Affaire Sénat de Savoie contre JAY-GUILLOT
Les JAY ont finalement été condamnés (par contumace) et arrêtés. Du fond de leur prison, ils ont demandé, et obtenu, la grâce royale.
"Teneur de lettres de grâce de la peine de dix ans de galère à laquelle François JAY avait été condamné et de dix années de bannissement à laquelle Françoise GUILLOT sa femme avait été condamnée par le même arrêt.
Charles Emmanuel par la grâce de Dieu Roy de Sardaigne, de Chypre, et de Jérusalem, duc de Savoie, de Montferrat et prince de Piedmont,
Ayant vu dans nos audiences la requête ci jointe, et sa teneur considérée par les présentes, signée de notre main, de notre certaine science et autorité royale, eu sur ce l’avis de notre conseil, par un traité de notre souveraine clémence remettons, sans payement de finance, à François JAY la peine de dix années de galères, et à la consuppliante celle de dix ans de bannissement des états, auxquelles ils ont été condamnés par arrêt du Sénat de Savoie rendu le 7 juin 1748 sur les indices d’avoir tué en rixe la nuit du 25 au 26 janvier de ladite année, à coup d’instrument contondant et pointu, le nommé Vincent REY cavalier du Régiment de Séville qui s’était introduit dans leur maison armé de sabre et d’un stylet, dont il eu dans la rixe blessé les suppliants, car telle est notre volonté.
Donné à Turin l’onzième du mois d’avril l’an de grâce mil sept cent quarante neuf, et de notre règne le vingtième
Signé C Emmanuel
Scellé du grand sceau sur cire mole"
Présentation des grâces
L’an mille sept cent quarante neuf et le douze juillet a comparu par devant nous François Joseph BOURGEOIS Sénateur au Sénat de Savoie commissaire, en l’assistance de Monsieur PERRIN premier substitut avocat général dans une des chambres des prisons de la présente ville de Chambéry et écrivant sous nous Me BELLON greffier criminel au Sénat, François JAY, auquel nous avons fait prêter serment sur les saintes écritures entre nos mains touchées de dire la vérité sur ce qu’il sera interrogé concernant le fait d’autrui, et l’avons comminé de la dire sur son fait propre, à peine de dix écus d’or d’amende, après lui avoir représenté l’importance dudit serment et les peines qu’encourent ceux qui taisent la vérité ou disent le faux.
Interrogé de son nom, surnom, âge, qualité, habitation et patrie répond : « Je m’appelle François fils de feu Claude JAY, je suis âgé d’environ trente une années, natif et habitant de Samoëns en Faucigny, maçon de profession. »
Interrogé s’il n’était par chez lui dans la maison à Samoëns la nuit du vingt cinq au vingt six janvier mil sept cent quarante huit et si la même nuit, le nommé Vincent REY cavalier dans le régiment de Séville ne fut pas dans leur dite maison et si après avoir eu querelle ensemble lui répondant, et Françoise GUILLOT sa femme n’ont pas tué dans leur maison ledit cavalier REY à coup d’instrument contondant et pointu.
Répond : « J’avoue tout le contenu en icelluy. Cela été arrivé à l’occasion que ce cavalier REY venu en ladite nuit à ma porte laquelle s’estant trouvé ouverte ma servante ne pus l’empêcher d’entrer et, entendant du bruit, je me levais en chemise avec mes culottes et dès que je parus une chandelle à la main, le cavalier me tendit un coup de sabre. Je le luy enlevais, il me donna en même temps une quinzaine de coup de stylet. »
Interrogé si après avoir tué ledit cavalier il n’a pas conduit ou fait conduire le cadavre d’iceluy dans le bois de Bérouze à un quart de lieue environ dudit Samoëns.
Répond : « J’ai bien reçu ses coups de stylet comme je viens de dire. Je criais ma femme qui était couchée à mon secours. Laquelle vint à l’instant et arracher entre les mains dudit cavalier ce stylet ou couteau, après en avoir reçu elle même cinq à six coups. En luy mordant les doigts, elle enleva ledit stylet duquel je vois qu’elle frappa en même temps ledit cavalier. Lequel tomba mort, et ce fut ma femme qui aida à conduire sur un traîneau le cadavre dudit cavalier aux bois de Berrouzes. »
Interrogé s’il n’a pas recouru à S.M. [Sa Majesté] pour obtenir grâce de ce délit, s’il a narré la vérité et s’il veut profiter de la grâce qui lui a été accordée par lettres patentes du onze avril dernier dont nous lui avons fait faire lecture.
