« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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vendredi 30 août 2024

Maître d'escrime

Lorsqu’il a 20 ans, Louis Astié est déclaré propre au service militaire. Il part donc pour le 9ème Régiment d’Infanterie le 12 novembre 1878.

Il mesure 1,68 m, il est châtain (des cheveux et … des yeux – on dirait plutôt "noisettes" aujourd'hui), un visage ovale, un front ordinaire et une bouche moyenne. Il a reçu une éducation puisqu’il sait lire, écrire et compter.

En janvier 1882 il devient "caporal moniteur d’escrime". Il entre à l’École Normale de Gymnastique et d'Escrime, basée à Joinville, qui forme des cadres sportifs pour les armées. Il a alors 25 ans : l’escrime est entrée dans sa vie et n’en sortira plus. 

 

La plus ancienne salle d'escrime parisienne

Salle Coudurier à Paris © elperiodico


L’art de l’épée a toujours tenu une place importante dans l'éducation des seigneurs et chevaliers. Il est enseigné par des maîtres d'armes, personnes qui enseignent les techniques de combat et le maniement des armes. Au XVIIIème siècle, dès leur jeune âge, les enfants de la noblesse portent la lame au côté et apprennent à l'utiliser. Naturellement l'escrime est primordiale dans l'éducation de la noblesse. Elle fait partie, avec la danse et l'équitation, des arts permettant de fortifier le corps. Et, bien sûr, comme la chasse elle prépare à la guerre.

Au cours de l'entrainement militaire chaque régiment a son maître d'armes, enseignant le maniement des armes. Son instruction, participant à la formation de la jeunesse à la défense de la nation, est le symbole d’une éducation patriotique par excellence. Tout au long du XIXème siècle, la pratique de l’escrime est alternativement obligatoire ou facultative dans les corps d’armées. En 1869, Napoléon III impose à nouveau l'instruction de l'escrime aux soldats. En 1877, le règlement prévoit de rendre l'escrime à l'épée obligatoire dans la cavalerie et l'infanterie, et l'escrime au sabre obligatoire dans la cavalerie et facultative dans l'infanterie.

 

Pourquoi Louis s’est-il tourné vers l’escrime ? A-t-il appris le rudiment des armes auprès de son père gendarme (voir ici) ? L’a-t-il découvert à l’armée elle-même ? Quoi qu’il en soit, Louis poursuit sa spécialisation dans l’escrime : en 1882 est dit "caporal chef de salle". Le 16 juillet 1882 il obtient son brevet de maître d’armes. Quatre jours plus tard il est nommé au poste de "sergent maître d’armes". C’est à son tour d’enseigner aux jeunes recrues ; ce qu’il fait au 95ème Régiment de Ligne. En septembre 1882 il se réengage dans l’armée pour 5 années supplémentaires.

Alors en garnison à Bourges, il rencontre et épouse Marie Eulalie Victorine Desroches, fille d’un casernier (chargé de l’entretien des bâtiments et du matériel d’un casernement) décoré de la médaille militaire. Ensemble ils auront trois filles.

 

En 1884 il est qualifié de "maréchal des logis" (équivalent du grade de sergent). En 1886 il est passé au 1er Régiment d’Artillerie où il est toujours maître d’escrime. En 1887 Louis signe à nouveau, pour un troisième engagement. Le certificat de bonne conduite lui est accordé, ce qui n’est guère étonnant au vue de ses états de services. Il est renvoyé dans ses foyers à l’expiration de son second engagement en 1893. Au tournant du siècle la famille emménage à Ivry, où l’un de ses frères aînés demeure déjà depuis quelques années.


En avril 1896, un article le concernant paraît dans la presse.

 

« Salle d'armes

Jeudi 15 avril 1896, à 7 heures du soir, ouverture d'une salle d'armes, 3, rue Coutant, à Ivry-Port, par M. Astié Louis, professeur ex-maître d'armes, au 1er régiment d'artillerie à Bourges. Les leçons seront données de 7 à 10 heures du soir. Prix très modérés. Nous espérons que la jeunesse ivryenne ne restera pas indifférente à cet appel, et qu'elle viendra en grand nombre grossir le contingent d'élèves que possède déjà M. le professeur Astié. » (Le Réveil Républicain, édition de Malakoff)

 

Depuis la Restauration, en effet, la liberté d'installation permet à de nombreux vétérans de l'armée d'ouvrir leur propre salle d'escrime. Pour pouvoir enseigner et diriger une salle d’armes, les maîtres d’armes français doivent être titulaires d’un diplôme d’état et doivent pouvoir enseigner le maniement de trois types d’armes :

- le fleuret est une arme d’estoc (coup porté par la pointe). Il apparaît au XVIIème siècle : arme plus légère et plus courte que la rapière, sa lame de section quadrangulaire se termine par un bouton (ce qui lui donne son nom car il est moucheté comme une fleur). Grâce à elle on peut faire de l’escrime sans avoir l’intention de se battre, le jeu consistant à effleurer la poitrine adverse. Élégance et courtoisie marque le fleurettiste.

