« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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jeudi 30 janvier 2025

Zélia - origine d'un prénom

Cet article est né de l’interrogation de ma petite-nièce Zélia, née en 1994, désirant en savoir plus sur le prénom qu’elle partage avec son ancêtre à la 6ème génération, Marie Antoinette Zélia Berrod, née en 1844.

 

Zélia est une variante de Zélie, elle-même étant un diminutif de l'ancienne forme du prénom Solène, qui s'écrivait Zéline, venant du latin « solemnis », signifiant « solennel ».

Sainte Solène était une chrétienne d’Aquitaine au IIIe siècle. Lors de l’invasion des troupes de l’empereur Dèce, elle fut emprisonnée après son refus de renier sa foi. Elle fut ensuite martyrisée à Chartres.

On fête les Zélie/Zélia le 17 octobre.

 

On compte deux périodes où le prénom Zélia a été le plus populaire : 1844/1905 et 1993/2016 (ce qui correspond exactement à nos deux Zélia familiales).

Aujourd’hui c’est un prénom très rare (seulement 49 Zélia née en 2023 en France).

 

Marie Antoinette Zélia Berrod est née à Montanges (01) en 1844, deuxième d’une fratrie de quatre. Son père était instituteur primaire. Les témoins de sa naissance sont un oncle (Claude Antoine Pernod) et un cousin éloigné (Antoine Gras).

A 22 ans, Zélia se marie au Poizat avec François Assumel-Lurdin, un cultivateur de la commune (son oncle Pernod est encore présent lors de cet événement, ce qui laisse à penser qu’il est proche de sa nièce). Le couple aura 5 enfants, dont Jules Assumel Lurdin (voir ici).

 

Mouchoir brodé au chiffre de Zélia Berrod
Mouchoir brodé au chiffre de Zélia Berrod © coll. personnelle

Zélia et François sont d’abord cultivateurs puis meuniers : Zélia hérite en effet du Moulin Meunant (commune du Poizat) en 1886 de sa tante maternelle, Jeanne Beroud et son époux Claude Antoine Pernod (couple resté sans descendance), signe probable de l’attachement de l’oncle à sa nièce. D’après les recensements elle y demeure au moins entre 1896 et 1911 (et sans doute dès 1886, mais des lacunes antérieures nous empêchent de le confirmer).

 

Moulin Meunant, Le Poizat © coll. personnelle

Aujourd’hui le Moulin Meunant est un gîte ouvert à la location.

L'époux de Zélia meurt en 1897. Leur fils François Émilien lui succède au moulin, transformé en scierie en 1901. De 1901 à 1916 Zélia vit avec son fils, toujours au moulin, mais elle est dite cultivatrice (et patronne). 

Zélia quitte le moulin, peut-être après la Première Guerre Mondiale, pour une petite maison dans le village du Poizat : d’après le recensement, elle y habite avec l’une de ses petites-filles, Suzanne, en 1921, tandis que le père de la fillette, Joseph Eugène, a été nommé facteur dans une commune voisine (veuf, il ne pouvait sans doute pas s’occuper de sa fille).

Après 30 ans de veuvage, Zélia meurt en 1923 au Poizat, âgée de 79 ans.


Selon les actes son prénom est orthographié Zéliaz (terminaison courante dans l’arc savoyard*) ou Zélie. Née Marie Antoinette Zéliaz, elle a Zélia comme unique prénom dans un certain nombre de documents, ainsi que sur sa tombe, ce qui laisse à penser que c'était son prénom d'usage.

 

Plaque tombe Zélia Berrod
Tombe de Zélia, détail © coll. personnelle

 

D’où vient ce prénom original que portait notre ancêtre ?

 

Dans son entourage il y a peu de Zélia : à Montanges (786 habitants en 1846), à la même époque, notre Zélia est la seule à porter ce prénom. Mais on trouve plusieurs Zélie :
- une demi-douzaine nées entre 1848 et 1890 (dont deux sœurs, la première étant décédée en bas âge et dont le témoin de naissance était le propre père de notre Zélia).
- trois mariées entre 1866 et 1869 (dont deux originaires de la paroisse voisine de Champfromier).

A Lalleyriat (445 habitants en 1866), deux Zélie sont nées entre 1852 et 1879.

Au Poizat (commune détachée de Lalleyriat en 1828, 681 habitants en 1866), trois autres Zélia ont été dénombrées :
- une petite fille née en 1865 et décédée en 1871, dont le témoin de naissance est probablement l’oncle de François Assumel Lurdin (Simon).
- une autre née en 1879 (décédée à Nantua en 1962), dont le témoin de naissance est François Assumel Lurdin lui-même.
- la dernière Zélie est née en 1911 : c’est la petite-fille de notre Zélia (fille de Joseph Eugène) : Suzanne Zélie Augustine (avec qui elle demeure en 1921).

Aucune Zélie/Zélia n’a donc été repérée avant la naissance de notre Zélia.

 

Toutes ces Zélie/Zélia portent ce prénom associé à d’autres (souvent Marie, n°1 des prénoms féminins toutes époques et régions confondues). L’ordre des prénoms a peu d’importance puisque le prénom utilisé tous les jours (le « prénom d’usage ») peut être n’importe lequel, comme on le verra plus bas.

 

Décerner un prénom n’est pas un geste anodin et obéit à des règles et usages bien précis, reflet des conditions sociales, religieuses, politiques ou idéologiques pesant sur les individus ou les groupes sociaux.

 

Sous l’Ancien Régime, les parents de l’enfant n’interviennent pas, ou peu, dans le choix du prénom. Ce rôle revient le plus souvent aux parrains et marraines. Ces derniers transmettent majoritairement leurs propres prénoms (pour 90 à 95% des enfants).

Avant la Révolution, le choix du prénom est aussi strictement contrôlé par l’Église qui doit donner son approbation et interdit en principe tout prénom non présent dans le martyrologe chrétien. Le catéchisme recommande de donner à un enfant « un nom qui doit être celui de quelqu’un qui ait mérité, par l’excellence de sa piété et de sa fidélité pour Dieu, d’être mis au nombre des saints, afin que par la ressemblance du nom qu’il a avec lui il puisse être excité davantage à imiter sa vertu et sa sainteté ».

