« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

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vendredi 20 septembre 2024

Fin de vie

Sentant sa fin proche venir, Marie Charrier (ma sosa 227 à la VIIIème génération) règle ses affaires. Elle n’a que 61 ans environ, mais elle est malade, détenue au lit. Depuis la « chambre basse » de la métairie de Cruhé, paroisse de Noirterre (79), elle reçoit notaire et témoins. 

Extrait testament Marie Charrier 1809 © AD79
Extrait du testament de Marie Charrier, 1809 © AD79 


Dans  cette « chambre, ayant une porte et une petite fenêtre au midi donnant sur le jardin, une autre porte à main droite et communiquant dans une autre chambre, une autre porte et une fenêtre au couchant donnant sur la cour […], dans un lit à main gauche de la cheminée [se trouve] ladite Marie Charrier veuve Paineau malade mais saine d’esprit, mémoire et entendement. » Outre un sens du détail particulièrement entretenu, Me Melon a dû se rêver poète dans une autre vie et, à défaut de vers, il rédige des testaments particulièrement sensibles et délicats. Jugez plutôt :

« Laquelle [déclare] que son âge avancé, les infirmités dont elle se trouve accablée, jointe à une indisposition de santé qui depuis quelques temps lui font apercevoir que, si le temps de sa dernière heure est encore éloigné, elle n’a plus qu’à compter des jours de douleurs. Que dans cette idée elle s’est décidée à prendre des mesures relatives aux biens dont la vie lui laisse la libre disposition ».

Bref, elle met ses affaires en ordre et fait « son testament et ordonnance de dernières volontés ».

La veille déjà, le six novembre 1809, elle avait fait le bilan de ses biens. La communauté qui existait entre elle, son défunt mari et ses enfants, pour gérer la métairie de Cruhé, avait été dissoute trois ans auparavant, le 30 septembre 1806. Un inventaire avait été dressé devant le même Me Melon, notaire à Bressuire. Il résulte de cet acte que ladite communauté s’élevait, déduction faite du passif, à la somme de 9 964 francs. Marie Charrier y était fondée pour la moitié (soit 4 982 francs) et chacun de ses enfants - savoir François, Pierre, Perrine épouse de Jean Lavault, Marie Louise épouse de Mathurin Gabard, Françoise épouse de Jean Gabard (cousin du précédent), et Marie Anne aujourd’hui décédée - pour une douzième partie (soit 830,33 francs).

Mais ayant été observé audit inventaire que Perrine Paineau femme Lavault et Marie Louise femme Gabard avaient eu lors de leur mariage chacune la somme de 400 francs qui avait été prélevé sur ladite communauté, les parties consentirent que, sur l’actif de la communauté, il fut prit une somme de 1 600 francs en faveur des autres enfants, afin d’établir l’égalité entre eux. Le surplus de l’actif de ladite communauté, prélèvement fait, fut divisé entre Marie Charrier et ses enfants, suivant ce que chacun se trouvait fondé. Il restait donc à ladite veuve 4 182 francs, à Perrine et Marie 697 francs (en plus du versement de leurs dots de 400 francs chacune), et pour les autres enfants 1 097 francs.

 

Trois ans plus tard, en 1809 donc, Marie Charrier est « parvenue à un âge où le repos doit se mettre à la place des peines, des soins, des embarras qui depuis longtemps ont altéré sa santé, maintenant toujours chancelante. » Faisant le bilan que, depuis la dissolution de la communauté qui existait entre elle et ses enfants, la portion qui lui en a été départie diminue sensiblement, à la fois parce qu’elle ne peut se livrer à aucun travaux qui puissent faire fructifier ses avoirs et parce qu’il lui coûte continuellement pour se procurer ce qui est indispensablement nécessaire à sa subsistance. D’autre part, elle voit avec satisfaction François Paineau son fils aîné diriger avec soins ses intérêts particuliers et augmenter son avoir par son assiduité au travail et par de sages entreprises. Dans le cas où elle aurait encore plusieurs années à vivre restant seule, son avoir se trouverait entièrement dissipé et ses héritiers totalement privés de ce qu’elle a à cœur de leur conserver.