- l’épée est caractérisée par une lame droite et une coquille circulaire qui protège la main.

- le sabre est une arme d’estoc, de taille et de contre taille (coups portés à la fois par le tranchant, le plat ou le dos de la lame). Sa lame est quadrangulaire et peut éventuellement être courbée. La coquille n’est pas circulaire mais a un profile en poignée.

 

C’est ce qu’a fait Louis Astié : ouvrir sa salle, après de nombreuses années passées dans l’armée. Pour cela il est titulaire du brevet de maître d’armes, comme on l’a vu plus haut. Selon l’article de journal, il avait déjà des élèves (mais on ignore où il enseignait).

 

Il faut dire que l'escrime jouit d'un prestige grandissant dans la société de l'époque. Les maîtres d’armes n’enseignent plus exclusivement à la noblesse ou aux militaires, mais s’ouvrent aux civils : la bourgeoisie, notamment, mais aussi les gens de plume, deviennent adeptes de cet art. L’enseignement ne se fait plus à des fins guerrières mais devient davantage récréatif. Il se démocratise et devient un véritable spectacle : des assauts (simulacres de duels où l’on ne se bat qu’avec des armes mouchetées) sont organisés, connaissant un certain engouement du public.

 

Ainsi Louis organise un assaut d’armes public, dont les bénéfices seront reversés aux pauvres et à la caisse des écoles, en octobre 1897. L’événement connaît un véritable succès, la salle étant comble. Trois articles parus dans le Réveil Républicain le citeront même dans ses colonnes (le 2 pour l’annoncer, les 16 et 23 pour en faire le bilan). L’assaut a lieu dans les salons de l’Hôtel de Ville d’Ivry, animé par les sociétés musicales de la cité. De grands noms de l’escrime, tant militaires que civils y ont été conviés pour assurer le spectacle. Bien que plusieurs tireurs aient été gênés dans leur jeu par la défectuosité d’une planche pas assez suffisamment longue et large, ils ont néanmoins recueilli une ample moisson de bravos. 13 « combats » ont été donnés. Les tireurs ont fait apprécier leurs qualités de sang-froid et de précision. Les amateurs se sont surpassés. La séance a été close par la Marseillaise (rappelant les valeurs de patriotisme associées à l’escrime) donnée par les trois ensembles musicaux de la ville.

 

A la fin du XIXème siècle, l’escrime est vue peu à peu comme un sport de compétition. Depuis 1890, on commence en effet à parler d'escrime sportive. Des novateurs suggèrent de faire « juger» les assauts et de compter les coups. On ne prononce pas encore le mot de « match » mais celui de « duel blanc ». Un juge et quatre témoins sont présents pour comptabiliser les scores. Au début c’est davantage la manière et la vitesse relative des coups qui comptent, plus que les points. Peu à peu, cette pratique sportive de l’escrime s’organise et des compétitions apparaissent. Elle fait partie des sports retenus aux premiers Jeux olympiques modernes de 1896.

 

Les années 1880 marquent aussi le retour des duels dans la société. Les élégances prônées par les puristes du fleuret n’étaient pas toujours de rigueur et, dans la rue, l’escrime était plus souvent meurtrière. Devant l’hécatombe de la fine fleur de la nation, on tenta à plusieurs reprises d’interdire les duels, mais sans succès. Les salles d’armes qui se multiplient ont l’ambition de canaliser ces velléités de violence au nom de l’honneur (qu’il soit réel ou imaginaire). L'épée, arme de duel réglementaire, était utilisée sans conventions. Dans sa salle, le maître d'armes met en condition celui qui doit régler un duel à l'épée. Le but n'est pas de tuer mais de mettre son adversaire hors de combat.

 

Le XIXème siècle est un âge d’or pour l’escrime : les armes légères et équilibrées permettent des prouesses techniques en toute sécurité, les maîtres d’armes sont au sommet de leur science. Ils seront à la source du rayonnement de l’escrime française à l’étranger.

 

Louis Astié a dû, tant de fois, revêtir l’équipement complet du fleurettiste (dans cet ordre) : des chaussettes, un pantalon, une veste en toile très serrée, dont le plastron est doublé d'une grosse toile ou d’un cuir pour améliorer la protection aux points les plus sensibles, un gant, un fleuret et un masque.
Devant le nombre d’accidents type « œil crevé » lors des entraînements, on créa en effet le masque afin de protéger le visage des pratiquants. Au début simple grille un peu lâche devant la face, il se développe pour préserver le cou, les côtés du visage et le dessus de la tête, avec une grille plus serrée et une bavette en cuir pour éviter de se faire transpercer la gorge. La tenue est traditionnellement blanche. Cette couleur, difficile à entretenir, est naturellement attribuée aux tenues réservées à l'activité sportive que seuls les milieux aisés pouvaient pratiquer, comme les polos et pantalons pour jouer au tennis, la combinaison des pilotes des sports automobiles, etc…

 

On notera, lors de l’assaut organisé en 1897 par Louis Astié, la leçon publique donnée après les combats par Louis lui-même à sa fille de 11 ans, Jeanne.

