Blog généalogique, souvenirs d'aïeux de Conques (Rouergue) à Samoëns (Haute-Savoie), en passant par l'Anjou, la Bretagne, l'Ain, la Suisse . . .
« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »
- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches
samedi 20 octobre 2018
#RDVAncestral : L'homme dans le brouillard
samedi 2 décembre 2017
La Suisse est un coffre-fort
J’ai tenté d’autres pistes, mais en vain. Ah ! si ! j’ai trouvé l’origine du patronyme Borrat : du patois borat, taurillon, jeune homme (latin burrus, rouge ardent), ou bore, poil, laine grossière (latin burra, bourre, bure). Es-Borrat est une forme valaisanne, tirée d’un lieu-dit signifiant "chez les Borrat" (es = en les) [selon Ch. Montandon, www.favoris.ch/patronymes).].
vendredi 21 août 2015
Illégitimes de génération en génération
Article disponible en podcast !
Justine Borrat-Michaud est la dernière de mes ascendants
suisses ayant vécu (et disparu) dans son pays natal. Je la connais
notamment grâce aux relevés de l'AVEG (Association Valaisanne d’Études
Généalogiques) puisque, étant Française, je n'ai pas eu accès
directement à l'état civil suisse.
Elle est la fille de Jean Maurice, que nous avons déjà rencontré lors du Généathème de mai M comme militaire.
D'après les relevés de l'AVEG, elle a donné naissance à un fils illégitime, Pierre Frédéric Borrat-Michaud, né de père
inconnu en 1844. Elle est alors âgée
d'environ 30 ans.
Pour mémoire, un enfant illégitime (dit aussi
adultérin ou naturel) est un enfant né hors mariage. Si aujourd'hui le
phénomène est courant et ne choque plus guère les esprits, autrefois il
n'en était pas de même. Dans des sociétés où les relations sociales et
religieuses étaient fondées sur le couple, faire une entorse à cette
structure de base était jugé très sévèrement. Rappelons que le mariage
chrétien est un sacrement ne pouvant être dissous que par la mort. Ces
enfants illégitimes illustrent l'irresponsabilité de leurs parents et
réaffirment le caractère de péché grave de l'adultère.
Ils avaient
aussi des conséquences non négligeables sur les héritages : on
distingue ainsi les enfants naturels des enfants adultérins, puisque les
premiers pouvaient, eux, succéder aux noms et aux biens de leurs
parents (entièrement en l'absence d'enfants légitimes nés du mariage des
parents, ou partiellement, s'ils en avaient); contrairement aux seconds.
C'est pourquoi, lors de mariages postérieurs, les parents
légitimaient automatiquement leurs enfants naturels, les rendant tout
aussi légitimes que les autres enfants nés au cours du mariage des
parents communs.
Près de 20 ans plus tard, naît Joseph Auguste en 1863; mon ancêtre. A nouveau, c'est un enfant illégitime : "Joseph Auguste Es Borrat Michaud, illégitime de Justine Es Borrat Michaud" (acte de naissance selon la transcription de l'AVEG); "Monsieur Borrat Michaud Joseph Auguste [...] fils majeur célibataire et illégitime de Borrat Michaud Justine" (acte de mariage). Il est le seul ancêtre direct de ma généalogie à être illégitime [ 1 ].
Et
en 1850, Justine donne naissance à un troisième enfant, prénommé Louis
Auguste. Cette fois, le père est connu : il s'agit de Pierre Julien
Rey-Mouroz. Cependant Ils ne sont pas mariés. Ils sont juste concubins.
Avoir un enfant illégitime n'est pas très courant, mais trois !
A
ma connaissance elle ne s'est jamais mariée. Est-ce que Pierre Julien
Rey-Mouroz est aussi le père de Pierre Frédéric et de Joseph Auguste ?
Nous ne le saurons probablement jamais.
Le nom du père de Joseph Auguste reste donc inconnu. Ce qui a
deux conséquences : une grande saignée dans mon arbre généalogique et un
patronyme, Borrat-Michaud, hérité d'un Claude vers 1650 et qui s'est
transmis jusqu'à ma mère.