Partant de ces raisons, qu’elle croit des plus légitimes, elle propose à son fils d’établir une communauté entre elle et lui. Comme il a manifesté le désir de lui prodiguer les secours et les soins qu’exigent sa vieillesse, il a été fait, convenu et arrêté entre eux d’établir une communauté de tous les biens meubles et effets qui leur appartiennent à chacun, à partir de ce jour. L'apport de ladite veuve dans cette communauté est constitué par la portion qu'elle a reçue dans la succession de Marie Anne sa fille décédée quelques mois plus tôt et la somme de 3 673 livres qui lui reste des 4 182 livres de la moitié de l’inventaire réalisé après la dissolution de la précédente communauté en 1806 - Elle a en effet entre temps consommé 509 livres tant pour subsistance que pour traitement dans ses maladies. Ledit François Paineau, pour sa part, y conférera ses travaux, son industrie, sa portion afférente dans la succession de ladite Marie Anne sa sœur et la somme de 1 724 francs qui est entre ses mains en meubles, argent et autres objets mobiliers ; c'est-à-dire 1 097 francs de sa portion d’inventaire que sa mère lui a payé et 627 livres qu’il a gagné par ses travaux particuliers depuis la dissolution de communauté, ainsi que sa mère le reconnaît. Il sera libre à l’une ou à l’autre des parties de dissoudre à volonté ladite communauté ou association. En ce cas, elle sera partagée entre ledit Paineau et sadite mère par moitié.

 

Ainsi par cet acte, Marie Charrier assure sa subsistance pour la fin de vie, dont la santé et si fragile. Mais ce n’est pas tout. Marie désire gratifier plus particulièrement son fils aîné.

Il est vrai que, de ses huit enfants, deux sont morts en bas âge, trois filles se sont mariées et ont quitté le foyer maternel pour ceux de leurs époux. La dernière fille est décédée sept mois auparavant, en avril. Lui reste deux fils, qui demeurent encore avec elle. François l’aîné a alors 33 ans. Le cadet, Pierre est âgé de 26 ans. Tous les deux sont encore célibataires (François se mariera l’année suivante mais Pierre restera célibataire toute sa vie). Marie donc vit avec ses deux fils. Et visiblement ils prennent particulièrement bien soins d’elle et de sa santé chancelante, notamment l’aîné. C’est pourquoi elle souhaite les récompenser de leurs attentions.

 

Aussi elle déclare au notaire, revenu dans la métairie le 7 novembre que, « considérant que François Paineau mon fils demeurant avec moi, et particulièrement depuis la mort de François Paineau mon mari, a dirigé les travaux et les intérêts de la maison. Que sa bonne conduite et son économie a fait fructifier suffisamment le peu que j’avais pour élever mes autres enfants et leur amener une aisance telle qu’ils peuvent […], en tenant la même conduite, se soustraire aux besoins que produit la misère. Que pour cette raison il est de justice que j’offre ma reconnaissance audit François Paineau. Considérant également que Pierre Paineau mon autre fils demeurant aussi avec moi a aidé son frère dans ses travaux, qu’à ce titre il mérite aussi ma gratitude. »

C’est pourquoi elle « donne et lègue audit François Paineau à perpétuité, à lui et aux siens, par preciput et hors part, la quotité de biens meubles et immeubles dont il était permis de disposer par les lois existantes. » C'est-à-dire qu’elle lui donne, par avantage au dessus des autres héritiers, la part maximum de son patrimoine dont la loi lui permet de disposer librement (malgré la présence d’héritiers réservataires, à savoir ceux qui ont droit à une part obligatoire sur la succession).  Elle « charge expressément ledit François Paineau de vouloir, le plus tôt qu’il puisse, faire dire des messes pour le repos de [son] âme, pour la somme de 24 livres, et de donner aux pauvres la quantité de 4 charges de blé seigle et desquelles il voudra bien faire faire la distribution après la récolte prochaine. »

A son autre fils Pierre elle donne, hors sa part de succession, « un lit ou la somme de 72 livres ».