 

Rappelons que l’éducation physique et intellectuelle des jeunes filles du début du XIXème siècle était extrêmement limitée, tout comme les fonctions que leur promettait l’âge adulte : épouser un homme, lui donner des héritiers et, pour les classes supérieures,  assurer un rôle de représentation aux côté de leurs maris. Autant dire que l’escrime, activité virile et musclée par excellence, en était bannie. La morale la condamnait fermement. Les activités physiques, déjà peu fréquents chez les fillettes, étaient encore plus rares chez les adolescentes, car ils étaient suspectés d’éveiller la sexualité. La bienséance limitait l’éventail des exercices physiques à la promenade et à la danse, qui permettaient aux jeunes femmes de d’exacerber leur féminité et, par la même occasion, de se trouver un époux.

Cependant, quelques féministes revendiquèrent l’accès à l’escrime par les femmes,  appuyées par certains médecins sensibles aux bienfaits de l’activité physique sur la santé et le développement de l’organisme.

 

C’est le cas de Marie Rose Astié de Valsayre. Née Claire-Léonie Tastayre (en 1846), elle se fait connaître pour ses talents musicaux sous le pseudonyme de Marie de Valsayre. En 1869, elle épouse le docteur Astié (sans rapport avec notre famille). Elle commence des études médicales et sert comme infirmière (ou ambulancière, selon les sources) pendant la guerre franco-prussienne de 1870. Parallèlement, elle entreprend une carrière de journaliste. Elle s’intéresser aussi aux luttes menées par des travailleuses en compagnie de Louise Michel. Elle milite pour le droit des femmes à l’éducation (en demandant par exemple leur accès aux études de médecine, mais aussi la possibilité de devenir librement cochères ou maçonnes si elles le souhaitent), touche un peu à la politique. Elle est la première à demander l'abrogation de l'ordonnance de 1800, qui interdit aux femmes de porter le pantalon. Peu à peu ses revendications se font plus radicales, exigeant l’égalité des salaires ou le droit de vote pour les femmes. C’est l’âge d’or de la presse : Marie Rose y exprime ses opinions. Elle subit les railleries, parfois grossières, de ses contemporains masculins.
Presque naturellement, elle en vient à réclamer le libre accès à la pratique du sport, et en particulier de l’escrime, pour les femmes. Intrépide (elle s’est elle-même cautérisé une plaie au fer rouge), elle provoque en duel tous ceux (et celles) qui s’opposent à elle. Ainsi, en octobre 1884, un journaliste l’ayant traité de « veuve vautour », elle lui demanda une réparation par les armes. C’est le premier d’une longue liste, toujours vaine toutefois, les hommes répugnant à ferrailler avec une femme. C’est finalement une américaine qui accepta le combat, en 1886 : après un contentieux au sujet de la supériorité des doctoresses françaises sur les américaines, et comme l’Américaine traita d’idiote Marie Rose, aussitôt celle-ci lui jeta son gant à la figure. Miss Shelby releva le défi et les deux femmes croisèrent le fer. Mais l’Américaine dû s’incliner après avoir été blessée au bras par Marie Rose qui reconnut cependant les qualités de son adversaire.

 

Louis Astié était-il sensible aux revendications féministes ? Nous l’ignorons. Bien sûr, il n’avait pas de fils pour lui succéder, mais le fait qu’il enseignait son art à sa fille tendrait à prouver son ouverture d’esprit sur ce sujet.

 

Louis s’éteint en 1905 à l’âge de 48 ans. Il était encore professeur d’escrime.

 

 

 

 

vendredi 15 mars 2024

L'épicerie de la rue de la Roë

Article disponible en podcast !


 

Alexandre Rols naît en 1831 à Conques (12). Il est mon sosa 34. Après un bref passage à Saint-Patrice (37) où il rencontre son épouse, Marie Anne Puissant, il s’installe à Angers (49). Là, il devient concierge à la Banque de France pour quelques années. Il demeure rue Joubert (rue contiguë à la Banque), probablement dans un logement de fonction. 

Alexandre Rols, 1871 © coll. personnelle
Alexandre Rols, 1871 © coll. personnelle
 

Mais ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est la suite. Dans les années 1870 il déménage et ouvre une boutique - dite d’abord mercerie puis épicerie. La tradition familiale le dit marchand bonnetier mais aucune source ne vient corroborer ce métier. Ceci étant mercier et bonnetier sont proches : peut-être est-ce une confusion entre les deux métiers ? Toujours selon la tradition orale, cette boutique était située à l’angle de la rue de la Roë (au n°31) et de la rue Saint Laud (n°18), en centre ville d’Angers.

