« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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mercredi 11 novembre 2020

#ChallengeAZ : Chapitre J

 CHAPITRE J

"Je ne le trouve pas..."

 


Je ne le trouve pas ! Je ne le trouve pas ! Rageuse, je fermai un énième site internet visité ce jour-là et grommelai pour qui voudrait m’entendre :
- Bon sang ! Rien à faire je ne le trouve pas ! Impossible de mettre la main sur Henri et son fichu dossier ! 


Après la découverte de l’acte de décès d’Henri, j’avais essayé d’affiner mes recherches concernant ses adresses successives pendant la seconde guerre mondiale, en vain. Sans plus de succès, je ne trouvai pas l’acte de décès d’Ursule. Et encore moins une trace de l’assassinat ou de l’enquête.
- Mais il n’y a rien ! C’est le trou noir, le désert ! Rien ! 


Alerté, Sosa s’approcha. Comme je ne réagissais toujours pas le félin se frotta contre mes jambes et guetta une réaction à ses efforts de consolation. Mais je me tenais toujours la tête entre les mains, frémissante d’insatisfaction. Sosa, que cette attitude inquiétait, sauta sur mes genoux et tenta, d'une patte câline, d'écarter mes poings serrés. Ceux-ci finirent par céder aux avances du matou, épousant son corps chaud qui, sous les caresses, se cambra en poussant de petits feulements heureux. Mes yeux plongèrent dans les siens. Aussitôt de puissants ronronnements se firent entendre.
- OK ! OK ! Ça ne sert à rien de s’énerver. Mais c’est tellement frustrant parfois de ne pas trouver ce que l’on cherche. 


J’enfouis mon visage dans la fourrure de l’animal, geste qui m’apaisait toujours. Hélas, je ne voyais pas d’issue à cette recherche et je devais me résoudre à jeter l’éponge. Cela me mettait au désespoir. L’après-midi touchait à sa fin et, comme à son habitude, Alexandre avait pris le téléphone pour me parler de ce qu’il appelait « son mystère mystérieux ». 

La mort dans l’âme, je dus me résoudre à lui annoncer ma décision de stopper mes recherches :
- Tu comprends, on ne trouve rien. Je ne sais pas ce qui s’est passé, et j’aimerai le savoir, mais pour le moment ce n’est pas possible. Peut-être dans quelques années il sera plus facile de trouver des informations. Avec l’indexation par exemple on découvre régulièrement des « nouveautés » alors que les documents étaient là depuis toujours. C'est juste que leur chemin d’accès demeurait caché… Alexandre ? Tu es là ?
- Si je suis là ? Mais bien sûr que je suis là ! Et je suis sidéré de t’entendre dire ça ! Tu m’avais promis qu’on irait au bout de cette histoire et voilà que tu abandonnes ! me répondit Alexandre d’un ton plus agressif que la situation ne l’exigeait. 


Je fus surprise de sa véhémence. C’est vrai qu’on avait parlé de résoudre cette énigme ensemble, mais je ne pensais pas que cela lui importait à ce point.
- Écoute, je suis désolée, mais je ne trouve rien. Et l’archiviste que j’ai contacté non plus.
- Une archiviste ? Quelle archiviste ?
- Oh ! Oui, je ne t’en ai pas parlé avant parce que tant qu’elle ne trouvait rien je considérai cela inutile. Mais voilà, j’ai contacté une archiviste qui a accepté de se renseigner sur place. Mais elle non plus n’a rien trouvé. Donc tu vois que…
- Mais elle est nulle si elle n’a rien trouvé !
- Euh… Alexandre, là tu y vas un peu fort.
- Et bien je vais trouver moi ! Tu verras ! 


Je ne voyais pas bien comment mais je finis par accepter du bout des lèvres de ne pas abandonner l’affaire complètement, ou tout du moins de la reprendre si Alexandre trouvait une nouvelle piste. La conversation ne s’éternisa pas : je raccrochai tout en ayant un goût amer dans la bouche. Je n’aimai pas la façon dont cette histoire se terminait. 