Répond : « J’ay recouru et obtenu les lettres pattentes de grâce dont vous venez de me faire lecture. J’ay narré la vérité à S.M. et je veux profiter de la grâce qu’elle m’a fait. »
Lecture faite audit JAY du présent acte, a répondu : « J’y persiste, je n’y veux rien adjouter ny diminuer » et a signé.
[suivent les signatures de François JAY, SEIGNEUR, PERRIN, BELLON]
L’an mil sept cent quarante neuf et le douze juillet a comparu par devant nous François Joseph BOURGEOIS Sénateur au sénat de Savoie, en l’assistance de Monsieur PERRIN premier substitut avocat fiscal général dans une des prisons de la présente ville de Chambéry et écrivant sous nous Me BELLON greffier criminel audit Sénat Françoise GUILLOT, à laquelle nous avons fait prêter serment sur les saintes écritures entre nos mains touchées de dire la vérité sur ce qu’elle sera par nous interrogée contenant le fait d’autrui et l’avons comminé de la dire sur son fait propre, à peine de dix écus d’or d’amende, et après lui avoir représenté l’importance dudit serment et les peines qu’encourent les parjures.
Interrogée de son nom, surnom, âge, patrie, demeure et profession.
Répond : « J’ay nom Françoise fille de Nicolas GUILLOT, je suis femme de François JAY, aagé d’environ vingt cinq ans, native et de Samoëns en Faucigny et je demeure audit Samoëns avec mon dit mary, et je n’ay de profession que celle d’avoir soin de notre maison. »
Interrogée si la nuit du vingt cinq au vingt six janvier mil sept cent quarante huit, si elle n’était pas chez elle avec son mari, et si ladite nuit le nommé Vincent REY cavalier dans le régiment de Séville n’alla pas dans leur maison, et si y est entré, ledit cavalier n’eut pas tenu querelle avec François JAY son mari, et si elle n’accourut à ses cris, et ne l’aida à tuer ledit REY à coup d’instrument contondant et pointu.
Répond : « J’avoue le contenu audit interrogat. Et je m’en vas vous dire comment cela s’est passé. Mon mary et moy étions déjà couché laditte nuit lorsque ce cavalier Vincent REY vint à notre maison à Samoëns. La porte s’estant trouvé ouverte, notre servante ne put l’empêcher d’entrer. Sur quoy mon mary se levait en chemise et culottes. Et un moment après j’entendis qu’il me criait à son secours. J’y allais dans l’instant, et le trouvait aux prises avec ledit cavalier qui l’avait déjà blessé de plusieurs coups de stylet. Je saisi la main dudit cavalier pour le luy arracher, et après en avoir reçu cinq coups, je luy mordis les doigts pour le luy arracher, ce qui m’ayant reussy. Et voyant mon mary par terre, je donnay deux ou trois coups dudit stylet au ventre dudit cavalier. Lequel étant tombé mort, je m’ayday à mettre son cadavre sur une luge, et à le conduire avec un cheval aux bois de Berrouzes, n’ayant avec moi que un curé que l’on appelle CHOMETTY. »
Interrogée si elle n’a pas recouru à S.M. pour obtenir grâce de ce délit, si elle a narré la vérité, et si elle veut jouir de ladite grâce portée par patentes du onze avril dernier dont nous lui avons fait lecture.
Répond : « J’ay obtenu ladite grâce. J’ay narré la vérité à S.M. et je veux me prévaloir de ladite grâce. »
Lecture faite à ladite GUILLOT du présent acte, répond : « Je dis, j’y persiste, je n’y veux rien adjouter ny diminuer » et ne sachant écrire de ce enquis a fait la marque que suivante.