 

Mais où était-elle véritablement ? Les sources se contredisent sur ce sujet :

  • Dans l'annuaire alphabétique des habitants d'Angers, de 1872 à 1876, Alexandre est dit mercier,  au 26 rue de la Roë. Les deux années suivantes le donnent au numéro 31 (et non plus 26).
  • Pourtant dans les listes électorales de 1872 et 1873 il est dit encore concierge de la Banque de France demeurant rue Joubert. En 1874 on le trouve enfin épicier rue de la Roë (aucun numéro de rue n’est précisé) ; pas de liste en 1875 mais de 1876 à 1878 il bien dit demeurant au 31 rue de la Roë. Disons qu’Alexandre n’a pas fait sa mise à jour sur les listes électorales lorsqu’il a déménagé...
  • Le recensement de 1872 indique son domicile au 34 (sic) et le suivant daté de 1876 au 31.
  • Puis cela se complique encore : son acte de décès en 1879 le dit décédé en son domicile au 25 rue de la Roë.
  • Son inventaire après décès et le registre de mutation nous disent que son domicile est situé au 33 rue des Bas Chemins du Mail (aujourd’hui rue Franklin, à près de 2 km de la rue de la Roë). Ce document cite le fonds de commerce de l’épicerie… situé au n°25 de la rue de la Roë !

Bref, gardons à l’esprit que les sources ne sont pas toujours fiables.

 

Néanmoins plusieurs indices semblent s’accorder pour dire que l’épicerie était bien à l’angle des rues de la Roë et St Laud : c’était donc sans doute le n°31.

 

Vue d'Angers en ballon, 1878 © AM Angers (avec une loupe ajoutée par mes soins)
Vue d'Angers en ballon, 1878 © AM Angers
(avec une loupe ajoutée par mes soins)


Dans l’annuaire, je n’ai pas trouvé s’il y avait déjà un commerce à cette adresse avant Alexandre (mais peut-être que le téléphone n’y était simplement pas installé ?). A-t-il repris une épicerie précédemment établie ? Était-ce un nouveau type de commerce ? Ou une création ex nihilo ? Tout ce que je sais c’est qu’il est locataire et non propriétaire de la boutique et du (des) logements situé(s) dans les étages.

 

L’ensemble est en fait composé de deux parcelles au cadastre, entremêlées l’une dans l’autre (n°1858 et 1859), appartenant à l’origine à Victor Muller (1858) d’une part, et Louis Mabille puis Etienne Livache et sa veuve après lui (1859) d’autre part. Ces bâtiments sont classés dans la catégorie n°1 (la plus haute valeur) et comptaient respectivement 12 et 16 portes et fenêtres. La boutique d’Alexandre semble être la 1858 (à l’angle), mais le « bail d’une maison où s’exploitait le fond de commerce de l’épicerie » a été consenti par la veuve Livache (donc la 1859). La répartition entre commerces, logements et propriétaires n’est pas très claire pour moi ; d’autant plus qu’au rez-de-chaussée de la 1859 existait aussi une autre boutique (une boucherie exploitée par Joncheray dans les années 1870, puis Bourgault à la fin du siècle). Dans les étages vivaient aussi d’autres personnes : des couturières, une lingères et un tailleur par exemple (d'après le recensement en 1876).

 

Cadastre d'Angers, section H (détail) © AM Angers
Cadastre d'Angers, section H (détail) © AM Angers

Une épicerie est un commerce de détail de denrées alimentaires et divers produits sans rapport avec l'alimentation. Ce nom trouve son origine au Moyen Age, époque où la spécialisation des commerces était très importante : l’épicier était celui qui vendait des épices. Celles-ci sont utilisées en cuisine mais souvent considérées comme des produits de luxe, réservées à l'aristocratie. On les trouve aussi chez les apothicaires-épiciers qui délivrent des remèdes à base d'épices (pour toutes les classes sociales cette fois) et dont les vertus thérapeutiques en font autant des médicaments que des douceurs (rappelons que le sucre est, à cette période, considéré comme une épice).

Peu à peu l’épicier se diversifie et inclut divers produits alimentaires dans sa boutique, jusqu’à ce que ceux-ci deviennent majoritaires. Les produits étaient vendus en vrac, emballés sur place par l’épicier.

Progressivement l’industrie agroalimentaire prend de l’essor. Les produits préemballés font leur apparition : des firmes comme Felix Potin développent des paquets d’un poids type (le client n’a plus le choix dans ce domaine) et siglé de sa marque. La généralisation de la pratique de l’appertisation, méthode de stérilisation inventée par Nicolas Appert à la toute fin du XVIIIème siècle (l’aliment est placé dans un récipient étanche et soumis à une température égale ou supérieure à 100 °C, qui détruit les germes qui altèrent la nourriture et la rendent impropre à la consommation) permet le développement de la boîte de conserve et sa vente dans les épiceries. Dans ce type de magasin on peut aussi trouver des produits de droguerie (liés aux soins corporels et à l'entretien domestique).