Devenu adulte, Joseph Auguste épouse Antoinette Adélaïde Jay. Celle-ci est un peu à part dans ma généalogie. Il faut
dire qu'elle a eu une vie unique, comparée à celles des autres femmes
de ma parentèle.
Née en 1854 à Samoëns (74) on la voit
apparaître pour la première fois dans les registres en tant que mère en
1881 : elle a alors 26 ans et donne naissance à des jumelles, Félicie
Césarine et Marie Joséphine. Mais c'est la sage-femme qui déclare cette
double naissance : la mère est encore alitée, bien sûr, mais le père est
inconnu.
Antoinette Adélaïde est alors
"ménagère" et vit chez ses parents cultivateurs, au lieu-dit Lévy. Si
aujourd'hui ce métier désigne la femme qui s'occupe du foyer, autrefois
on l'utilisait pour qualifier l'agriculteur disposant d'une grande
surface de terres, qui est riche. Le "ménager" est le chef de maison.
Son épouse est donc la ménagère. Ici Antoinette Adélaïde n'est pas
mariée : ce terme doit renvoyer au métier de son père (et non à celui de
son époux) - qui sera d'ailleurs dit plus tard "propriétaire"; ce qui
démontre une certaine aisance.
L'officier d'état civil
qui remplit le double acte de naissance est assez indulgent : en effet
il utilise la formule "a accouché d'un enfant jumeau". Délicat, il ne
fait aucune mention de paternité. Il faut attendre le décès de Marie
Joséphine (lorsqu'elle a 3 semaines) pour voir la mention "fille
naturelle".
Le père d'Antoinette n'a pas l'air d'avoir
mal pris cette entorse aux règles de bonne conduite puisqu'il continue à
l’héberger après son accouchement.
Huit ans plus tard Antoinette Adélaïde donne naissance à deux autres filles
jumelles... et naturelles ! Marie Louise et Marie Joséphine ne survivent
que 3 jours. Mais à nouveau il n'y a pas de père dans le paysage. La
seule précision qu'apporte l'officier d'état civil c'est l'ordre de "sortie du sein de [leur] mère" (ordre de naissance de chacune des deux fillettes).
Cette fois on retrouve un même nom dans les déclarations de naissance et de décès de cette seconde paire de jumelles : Placide Burnod, menuisier âgé de 29 ans, voisin de la famille Jay. Est-il un simple voisin ou a-t-il été "un peu plus proche" de la fille de la maison ?
En 1892, âgée de 38 ans, Antoinette donne naissance à une cinquième fille, Marie Louise, alors qu'elle n'est toujours pas mariée. L'enfant est donc toujours illégitime, mais cette fois pourtant le père est (enfin) connu : c'est un jeune citoyen suisse âgé de 29 ans domicilié à Samoëns, Joseph Auguste Borrat-Michaud.
Trois semaines plus tard, les nouveaux parents vont officialiser leur union. "Et à l'instant les époux nous ont déclaré reconnaître et légitimer 1° Jay Félicie Césarine née à Samoëns le 17 février 1881 enregistrée à la mairie de Samoëns comme enfant naturel de Jay Antoinette Adélaïde 2° Borrat-Michaud Marie Louise née à Samoëns le 28 décembre dernier enregistrée à la mairie de Samoëns comme enfant illégitime de Borrat-Michaud Joseph Auguste déclarant et de Jay Antoinette Adélaïde."
Avoir un enfant illégitime n'est pas très courant, mais cinq !
Placide Burnod a disparu. Peut-être n'était-il qu'un voisin après tout... Joseph et Antoinette donneront encore naissance à un enfant, cette fois (enfin) tout à fait légitime.
Y a-t-il une prédisposition à la naissance illégitime ? Il est étonnant
de voir en effet autant d'enfants naturels/illégitimes en si peu de
naissances et aussi rapprochés.
C'est en tout cas un phénomène tout à fait à part dans ma généalogie.
