« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

mardi 11 novembre 2025

J comme journal intime

Sur les pas de Cécile

 

    Cécile, elle se pointe qu’une seule fois en direct dans la presse

 

Presse © Bing

 

    C'est juste une liquette dans la rubrique état civil du Courrier d’Angers, qui annonce son mariage en 1875 avec Augustin. Après, pour la recroiser, faut la choper en douce, au détour de la même rubrique, dans le même canard ou dans le Petit Courrier, édition d’Angers, ou bien encore dans l’Anjou, journal de l’Ouest : là, on voit défiler sa marmaille avec les annonces de naissances (Augustin en 1888, Ernest en 1889, Thérèse en 1891, Benoît en 1892, Alexandre en 1895), les publications de mariage (François en 1904, Marie en 1905, Augustin en 1912) ou de décès (Alexandre en 1881, Thérèse en 1892).

    À chaque coup ils inscrivent l’adresse. Fichtrement pratique quand on a paumé son ancêtre !

    Deux des fistons de Cécile y pointent leur nez lors de l’appel militaire, parce que oui, en ce temps-là la presse balançaient ce genre d’info : en 1898, dans la liste des jeunots de la classe 1897 inscrits sur les tableaux de recensement de la Ville d'Angers, canton Nord-Est est cité « Astié Louis, rue de la Madeleine, 9 ». Et pan ! François, à son tour en 1905.

 

    Et la presse, c’est pas seulement des noms jetés en vrac : des fois, elle t’ouvre des petites fenêtres sur des tranches de vie que personne ne soupçonnait. Je vais vous cloquer un conseil gratis ici : ne zappez pas les gazettes quand vous fouillez votre arbre familial.

    Dans le Petit Courrier « quotidien républicain régional à grand tirage » du 24 juillet 1902 est balancé un avis de recherche : « Disparu. M. Auguste Astié, ouvrier de fabrique, rue Marceau, 12, est venu déclarer hier soir à M. le commissaire de police de permanence, que ses deux enfants, âgés l'un de 9 ans 1/2, l'autre de 7 ans 1/2, sont partis de chez lui vers 6 heures environ et depuis ne sont pas rentrés. Voici leur signalement : tête nue, vêtus tous les deux d'un sarreau à carreaux noirs et blancs, chaussés de sabots. »
    Les âges collent pile poil aux deux derniers gamins du couple, Benoît et Alexandre. On sait qu’on les a repêchés quelque part (la suite le prouve), mais va savoir où et comment… mystère et boule de gomme.

    Plus chouette sont les récompenses accordées : Augustin fils, créchant au 82 faubourg St Michel, décroche un bon d'achat de 10 balles pour son petit lopin lors du classement du concours des jardins ouvriers, en 1938. Son rejeton Daniel se fait remarquer parmi les lauréats du certif' en 1926 puis cartonne à l’École des Beaux-Arts (de 1929 à 1931), où il décroche le 2e prix du cours d’architecture en 1931 par exemple. Dans son taf à l’UDAF (Union Départementale des Associations Familiales) il est aussi épinglé régulièrement dans les colonnes locales : cérémonies, discours, etc...

    Les entrefilets parus dans les canards du XIXème sont parfois fendards : « Objets trouvés : trouvé samedi une paire de lunette boulevard du Palais, les réclamer chez M. Astié, 82 rue St Michel, Angers » (1938).

 

    Comme j’ai déjà eu l’occasion de le lâcher sur ce blog, au XIXème la presse, ça commençait à flamber : les machines tournaient à plein régime, les rotatives crachaient du papier comme un chat crache ses poils. Et tout ça, grâce à la modernisation des techniques et à l'alphabétisation qui progressait comme une tache d'huile. Et puis la réclame, hein ! La pub, la bonne vieille pub, c’est elle qui a fait dégringoler les prix de production. Du coup, les journaux se vendaient trois fois rien. Résultat ? Même le petit ouvrier pouvait se payer sa lecture du matin entre deux gorgées de café noir.