Comme on le voit dans une série de savoureuses publicités passée entre décembre 1875 et décembre 1877 (63 annonces, tout de même) dans L’Ami du peuple, journal du dimanche édité à Angers (1849/1950), l’épicerie Rols-Puissant est un des revendeurs officiels de la véritable et « délicieuse farine de santé Revalescière du Barry », qui combat une liste de symptômes longue comme le bras (plus de 40 !), de la dysenterie à la mélancolie. Elle faisait partie des élixirs aujourd’hui disparus mais qui soignèrent l’Europe entière. Faisant son entrée en fanfare en 1865 dans la Gazette de Lausanne, elle a connu un pic faramineux en 1899-1900, pour s’estomper ensuite, cassée peut-être par les pastilles Valda, vers 1910.

 

Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1875 © Gallica
Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1875 © Gallica

 

Existe aussi en version enfantine :

Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1876 © Gallica
Publicité Revalescière, Amis du peuple, 1876 © Gallica
 

Je ne sais pas bien quand l’épicerie d’Alexandre a été ouverte (elle est attestée de façon certaine en 1872). Mais quoi qu’il en soit l’aventure n’aura pas duré très longtemps : elle s’interrompt brutalement avec la mort d’Alexandre en juillet 1879, alors qu'il n’a que 47 ans. Sa veuve n’a pas reprit le commerce de feu son époux (ce qui se faisait pourtant couramment, ces magasins prenant alors de nom de « veuve de… »).

Ce devait être malgré tout une bonne affaire : le couple était assez aisé, comme l’indique son inventaire après décès : à la mort d’Alexandre, ses possessions s’élèvent à 20 990 francs – ce qui correspondrait à un peu moins de 94 000 euros d’aujourd’hui* (dont meubles 1 029 fcs, fond de commerce de l’épicerie 4 696 fcs et immeubles 14 200 fcs). Il laisse l’usufruit de ses biens à sa veuve. Par ailleurs les recensements montrent qu’ils avaient plusieurs employés.

Ainsi dans celui de 1872 on voit notamment Jean Guibert, employé de commerce de 26 ans. Il s’agit en fait de son neveu Jean Pierre, fils de sa sœur Marijeanne et de son époux François Guibert, né à Conques en 1851. En 1876 il est toujours là, bien qu’il soit maintenant prénommé Germain (sans doute un prénom d’usage**). La même année le domicile compte aussi Augustin Astié, employé depuis deux ou trois ans dans la boutique et qui a rapidement épousé la fille aînée de la maison, Cécile Rols (mes sosas 16 et 17).

 

Mais le couple vivait sans ostentation, dans un logement qu’ils louaient, raisonnablement meublé : la valeur des « meubles meublants et objets mobiliers » n’est pas très élevée (seulement un millier de francs). La garde robe de monsieur (qui contient notamment cinq costumes, une jaquette, une redingote et une canne) est évaluée à 80 francs, celle de madame (dont quatre robes, leurs jupons, un châle de mérinos, six bonnets de nuit, quelques bijoux) le double, ce qui n’est pas ahurissant (surtout quand on compte dans son arbre nombres d’ancêtres qui ne possédaient qu’une chèvre, voire rien du tout). Les immeubles qu’ils possédaient - deux maisons donnant sur une cour rue de Bouillon - sont loués (montant total des loyers : 710 francs).

 

Le décès brutal d’Alexandre en 1879 jette famille et employés à la rue. La veuve et sa fille cadette déménagent vers le faubourg St Michel. Le couple Astié/Rols avait déjà quitté l’épicerie : Augustin s’était engagé dans la gendarmerie deux ans plus tôt.

Le fonds de commerce est vendu à des marchands d’Angers, les frères Prost, qui reprennent l’épicerie (dite au n°25 dans l’annuaire d’Angers en 1880), mais de façon très éphémère : l’année suivante ils n’y figurent déjà plus. L’épicerie est reprise par un certain… Germain Guibert !

 

L’adresse exacte de l’épicerie de Germain est toujours floue : n°25 dans le recensement de 1881, n°31 dans le suivant et dans l’annuaire à partir de 1883. Les recensements suivants alternent les prénoms Germain et Pierre, mais toujours au n°31. L’Anuaire de l’épicerie française et de l’alimentation la replace au n°25 dans ses éditions de 1891 et 1892, tandis que l’Annuaire général de l'épicerie française et des industries annexes la renvoie au 31 (en 1896).

Comme Alexandre, Germain n’est pas propriétaire mais locataire de la boutique et du logement qu’il occupe au-dessus avec sa famille.