 

Ces dispositions désavantagent ses filles mariées. Marie Charrier en est bien consciente. C’est pourquoi elle précise : « si mes filles et gendres veulent bien me donner ou prouver l’amitié qu’ils m’ont toujours manifesté, ils ne contrarieront d’aucune manière mes intentions telles qu’elles sont exprimées en faveur desdits François et Pierre Paineau leur frère et beau frère et que je considère comme un acte de justice. Pour cette raison je les invite à vouloir respecter ma volonté. »

 

Marie décède dans « le courant de ce mois » de novembre 1809. Mais, malgré des dispositions claires et précises, le fiel de la discorde s’est insinué entre ses enfants. Cinq mois plus tard, les revoilà devant Me Melon pour contester ce testament, si avantageux pour certains et défavorable pour d’autres. Ses trois gendres, Jean Lavaut et les cousins Mathurin et Jean Gabard, pensent avoir des droits à cause de leur belle mère sur ladite communauté établie entre elle et son fils François. Tandis que, de son côté, François Paineau son fils, en vertu du testament précité a, au contraire, la prétention d’obtenir ce que sa mère lui a légué.

Afin de maintenir entre elles l’harmonie qui a toujours existé, les parties ont le présent désir d’entrer en discussion. S’étant approchées, elles ont convenu et ont respectivement arrêté ce qui suit :

  • Tous les meubles et effets qui forment et composent la communauté établie entre ladite veuve et son fils resteront à la disposition et appartiendront en toute propriété à compter de ce jour audit François Paineau.
  • Les autres biens de la métairie de Cruhé appartiendront également, pendant le temps qui reste à expirer de bail, audit François Paineau, sans que les autres parties puissent y prétendre, mais sous l’expresse condition que ledit François Paineau acquitte seul, et sans que les autres puissent être inquiétés, les prix de ferme et contributions qui seront dues à cause de cette métairie.
  • Est attendu que sur la communauté entre ladite veuve et son fils il revient auxdits Gabard, Lavaut et Pierre Paineau les quatre cinquième dans la moitié des effets de ladite communauté, à cause du décès de ladite veuve et en tant que ses héritiers ; lesdits Gabard, Lavaut et Paineau veulent bien se restreindre à la somme de 734,70 francs pour leur portion, ce qui fait pour chacun la somme de 183,67 francs ; en conséquence ledit François Paineau promet et s’oblige de leur payer à chacun cette dernière somme avant un an, sans intérêt.
  •   Au vu de tout ce qui a été convenu ci-dessus, lesdits François et Pierre Paineau désirant recevoir le profit du testament fait en leur faveur par ladite Charrier leur mère, les parties s’accordent à renoncer à toute demande supplémentaire.

 

On le voit, la poésie d’un testament des plus clairs, n’a pas empêché les héritiers de devoir négocier l'héritage et s’accorder entre eux, sous peine d’une brouille à jamais irréversible.

 

~ * ~

 

Avant de terminer, je note ici une curiosité généalogique : Marie, qui rencontre donc le notaire les 6 et 7 novembre pour ses dernières dispositions est, selon les registres d’état civil, décédée… le 30 octobre !

Il n’y aucun doute à avoir concernant l’identité de la personne, fort bien décrite, ni sur les dates des actes notariés, par ailleurs rappelées dans l’acte de 1810 entre ses héritiers. Les déclarations de succession et de mutation indiquent qu’elle est décédée le 12 ou le 13 novembre. Alors, qu’a fabriqué le maire de Noirterre, faisant fonction d’officier de l’état civil, en inscrivant sur son registre le 31 octobre que Marie Charrier est « décédée du jour précédent sur les cinq heures du matin » ? Il n’y a pas d’actes sur le registre avant la fin du mois de novembre. Peut-être qu’à l’occasion du décès suivant, il s’est soudain rappelé qu’il n’avait pas inscrit le décès de Marie Charrier sur le registre et que, ne se rappelant pas bien la date du décès, il a écrit au hasard le 31 octobre ? Ce n’est que mon hypothèse mais, je le crains, cette anomalie généalogique restera sans réponse…


 

 

 

 

dimanche 30 juin 2024

Une famille dans la tourmente

Les guerres de Vendée ont fait de nombreuses victimes (entre 100 000 et 200 000, soit environ 20% de la population vendéenne – chiffres à prendre avec précaution car les historiens ne sont pas tous d’accord). Immanquablement ma famille a été touchée. 

