« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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lundi 3 mars 2014

Adopté par la Nation

Dans la marge de l'acte de naissance de Daniel Augustin Astié , né le 12/6/1913, il est porté la mention suivante : "Adopté par la Nation suivant le jugement du tribunal civil d'Angers en date du 4/12/1930."

Aux archives départementales du Maine et Loire, on retrouve sa fiche individuelle : Le 4 décembre 1930, Daniel Augustin
Astié est "Adopté par la Nation". Il a alors 17 ans.

Fiche individuelle Astié D. A., coll. personnelle

Sans avoir fait de recherches sur ce domaine, je pensais que les pupilles étaient les enfants des morts pour la France. Or je savais que son père, Augustin, était revenu du premier conflit mondial. Alors comment est-ce possible ?

En fait les pupilles de la Nation sont des enfants des "victimes de guerre" au sens large, adoptés par la Nation (loi du 27 juillet 1917). Ils bénéficient d'une tutelle particulière de l'Etat, soutien et protection jusqu'à leur majorité. Les pupilles de la Nation sont des mineurs, orphelins de guerre ou assimilés, ou encore des enfants victimes civiles d'un conflit. Ce sont des enfants dont le père, la mère ou le soutien de famille est décédé au cours de la guerre, ou encore d'une victime civile tuée par l'ennemi sans être soldat. Ce sont aussi des mineurs dont le père, la mère ou le soutien de famille est dans l'incapacité de travailler à cause de blessures ou de maladies contactées au cours de la guerre.

Au lendemain de la Première guerre mondiale, les gouvernants se sont émus de l'hécatombe meurtrière qui fit plusieurs millions de victimes à travers la France. Parmi ces victimes, nombreux furent les enfants qui virent leur vie basculer parce que le père était resté au front. Les mères durent aller "gagner leur pain". L'absence d'hommes les ont contraintes à se débrouiller pour élever les enfants. La loi du 27 juillet 1917 accordent le titre de pupilles de la Nation aux enfants des parents "les plus méritants". Il y a ensuite une extension de la définition de cette qualité.

Près d'un million d'enfants sont concernés suite à la guerre de 1914-1918, 300 000 pour la guerre de 1939-1945, et d'autres encore pour l'Indochine et la guerre en Algérie. Sans oublier les enfants des soldats des opérations extérieures, des gendarmes, des CRS et des pompiers.
La loi de 1917, sans égale en Europe, est une politique nouvelle, relayant le rôle joué par les associations pendant le conflit. La puissance étatique prend le relais de l'action privée.


Les dossiers individuels des pupilles de la Nation sont gérés par l'Office départemental des anciens combattants. L'office national des anciens combattants a été créé en 1926 par la fusion de l'office national des pupilles de la Nation et de l'office national des mutilés. La communicabilité est fixée à 60 ans à compter de la date de clôture du dossier.

L'adoption est prononcée par les tribunaux de première instance, puis, à partir de 1959, par les tribunaux de grande instance. Les offices départementaux sont chargés de gérer le versement des aides, de l'accompagnement, de la surveillance, des placements et des conseils de tutelle. Le travail manuel, les vertus d'économie, d'épargne et de labeur sont fortement encouragés. Le bilan est très mitigé : le nombre élevé de malades, de décès précoces chez les pupilles révèle des conditions de vie extrêmement difficile et un état de grande pauvreté. Peu d'entre eux ont franchi le cap de l'enseignement secondaire.
 

Il faut signaler que l'administration ne demande pas d'indiquer le nom de la mère, mais seulement de répondre à la question « est-elle vivante ? ». Pour les autorités de l'époque, seul le père possède l'autorité parentale et lorsque ce dernier décède, l'administration préfère confier la tutelle de l'enfant à un membre masculin de la famille plutôt qu'à la mère. C'est sous la pression des autorités religieuses et par l'intermédiaire de leur représentant au sein des commissions que la mère se voit confier la tutelle. Etonnant terrain de conflit entre l'Etat et l'église, une quinzaine d'années après la loi de séparation de 1905.