 

Les cartes postales de l’époque nous donnent une  idée de l’allure de cette boutique, nommée « épicerie populaire » (notamment dans l’annuaire à partir de 1904). On remarque sur la devanture le nom « G. Guibert » : le prénom d’usage Germain est donc très officiel.

 

Carte postale ancienne Épicerie populaire G. Guibert, v.1905 © AM Angers
Épicerie populaire G. Guibert, v.1905 © AM Angers
 

Vin rouge et blanc à 40 cts le litre, meules de fromage entière, légumes en vrac, sacs de patates, boîtes de conserves. Le spectacle est autant à l’extérieur qu’à l’intérieur du magasin.

 

D’après l’annuaire d’Angers, Germain tient l’épicerie jusqu’à sa mort en 1932. A partir de 1927 il est secondé par son gendre Henri Quelin.

 

Je vous laisse lire ci-dessous l’épisode du jeune commis, employé depuis 6 mois à l’épicerie en 1933, bien sous tous rapports, qui s’est révélé être… un tueur en série !

 

Article "une fillette sauvagement assassinée" Ami du peuple, 1933 © Gallica
Ami du peuple, 1933 © Gallica

 

En 1952 l’épicerie populaire compte un nouveau patron, A. Guilleux. Mais il ne restera pas très longtemps puisqu’en 1956 c’est Julien Lemêtre qui lui a succédé. La boutique est identifiée par le terme « alimentation », perdant l’antique dénomination « épicerie populaire ». Elle figure ainsi dans l’annuaire jusqu’en 1970, dernière année disponible en ligne. 

Les années ont passées. Aujourd’hui l’ancienne épicerie se partage entre deux boutiques : boulangerie/pâtisserie côté rue St Laud et restauration rapide côté Roë.

 

Mais qui se souvent encore de l’épicerie de la rue de la Roë ?

 

 

 

* Évaluation à titre d’exemple, réalisée d’après le convertisseur de l’INSEE (qui ne commence qu’en 1901).

** Les prénoms d’usage peuvent sortir d’un peu n’importe où. Si mon sosa 16 est parfois prénommé Auguste au lieu d’Augustin, on peut comprendre. Mais cela peut être beaucoup plus curieux : la tante Henriette, qui se prénommait véritablement Célestine, avait reçu ce surnom par ses patrons qui avaient déjà eu une domestique qui se prénommait Henriette et ne voulaient pas se fatiguer à en apprendre un autre ! Bref, il n’est pas toujours facile de connaître les raisons d’un prénom d’usage.

 

mardi 3 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre C

CHAPITRE C

"Charretier : en un clic mon logiciel de généalogie avait répondu à ma requête..."

 

« Charretier » : en un clic mon logiciel de généalogie avait répondu à ma requête. Mon ancêtre Henri Macréau était charretier. Ça avait été mon premier réflexe : vérifier les infos que j’avais récoltées sur mon aïeul. Il avait vécu en Seine et Marne : né en 1874, marié avec le siècle. J’ignorais encore sa date de décès. Son épouse, Ursule Le Floch, était une Bretonne expatriée. Ensemble ils avaient eu une palanquée d’enfants. Finalement, je n’avais pas énormément d’informations sur eux. Je connaissais mieux leur futur gendre, Jean-François Borrat-Michaud, mon Poilu que j’avais suivi au jour le jour sur mon blog de 2014 à 2019 pour le Centenaire de la Première Guerre Mondiale.

Je n’avais jamais vu le visage d’Henri. Enfin, jusqu’à aujourd’hui. Devant moi, sur l’écran de mon ordinateur, la carte d’identité de mon arrière-arrière-grand-père était ouverte. C’était le second document envoyé par mon mystérieux contact. Depuis sa photo, Henri me regardait fixement. Il semblait me supplier :
« - Viens tirer cette affaire au clair. Ne me laisse pas tomber. »

C’était sans doute mon imagination qui me jouait des tours, mais je ne parvenais pas à m’ôter cette idée de la tête.

Les doigts suspendus au-dessus de mon clavier, je n’hésitai qu’un bref instant avant de répondre au mail de mon interlocuteur inconnu. Le message fut court : « Pouvez-vous me donner davantage d’explications ??? »

En attendant la réponse, fébrile, je revenais vers la première pièce jointe du message. C’était un papier de couleur brunâtre, avec juste ces deux mots « macreau assassin ! ». L’écriture était malhabile… ou volontairement déformée. Peut-être écrite par la main gauche d’un droitier ? Des traces de petits trous étaient visibles, comme si le papier avait été épinglé à un autre. Y en avait-il d’autres dans le même genre ? J’eus un hoquet. Au bord de la nausée, je restai figée devant l’écran.