[Suivent la marque de la répondante et les signatures de SEIGNEUR, PERRIN, BELLON]
Teneur d’arrêt de vérification des lettres de grâce ci dessus
Sur la requête présentée céans par François JAY et Françoise GUILLOT mariés de la paroisse de Samoëns tendant à ce que S.M. [Sa Majesté] ayant daigné leur faire grâce de la peine de dix ans de galères à laquelle ledit JAY a été condamné par arrêt du Sénat de Savoie du 7 juin année dernière, et de celle de dix ans de bannissement à laquelle ladite GUILLOT a été condamnée par ledit arrêt, ainsi que par lettres patentes du onze avril dernier dûment scellées et signées, il plaise au Sénat en entérinant lesdites lettres ordonne que les suppliants jouiront du fruit et bénéfice d’icelles, suivant leur forme et teneur et autrement, comme est portées par ladite requête
Signé CHABERT
Teneur d’entérinement des lettres de grâce
Le Sénat faisant droit sur ladite requête, icelle entérinant, ayant égard aux conclusions et consentement prêté par l’avocat fiscal général, a vérifié et autorisé lesdites lettres patentes, ordonne que les suppliants jouiront du fruit et bénéfice d’icelles suivant leur forme et teneur en payant les dixièmes de frais de justice
Délibéré à Chambéry au bureau du Sénat le douze juillet
mille sept cent quarante neuf
Signé BOURGEOIS
Prononcé au seigneur avocat fiscal général et au suppliant François JAY en audience tête nue et à genoux auquel S.E. [Son Excellence] le seigneur premier président a fait l’autorisation porté par les Royales Constitutions
[Note manuscrite au crayon à papier - postérieure ?]
L’homicide avait été précédé de provocations graves et attentatoires à la vie des mariés JAY accusés. La servante Claudine VUAGNAT a été présente à l’homicide sans y prendre même part. Le chanoine CHOMETTY et son frère n’y ont non plus pris aucune part : ils ont seulement contribué ensuite, le 1er par son conseil, et le 2nd par son fait à tenter de dérober le cadavre à la connaissance de la justice.
Les mariés JAY condamnés ont été graciés par lettre patentes de S. M. Les autres accusés ont été envoyés par le Sénat quittes et absous.
An 1748 (sauf la grâce de 1749)
[Pour savoir ce que sont devenus les protagonistes de cette affaire, lisez "l'épilogue" publié demain]
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Pour en savoir plus
Les grâces
Elles sont codifiées dans les Royales Constitutions de la façon suivante :
« Tous ceux qui obtiendront de Nous des Lettres Patentes de grâce, pardon, ou abolition de crime ou de quelque peine, seront obligés de les présenter dans le terme de trois mois ; autrement ils seront privés du bénéfice desdites Lettres.
On présentera par devant le Sénat les grâces des peines afflictives & des pécuniaires.
Lesdites Lettres seront communiquées à l'Avocat Fiscal Général ou Provincial & le Sénat ou le Juge-Mage reconnaîtront respectivement si elles sont subreptices [grâce obtenue par subreption, c'est-à-dire omission de ce qui s’opposerait à l’obtention d’un droit que l’on fait valoir] ou autrement défectueuses.
Lorsque ces Lettres contiendront la grâce d'une peine corporelle, elles ne seront pas reçues par le Sénat, à moins que l'impétrant ne se soit constitué dans les prisons pour donner ses réponses sur le délit dont il s'agit, sans qu'on puisse l'en élargir, qu'après qu'elles auront été reconnues comme dessus.
S'il n'y a rien de défectueux dans lesdites Lettres, les Sénats devront les entériner, & les Juges-Mages les faire enregistrer & les uns & les autres ordonneront qu'elles soient observées, suivant leur forme & teneur.
Lorsque les Lettres contiendront la grâce de la peine de mort ou des galères, l'impétrant sera obligé, avant qu'on l'entérine, de la présenter en personne dans l'Audience publique au Sénat, à genoux & tête nue, en présence des Avocats & des Procureurs; & le premier Président, ou celui qui régit le Magistrat, devra l'exhorter de ne plus commettre à l'avenir de semblables ou autres crimes.
On ne pourra retenir le criminel qui se sera volontairement constitué prisonnier pour présenter la grâce qu'il aura obtenue sur un exposé véritable. »
Tout est bien qui finit bien pour eux finalement !
RépondreSupprimerMerci pour ce super challenge, et à demain pour l'épilogue alors.
Un extra-ordinaire feuilleton généalogique qui nous a tenu en haleine tout un mois
RépondreSupprimerQuelle épopée, quel feuilleton à rebondissements ! Formidable. J'allais demander ce qu'ils sont devenus, je vais attendre sagement demain. Merci !
RépondreSupprimerUne histoire qui a du rester longtemps dans la mémoire collective de ce village de Samoëns...
RépondreSupprimerMerci Mélanie.
M@g.