« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

dimanche 2 novembre 2025

B comme bagatelle homologuée

Sur les pas de Cécile

 

    Dans l’entourage de Cécile, on trouve Augustin Pierre Jean Astié. Ce gazier est né à Conques, mais n’y a pas traîné ses guêtres longtemps : son père, gendarme, ayant été nommé en Corse, le petit Augustin a passé son enfance sous le soleil de l'île de Beauté. Du coup, dans la famille, ça nous a donné la légende de l’ancêtre Corse, mais qui n’était pas du tout Corse en fait (voir ici). Une belle histoire, mais une connerie, en fait. C’était juste un Aveyronnais qui avait vécu en Corse.

    Devançant l’appel militaire, Augustin se porte volontaire et a mis ses miches dans les combats de la guerre franco-prussienne de 1870 (voir la lettre K de ce ChallengeAZ, patientez un peu, please). Un vrai patriote, ou un casse-cou, c'est selon. Il a dû en voir des vertes et des pas mûres, ce gamin, face aux Prussiens qui ne rigolaient pas.

    Faisons connaissance avec le bonhomme, puisque les militaires, ces gars à croquer, nous ont gentiment dit comment était sa trogne : il a les cheveux et les yeux châtain foncé, les sourcils noirs, le nez et le front ordinaire, le menton et le teint rond (sic), la bouche moyenne, le visage ovale. Il mesure 1,71 m. 

    Après les tambours de la guerre, il passe dans la réserve de l’armée active en mars 1873. Ça, ça veut dire qu'il ne risque plus de prendre une baïonnette dans le ventre à chaque coin de rue, mais que l’armée le garde sous le coude au cas où il y aurait une nouvelle baston.

    Libéré de ses obligations militaires, le voilà en quête d'un gagne-pain. C’est sans doute grâce au réseau local et familial qu’il trouve cette place d’employé de commerce à Angers (retournez à la lettre A de ce ChallengeAZ si vous avez déjà oublié ce détail). Eh oui, Alexandre Rols, le patron a déjà fait venir un jeune employé originaire de Conques. Augustin Pierre Jean a dû suivre la même voie. Conques c'est pas New York, les familles devaient se connaître comme le fond de leurs poches. On ne sait pas avec précision quand il débarque à Angers, mais c’est probablement vers la fin de 1873. Il a alors 22 ans. Il est logé chez les Rols, au 31 rue de la Roë, au-dessus de l’épicerie. Il y fait la connaissance de la fille aînée de la maison, quelqu’un qu’on connaît, Cécile Marie Augustine, âgée de 16 ans. 

 

Rencontre © Bing 

 

    Les cœurs qui s'emballent, les regards qui se croisent et les destinées qui s'entremêlent. Inutile de poétiser, les deux jeunes gens tombent rapidement amoureux puisque dès l’été 1874 ils projettent de se marier. J’ai bien compté et recompté : les délais sont courts. Ils sont mordus. Ça, ça s’appelle un coup de foudre ou je m’y connais pas. Le genre qui te retourne la cervelle et t’empêches de viser droit. Le feu d’artifice dans les tripes. Ils sont pris dans l’engrenage et convolent en justes noces à Angers en janvier 1875. La rapidité de l'éclair !

    Dans l’acte de mariage ils sont tous les deux dits mineurs (ils ont 23 et 17 ans). Rappelons qu’à cette époque la majorité matrimoniale est fixée à 25 ans pour les garçons et 21 pour les filles. Ouais les poulettes, elles sont plus matures que les gars, du moins aux yeux de la loi. Faisons ici un rapide point juridique : la majorité matrimoniale c'est l'âge où tu peux te marier sans demander la permission à tes vieux. Avant cet âge, le quidam ne peut se marier qu'avec la bénédiction parentale. Cet âge, il a fait la girouette au fil des siècles. Mais le Code civil de 1804 dit que c’est 25 et 21. En 1907 ça change : 21 ans pour tout le monde, comme la majorité civile, l'âge où tu es capable de signer des contrats et d'acheter une maison sans que tes parents te tiennent la main. Un mineur peut être propriétaire, mais il ne peut disposer librement de sa propriété ni en principe s'engager seul (à moins d'être émancipé).