 

Sous l’Ancien Régime, ce sont les actes paroissiaux qui nous guident dans notre généalogie : ce sont donc des actes religieux, où sont mentionnés les parrains et marraines. On peut donc ainsi facilement vérifier, ou non, le modèle dominant d’attribution de prénom parrain/filleul. Mais après la Révolution on utilise désormais les actes d’état civil : ce sont des actes laïcs où ne figurent plus les parrains et marraines (seulement des témoins, souvent des hommes). La question de la transmission des prénoms devient plus délicate à déterminer.

 

Dans les rares cas où le prénom de l’enfant n’est pas celui du parrain, d’autres usages de transmission du prénom existent, déterminés par la sphère psychologique et familiale : les aînés des enfants reçoivent les prénoms de leurs grands-parents, les cadets ceux des oncles et tantes et les benjamins quant à eux peuvent porter les prénoms des enfants aînés, de cousins ou de personnes étrangères. En effet, il existait un véritable souci, plus ou moins conscient, de préserver les prénoms de la lignée et également de faire « revivre » un proche récemment disparu (c’est ainsi que plusieurs enfants de la même fratrie peuvent porter le même prénom).

 

La Révolution remet en cause le modèle dominant du choix de prénom par l’introduction de l’état civil laïc, qui rend le baptême facultatif (2 à 5% des enfants ne sont plus baptisés). Il dissocie également l’acte administratif de l’acte religieux, accentuant le relâchement des réseaux familiaux. On observe par ailleurs dans la société un désir d’individualisation, qui se concrétise dans le choix de prénoms hors références religieuses ou familiales classiques. Au contraire, le besoin d’identification et d’intégration au groupe social, matérialisé par les prénoms empruntés aux parents ou aux parrains/marraines, régresse.

 

Un prénom est alors considéré comme « librement choisi » lorsqu’il relève d’un principe de transmission n’étant emprunté ni aux parents, ni aux parrains de l’enfant. Lorsque ce prénom est choisi hors de tout héritage familial, il marque une prise de liberté significative à l’égard du système.

 

Dans le cas qui nous occupe, il semble qu’il n’y avait pas de Zélia dans l’entourage proche de la famille qui aurait pu donner son prénom à notre ancêtre.

 

Avant la Révolution, deux filles sur trois s’appellent Marie. Ce prénom figure le plus souvent en première position, mais sa disparition progressive dans les actes montre qu’il est peu utilisé comme prénom usuel. Son choix n’est sans doute pas motivé par un attachement particulier au culte marial mais plutôt comme une simple habitude, symbole de l’intégration de l’enfant à la communauté des chrétiens.

La répartition des prénoms masculins obéit au même phénomène majoritaire quoique de manière légèrement atténuée : Jean y prédomine, mais moins largement que Marie pour les filles.

 

Si la Révolution marque un changement significatif dans le choix des prénoms, il est sans doute excessif de parler d’un bouleversement ou d’un renouvellement complet du système de nomination des enfants. On constate une coexistence entre des habitudes anciennes, en recul mais néanmoins persistantes, et des attitudes nouvelles, qui progressent sans encore s’imposer totalement. Les modes de transmission traditionnels perdent néanmoins leur caractère obligatoire et laissent de plus en plus de place à la diversité, à la nouveauté et à l’originalité Le rôle croissant des prénoms choisis hors des modes de transmission traditionnels, attestent d’une liberté accrue dans le choix des familles.

Bien qu’elle ne soit pas la seule responsable, il ne faut pas pour autant mésestimer le rôle de la Révolution dans ces évolutions : par la laïcisation de l’état civil, l’affaiblissement du contrôle religieux sur les familles et la déchristianisation de la société, elle a créé des conditions favorables au développement de ce processus, et l’a peut-être accéléré.

Alors que le curé veillait à ce que le choix des prénoms soit conforme aux règles fixées par l’Église, l’officier civil n’exerce en principe aucune pression. Les parents disposent ainsi d’une entière liberté de choix, qui ne peut être atténuée que par des obligations voulues ou consenties par eux-mêmes : engagements moraux, exigences religieuses, relations familiales ou pressions de l’entourage, par exemple. Le choix des prénoms peut alors exprimer autre chose que l’attachement religieux : engagement révolutionnaire, admiration pour des personnages illustres, amour de la nature, goût de l’antique, ou tout simplement adhésion aux phénomènes de mode.

 

Sous l’effet du contexte politique et de l’ambiance culturelle, le système de références anciennes se délite. Les familles peuvent alors se permettent de choisir les prénoms de leurs enfants dans de nouvelles sources d’inspiration, parfois même d’exprimer une inventivité tout à fait inédite.

 

Tout d’abord, les parents ont tendance à s’éloigner de plus en plus des usages d’identification (familiale, religieuse) pour ceux de l’individualisation. Il ne s’agit plus de marquer les liens de l’enfant avec son ascendance, sa famille, mais au contraire de le distinguer au sein de ce groupe et, au-delà, de l’ensemble de la société. La première conséquence de ces nouveaux usages est l’élargissement exceptionnel du stock des prénoms.

 

Selon certaines études** on constate une augmentation de 75% du stock de prénoms en cinquante ans. La progression est constante, au moins jusqu’au milieu du XIXème siècle, avec un pic en 1790- 1794 dû notamment à l’enrichissement temporaire du corpus par les prénoms républicains, et qui affecte davantage les prénoms masculins. Après cette parenthèse révolutionnaire, ce sont les prénoms féminins qui sont en constante progression.

 

La part des principaux prénoms donnés avant la Révolution décroît constamment. Pour les prénoms féminins, les transformations sont particulièrement notables. Marie perd en cinquante ans 60 % de son influence. Si Louise et Françoise conservent une audience constante, c’est sans doute lié au retour à la mode du prénom Louis (compte tenu du contexte politique) pour la première et par la reconversion en prénom à connotation patriotique à partir de la Révolution pour la seconde. Ensuite, la liste varie d’une période à l’autre, en fonction des reculs (Jeanne, Madeleine) et des progressions (Joséphine, Augustine, Virginie).