Les Gabard sont originaires de Saint-Amand-sur-Sèvres (Deux-Sèvres), en plein territoire de la « Vendée militaire ». Jacques Gabard a 5 fils, 16 petits-enfants (je descends de Jacques, son fils d’un premier lit et de son petit-fils Jean*). Certains de ses descendants sont restés à Saint Amand tandis que d’autres ont quitté le giron familial pour la Vendée voisine. 

 

Arbre généalogique

Famille Gabard et collatéraux :
en vert clair le prêtre réfractaire, en vert foncé les soldats vendéens identifiés à ce jour

 

La famille est touchée dès 1791. Pierre, le fils ainé du second lit (probablement : les registres de cette période ont disparus et les sources se contredisent quant à l’ordre des naissances des 4 fils), a choisi la religion. Il est nommé curé de Chambretaud (Vendée) en mai 1780. Au début il ne se montre pas hostile au mouvement émancipateur né de la Révolution (comme de nombreux Vendéens qui espèrent beaucoup en la redistribution des richesses promise par les révolutionnaires) : il est nommé électeur du canton des Herbiers et envoyé à Fontenay en 1790 pour élire les députés à l'Assemblée législative. Mais en 1791 c’est la rupture : il refuse de prêter le serment constitutionnel imposé au clergé. 

La Constitution civile du clergé est un décret adopté en juillet 1790 par l'Assemblée nationale, concernant l'organisation de l'Église de France, conséquence notamment de la nationalisation des biens de l'Église en novembre 1789. Adoptée contre son gré par Louis XVI, elle réorganise unilatéralement le clergé séculier français, instituant une nouvelle Église, l'Église constitutionnelle. Cette réorganisation est condamnée par le pape Pie VI en mars 1791, ce qui provoque la division du clergé français en clergé constitutionnel (les « jureurs ») et clergé réfractaire

Pierre Gabard, curé de Chambretaud, se voit donc sommé de prêter le serment exigé des prêtres par ce décret. Il le refuse et devient, dès lors, un suspect. En 1792, les prêtres, comme tous les Français percevant une pension ou traitement de l'État, doivent prêter un nouveau serment dit serment de "liberté-égalité". A nouveau il le refuse. Aucun prêtre jureur n'ayant été désigné à la cure de Chambretaud pour le remplacer, il peut encore y demeurer, au milieu de ses fidèles et leur procurer les secours religieux dus à son office. On le voit ainsi signer régulièrement les registres paroissiaux. 

La majorité de la population du pays, est très attachée à ses prêtres. Elle reste calme mais proteste seulement par son absence aux cérémonies des prêtres jureurs (dans les paroisses où il y a eu une nomination), qui sont vus comme des intrus. Elle assiste en revanche à la messe que leur véritable pasteur célèbre là où il peut (dans une grange s’il pleut, dans un bois ou un champ s’il fait beau). 

Mais au fur et à mesure, en raison des difficultés qui se multiplient, Pierre Gabard doit cesser l'exercice public de ses fonctions et veiller à sa propre sécurité. La situation, devenue très précaire, se trouve soudain aggravée par le décret du 26 août 1792, ordonnant la déportation de tous les prêtres insermentés, âgés de moins de 60 ans. En vertu de ce décret, exécutable sous quinzaine, Pierre Gabard, qui n'a que 57 ans (rappel : les sources se contredisent à ce sujet), est déportable. Néanmoins, il ne se soumet pas à la loi. Mais, à partir de ce moment, il s’impose une vie clandestine et doit multiplier les précautions ; car, en cas d'arrestation, il sera déporté de force en Guyane. Le contexte s’exacerbant, c’est sa vie même qui est désormais en jeu. Toutefois, malgré le danger, il ne s'éloigne pas de sa paroisse (comme le montrent les registres paroissiaux qu’il continue de tenir clandestinement). Poursuivi et menacé par les révolutionnaires, il persiste à demeurer quand même au milieu de ses ouailles et doit se cacher pour n'être pas arrêté et emprisonné. 

