« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

lundi 25 novembre 2024

U comme ultime dispute

Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT

 

Aux alentours du 20 mars, François JAY vint chez Nicolas GUILLOT son beau-père aux fins d’y venir prendre un de ses enfants pour le conduire à Bex en Valais. S’en étant aperçu, François Joseph DUNOYER DUPRAZ le fut trouver et se mit à parler de cet homicide, en l’assistance de Sieur Jean GUILLOT son beau-frère. Il lui dit : « Voyez mon cher JAY, l’on dit publiquement dans la paroisse que ce meurtre a été commis chez vous. Dites moy au juste comme cela c’est passé. » 

 

Ultime dispute, création personnelle inspirée de Van Ostade
Ultime dispute, création personnelle inspirée de Van Ostade


Et alors François JAY lui répondit : « La nuit du vingt cinq au vingt six janvier proche passé je soupay avec Jean BURNIER maitre maçon du village de Bérouze de notre paroisse de Samoëns et le Révérend Sieur Nicolas CHOMETTY. » Lesquels après, avoir soupé, se retirèrent sur les huit heures. Quelques temps après, il s’était allé coucher auprès de la Françoise GUILLOT sa femme qui était malade. La Claudine VUAGNAT leur servante était restée dans la cuisine auprès du feu jusqu’environ les dix à onze heure. Elle avait mis à coucher les petits enfants. Et lorsqu’elle voulut aller se coucher, elle entreprit d’aller fermer la porte d’entrée de la maison. Ayant vu un homme auprès de la porte armé d’un sabre, qu’elle entrevit à la faveur de la lune, elle se mit à appelé JAY d’un air effrayé en lui disant : « Hé François, je ne peut pas fermer la porte, il y a un homme qui m’en empêche. »

Sur de tels discours, il s’était levé et avait mis ses culottes et ensuite avait allumé une chandelle avec laquelle il vint auprès de la porte pour savoir de quoi il s’agissait. Aussitôt y étant arrivé, il vit le cavalier qui lui décocha un grand coup de sabre sur la tête qui lui aurait peut-être partagé le crâne s’il n’avait eut le bonheur de le parer avec la main. En faisant cela, il essuya cependant une grande plaie. Ensuite ce cavalier le saisit près du col de sa chemise pour le traîner dehors de la maison dans le chemin, en lui disant : « Zena a cha’ ». François JAY tenta de s’y opposer en saisissant d’une main le cavalier par le col et de l’autre la main celle où il tenait son sabre. François JAY s’étant trouvé le plus fort dans le débat qu’il y eut entre eux, il traîna le cavalier dans la cuisine. L’ayant saisit par derrière, il le tenait recogné [repoussé] contre la muraille. Le cavalier, voyant qu’il ne pouvait plus se servir de son sabre ainsi, s’était saisi avec la main qu’il avait de libre de son stylet. Il excéda [frappa] François JAY de divers coups, notamment un au dessous du téton en lui disant : « Toy, bougre de paysan ». 

La servante, si effrayée qu’elle se trouvait d’un tel procédé, ne put pas les séparer. Voyant que le cavalier en voulait à sa vie, qu’il ruisselait de son sang et sentant sa santé affaiblie, François JAY se mit à appeler la Françoise GUILLOT sa femme de venir à son secours, qu’il était un homme mort.

Celle ci était venue, toute en chemise, au secours de son mari. Comme le cavalier continuait à donner des coups de son stylet à François JAY, il la sollicita de grâce d’enlever à ce cavalier la vie et qu’elle devait ôter le couteau qu’il avait à la main ou que s’en serait fait de lui. Sa femme, qui avait reçu divers coups du même couteau, tant sur le bras que sur un des tétons, voyant son mari dans un danger si évident, lui cria de tenir ferme ce cavalier, faute de quoi il allait perdre la vie. Elle, de son côté, se saisit du bras où le cavalier tenait son couteau. Après quelques efforts, voyant qu’elle ne pouvait pas lui enlever ce couteau, elle s’imagina de mordre ferme le pouce de la main du cavalier avec laquelle il tenait le stylet pour l’obliger à le relâcher. Ce que lui fit lâcher prise.