Devant mon immobilité et mon silence inhabituels Sosa vit se frotter contre mes jambes et leva la tête vers moi, les yeux grands ouverts, interrogateurs.
- Ça va Sosa, ça va… Du moins je crois…

D’une caresse sur la tête, je tentai d’apaiser l’inquiétude de mon chat. Longtemps, j’ai pensé que ma famille était de celles auxquelles il n’arrive jamais rien. Aujourd’hui les événements semblaient brutalement me prouver le contraire !

J’essayais de me changer les idées en me concentrant sur les faits déjà rassemblés. « Charretier ! Pense charretier ! » me répétais-je à haute voix comme un mantra protecteur.

En fait, en passant en revue tous les documents concernant Henri et ses proches, je m’aperçus que j’en savais un peu plus sur lui que je ne le croyais au début : enfant il avait été vacher (gardien d’un quelconque troupeau, sans doute, à l’heure où les plus aisés apprennent leurs lettres), puis manouvrier pendant une dizaine d’années. Et le fameux charretier. Seul détonnait un « marinier » isolé, en 1920, au beau milieu des 20 ans à travailler avec son attelage. Est-ce qu’il était passé des chemins de halage à la rivière ?

Un tour sur les sites spécialisés me confirmait ce que je soupçonnai : le charretier est celui (ou celle) qui conduit une charrette ou un chariot. Il se dit aussi de celui qui mène une charrue. Le marinier, quant à lui, est celui dont la profession est de conduire les bâtiments sur les rivières, les canaux navigables, les lacs. Dans ce coin de Seine-et-Marne on trouvait les deux en abondance.

Charretier. Marinier. Mais pas assassin !

Son père était aussi charretier : sans doute avait-il appris le métier auprès de lui. Il devait avoir pris la suite, dans une continuité de profession naturelle de père en fils, mais dans une commune voisine néanmoins. Peut-être pour ne pas lui faire concurrence ?


le charretier


Dans les recensements, un certain nombre de charretiers et de mariniers apparaissaient. Je cherchai donc à en savoir plus sur ces métiers si fréquents dans ce coin de Seine-et-Marne. C’était en fait une histoire ancienne, qui prenait ses racines sous le règne de François Ier, lorsque le Grand Morin, un des principaux affluents de la Marne, fit l’objet d’aménagements afin de rendre cette rivière navigable, entre Dammartin-sur-Tigeaux et jusqu’à la confluence avec la Marne. Une succession de barrages assurait de garder un débit constant sur la rivière, nécessaire à la navigation de bateaux de gabarit assez conséquents.

Un système ingénieux de pertuis permettait de franchir les nombreux moulins qui émaillaient la rivière. Ces pertuis étaient aussi appelés « portes à bateaux » ou « portes marinières » et étaient actionnés par les meuniers. Ce qui ne se fit pas toujours sans heurts, comme je l’appris en suivant le fil de mes lectures, car à cette occasion ils devaient mettre à l’arrêt les roues de leurs moulins. C’est sans doute ainsi que naquit les tensions ancestrales entre meuniers et mariniers.

C’était le flottage du bois qui occupait principalement cet acheminement batelier, avant que le développement industriel dans les années 1890 ne diversifie les cargaisons (briques, tuiles, chaux, lin…).

En parallèle de cette vie sur l’eau s’était développé le halage, méthode consistant à tirer un bateau depuis la rive avec une corde reliée au mât. Ce métier se faisait soit « à col d’homme », c’est alors le haleur qui tirait directement le bateau avec ses propres forces, soit avec un attelage de chevaux, d’ânes, ou de bœufs, quand le passage était suffisamment large. L’invention du bateau à moteur a fait tomber en désuétude ce métier si éprouvant.

A Tigeaux, où Henri et Ursule se sont mariés en 1900, il y avait un port assez important mais en 1906 un observateur de la France rurale et urbaine à la charnière du siècle le note « désert » (note).

Cette recherche inattendue m’avait fait découvrir une tradition inconnue, moi une fille de la terre. J’en remerciai le destin. Cela me permettait de mieux comprendre ma généalogie, de l’étoffer, lui donner chair.

Néanmoins, je n’oubliai pas mon objectif premier. Je ne cessai de jeter un œil sur la boîte mail, qui se relevait automatiquement à intervalle régulier. Jusqu’à présent elle demeurait vide. J’examinai à nouveau la carte d’identité d’Henri arrivée avec le premier mail. C’était toujours émouvant de se trouver face à ce genre de document.

Une sensation un peu étrange aussi : ce n’était qu’un document administratif, dénué de toute charge émotionnelle comme peuvent en avoir des photos ou de la correspondance privée. Mais lorsque c’est la seule source à notre disposition il prend un relief bien différent. Par ailleurs ce document quelconque en apparence, contenait tout de même l’identité (bien sûr) mais aussi une photo, une signature, une empreinte. Bref, une connexion directe avec mon ancêtre.