Les prénoms à forte connotation religieuse sont les plus touchés par les effets de l’accroissement du corpus de prénoms et de sa diversification. Jean et Marie (les prénoms les plus donnés avant la Révolution) connaissent un recul spectaculaire. Anne et Jean Baptiste suivent cette tendance tout comme, bien qu’à une moindre échelle, les noms des archanges (Michel, Gabriel), des évangélistes (Mathieu) ou des saints patrons des paroisses. L’influence de la Révolution paraît ici déterminante : elle accentue le recul de l’emprise religieuse sur la vie familiale et augmente l’attrait de nouvelles sources d’inspiration. Celui-ci est stimulé par le contexte idéologique, le développement de la vie culturelle, ainsi que l’ouverture des villages sur l’extérieur, la circulation des hommes, des informations et des idées.

 

Peu de prénoms disparaissent complètement : ce sont essentiellement ceux qui s’inspirent des papes, évêques ou abbés, dont la notoriété est récente et semble plus fragile que celles des saints et martyrs traditionnels. Par contre, beaucoup de références totalement nouvelles apparaissent. On l’observe davantage chez les filles que chez les garçons. Certains prénoms sont donnés selon un phénomène de mode, au début du siècle, puis s’inscrivent durablement dans les habitudes. C’est le cas par exemple de Virginie, Caroline, Augustine, Clémence ou Élisa pour les filles, Alphonse, Adolphe, Eugène ou Jules pour les garçons. Cependant nombre de ces nouveaux prénoms gardent une occurrence modeste et limitée dans le temps. Ce qui laisse à penser qu’ils n’ont pas vocation à être transmis ni à identifier les individus, mais au contraire à singulariser ceux et celles qui les ont reçus. Ce qui se confirme par leur présence fréquente en deuxième ou troisième position.

 

Les nouveaux prénoms masculins sont en majorité des noms de saints, donc parfaitement acceptables par l’Église. Ils s’inspirent de références nouvelles à l’Antiquité (Flavien, Cassien, Fabius), au Moyen Âge (Arnould, Geoffroy, Olivier) ou à des influences étrangères (Gustave, Édouard, Stanislas). Dans une recherche d’originalité plus poussée, on puise dans les noms de saints rares ou à la consonance inhabituelle, comme Agoard, Aglibert, Badilon ou Philéas. Nettement minoritaires, les prénoms non présents dans le martyrologe chrétien ont des origines diverses : des références antiques (Achille, Ulysse, Polynice) comme des influences étrangères (Jesse, Koenig) ou des prénoms construits à partir de qualificatifs (Désiré, Fortuné).

Pour les filles, le phénomène est très différent. Certaines nouveautés sont en fait des prénoms anciens momentanément inutilisés (Adèle, Barbe, Luce par exemple) remis au goût du jour.

Mais surtout une large majorité de prénom féminin apparaît comme de véritables créations et présentent des caractères originaux. On voit ainsi d’anciens diminutifs, tels que Jeannette, Annette ou Nanette, donnés comme véritables prénoms. Les variantes se multiplient : Élisabeth donne Élisa, Élise, Lisa, ou Lise ; à partir de Céline on trouve Célina et Célinie, etc... Mais le fait le plus marquant est la création de prénoms féminins à partir de prénoms masculins déjà existants. Louise, Françoise et Jeanne connaissent un succès grandissant, sans doute lié à celui de Louis, François et Jean, trois des prénoms les plus souvent attribués aux garçons. On n’hésite pas non plus à créer de nouveaux prénoms féminins par l’adjonction d’un suffixe (ie, ine, ette) aux prénoms masculins. Ainsi apparaissent les Albertine, Pascaline, Sébastienne, Ambroisie, Guillaumette, etc… Dans ces nouveaux prénoms féminins, on retrouve souvent les mêmes sources d’inspiration que pour les garçons : l’Antiquité (Ida, Olympe, Palmyre), les qualités morales (Fortunée, Prudente, Prospère), les consonances étrangères (Jenny) souvent teintées d’exotisme (Mélina, Zaïre, Zélia, Zulma).

Plus rarement on retrouve des prénoms d’origine biblique (Esther, Sara). Le retour de certains noms de saintes oubliées semble répondre à un souci d’originalité (Avoye, Basilide) et répond le plus souvent à des sonorités à la mode (comme Adeline, Lussine, Félicie). La progression des terminaisons en ie et ine est constante et régulière au XIXème siècle, sans doute parce que leur sonorité évoque un marqueur de féminité.

L’accroissement du stock des prénoms féminins se fait donc majoritairement en dehors du martyrologe chrétien, par la création de nouveaux prénoms obtenus en modifiant les anciens.

 

Ce caractère étranger ou exotique est marqué par certains sons : des consonnes inhabituelles (k, w ou x par exemple), certaines diphtongues (oa, ia, oé, aé) ou terminaisons (a, ia, y) ou encore les consonnes finales prononcées, comme dans im ou ior par exemple, et plus encore la combinaison de ces divers éléments comme dans Zélia, Zulma, pour les filles, Joachim ou Melchior pour les garçons.

L’utilisation de consonnes sourdes ou sonores, occlusives ou nasales, détermine à l’audition des impressions différentes et suggère des représentations mentales : force, douceur, austérité, sensualité, agressivité par exemple.

 

Le choix de prénoms étrangers au martyrologe chrétien a deux conséquences : une rupture culturelle avec les usages traditionnels et surtout un problème religieux parce que ces prénoms ne sont pas, en principe, autorisés par l’Église. On voit ainsi les curés omettre en nombre ces nouveaux prénoms, les remplacer ou effectuer des corrections orthographiques dans leurs registres paroissiaux. C’est ainsi que Jenny (dans l’état civil) devient Eugénie (sur l’acte de baptême), Héloïse se transforme en Louise, Élisa en Élisabeth. Mais petit à petit l’Église change d’attitude, soucieuse avant tout de conserver la pratique du baptême et la fréquentation du catéchisme, en baisse depuis la Révolution et la déchristianisation de la société. Elle fait donc des concessions à ses paroissiens dans des domaines jugés moins prioritaires comme le choix des prénoms.

 

Néanmoins l’Église n’a pas été aussi sévère à l’égard du choix des prénoms en tout temps et en tous lieux, puisque bien avant la Révolution, certaines personnes ont été baptisées avec des prénoms n’appartenant pas au martyrologe chrétien, notamment inspirés de la mythologie ou de l’histoire antique. César, Pompée, Olympe, Aglaé sont déjà portés parmi les notables de certaines paroisses. Cette rupture envers les usages et les prescriptions de l’Église était cependant assez rare et constituait surtout un privilège unique des classes les plus favorisées. Mais avec la Révolution, le phénomène à tendance à s’amplifier, et surtout à s’étendre à toutes les classes sociales.