 

En mars 1793, la levée en masse de 300 000 hommes est votée par la Convention. Chaque département de France doit fournir des volontaires, complétés par des hommes requis par désignation ou par tirage au sort. La rébellion se repend dans toute la population, en réaction à cette décision. Si dans la plupart des départements les révoltes sont rapidement réprimées, dans un territoire appelé la « Vendée militaire » (Loire-Inférieure, Maine-et-Loire, Vendée et Deux-Sèvres) la situation s’envenime. Les insurgés (surnommés les « Blancs ») établissent une « Armée Catholique et Royale » qui remporte une succession de victoires au printemps et à l'été 1793. 

Mort du général Moulin, 1794 - Jules Benoit-Levy © Musée de Cholet


Parmi les 5 frères Gabard, outre le curé de Chambretaud, un seul semble avoir pris les armes. Son frère Jacques pourrait avoir servi dans l'Armée Royale entre 1793 et 1800, identifié dans l’ouvrage de Françoise de Chabot « Un canton du bocage Vendéen » : « Gabard Jacques, né à Saint-Amand, 1740, commissaire en 1794, 1795 et 1799 ». Cependant il existe de nombreux homonymes, donc ce n’est peut-être pas lui. Par contre, la génération suivante, elle, a largement pris les armes. On raconte d'ailleurs que, dès le début de l'insurrection, presque tous les hommes valides de Saint-Amand s'empressèrent d'aller combattre dans les rangs de l'armée vendéenne. 

Le 9 avril 1793 le commandant des forces Républicaines (les « Bleus ») à Angers a reçu l’ordre de lancer une offensive contre les territoires insurgés. En route, les soldats Républicains brûlent un village et massacrent plusieurs habitants. Le 11 avril ils sont devant Chemillé. La petite ville a été fortifiée par les Blancs. Après un combat de 10 heures les Bleus ont réussi une percée, mais ils doivent finalement battre en retraite et Chemillé reste aux mains des Royalistes. S’il est difficile de déterminer les pertes de chaque camp, la mémoire familiale a été marquée par cette bataille : Jean Mathurin, l’un des neveux de Pierre Gabard, le curé de Chambretaud, âgé de 16 ans seulement, « est resté devant Chemillé » où un témoin « l’a vu sabré ». Joseph Amant Barret, un collatéral de notre famille, alors âgé de 20 ans, est lui aussi tombé à Chemillé, plusieurs témoins affirmant l’avoir vu « tomber en expirant ».

 

La ville de Chemillé - Thomas Drake, L'album vendéen © Wikipedia

 

En mai les insurgés s'emparent de Parthenay, sans combat. La Chataigneraie, petite ville à 40 km à l’Ouest de Parthenay, est alors défendue par les Républicains. Le 13 les Vendéens réussissent à reprendre la ville. Pierre Mathurin Gabard (cousin de mon ancêtre Jean) a servi en qualité de capitaine dans l'Armée Royaliste vendéenne et a été blessé à la Chataigneraie lors de cette bataille de deux coups de feu, le premier au côté droit au dessous du sein et le second au poignet droit; les balles ayant porté sur les tendons lui occasionnant une difficulté dans le mouvement et la flexion. Son dossier de demande de pension précise « qu’en toutes occasions il a toujours montré un attachement majeur à la royauté. » 


