« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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samedi 7 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre G

CHAPITRE G

"Gare aux intox..."

 

Gare aux intox ! De toute évidence, le dossier n’était pas complet : il me fallait donc repartir à la source et chercher les documents manquants. Je commençai par explorer le site des archives en ligne puis décidai finalement de m’adresser directement aux archivistes sur place.
- Bon, faisons un mail, Sosa, ce sera peut-être plus facile… A qui ? Ben à celui ou celle qui voudra le lire ! 

J’y expliquai la singulière situation dans laquelle je me trouvai, ayant soudain hérité d’un ancêtre assassin. J’espérai que dans le service concerné quelqu’un s’intéresserait à mon histoire et voudrait bien se pencher sur ce cas avec moi. 

En attendant une hypothétique réponse, je me replongeai dans la vie d’Henri. Plus j’en saurai sur lui, plus je serais (peut-être) capable d’expliquer son geste. J’explorai deux pistes : son enfance et ses relations sociales à l’âge adulte. 

Pour son enfance je relisais mes notes : je ne lui avais trouvé qu’un frère, de 7 ans son aîné. Deux enfants c’est peu. Peut-être pour compenser, sa mère accueillait des enfants en nourrice. C’est du moins l’hypothèse que j’avais émise, même si le métier de « nourrice » n’apparaissait jamais en tant que tel. Les enfants du domicile changeaient à chaque recensement : Croisy Gaston (8 mois) et Janvoile Louis (4 mois) en 1891 ; Dangues Marcel (3 ans), Dangues Léontine (2 ans) et Guilmet Lucienne (6 mois) en 1896 ; sa nièce Gibert Lucie (âgée de 11 ans; tiens ? Pourquoi sa nièce habite-t-elle là et pas avec ses parents ?), Guilmet Andrée (4 ans) et Longchamps Henriette (7 mois) en 1901. De cette longue liste je n’avais réussi à identifier que Gaston Croisy, et encore : les raisons de son placement demeuraient mystérieuses. 

Le père d’Henri (Théodore) était charretier. Il avait d’abord travaillé pour Abel Leblanc puis pour Houbé. Abel Leblanc était le propriétaire du château de Bessy et il employait un grand nombre de gens à Tigeaux, comme le montraient les recensements. Novateur, il fit électrifier la ferme de Bessy et son château, en 1901, grâce au moulin de Serbonne qui fut l’un des premiers à recevoir ce genre d’équipement en Seine-et-Marne.
- Tiens ! Serbonne ! Sosa, j’en ai des ancêtres qui ont vécu à Serbonne… Mais c’était au XVII et XVIIIème siècles. Ils n’ont pas connu cette période. Je suis curieuse de voir ce château de Bessy... à quoi ça ressemble… Oh ! Dommage : le château et la ferme sont tombés en ruines faute d’entretien. Alors, revenons à nos moutons… 

Derrière le second employeur de Théodore Macréau et employeur d’Henri lui-même, Houbé, se cachait une véritable dynastie : tantôt qualifiés de tuiliers, tantôt d’industriels ou fabricants de tuiles, Houbé père et fils étaient les propriétaires des trois usines de tuiles et briques de Mortcerf. Le parallèle était amusant : les Houbé père et fils étaient propriétaires de la briqueterie et employaient les Macréau père et fils comme charretier.
- De génération en génération… me murmurai-je pour moi-même. 

Selon la monographie de Mortcerf figurant sur le site des archives départementales, rédigée dans les années 1880, "ces établissements ont été fondés au siècle dernier et ont acquis dans ces dernières années une grande extension par l'installation de fours et par la subdivision de la houille au bois dans la cuisson des produits. Elle occupe dans la saison d'été environ 80 ouvriers."
- Allons voir ça… La tuilerie de Mortcerf… Oh ! Ça alors, Sosa : une carte postale de la tuilerie signée Houbé ! C’est fou ce qu’on trouve sur le Net de nos jours. 