 

Donner à son enfant le prénom du roi ou d’un membre de sa famille ne doit pas forcément être considéré comme un acte d’allégeance ou d’adhésion au principe de la monarchie. Il ne faut pas oublier la familiarité avec des prénoms souvent entendus et généralement respectés, et le fait que le roi et sa famille constituent, de par leur fonction même, une « référence » : l’attribution d’un prénom appartenant aux personnages les plus hauts placés peut être de bon augure pour l’enfant qu’on baptise (tout comme lorsque l’on donne à l’enfant le prénom d’un saint pour le mettre sous sa protection).

Louis est le nom des rois de France depuis le début du XVIIIème siècle (sans compter les périodes précédentes). À l’attrait qu’il présente à ce titre s’ajoute l’usage lié à la transmission du prénom par les parents et parrains depuis plusieurs générations. À la veille de la Révolution il est l’un des prénoms les plus attribués (10% des garçons). Contre toute attente, la Révolution n’affaiblit pas son audience.

Le prénom Marie Antoinette n’a pas connu un succès comparable (environ 1% des prénoms attribués). C’est sans doute dû au fait que ce prénom est moins ancré dans la tradition que Louis et à cause de la forte impopularité de la reine dans l’ensemble du pays. Néanmoins, comme pour Louis, le fait de donner ce prénom n’est pas forcément à considérer comme un signe d’attachement à la monarchie. A l’inverse, on peut envisager que la disparition du couple royal, et la rupture de la Révolution, aient levé toute ambiguïté liée à ces prénoms et les ait débarrassés de leur connotation politique, ce qui a permis de les donner plus facilement, sans crainte ni arrière-pensée.

Est-ce que c'est ce qu'a pensé le père de Marie Antoinette Zélia lorsqu'il lui a attribué ces prénom ? Difficile à dire. Mais d'une manière générale, il semble que ce ne soit pas l’attachement aux souverains, et aux personnalités politiques de premier plan en général, ou à leur fonction et action, qui suscitent l’attribution de prénoms. Simplement, leur notoriété contribue à faire connaître les prénoms qu’ils portent. Chacun a la possibilité de les utiliser ou non, en dehors de tout usage ou pression traditionnelle.

 

L’emprunt des prénoms au monde littéraire et artistique est difficile à cerner. Les choix d’attribution d’un prénom n’étant jamais explicités, on ne peut qu’émettre des hypothèses. La relation entre l’œuvre et le donneur du prénom n’est jamais prouvée. On peut appeler son fils Adolphe sans avoir lu le roman de Benjamin Constant, ni même en connaître l’existence.

 

Le XIXème siècle voit aussi un phénomène en croissance constante : l’attribution des prénoms multiples. Il se fait notamment par imitation des élites du pays. Si l’attribution de trois prénoms est de plus en plus courante, on peut donner jusqu’à cinq prénoms ou plus à l’enfant. Dans cette multiplication de prénoms, il n’est pas rare de conserver au moins un prénom à connotation religieuse, en premier ou second prénom. Le premier prénom est généralement donné par les parents, librement choisi. Toutefois il ne remplace pas entièrement les usages anciens mais s’y ajoute : les deux autres prénoms continuent à être donné par le parrain et la marraine. Dans cette optique, il n’est pas étonnant de voir que notre ancêtre se nommait Marie Antoinette Zélia (3 prénoms). Antoine pourrait être son parrain (on se rappelle que Claude Antoine Pernod était très proche de Zélia : il était probablement son parrain, même si seul son acte de baptême pourrait le confirmer).

 

Bien qu’ayant des prénoms multiples, la personne était généralement désignée sous un seul prénom, le « prénom d’usage » : ce peut être avant tout l’un des prénoms de baptême, en général le deuxième ou troisième prénom. En effet, Marie, souvent placée en première position chez les filles, n’est pas utilisé, tandis que les autres prénoms permettent une meilleure identification de la personne (comme pour notre Zélia).

Mais ces prénoms de baptême ne sont pas toujours utilisés pour désigner un individu. Ainsi, dans notre famille, la tante Henriette (1891/1985) se prénommait en fait Célestine, mais ses patrons ne souhaitant pas se fatiguer à retenir le prénom de leur domestique l’ont « renommée » Henriette (la servante précédente), prénom d’usage qu’elle a conservé toute sa vie. De même un individu peut modifier de lui-même son appellation. C’est là un phénomène lié à la personnalité de chaque individu. Ainsi une personne qui déteste son prénom peut en choisir un autre dans son usage quotidien ou le faire modifier de façon officielle.

 

 

Si on ignore d’où vient ce prénom de Zélia (aucune personne proche portant ce prénom original n’ayant été identifiée), on peut sans doute penser que son père ait été inspiré par les nouvelles modes soufflées par la Révolution pour donner ce prénom à sa fille : changement d’influences, élargissement du corpus de prénom, goût de l’originalité et de l’individualisation. L’enfant a donc reçu les prénoms de Marie (perpétuation des usages du prénom religieux, en première position), prénom vraisemblablement donné par le parrain en deuxième position (Antoinette, féminisation du prénom masculin Antoine) et prénom exotique, nouvel usage devenu à la mode en dernier lieu (Zélia).

On notera par ailleurs que les deux frères de notre Zélia se nomment Ildefonce François Marie (le premier étant décédé avant la naissance du second) et sa sœur Marie Alphoncine ; tous des prénoms déterminés par les mêmes usages de dénomination post-révolutionnaires.

 

Enfin notre Zélia, si elle n’a pas hérité son prénom d’une autre, a sans doute influencé à son tour l’attribution du prénom Zélia aux jeunes filles qui le portent au Poizat après elle.

 

Quant à ma petite nièce, il faudrait demander à sa mère pourquoi elle lui a attribué ce prénom ! 😉

 

 

* La terminaison en -az ou -oz est courante dans l’arc savoyard. Ce z final n'est en fait jamais prononcé : il servait à indiquer que le -a des noms féminins et le -o des noms masculins étaient atones, autrement dit que l'accent tonique devait porter sur l'avant-dernière syllabe. Ainsi, un nom comme La Clusaz devrait, à quelques nuances près, se prononcer "la Cluse".