La ville de Saumur abrite un important quartier-général Républicain. Devant l’avancée des Blancs, la ville se fortifie. Le 2 juin l'Armée Catholique et Royale sort de Cholet et commence sa marche sur Saumur. Quelques jours plus tard, les Vendéens entrent en contact avec l'avant-garde Républicaine. Le 9 Saumur est prise. Parmi ces soldats Royalistes se trouve Louis Baudry, 19 ans. Après le conflit, il épousera Marie Jeanne Gabard, cousine de notre ancêtre direct Jean Gabard. Les sources signalent qu’il a fait 4 ans de guerre. Il a eu le grade de capitaine et il fut blessé à Saumur. Après guerre il demanda un secours en tant qu’ancien militaire, « blessé au service du Roi ». Mais son cas n’a pas été jugé mériter la pension pour lesquels il avait été proposé et en conséquence il ne recevra rien. 

 

La ville de Saumur - Thomas Drake, L'Album vendéen © Wikipedia

 

En tant que veuve de militaires de l'armée vendéenne auxquelles sa majesté a accordé des pensions par ordonnance du 10 novembre 1815, Modeste Boissinot a obtenu 40 francs annuels. Cette aide est accordée tant que la veuve ne se remarie pas : elle touchera la somme jusqu’à son remariage en 1817. Son premier mari, Jacques Alexis Barret était concierge du château de la Guierche, à Saint-Amand. Ce château appartenait à Françoise Alexie Petit de la Guierche marquise de Saint-Mesmin, qui était sa marraine, et Jacques François René Marie de Vasselot son mari (leur fils était le parrain de Jacques Alexis Barret). La famille Barret était originaire de Jazeneuil (Vienne) où les parents de Jacques Alexis étaient au service de cette puissante famille. C’est sans aucun doute grâce à eux qu’ils sont arrivés à Saint-Amand puis le couple y deviendra concierge ou régisseur de leur château de la Guierche. 

Dans les documents concernant sa pension de veuve, Jacques Alexis est dit décédé à Luçon en 1793. Pendant que le gros de l'armée vendéenne préparait l'attaque de Nantes, l'armée du centre, tenta de lancer une diversion en s'emparant de Luçon. La place fut attaquée le 28 juin. Les Républicains s’étaient déployés devant la ville mais ils étaient en nette infériorité numérique, et une partie des troupes prit la fuite. Cependant 150 soldats de l'ancien régiment de Provence, qui avaient déserté pour rejoindre les Vendéens, changèrent une nouvelle fois de camp et retournèrent leurs armes contre les Blancs. Ce mouvement jeta la confusion chez ces derniers qui prirent la fuite à la tombée de la nuit, poursuivis par les Républicains. 

 

Bataille de Luçon - Thomas Drake © Wikipedia

Jacques Alexis ferait donc partie des nombreuses victimes de ce jour. Or les registres clandestins de Saint-Amand (tenu par des prêtres réfractaires) indiquent qu’il était présent au décès de sa mère (décédée le 25 juin, enterrée le 27). Rappelons qu’il faut environ 14h à pied pour rejoindre Luçon depuis Saint-Amand (sans compter toutes les fois où il faut se cacher des patrouilles républicaines dans un fourré). Le timing paraît un peu juste. Par ailleurs il n’est pas dit décédé lors des décès de ses filles en 1794 et 1795 (ce qui pourrait être un oubli… ou pas). 

Le frère de son parrain, Joseph Amand de Vasselot, un des chefs vendéens (tardif) en 1795 (arrêté et fusillé en 1796) l’a-t-il entraîné dans des combats postérieurs à février 1795 qui ont provoqué sa mort ? 