[
1 ] A dire vrai, j'ai aussi un ancêtre dit "bastard" : Jacques Guibé, mais il n'y a
pas de registre à l'époque de sa naissance (vers 1612 à La Coulonche,
Orne) pour le confirmer.
vendredi 8 mai 2015
#Généathème : M comme militaire
Jean Maurice est donc né en 1785 à Champéry, dans le Valais suisse (dizain [ 2 ] de Monthey). En tapant son patronyme dans le moteur de recherche de Geneanet, un article de Louiselle Gally de Riedmatten est ressorti [ 3 ]. D'après cette source, Jean Maurice est enregistré comme soldat valaisan au service de l'empereur Napoléon, sous le nom de Borrat (comme son frère aîné Jean Louis né en 1783). Cet ouvrage recense les soldats du Bataillon valaisan qui ont pu être identifiés dans les registres baptismaux (hors officiers).
En 1798, le Valais (région bilingue de Suisse à la fois de langue française et allemande) est occupé par l'armée française. En 1802 il devient une "République libre et indépendante", sous le protectorat des républiques française, cisalpine et helvétique; sa capitale est Sion. Dès cette époque, Napoléon pense à recruter des Valaisans, qui viendraient renforcer l'Armée française. Ce n'est en fait qu'en Octobre 1805 (16 Vendémiaire an 14) qu'une Capitulation (c'est-à-dire un contrat) est signée entre l'Empire français et la République suisse pour fournir un Bataillon d'environ 660 hommes, que l'on réunirait à Turin.
Mais le Valais est assez pauvre (en particulier de dizain de Monthey qui se trouve dans une grande détresse économique) et fournit déjà des hommes à d'autres unités suisses en Europe : le recrutement s'avère difficile. Les recruteurs utilisent alors tous les moyens pour remplir leurs contingents : l’enrôlement se fait parfois "sur un verre de vin", quand ce n'est pas sur des méthodes plus radicales encore (mise aux fers ou au secret); on considère que près de la moitié des recrues est enrôlée sous la contrainte. Cependant cela ne suffit pas : les effectifs sont alors réduits à cinq Compagnies de 83 hommes chacune. Et c'est finalement à Gênes, un an plus tard, que l'on commence à voir arriver par petits groupes des contingents de Valaisans.
La formation du Bataillon s'y déroule de septembre à novembre 1806. Jean Maurice s'y engage le 13 novembre 1806, sous le n° de matricule 144, à l'âge de 21 ans. Le Bataillon est formé à la fin du mois de novembre, sous le commandement de Charles de Bons (nommé dès le 10 juillet 1806).
L'uniforme est composé d'un habit de drap rouge foncé, avec un collet, revers et parements blancs. La doublure, la veste et les culottes sont également de couleur blanche. Le rouge était une des couleurs traditionnelles des troupes suisses au service français, et le rouge et le blanc celles de la République valaisanne. Des boutons jaunes émaillent l'uniforme, gravés des mots Bataillon valaisan au centre et Empire français sur le contour. L'uniforme est complété par un shako français de feutre noir (couvre-chef en forme de cône tronqué avec une visière) à bande du haut, bourdalou (tresse) et renforts en V de cuir noir orné d’un aigle de laiton. L'équipement et l'armement seront identiques à ceux des soldats de l'infanterie de ligne française.
Le Bataillon est, évidemment, composé uniquement de Valaisans. Les engagés doivent être âgés au minimum de 18 ans et au maximum de 40. La taille minimum requise est de 1,68 m (5 pieds 2 pouces). Aucune infirmité n'est tolérée. L'hygiène buccale est aussi contrôlée. Ils prennent un engagement de 4 ans. A l'issue, ils pourront quitter le Bataillon ou en contracter un nouveau. Le prix d'engagement est de 180 francs par recrue.
Ces troupes servent une puissance étrangère, tout en restant soumises à la juridiction de l’État d'origine : ils ont donc un statut assez proche de l'immunité diplomatique, avec leur propre justice, leur liberté de culte et leurs propres officiers (contrairement aux mercenaires, par exemple).
Selon l'article de Louiselle de Riedmatten, Jean Maurice est dit baptisé à Val d'Illiez (ville distante de moins de 4 km). A noter : aucune recrue ne déclare être de Champéry (d'ailleurs elle affirme qu'il n'existe plus de registre de baptême entre 1782 et 1786). Cependant, après vérification, les sources ne sont pas révélées très fiables : le soldat pouvait ainsi donner comme lieu de naissance le chef-lieu du dizain et avoir été en réalité baptisé dans une autre paroisse. 16 recrues originaires de Val d'Illiez s'engagent dans le Bataillon (selon l'estimation, il y a entre 11 et 12% de la population du dizain de Monthey nés entre 1782 et 1786 qui s'engagent).