** Philippe Daumas : Familles en Révolution - Vie et relations familiales en Île-de-France, changements et continuités (1775-1825)

 

 

jeudi 11 avril 2024

Les livres généalogiques

Vu de l’extérieur, faire de la généalogie c’est accumuler des dates, gâcher son temps devant un obscur tableau de matrice cadastrale ou s’enthousiasmer par la mort (surtout quand on trouve un acte mentionnant la cause particulière du décès). Bref, c’est bizarre.

Expliquer ses découvertes, transmettre ses recherches généalogiques à des personnes qui n’y entendent rien, ce n’est pas toujours évident.

Pour ne pas rebuter les profanes, il faut savoir adapter son vocabulaire, trouver un point d’intérêt, utiliser un outil de médiation accessible à tous.

 

Dans ce but, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de faire des livres généalogiques.

 

Dans le cadre d’une cousinade, j’ai utilisé le carnet pré-imprimé de la Revue Française de Généalogie « Mon carnet – toute une vie à transmettre ». Ce carnet est destiné à raconter sa propre vie, y inscrire ses relations, lieux de vie, souvenirs, coups de cœur… et ainsi laisser un véritable témoignage pour les générations futures. Bref, raconter la vie du généalogiste et pas celles de ses aïeux, pour une fois !

Cependant j’ai détourné l’usage premier de ce carnet et j’y ai décrit la vie de mes arrière-grands-parents maternels Joseph Gabard et Flora Roy.

L’avantage de cet ouvrage est d’y trouver des rubriques qui aident à raconter le déroulé d’une vie. Le carnet est graphique et agréable à feuilleter. Mais la médaille a aussi son revers : toutes les rubriques ne sont pas forcément utiles pour la personne concernée. Il y  a donc des pages laissées vides.

Comme j’ai rempli le carnet pour un couple et non pour une personne seule, je me suis adaptée et j’ai doublé certaines pages (lieu de naissance, ma famille, etc…). Je me suis amusée à ajouter des papiers à soulever, à dérouler, à ouvrir… J’ai collé des photos, des reproductions de documents, des dessins. 

Exemple de pages intérieures "Mon carnet"
Exemple de pages intérieures "Mon carnet"
 

Bref, je l’ai modifié à mon goût.

"Mon carnet" de Joseph et Flora


Ludique, l’objet a été très apprécié lors de cette cousinade réunissant les descendants du couple formé par Joseph et Flora.

 

En 2020 j’ai inventé un polar généalogique (à lire ici). Écrit dans le cadre du défi d’écriture du ChallengeAZ, chaque chapitre correspond à une lettre de l’alphabet, comme le veut l’usage de ce défi d’écriture généalogique. Il se base sur des faits réels et des personnes ayant véritablement existé. Seule l’intrigue policière a été créée de toute pièce.

Chaque article aborde une source permettant d’établir la généalogie d’une personne et de donner corps à sa vie, son environnement, depuis l’état civil jusqu’à la gastronomie locale, en passant par le récit des recherches menées.

La fiction permet de faire de la généalogie sans le savoir.

A l’origine destiné à être publié seulement sur le blog, ma mère m’a fait la surprise d’éditer quelques exemplaires physiques de ce polar. Pour cela, elle n’a repris que les textes du ChallengeAZ (« dans un polar, il n’y a pas d’image ! »). Elle est passée par CoolLibri, un site en site d’auto-édition. Elle a pu y choisir la reliure, le format, le papier, etc…

Couverture du polar généalogique "Les racines du crime"
Polar généalogique "Les racines du crime"


J’ai aussi fait imprimer deux autres livres, qui laissent une grande place aux visuels. Ils ont été offerts en cadeau à mon père.

 

Le premier livre raconte les généalogies paternelles et maternelles de mon père. C’est un sujet assez large puisqu’il s’étend sur neuf générations. Au fur et à mesure des pages, on remonte le temps. Je me suis concentrée sur les hommes, ce que l’on appelle une généalogie agnatique.  

Couverture du livre "Une famille, une histoire"
Livre "Une famille, une histoire"
 

J’ai établi une double page par génération : sur le feuillet de gauche figure le nom et dates de l’ancêtre, accompagné de sa photo ou sa signature (ou son nom seul à défaut) ; sur celui de droite, j’ai rédigé un texte présentant une synthèse des recherches, émaillé d’anecdotes familiales et ornés de photos et de documents (copies d’état civil et d’actes notariés, cartes postales anciennes, illustrations de costumes ou d’outils…). Des arbres complètent l’ouvrage, ainsi que des planches spécifiquement dédiées aux lieux habités par nos ancêtres et aux photos familiales. Une bande de couleur rouge sombre fait le lien entre les différentes pages. 

Exemple d'une double page intérieure
Exemple d'une double page intérieure
 

Le format choisi est un A4 paysage (horizontal), avec une couverture rigide. Il comporte 24 pages (48 vues).

 

Le second livre est plus graphique : il reprend les codes du scrapbooking (une page, un décor). 

Couverture du livre "Cécile et Augustin Astié"
Livre "Cécile et Augustin Astié"


Cet ouvrage est centré sur un seul couple, Augustin Astié et Cécile Rols, les arrière-grands-parents de mon père. Le choix n’a pas été facile à faire car j’avais aussi envie de raconter aussi la génération précédente mais pour ne pas alourdir l’ouvrage, je me suis restreinte (peut-être un livre futur ?). J’y explore les différents aspects de la vie de ce couple : parents et fratrie (pour l’un, puis l’autre), rencontre, mariage, enfants, métiers, décès, etc... Une page est consacrée à chaque thème.

La plupart du temps le travail généalogique avait été fait en amont, mais parfois la chronologie des découvertes a été inversée : l’idée d’une page-thème a été le moteur de recherches complémentaires.

Réalisé dix ans après le premier livre, ma pratique généalogique a évolué : j’ai pu inclure dans ce second ouvrage des sources que je n’explorais pas dans le précédent (cadastre, presse ancienne, dossier de carrière, etc…).