    Bien sûr, le journalisme c'était pas ce que vous lisez aujourd'hui dans vos journaux bien léchés. On était encore loin d’un jargon journalistique typique, avec ses codes (hiérarchie codifiée de l’information, rôle et place de l’anecdote, titre, chapeau). Nan, là on parlait d’une presse foutraque, vivante, un joyeux bazar ! Ni règles, ni Dieu ni maître. Les rédactions étaient moins grosses, avec moins de journaleux embauchés. D'ailleurs la profession de journaliste n’existait pas encore vraiment. Les types, c’étaient des plumitifs, des écrivains de hasard qu’on appelait « écrivains de journal ». Des gars qui savaient baratiner comme pas deux avec un brin de fantaisie, juste pour faire jaser. C’était la foire aux nouvelles où le vrai et le faux se frottaient sans vergogne, comme deux clochards sous un pont. Chacun y allait de sa petite ritournelle, sortant autant de scoops bétons que de vérités arrangées à la sauce du chef. Ils vendaient du sensationnel, du scandale, du croustillant, tout ce qui faisait vibrer la ménagère et l’ouvrier. Et ça marchait à fond. Les ventes grimpaient comme la mousse d’un demi bien tiré et, pendant ce temps, le populo oubliait que le monde continue de tourner à l'envers.

    Faut dire qu’à cette époque, la frontière entre journalisme (information, chronique) et littérature (conte, fiction) n'était pas plus épaisse qu’un papier à cigarette. Un article, un roman, un conte ? Tout se mélangeait gaiement, comme un dimanche aux guinguettes. Les journaux influençaient la littérature (les écrits, jusqu’alors argumentatifs, deviennent narratifs) et inversement. Bref, les journaux piquaient des idées aux romanciers, les romanciers racontaient des faits divers comme s’ils y étaient, et tout ce beau monde se donnait la réplique dans les colonnes à la une. D'ailleurs, des écrivains travaillaient au sein des feuilles de chou. Certains d’entre eux se sont fait connaître grâce aux « feuilletons », ces histoires publiées par épisodes dans les quotidiens, comme Les Mystère de Paris, d’Eugène Sue, véritable carton plein en 1841/42. Si la partie feuilleton était clairement identifiée comme une partie imaginaire, des éléments fictionnels dégoulinaient aussi dans les articles sérieux. C’était un joyeux mix entre le roman-feuilleton et le procès public. En plus, ces écrivains signaient aussi des coups de gueule politiques ou artistiques, en direct avec la clientèle. Un vrai melting-pot où tout se mélangeait, pour le plus grand plaisir des lecteurs avides de sensations fortes et de débats de bistrot. Et le public en redemandait !

    Les publications faisaient souvent 4 pages, pas plus à cette époque. Les pages 2 et 3 étaient appelées le « ventre mou du journal ». C’était là que traînaient des articles pas signés et qui étaient souvent republiés dans plusieurs canards (ce que les lecteurs savaient pertinemment, mais ça ne les empêchait pas de les dévorer comme des croissant au petit déjeuner !). Ces articles cartonnaient parce qu’ils étaient poignants, tordaient les tripes ou qu’ils grattaient l’envie de frissonner. Et pis surtout parce que ça collait pile-poil aux angoisses du moment et ça faisait vendre. Du drame humain, du fait divers, du glauque, tout ce qui fait saliver le lecteur. Le journalisme d'hier, c'était ça : du sensationnel, de l'émotion. C’était pas de la grande rigueur, mais qu’est-ce que c’était vivant ! Ça sentait l’encre, la sueur et le canular. Les mots s’entrechoquaient, les idées fusaient, et les lecteurs en redemandaient.

     C’est là que l’on retrouve l’histoire de Benoîtl’un des petits derniers de Cécile, « la caverne des 8 voleurs » comme l'a baptisée la pressepubliée dans plusieurs titres comme c’est l’usage :

« La caverne des huit voleurs - Des plaintes affluaient depuis quelque temps dans les bureaux de M. Carré, commissaire de police d'Ivry. Ce n'étaient que déprédations et larcins. En vain depuis des mois cherchait-on les voleurs. Le hasard donna le mot de l'énigme et dès la première heure la police faisait hier irruption dans une cabane s'élevant non loin du fort d'Ivry, dans un terrain vague, et mettait en état d’arrestation tous les locataires. Ils étaient huit. On apprit alors que ces garnements, venus d’un peu partout, s’étaient réunis un beau jour, avaient décidé de se construire un repaire. Ils avaient, à cet effet, dévalisé les entrepôts de bois — emportant madriers et planches. En quelques jours, la cabane avait surgi de terre. Tous durent prendre le chemin du dépôt. Ce sont : René Fabreguettes, dessinateur, sans domicile ; Charles Liseau, domicilié place Bernard-Palissy, à Ivry ; Jacques Favier ; Alexandre Ungeman, maçon, et Georges Royer, couvreur, tous deux habitant avenue des Écoles à Vitry ; Benoît Astier, maçon, rue Raspail, à Ivry ; enfin, Gustave Aveline, 25, rue Parmentier, également à Ivry. Le plus âgé de ces malfaiteurs a vingt ans et le plus jeune dix-sept. » (Le Petit Parisien, 17/11/1910) – Article republié tel quel le 24 dans le Parisien.