François JAY ne cessait de dire « Ah mon dieu, je ne puis plus me deffendre, je suis un homme mort » et ne pouvait plus résister. Françoise GUILLOT  devait arrêter la rage et la furie de ce cavalier. Se trouvant nantie du couteau, elle se mit en devoir de plonger de divers coups le cavalier en lui disant « misérable pourquoy venir nous assassiner de cette façon ? ». Pour toute réponse, le cavalier leur dit, en faisant un dernier effort « je suis venus pour vous tuer et vous bruler ». Aussitôt qu’elle eut enlevé le couteau, François JAY lui avait dit : « Hé mon Dieu, si nous ne le tuons pas nous sommes perdus tous les deux. Quant à moy je ne suis plus en force ny en état de me défendre. » Voyant que ses coups n’évitaient point la fureur du cavalier, elle sauta sur une barre de fer qui était dans la maison et l’en frappa avec tant de force qu’il s’arrêta.

Enfin, étant tombé par terre, de même que François JAY, il expira. Celui-ci resta sans sentiment à côté du cavalier, rempli de sang de toute part. Françoise GUILLOT était toute désolée de cette conjoncture et remplie du sang des blessures que le cavalier lui avait faites dans ce débat.

Pendant cette querelle, la Claudine VUAGNAT leur servante s’était allé cacher au poile, au lieu de les secourir, selon François JAY. Le cavalier étant mort des coups qu’il avait reçus, François JAY cria qu’il voulait se confesser. Sa femme envoya immédiatement la servante chercher le Révérend Sieur CHOMETTY pour secourir son mari et voir ce que l’on ferait de ce cavalier.

Étant venu sur le même instant, le Révérend l’avait trouvé tout étendu auprès de son feu, rependant de toute part son sang. Il était resté environ trois heures dans cet état, jusqu’à ce que le Révérend Sieur CHOMETTY avec la Françoise GUILLOT sa femme et la servante eurent bien bassiné ses plaies avec de l’eau de vie, qu’il lui fit même boire pour lui faire reprendre ses sens. Les plaies nettoyées, il y avait mit des charpies et apposé divers bandages pour arrêter l’effusion de sang. Cela fait, il l’avait porté se coucher dans son lit. De ce fait, il reprit un peu ses forces.

Ensuite le Révérend CHOMETTY avait dit, en regardant le cavalier, qu’il fallait conduire ce cavalier ou ce cadavre dans le bois de Bérouze. Il avait envoyé la servante prendre son cheval et fait appeler son frère cadet pour cette expédition. Ils avaient pris le cadavre et le mirent sur un traîneau, dans un de ses grands paniers appelés vulgairement clia [claie en osier] duquel on se sert pour conduire le foin sur les champs. Le frère du Sieur CHOMETTY le conduisit dans les bois avec Françoise GUILLOT.

Si Claudine VUAGNAT ignorait le motif qui avait occasionné ce cavalier à un tel procédé, elle se rappelait en revanche que c’était déjà la troisième fois qu’il était venu dans cette maison pour les maltraiter. Mais c’était l’unique fois qu’il y avait rencontré François JAY.

 

François JAY avait reçu treize plaies, certaines faites avec un couteau ou stylet et celle de la main droite avec un sabre. Il en avait une au même endroit où il disait avoir reçu le coup de pied du cheval.

Lorsque François Joseph DUNOYER DUPRAZ entendit le récit de François JAY, il pensa que ce ne pouvait être que la réalité. Le cavalier avait dû procéder ainsi, irrité de ce que le Sieur son capitaine l’avait mis en prison à l’occasion de sa précédente absence de l’automne passé, sur la plainte qu’en avait fait le Révérend Sieur CHOMETTY par lettre au nom de la Françoise GUILLOT.

François JAY ajouta : « Voyez, je n’aurais point pris la fuite si j’avais bien été à croire qu’il ny eut que la justice ordinaire qui eut pris connaissance de mon cas mais j’ay haprehendé et aprehende que la trouppe n’en prenne connaissance et d’estre jugé sans que l’on aye égard à mes justes motifs. Car si l’on m’imposait la moindre peine, il faut dire qu’un homme n’est pas en liberté de défendre sa vie et doit se laisser égorger sans autre [forme]. »

 

 

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