Le décor prend la majorité de la place, réduisant la taille du texte disponible. Cette contrainte d’espace dédié à l’écrit m’a obligé (permis) de faire une synthèse des recherches et de rendre abordable les sujets traités. De cette façon le lecteur n’est pas noyé dans des détails inutiles ou du vocabulaire abscons. Et permet une transmission plus facile.

Exemples de pages intérieures
Exemples de pages intérieures
 

Cette fois, pour changer, j’ai choisi un format carré, avec une couverture souple. Il comporte 19 pages (38 vues).

 

Ces deux ouvrages restent des objets visuels. L’écrit n’y tient pas la place principale. Ce n’est pas une étude complète. Je n’ai donc pas rédigé d’introduction ou de conclusion, développé le contexte historique ou la vie quotidienne locale. Je me suis concentrée sur de courtes biographies ou des thèmes particuliers.

Pour ces deux livres, j’ai utilisé les services d’éditeurs en ligne de livres photos (MonAlbumPhoto et PhotoBox). Ils sont faciles d’utilisation : il suffit de télécharger des photos et les placer comme on le souhaite sur la page ou de copier-coller des blocs de textes. Ces sites laissent le choix de la reliure, du format, de la qualité du papier, etc... Pas besoin de rentrer dans les relations parfois complexes avec un imprimeur. Le rendu très satisfaisant, c’est une solution pratique pour fabriquer ce type d’ouvrage.

A noter : ce sont des ouvrages à destination familiale. Si j’en ai fait imprimer plusieurs exemplaires (pour les membres de ma famille qui ont souhaité en posséder une copie), ils ne sont pas destinés à être vendus. Dans ce cas, les contraintes sont différentes, notamment pour les illustrations tirées d’un site d’archive soumises à la réutilisation à titre gratuit des informations publiques (à garder en mémoire, au cas où).

 

Ce sont de beaux objets, plaisants à feuilleter et tout à fait accessibles à tous.

 




samedi 6 janvier 2018

La généalogie est un voyage

  • La généalogie est un voyage...

Malles © marketmoquette.wordpress.com

Un voyage dans la vie de sa famille.
Un voyage dans son histoire. Et donc un voyage dans l’Histoire : les petites histoires de nos ancêtres rejoignant parfois la grande Histoire.
Un voyage dans la géographie : nos ancêtres sont souvent issus de régions, voire de pays différents [1] : un voyage au pays des plaines, des montagnes, de la mer, des climats, des langues…

  • La généalogie est un sentiment...

Passion, pour ceux qui ont attrapé le virus.
Patience, pour ceux qui font des recherches.
Humilité aussi, devant ce qui nous est offert, ou non.
Partage, pour ceux qui pensent que nos ancêtres ne nous appartiennent pas en propre.
Générosité, pour ceux qui pratiquent l’entraide sans rien attendre en retour.

  • La généalogie est une découverte...

Au fur et à mesure de la pratique on découvre des mondes inconnus, oubliés, disparus. Pour entrer dans ces mondes il faut une clé : le vocabulaire.
La généalogie est un voyage multiple :
Un voyage dans l’univers des monnaies : livre, sol, patagon…
Un voyage dans l’univers des tissus : serge, ritte, indienne…
Un voyage dans l’univers des titres : sieur, spectable, égrège…
Un voyage dans l’univers du parlé local : espued, serpentier, ruage…
Un voyage dans l’univers des mesures : sétérée, journal, bonnier…
Un voyage dans l’univers du vocabulaire administratif : feu, résidence, domicile…
Un voyage dans l’univers des métiers : notonnier, maréchal en œuvres blanches, grangier…
Un voyage dans l’univers des pratiques religieuses : ondoiement, extrême-onction, baptême sous condition…
Un voyage dans l’univers de l’écriture : paléographie, déchiffrage, devinette !
Un voyage dans l’univers des notaires : collégié, (ab) intestat, nuncupatif…
Un voyage dans l’univers des militaires : matricule, T.M., croix de guerre…
Un voyage multidisciplinaire, en somme. [2]

  • La généalogie est un apprentissage...

En permanence on apprend de nouvelles choses, des nouvelles notions, de nouvelles coutumes. Il suffit d’un document à déchiffrer, d’un article à rédiger, d’un billet lu qui aiguise la curiosité.
Un voyage dans le savoir.


Et après ça, qu’on ne me dise plus que la/le généalogiste ne se préoccupe que des morts !
Et après ça, qu’on ne me dise plus que la généalogie ne sert à rien !


[1] D’ailleurs, merci aux généablogueurs qui nous font découvrir les caractéristiques  - souvent inconnues pour moi - du pays basque, des hautes vallées des Pyrénées, de l’Alsace ou l’exotisme de la Réunion, du Québec, de l’Algérie, de la Russie... Je ne peux pas tous les citer : ils se reconnaîtront.
[2] Vous pouvez retrouver les définitions de ce vocabulaire varié sur la page Lexique de généalogie sur ce blog; page qui s'enrichit régulièrement au fur et à mesure de mes recherches...


dimanche 6 août 2017

Pris sous la poussière

J'ai pris de mauvaises habitudes : à force de dépouiller des sources diverses (fiches militaires, recensement, actes notariaux...), j'ai donné corps à mes ancêtres. Une poêle à frire un peu "uzée", un habit de noce neuf, des terres à labourer... Ces mentions donnent chaire au squelette d'un arbre qui, autrefois (quand j'ai commencé ma généalogie), ne comportait que - au mieux - les trois actes qui rythment la vie : baptême, mariage, sépulture. Depuis, il faut bien l'avouer, je ne peux difficilement m'en passer.

L'autre jour, je "feuilletais" mon arbre à la recherche d'une mention insolite, d'un événement qui pourrait donner matière à un article.
Et plus je furetais de branche en branche, plus les informations recueillies se raréfiaient : plus d'acte notarié d'abord, mais aussi des fiches de plus en plus courtes. Ce sont souvent les métiers qui disparaissent en premier : j'ignore alors si mes ancêtres sont de simples laboureurs ou de riches notaires. Et puis la paroisse d'origine qui reste obscure. Et enfin le nom qui m'échappe.

Le curé est moins bavard, les registres ont disparus : les raisons sont multiples à cette désertification progressive. Mais force est de constater que mon arbre se couvre de poussière. La poussière du temps. La poussière de l'oubli.