« Bonne capture - Depuis quelques temps, des déprédations étaient faites dans les chantiers de glaise et dans les petits jardins garnissant de fleurs et de légumes potagères, les jolis pavillons de Vitry et des environs de la gare et de l'hospice. M. Carrié, notre sympathique commissaire de police, en fut prévenu et désigna pour surveiller sur ces modestes propriétés une partie de sa brigade mobile. La semaine dernière, les inspecteurs Barbut et Gascard eurent enfin la main heureuse car ils réussissaient à capturer les auteurs de ces méfaits. Ceux-ci, les nommé Fabregettes (Marcel), 20 ans; Nugemach (Léon), 17 ans; Lisseau (Charles), 19 ans; Favier (René), 17 ans, tous quatre sans domicile, ainsi que leurs compagnons Edeline (Gustave), 25 rue Parmentier, 19 ans; Astié (Benoît), 17 ans, 45 rue Raspail et Roger (Georges), 16 ans, 35 avenue des Écoles à Vitry étaient entre les mains de M. Carrié, commissaire, qui a fait diriger les aînés au Dépôt où il ont maintenant un domicile et les jeunes chez leurs parents où ils attendront leur convocation pour la Correctionnelle. Nos félicitations aux auteurs de cette importante capture. Paulin Broquet. » (La Petite Banlieue, Organe de la Seine (hors Paris) du 26/11/1910). Les noms ont un peu changé : je vous l'ai dit, la rigueur, c'était pas la préoccupation principale.

« Ivry : Le jeune Benoît Astié, compromis dernièrement dans l'affaire que nous avons racontée sous le titre "la Caverne des huit voleurs" n'a pas été envoyé au dépôt. Sa culpabilité en la circonstance n'ayant pas été démontée, il a été remis en liberté par M. Carrié, ainsi que trois autres des individus arrêtés. » (Le Petit Parisien du 23/11/1910)

    S’il s’est pas retrouvé à l’ombre pour cette embrouille-là, t’inquiète, ça viendra fissa : moins d’un an plus tard, il se fera embarquer pour une autre magouille. J'en reparle plus tard, promis.

 

     Et pour finir tout ça en beauté, je vous sors un dernier p’tit bonbon trouvé dans les canards, pour la route : la cavale du petit-fils de Cécile : « La fugue du pupille - Informée par un employé de chemin de fer qu'un jeune homme venait de descendre du train de Paris, à 5 heures, sans billet, sans argent et sans pièce d'identité, la gendarmerie se rendit à la gare et interrogea ce jeune homme qui déclara se nommer Astié Alexandre, 15 ans, né le 17 juin 1916 à Paris (13e arrondissement) et avoir quitté l'Office des Pupilles du centre de Courtalain (Eure et Loire). Il était descendu à Châteaubriant sans savoir où il se trouvait. Conduit devant le Procureur de la République, le jeune homme fut confié à l'hôpital de Châteaubriant, en attendant que le centre des pupilles auquel il appartient vienne le prendre. Des renseignements recueillis, il résulte que le jeune Astié a déjà fait plusieurs fugues. » (l'Ouest Éclair du 19/11/1931).

    Cet article m’a permis de découvrir comment Alexandre avait été fourré en foyer… et que cela ne le branchait pas des masses, visiblement.

 

 

 

3 commentaires:

  1. Ah oui le journalisme était un fourre-tout où la censure des bien-pensants n'était pas courante. Un article noyé dans une feuille de chou m'appris qu'un de mes ancêtres avait été verbalisé pour avoir chassé sans permis. Tout y est, son nom et prénom, son âge, son adresse et même sa nationalité. Difficile de ne pas le reconnaître !

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  2. Ah la presse ancienne ! Un de mes péchés mignons 🤩

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  3. J'adore la presse ancienne. Ventes aux enchères suite décès, histoires anecdotiques comme vol de montre et autres...mais aussi procès et autres joyeusetés

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