Les relations d’Henri, hors du cadre familial qu’il fréquentait, étaient charretier, cantonnier, garde champêtre, cultivateur. Des hommes de sa génération, amis ou voisins, de son milieu social. Tous étaient suffisamment instruits pour savoir signer les actes d’état civil pour lesquels ils étaient témoins. Je me perdis dans les méandres du net, un résultat en appelant un autre. Lorsque j’atteignis le détail du dossier de légion d’honneur d’Eugène Houbé sur le site de la base Léonore, plusieurs jours avaient passé et je me dis qu’il était temps de me recentrer sur mes recherches premières. 

Je commençai à avoir une idée un peu plus précise du cadre dans lequel évoluait Henri, ses proches, son environnement. Quelques familles puissantes possédaient les richesses (économiques, foncières) et employaient les mêmes familles, de génération en génération. Seule la Première Guerre Mondiale brisera cet équilibre qui ne bougeait que fort peu depuis des décennies. 

Enfin je reçu un mail des archives, signé Charlotte Paulé. C’était vraiment étonnant car une de mes ancêtres se nommait également Charlotte Paulé, même si elle avait vécu 250 ans avant celle-ci. Fallait-il y voir un signe ? En tout cas la Charlotte du temps présent m’invitait à la contacter car le résultat de sa recherche était pour le moins curieux. Aussitôt je composai son numéro. Elle répondit tout de suite et m’informa qu’elle avait cherché la trace d’Henri dans les archives judiciaires
- Mais je n’ai rien trouvé.
- Rien trouvé ?
- Aucun dossier référencé à son nom, à l’affaire de Mortcerf ou au nom de son épouse.
- Mais, est-ce normal ?
- Non justement ! Enfin ça pourrait l’être si le dossier n’avait pas été versé aux archives départementales, mais j’ai fait appel à la bande : ni aux archives nationales ni aux archives municipales de Meaux ou Melun on ne trouve la trace de cette affaire.
- Et au tribunal peut-être ? Y aurait-il quelque chose ?
- Là aussi j’ai fait jouer mon réseau. J’ai pris contact avec un greffier de ma connaissance. Il se renseigne pour moi. Je repris espoir et eus une pensée de gratitude envers cette chaîne de solidarité qui se mettait en place. Même pour un mobile quelque peu funeste, il y avait toujours des gens pour vous aider. C’est ce que j’aimai dans ce milieu. Charlotte reprit :
- J’ai aussi contacté Alcide.
- Qui ?
- Alcide Bodin : c’est le Président de l’association généalogique locale. Il aura sans doute entendu parler de cette affaire car il a épluché tous les registres plusieurs fois ! A tel point qu’il habite presque ici, aux archives ! Cependant cette semaine il n’est pas là. C’est pas de chance. Je n’ai pas réussi à le contacter pour le moment, mais il ne devrait pas tarder à montrer le bout de son nez. Il suffit d’attendre un peu. Attendre, oui, bien sûr. Tout est affaire de patience en généalogie.
- Dites… ?
- Oui ?
- Cette histoire, elle a piqué ma curiosité. Vous allez continuer vos recherches, n’est-ce pas ?
- Oui. Même si ce que je découvre n’aura certainement rien de plaisant, je veux savoir ce qui est arrivé à mon ancêtre Henri et à sa femme Ursule.
Charlotte laissa passer un instant et reprit :
- Tant mieux ! J’avais peur que vous vous arrêtiez là.
- ???
- Oui, parce que… Moi aussi j’aimerai bien savoir. Ça vous ennuie de me tenir au courant de vos découvertes ? Et bien sûr, moi aussi je vous ferai part de ce que je trouverai… si vous m’autorisez à poursuivre les recherches…
- Bien sûr ! 

La conversation se termina sur nos promesses mutuelles de tenir l’autre au courant dès qu’il y aurait du nouveau. Assise à mon bureau, ce soir là, je contemplai mes photos de famille dans le vieil album que j’avais sorti. Je regardai ces fragments de vie bien rangés devant moi, sans vraiment être capable de me projeter dans les histoires qu’elles me racontaient. Pour la première fois, feuilleter cet album commencé par mon grand-père me rendait triste… Alors qu’il m’avait si souvent réconfortée par le passé.  



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