Cette adoption apporte des aides :

a) En matière d'entretien et d'éducation, l'ONACVG (Office National des Anciens Combattants et des Victimes de Guerre)  accorde, en complément des aides du droit commun (allocations familiales, bourses d'études) et chaque fois que la situation le requiert des subventions aux pupilles de la Nation :

• Subventions d’entretien destinées à assurer les besoins de base de l’enfant (garde, habillement, nourriture, loisirs) versées si nécessaire dès la naissance ;
• Subventions pour frais de maladie, de cure, de soins médicaux en complément des prestations de la sécurité sociale et de l'aide médicale gratuite (prise en charge des frais d'optique, de traitements  d’orthodontie etc . . . ) ;
• Subventions de vacances ;
• Subventions d'études qui peuvent être renouvelées jusqu'au terme des études supérieures dès lors qu'elles sont entreprises avant 21 ans. A cet égard, il faut souligner que les pupilles de la Nation sont, de plein droit, exonérés du paiement des droits de scolarité dans les universités ;
• Subventions pour les projets des pupilles entrés dans la vie active avant 21 ans.


b) En matière d'emploi :


• Subventions d’aide à la recherche d'un premier emploi ;
• Possibilité de prise en charge des formations dispensées par les neuf écoles de reconversion professionnelle de l'ONACVG ou par d’autres organismes de formation professionnelle;
• Octroi par l’ONACVG de prêts d'installation professionnelle, cumulables avec des prêts de première installation. Sans intérêt, remboursables sur des délais pouvant couvrir 3 années, avec une franchise de 3 mois, ces prêts de 3.000 euros permettent de favoriser une installation professionnelle ;
• Les pupilles de la Nation et les orphelins de guerre, quel que soit leur âge, bénéficient du recrutement par la voie des emplois réservés dans les administrations, les collectivités locales, les établissements publics qui leur sont rattachés et les hôpitaux publics ;
• Les orphelins de guerre âgés de moins de 21 ans bénéficient de l'obligation faite aux employeurs  de droit public ou privé occupant au moins vingt salariés de compter, dans la proportion de 6 % de l'effectif total, des travailleurs handicapés, des mutilés de guerre et assimilés.


c) En matière de fiscalité :

• Tous les actes ou pièces ayant exclusivement pour objet la protection des pupilles de la Nation sont dispensés du timbre. Ils doivent être enregistrés gratuitement s'ils sont soumis à cette formalité ;
• Lorsque les pupilles de la Nation ont été adoptés par une personne physique, les transmissions à titre gratuit (dons et legs) faites en leur faveur par l’adoptant bénéficient des droits applicables en ligne directe et de l’abattement prévu à l’article 779 du code général des impôts, même en cas d’adoption simple ;
• De même, les dons et legs consentis aux pupilles de la Nation bénéficient du régime fiscal des mutations à titre gratuit en ligne directe lorsque le donateur ou le défunt a pourvu à leur entretien pendant cinq ans au moins au cours de leur minorité ;
• Les successions des personnes décédées du fait d'actes de terrorisme ou des conséquences directes de ces actes dans un délai de trois ans à compter de ceux-ci, ou de faits de guerre dans un délai de trois ans après la cessation des hostilités ou le fait générateur du droit, sont exonérées des droits de mutation.
 

Les  orphelins de guerre et les pupilles de la Nation devenus adultes demeurent à vie ressortissants de l’ONACVG et continuent à bénéficier du soutien moral et matériel de l’Office à l’instar de l’ensemble de ses ressortissants.
En Maine et Loire, il n'y a que les fiches individuelles qui sont conservées (aux archives départementales); Les dossiers individuels ont été autrefois détruits par les services des Anciens Combattants et ne sont plus, aujourd'hui, conservés.

La fiches individuelle de Daniel nous apprend que le motif de l'adoption est une blessure de son père Augustin ayant entraîné une invalidité à 15%. Son représentant légal est son père, survivant au conflit mondial. Il entre donc dans les clauses suivantes : incapacité à travailler suite à des blessures de guerre. Si un jour je trouve la fiche militaire d'Augustin, peut-être en apprendrai-je davantage sur ses blessures.

Concrètement, on ignore quel soutient a eu Daniel suite à cette adoption par la Nation en matière d'éducation, d'emploi ou de fiscalité. Le dossier complet ayant été détruit, il est peu probable que nous en sachions davantage un jour sur ce sujet.

Daniel Augustin Astié était mon grand-père. Il nous a quitté en 2001.


(Sources : AD37 et ONACVG)