Le 29 mai 1808, le Bataillon quitte Gênes pour Perpignan. Il y arrive le 13 juillet. Mais il n'y reste pas puisqu'il prend aussitôt la direction de l'Espagne. Il y est incorporé dans l'armée de Catalogne, au 7ème Corps.
Lors du siège de Gérone le Bataillon perd un tiers de ses effectifs. Les batailles se succèdent : Bascara (11 avril 1809), La Jonquière (octobre 1810). Pierre Blanc devient le nouveau chef de corps en février 1810. Peu de sources décrivent précisément la vie de corps, selon Louiselle Gally de Riedmatten, et encore moins s'intéressent à la vie de ces soldats, de leurs origines et de leur destin à l'armée (hormis les "rolles ou revues de compagnies" qui recensent les soldats, lorsqu'ils existent ou ont été conservés; ce qui n'est pas toujours le cas).
De fait, difficile de savoir pourquoi Jean Maurice s'est engagé : emprise de l'alcool, après une dispute avec les parents ou la petite amie, échapper au mariage ou aux ennuis judiciaires, ou encore motif économique (subvenir à ses besoins ou à ceux de sa famille, fuir la misère du pays...), envie d'être soldat, de voir du pays ?
Fin 1810, alors que le Bataillon est cantonné à La Jonquière, les soldats apprennent qu'ils font désormais partie intégrante de l'Empire français et qu'ils doivent prêter serment de fidélité à l'Empereur. Le Valais vient en effet d'être annexé à l'Empire, formant le nouveau département du Simplon (par décret du 12 novembre 1810). Ce département existera jusqu'en 1813 seulement. Devenu français, une troupe étrangère n'a plus lieu d'être : le Bataillon valaisan est dissous le 16 septembre 1811 et intégré au 11ème régiment d'infanterie légère nouvellement créé. Il quitte l'Espagne à destination de l'Allemagne.
On ne sait pas à quelle date Jean Maurice quitte le Bataillon. Est-il parti à la fin de son engagement de 4 ans ? On constate toutefois que 21 % des enrôlés ont été congédiés avant le délai légal, pour inaptitude, blessure ou plus rarement pour conduite morale douteuse. D'autres sont rayés du contrôle des troupes, prisonniers ou déserteurs. On estime que, en fait, la durée moyenne passée au corps est d'un an et huit mois seulement (chiffre à relativiser, car la mort d'un grand nombre de soldats - 40% de l'ensemble du Bataillon en 5 ans - fait baisser considérablement cette durée). Rares sont ceux qui ont prolongé leur contrat. La brève période d'engagement suggère sans doute que le service dans le Bataillon valaisan n'est pas envisagé comme une carrière militaire à suivre, mais plutôt comme une étape de courte durée, une expérience momentanée. De retour on pays on "reprend le cours de sa vie", son métier (ou celui de son père).
Une chose est sûre, Jean Maurice se marie à Val d'Illiez le 3 décembre 1811 avec Milleret Patience. Soit il est rentré de façon temporaire, soit de façon définitive. Sa fille Marie Justine naît le 14 novembre 1814 à Champéry. Elle est la mère de Joseph Auguste (le père n'est pas connu).
J'ignore tout du reste de sa vie, sinon qu'il s'éteint à Champéry le 8 décembre 1848.
[ 1 ] Il est le grand-père de Joseph Auguste, celui qui a franchi la frontière et s'est installé en Haute-Savoie. C'est donc l'arrière-grand-père de Jean François Borrat-Michaud, autre soldat bien connu de ma généalogie dont je suis le parcours pas à pas lors de la Grande Guerre.
[ 2 ] Dizain : division territoriale du Valais, en quelque sorte l'ancêtre du district actuel.
[ 3 ] Article paru dans Vallesia (le bulletin annuel de la Bibliothèque et des Archives cantonales du Valais, des Musées de Valère et de la Majorie)