Pourtant, malgré ma résolution, dans les semaines qui suivirent je ne cessai de songer à ces événements. Je n’arrivai pas à m’en détacher. Était-ce parce que cela concernait un de mes ancêtres ? Par goût morbide d’une histoire tragique ? Ou tout simplement parce que je détestai m’avouer vaincue ? 


Mais j’avais déjà lu à peu près tout ce qu’il était possible de trouver à distance sur le lieu et la période, pour essayer d’en saisir le contexte particulier. J’avais écumé le site des archives départementales pour consulter tous les documents qui évoquaient de près ou de loin la vie de mes ancêtres. 


Je ressassai ce que je savais mais je ne parvins pas à trouver une explication au geste insensé d’Henri. Comment un homme qui menait une vie ordinaire et, semble-t-il, sans ombre pouvait-il en venir à de telles extrémités ? J’avais l'impression que toutes mes certitudes s'étaient décomposées. J’en tenais une foule de fragments, que je ne pouvais assembler pour en faire un tout compréhensible. Je ressentais de la pitié et de la tristesse pour Henri. Là encore était-ce à cause de nos liens familiaux ? Ou le malheur rapproche-t-il les êtres par delà les époques ? Je n’avais pas de réponse. 


Enfin, un soir de juin, Alexandre rappela :
- Tu ne devineras jamais ce que j’ai trouvé ?
- Non, quoi ?
- Le lien entre mon défunt grand-père et ton ancêtre !
- Quoi ???
- Oh ! Et peut-être même le fin mot de l’histoire. Oui, il faut que tu viennes voir ça.
- Comment ça ?
- Mais viens ici ! Je te montrerai ma découverte. Et puis ça sera bien de se voir et d’en parler en vis-à-vis, n’est-ce pas ? Si tu veux je t’invite ! Je te prends un billet et pour le logement il y a la maison de mon grand-père : elle est très grande, tu y seras à ton aise. Bon, la déco est un peu passée de mode, mais on ne devrait pas commencer les travaux de rénovation tout de suite. C’est idéal !
- Mais… Qu’est-ce que tu as trouvé en fait ? Tu ne peux pas me l’envoyer, comme le reste du dossier ? Alexandre se mit à rire :
- Oh ! Non ça, ça va pas être possible. Il ne passera pas dans les tuyaux : c’est un papi.
- Un quoi ?
- Un papi ! Un témoin, un être vivant quoi !
- Un témoin ? Des événements des années 1940 ? Dis donc, il ne doit pas être tout jeune !
- 89 ans exactement ! Il en avait 10-15 pendant la guerre. Il a connu mon grand-père et Henri. Il se souvient très bien de ce qui s’est passé.
- Mais alors ! Dis-moi vite ce qu’il t’a raconté !
- C’est que… Il trouve que ce sont des souvenirs pénibles : pour moi il ne veut pas y repenser. Mais pour toi, qui est une descendante d’Henri, il veut bien. C’est pour ça qu’il faut que tu viennes !

Substituer la mémoire orale à la documentation papier disparue ? C’est une piste que je n’avais pas exploitée. Et puis se rendre sur place, marcher dans les pas de mon aïeul, c’était tentant je dois dire. Mais quoi qu’en dise mon cœur, c’est ma tête qui décidait. Et elle, elle hésitait encore !
- Bon… Il faudrait que je voir si je peux m’organiser. A quel moment pourrais-tu m’accueillir ?
- Tout de suite bien sûr ! Pourquoi attendre ?
- Hé ! Là ! Une minute ! Je ne peux pas tout quitter comme ça ! Il me faut un minimum de temps pour m’organiser. Voyons, c’est bientôt les vacances : en juillet je pourrais peut-être. Oui, la deuxième quinzaine de juillet ça serait faisable. 

Alexandre fut déçu que je ne vienne pas immédiatement, mais il dut se contenter de mon calendrier. Il me promit de m’envoyer un billet de train et se disait ravi de m’accueillir. Cependant, je sentais la déception dans sa voix. Alors qu’il allait raccrocher, je demandai in extremis :
- Au fait ! Comment s’appelle-t-il ?
- Qui ça ?
- Ben… le témoin ?
- Ah !… Oui… Euh… Honoré ! dit Alexandre avant de mettre fin à la communication. 



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