Arbre qui disparaît via sergeychubarov.ru

Combien sont-ils concernés ? Des centaines, des milliers peut-être...
Ils me font penser à ces corps momifiés par les cendres à Pompéi : on distingue leur silhouette, leur position, mais la poussière s'est déposée sur ces ancêtres, créant à la fois une gaine protectrice les fixant pour l'éternité mais brouillant leur image.

Les ai-je perdu à jamais ou parviendrai-je à les sortir de l'ombre un jour ? L'avenir le dira...


samedi 22 juillet 2017

Mémère et la tante Henriette

Pour les générations les plus proches de nous il est difficile de récolter des documents officiels, les délais de communicabilité empêchant l’accès à un grand nombre d'informations. Alors il ne nous reste que la parole. Celle de ceux qui nous précèdent. Et il faut faire vite avant qu’ils disparaissent.

Du côté de ma mère c’est, disons… un peu compliqué. D’après ce que j’ai compris belle-mère et belle-fille ne s’entendaient pas. Bref, du vivant de ma grand-mère, je n’ai pas pu avoir d’information sur sa belle-famille.

Du côté de mon père, les questions sont venues trop tard.
On peut donc dire que j’ai laissé passer ma chance : maintenant tous mes grands-parents sont dans les nuages. Je tente donc de me rattraper sur la génération suivante : celle de mes parents.

Mes grands-parents paternels ont eu 7 enfants. 12 ans séparent l’aînée du dernier. Mon père se place en avant-dernière position : beaucoup d’événements vécus par ses aînés lui sont étrangers. Faute de grands-parents pour me renseigner, je me tourne donc vers leurs enfants premiers-nés. Mais eux aussi vieillissent. Ma tante aînée n’est plus vraiment là pour répondre à mes questions, hélas. Alors, prenant dans l’ordre,  je « harcèle » le deuxième. Qu’il en soit ici chaleureusement remercié. Récemment il protestait gentiment, disant que les vieilles mémoires étaient comme des passoires. Ayant quelques notions de dinanderie, je tente de transformer les passoires en louches, pour récolter le maximum d’informations avant que la marmite de la mémoire percée ne soit définitivement vide.

Passoire © Delcampe

Parfois je fais choux blanc : qui se rappelle que le grand-oncle Frète avait (peut-être) adopté le cousin Robert de son père alors qu’on n’était même pas né (pour en savoir plus sur cet épisode, cliquez ici) ? Mais d’autres fois j’ai plus de chance et les quelques anecdotes que me raconte mon oncle sont un véritable régal pour moi… Mais parfois aussi un véritable casse-tête !

En effet, il n’est pas toujours facile de s’y retrouver dans les souvenirs des autres :
- Attend ! Attend ! Qui c’est « grand-mère Frète » dont tu me parles ? C’est la mère du boucher Daniel Frète ? Mais je croyais qu’il était orphelin. Ou est-ce sa belle-mère qui habitait avec eux ? Mais non, suis-je bête, celle-ci tu ne l’as pas connue : grand-mère Frète ne peut donc être, logiquement, que l’épouse de Daniel, la sœur de ton arrière-grand-mère, d’accord !
La « grand-mère » n’étant pas du tout sa grand-mère, ça part bien ! Bon, je commence à sentir que les petits noms vont me donner quelques séances de « mal aux cheveux ». Continuons.
Mon oncle reprend le fil de ses souvenirs :
- Suite à leur départ du logement qu’ils occupaient au-dessus de celui de grand-mère Frète, les grands-parents ont habité une cité d’urgence, construite après-guerre, appelée les Frémureau. Du coup, chez nous, on les appelait les grands-parents Frémureau.
- Bon, mais ces grands-parents, ce sont de « vrais » grands-parents cette fois ?
- Oui, c’étaient les parents de notre père. Nos enfants les avaient appelés comme ça pour les distinguer de leurs grands-parents maternels.
- OK, je suis : il s’agit donc d’Augustin et Louise Astié. Ensuite ?
- Et bien cette Louise, justement, on l’appelait Joséphine.
- … ?
- C’était à cause de ses employeurs : elle était domestique. Avant elle, ils avaient une Joséphine. Donc, ils ont décidé de continuer d’appeler la - nouvelle - domestique Joséphine (c’est vrai après tout : pourquoi s’embêter à apprendre un autre prénom !). Il se trouve que c’était, par hasard, son second prénom, mais de toute façon ça n’aurait rien changé. C’est pour cela qu’on l’appelait toujours Joséphine et non Louise.
- ... !!! Merci les patrons ! Et du coup, pourquoi tout le monde appelait sa sœur Célestine « la tante Henriette » ? Parce qu’elle, elle n’était pas domestique, elle, mais ouvrière chez Bessonneau (la grande usine d’Angers).
- Alors ça, je ne sais pas…
Ma louche est percée : personne ne peut me dire pourquoi Célestine est devenue Henriette.

Ma mère, de son côté, appelait sa grand-mère « mémère ».
- Oh ! Oh ! Doucement : laquelle de tes grand-mère appelais-tu ainsi ?
- Ma grand-mère paternelle, voyons ! Elle était domestique et les enfants de ses patrons l’appelaient mémère eux-aussi. Ils la considéraient comme leur propre grand-mère.
Voyons, voyons, c’est pas toujours facile à suivre, vos histoires de petits noms…
En tout cas,  quand ma mère est devenue grand-mère à son tour, alors là pas question qu’elle se fasse appeler mémère ! Ça faisait trop… "mémère" : vous voyez ce que je veux dire ? Mémère, dans le mauvais sens du terme qu’on peut lui donner aujourd’hui.

En tout cas entre les Joséphine qui n’en sont pas vraiment, les Henriette qui n’en sont pas du tout, les grands-parents qui changent de surnoms quand ils changent de domicile, les mémères qui ont de vrais/vrais et des vrais/faux petits-enfants, pas facile de s’y retrouver…


lundi 3 avril 2017

Fête de famille pour 241 descendants

En août 1971 il y eu à Saint-Amand-sur-Sèvre (Deux-Sèvres) une cousinade. Le nom de cousinade n’avait probablement pas encore été inventé, mais tel était cette réunion de famille.