    Donc pour se marier Augustin doit avoir de l’accord de ses parents. Les auteurs de ses jours ne sont pas présents : ils crèchent en Aveyron. Ils sont passés devant un notaire pour bicher officiellement le mariage du fiston. D’ailleurs, leur consentement notarié est joint à l’acte d’état civil. Ça c’est cool pour moi, généalogiquement parlant.

    Sans ce papier, pas de noce. Si le fiancé n’avait pas eu l’accord de ses parents, c’était mal barré. Mais tout n’était pas perdu : il pouvait recourir à un notaire, qui se déplace à domicile, pour adresser une « sommation respectueuse » aux parents récalcitrants. On dit que la sommation est respectueuse, car la demande est formulée avec respect, et surtout parce qu’elle est faite sans chichis de justice (c’est un notaire et non un huissier qui vient poliment). Fallait s'y prendre trois fois, chacune espacée d’un mois. Si les vieux continuaient à s'opposer au mariage après le 3ème refus, la noce pouvait être célébrée quand même. Durant ce laps de temps les parents espéraient voir leur rejeton se racler la soupière et renoncer en se rangeant à leur avis. C’était censé éviter une union précipitée.

    Bref, les parents d’Augustin ont donné leur permission (même de loin). Et ceux de Cécile aussi (de près : ils sont présents à la noce). OK, tout le monde est d’accord, ça colle : les jeunes peuvent se marier. Ils le font en présence de témoins : l’oncle maternel de Cécile, Charles Puissant, armurier à Candé près d’Angers ; le frère d’Augustin, Adrien, soldat au 3ème régiment de génie ; et deux amis des époux. Une petite assemblée, simple, sans fioritures.

 

Acte de mariage Astié-Rols 1875 © AD49
Acte de mariage Astié-Rols, 1875 © AD49 

 

    Ils n’ont pas fait de contrat de mariage. Mais Alexandre Rols a donné à sa fille, à titre d’avancement d’hoirie (ça c’est le beau mot pour dire héritage), tant en argent qu’en objets mobiliers, une somme de 2 000 francs. Une belle dot pour l'époque, mais qui n’a été constatée par aucun acte authentique. Manque de bol, comme il a utilisé son aller simple pour le Paradis avant de doter son autre loupiote, Cécile devra rembourser cette somme pour que sa sœurette ne soit pas lésée. Ça, ça se passe lors de la succession de leur mère (attendre la lettre T de ce ChallengeAZ pour en savoir plus).

    Les parents d'Augustin, on l'a dit, ne sont pas là. Mais ils ont envoyé leur consentement depuis leur résidence d’Aubin (Aveyron) où le père est alors garde mine. Là, ça peut paraître bizarre que des parents ne viennent pas à la bénédiction nuptiale de leur fils, mais il ne faut pas oublier qu’ils habitaient à 500 km, que les transports ne sont pas encore super développés, qu’on était en plein hiver et qu’ils avaient un niveau de vie modeste : ce n’est donc pas vraiment étonnant qu’ils n’aient pas entrepris un si grand voyage. C’était même plutôt courant à l’époque.

    Les deux époux ont signé l’acte de mariage.

    Le jeune couple continue d’habiter à l’étage de l’épicerie de la rue de la Roë, avec beau-papa et belle-maman. C’est là que naîtra l’année suivante le premier de leurs onze mouflets.

 

 

3 commentaires:

  1. Une belle histoire romantique lue au petit matin d'un dimanche gris et venteux. C'est mignon, frais, même si cette douce union date. J'en redemande.

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  2. Bruneau Christiane2 novembre 2025 à 09:49

    J'adore le ton de cette histoire. Bravo

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  3. Bruneau Christiane2 novembre 2025 à 09:51

    J'adore le ton de cette histoire. Bravo

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