Tout à coup, je découvris au bas du document une mention que je n’avais pas l’habitude de voir sur ce type de pièces déjà en ma possession : le tampon « aryen ou non aryen». Les trois derniers mots avaient été rayés, adoubant mon ancêtre parmi la race des « vainqueurs ». Cela me faisait froid dans le dos, rien que de penser à cette période sombre de notre histoire.

Enfin la petite enveloppe notificative de ma messagerie virtuelle m’apporta la réponse de mon interlocuteur. Je fus quelque peut déçue par son caractère laconique (il faut dire que je n’avais pas été très prolixe non plus). Mais il y avait une ouverture : il me donnait son numéro de téléphone. Sans plus attendre, je le composai tout en mettant au point un bref laïus. En effet, je ne voulais paraître ni trop empressée d’en savoir plus sur cette affaire, ni trop brutale s’il s’avérait que, finalement, c’était bien un arnaqueur. Doué certes, mais arnaqueur quand même. Quand j’entendis le déclic de mon correspondant, je pris une grande inspiration et me lançai.

 

 

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vendredi 3 avril 2015

Mes arrière-grands-parents étaient lapidaires

Mon arrière-grand-père Jules Assumel-Lurdin et son épouse Marie Gros ont été (entre autres) lapidaires. Ouvriers lapidaires.
C'est l'occasion de faire un zoom sur ce métier.

L'ouvrier lapidaire est un tailleur de pierres précieuses (sauf le diamant : travail qui était réservé au diamantaire). Le mot lapidaire vient du latin "lapis" qui signifie pierre. On distingue les pierres précieuses (agate, diamant, émeraude, grenat, topaze, etc...) des pierres semi-précieuses (jade, onyx, etc...). De nombreuses croyances ou superstitions sont liées aux pierres et à leur (supposé) pouvoir. Elles peuvent protéger (de la maladie, de la mauvaise ivresse...) ou porter bonheur. Chaque pierre est associée à une période de l'année; ainsi un mari volage, lorsqu'il offrait un diamant à son épouse en avril, s'épargnait des scènes de ménage ! [ 1 ]

Les lapidaires étaient aussi parfois appelés cristalliers ou "perriers de pierres natureus". Ils aimaient à se distinguer des "perriers de verre" qui fabriquaient et travaillaient des pierres artificielles.

Cette tradition de taille de pierre se retrouve dans le Nord de l’Ain et le Haut Jura. Elle remonte à une époque où les horlogers catholiques genevois, fuyant la Suisse et le calvinisme à partir du XVIème siècle, s'installent par-delà la frontière. Ils s'étaient installés comme agriculteurs ou éleveurs et, comme pendant les mois d’hiver ils ne pouvaient travailler la terre, ils ont repris leur métier, la taille de pierres. A l'origine, ce métier était utile à la confection des mécanismes des montres. 

Ce "métier" étant un travail temporaire, saisonnier, c'est pourquoi on le trouve associé à d'autres métiers. Dans le cas de Jules Assumel-Lurdin, il est dit "lapidaire" en 1896 (lors d'un recensement) et la même année cultivateur (sur sa fiche militaire).

C’est donc une activité annexe au travail de la terre, un précieux complément de ressource, qui s’inscrit parfaitement dans la petite industrie de montagne que l’on pratiquait à domicile à l'époque. Ce métier ne nécessite pas d’outillage très important (on peut s’installer dans la cuisine par exemple), ni une grande force; c’est pourquoi les femmes exercent ce métier couramment. C'est le cas de Marie Gros, donc, en 1916. On utilise alors un simple établi avec une grande roue (mesurant de 40 à 50 cm) entraînée par une courroie une meule de bronze (pour la taille) ou de carborundum (pour le polissage). Avec sa main gauche, l’ouvrier fait tourner la grande roue qui entraîne la meule. 


Lapidaire, D. Chatry

Si la taille des pierres précieuses (émeraude, rubis, saphir, topaze) est assez bien rémunérée (environ 15 francs/jour), celle des pierres synthétiques (strass) l’est environ dix fois moins. L’une et l’autre de ces activités sont néanmoins vues comme pénibles, voire dangereuses pour la santé à cause des poussières dégagées par les meules.


En 1901 Jules est dit "patron" (dans les listes de recensement) et il semble employer - uniquement - son jeune frère, de six ans son cadet (bien que le prénom du patron ne soit pas cité, mais on ne retrouve pas d’autre employé l’ayant comme patron dans la commune). Cet accès au "patronat" ne signifie pas forcément qu’on soit passé à une échelle plus "industrielle" (utilisant une force hydraulique comme force motrice) : les "lapidaires en chambre" employaient parfois plusieurs personnes. 

Plus tard, Jules sera dit cultivateur (1896, 1902) et scieur (1905, 1906) avant de devenir, d'une façon plus durable, garde forestier (à partir de 1905). Mais ça, c'est une autre histoire...


[ 1 ] G. Boutet : La France en héritage, éd. Omnibus