Célestin GABARD est né en 1860 à la ferme de La Gidalière (commune de Saint-Amand, donc) ; ferme que tenait son père, ainsi que son grand-père avant et sans doute tous ses ancêtres (du moins jusqu’à la Révolution, c’est une certitude ; les registres antérieurs ayant disparus il ne nous est pas possible de le prouver irrévocablement). Il est le grand-père de ma grand-mère maternelle.
En 1892 il épousa Marie Henriette BENETREAU, originaire d’une commune voisine, Saint-Aubin-de-Baubigné.

Ensemble ils eurent  9 enfants, tous nés à St Amand :
- Célestin Aubin Eugène né le 2/4/1893, marié le 27 avril 1920, Saint-Amand-sur-Sèvre, avec Agnès Augustine CHARRIER
- Marie Léonie Henriette née le 4/9/1894, marié le 27 avril 1920, Saint-Amand-sur-Sèvre, avec Gabriel Joseph ROUSSEAU, décédée le 5 juillet 1972 à La Petite Boissière
- François Joseph né le 9/2/1897, marié le 13 juillet 1920, Saint-Amand-sur-Sèvre, avec Claire Marie Augustine ALBERT, décédé le 20 décembre 1962 à St Amand
- Joseph Elie né le 6/9/1899 mon ancêtre direct (cf. plus bas)
- Berthe Lucie Marie née le 19/11/1901
- Octave Henri Marie né le 30/3/1903, marié le 18 novembre 1929 à La Petite Boissière  avec Marie Louise Gabrielle RENAUD
- Alice Françoise Augustine née le 10/6/1904, marié le 10 juin 1925 à Saint-Amand  avec Raoul Alfred Alphonse MAUDES (MANDES ?), décédée le 4 décembre 1960 à Treize Vents
- Lucie Joséphine née le 27/4/1905 p44, décédée à Angers le 18/2/1988  
- Gabriel Roger Octave Marie né le 29/2/1912, marié le 29 avril 1947 à Saint-Amand  avec Marie Madeleine ARNOU (selon la mention marginale de son acte de naissance, mais connue sous le nom de Domitille – qui était aussi le prénom de sa mère semble-t-il).

Il est difficile de suivre ensuite chacun de ces enfants : c’est le fameux « trou noir de la généalogie » (trop récent pour apparaitre librement en ligne [*], trop ancien pour le souvenir des Hommes). Seules les mentions marginales des actes de naissance nous renseignent sur leurs mariages et décès, mais certains actes n’en possèdent pas.

Cependant je connais au moins ce qui concerne mes propres arrière-grands-parents, Joseph Elie et Flora Marie Victunienne ROY : ils eurent 4 enfants.
- L’aînée (ma grand-mère) en eu 5,
- La seconde 3,
- La troisième 3 également,
- Le dernier 3 aussi,
Soit 14 descendants pour cette génération.


La Gidalière, date inconnue © coll. personnelle
Marqués d'une croix, à gauche Gabriel (dernier fils du couple) et sa mère Marie Henriette Benetreau, veuve Gabard [**] (3ème à partir de la gauche) devant la façade de la ferme. Les autres : des inconnus, déjà…

Célestin et Marie Henriette moururent respectivement en 1924 et 1951. Vingt après le décès de Marie Henriette, la famille a choisi de se réunir – à la ferme de la Gidalière, bien entendu. Nombreux furent présents, à tel point que la « fête de famille » fit l’objet un court article dans le journal local.

Cet article nous renseigne sur la composition de la famille à cette date :
  • Les 9 enfants (au moins trois sont déjà décédés, selon les mentions marginales de leurs actes de naissance)
  • 70 petits-enfants
  • 133 arrière-petits-enfants
  • 10 arrière-arrière-petits-enfants

Bon, l’addition de tout cela fait 222 personnes, et non 241 comme annoncé dans le journal : peut-être que les 19 membres manquant de la famille n’ont simplement pas pu assister à la fête. En tout cas, ils étaient nombreux, dirons-nous...

Une messe fut organisée lors de ces retrouvailles, assurée par l’abbé Albert Gabard, fils de François et Claire.

L’article précise que des panneaux généalogiques avaient été réalisés, afin que chacun puisse se situer parmi les membres de la famille. Dommage que ces panneaux se soient perdus… Ils couvraient l’histoire d’une famille sur plus d’un siècle ; une famille à l’origine fermiers des Deux-Sèvres et depuis dispersée dans le département et jusqu’à Angers et Poitiers.

La ferme de La Gidalière resta dans la famille Gabard, reprise par André, fils de François. Pour mémoire, mon arrière-grand-père Joseph n’a pu en hériter après la seconde guerre mondiale, comme je l’ai raconté dans l’article Une lettre… pour changer une vie. André fut le dernier des Gabard à posséder cette ferme. C’est maintenant une coquette résidence… mais sortie du giron familial historique.

Aujourd’hui, combien sommes-nous de descendants de ce couple ? Dispersés à travers toute la France cette fois, difficile de le dire. Les anciens nous ont quittés, remplacés par des plus jeunes.


Fête de famille, journal (inconnu), 1er août 1971 © coll. personnelle

« Une réunion de famille qui mérite son nom…
Réunir une famille dont les 241 membres sont dispersés entre Saint-Amand-sur-Sèvre, Angers et Poitiers, tient du véritable exploit. C’est celui qu’a réussi M. l’abbé Albert Gabard, vicaire de Loudun, qui célébra lui-même la messe de famille dans un pré de la ferme où vécurent ses aïeux, M. et Mme Célestin Gabard.
Les neuf enfants de ces derniers avaient amené leurs fils et filles (70), leurs petits-enfants (133) et leurs arrière-petits-enfants (10).
Après la messe, la nombreuse famille se rassembla en un joyeux pique-nique avant de participer à des jeux et danses divers.
La journée se termina par un feu de joie tandis que, durant toute la fête, les descendants de M. et Mme Gabard avaient pu suivre sur des panneaux généalogiques, l’évolution de leur famille depuis plus d’un siècle. »



[*] Pas de registre en ligne postérieur à 1912 à Saint-Amand.
[**] La date du cliché n’est pas connue, mais vu l’apparence de Marie Henriette, il a sans doute été pris après la mort de Célestin, donc dans les années 1930 ou 1940.