du sexe & des personnes.

Les délinquants qui seront condamnés en contumace à la mort ou aux galères, seront décrits dans l'un des deux catalogues que l’on tiendra exposés publiquement dans l'Auditoire de chacun de nos Magistrats suprêmes.

On écrira dans le premier de ces catalogues le nom de ceux qui seront condamnés à mort pour des crimes de lèze-Majesté, des homicides proditoires [par trahison], des vols faits de force, avec violence ou menaces, & autres crimes très-atroces ; on écrira dans le second catalogue les noms de ceux qui seront condamnés à la mort, ou aux galères à perpétuité ou à temps, pour des crimes moins atroces : cette disposition aura aussi lieu à l'égard des femmes qui seront condamnées à une peine qui leur aura été infligée en place de celle des galères.

Lorsque quelque bandit sera libéré ou par grâce qu'il aura obtenue de Nous, ou par Arrêt, ou par nomination, son nom sera rayé des catalogues. »

 

 

 

 

1 commentaire:

  1. Les détails de cette procédure judiciaire sont vraiment passionnants. J'ai hâte de savoir comment tout cela s'est terminé et si François est vraiment parti aux galères...

    RépondreSupprimer