Françoise de Chabot dans « Un bocage vendéen » le dit décédé à Noirmoutier (sans date). Je ne l’ai pas trouvé dans les listes concernant la campagne de Noirmoutier (qui, de toute façon, a eu lieu en 1793/1794) même si je n’exclue pas d’avoir loupé le document où il figurerait. Ce qui est sûr c’est que Jacques Alexis est décédé avant 1800 puisque sa veuve fait son deuxième mariage (elle en fera trois au total) en octobre 1801. Pour cela, une attestation a été cherchée auprès de Mgr Supiot, vicaire général de La Rochelle, pour la déclarer veuve de Jacques Barret, mort à la guerre : "nous soussignés le 12 may 1800 d'après les informations de l'enquête faite par Mr Le François prêtre desservant de St Amand chargé par nous de cette commission pour prendre les connaissances propre à s'assurer de la mort de Jacques Barret, à déclarer Modeste Boissinot son épouse veuve et libre, si elle le juge à propos de convoler à de secondes nopces vu les raisons alignées et le tout bien considéré nous joignons par les présentes le dit Jacques Barret est mort à Noirmoutier et Modeste Boissinot son épouse veuve et libre de s'unir par les liens sacrés du mariage à qui bon lui semblera si elle veut se remarier, supposé qu'il n'y ait pour d'autres empêchements, et sans la dispense des règles ordinaires de l'évêque"

Noirmoutier ? Luçon ? 1793 ? 1795 ? Le mystère reste entier mais il ne fait cependant aucun doute que le décès de Jacques Alexis doit être imputé aux guerres de Vendée. 

 

Jean Gabard (mon ancêtre direct, sosa 112) fait lui aussi partie des blessés vendéens. Cela s’est passé à la bataille de Châtillon. Lors de la Restauration, le roi Louis XVIII s'intéresse au sort des soldats qui se sont battus pour sa cause. Le 3 décembre 1823, il adresse à tous les préfets une ordonnance prescrivant de rechercher les soldats vendéens nécessiteux, dans le besoin, ou ne pouvant plus travailler en raison de leurs infirmités ou de leurs blessures reçues au cours des batailles pour la cause des Bourbons. Quelques mois après, Jean Gabard dépose un dossier de demande de pension. Il y explique qu’il fut blessé « lors de l'affaire de vestherman à l'articulation de l'humérus d'un coup de bayonnette, blessure qui fut guérie mais qui le gêne pour travailler et gagner l'existence ». 

Le général Westermann est resté célèbre pour les atrocités qu'il commit lors des guerres de Vendée. Il s’y montre implacable et pratique une politique de terreur à l'égard des contre-révolutionnaires. Le 3 juillet 1793 il prend Châtillon. Avec les Républicains ils étaient stationnés sur le plateau ouest de Château-Gaillard surplombant la ville. Le 5 juillet les Vendéens les attaquèrent par surprise. Les Républicains prirent la fuite et dévalèrent en grand désordre les pentes abruptes du plateau. En se repliant sur Châtillon, ils tombèrent sur une deuxième colonne vendéenne. Les combats firent rage dans les ruelles de la cité. Westermann s’enfuit à cheval mais il y eu de nombreux morts et blessés, dans les deux camps. En octobre les Royalistess reprennent la ville, considérée comme la capitale de la Vendée militaire. Mais Westermann rallie de nouvelles troupes et revient à Châtillon à la faveur de la nuit, surprenant les Blancs qui, deux fois inférieurs en nombre, doivent céder la ville à Westermann et ses Républicains. Ceux-ci, non contents de leur victoire, incendient les maisons et massacrent la population, ne laissant que ruines avant d’ordonner leur retraite. 

 

Combat de rue, guerre de Vendée © Wiikipedia

 

On ne sait pas si Jean fut blessé au printemps ou à l’automne, mais son dossier nous apprend qu’il en garda des séquelles toute sa vie. Toutefois, bien que considéré comme pauvre, il est classé dans la 3e catégorie des soldats demandant un secours viagers, c'est-à-dire ceux qui ont des infirmités ou des blessures moins graves que ceux des deux premières catégories. Sa demande de pension sera rejetée, au motif qu’il « n'aurait pas droit » (sans doute n’a-t-il pas été assez blessé). On notera qu’en 1793, Jean n’avait que 17 ans. 

 

Après l’écrasement de l’Armée Catholique et Royale, fin 1793, il est décidé de détruire les derniers foyers insurrectionnels de la Vendée militaire. Des colonnes incendiaires quadrillent le territoire afin d’exterminer tous les « brigands » ayant participé à la révolte, femmes et enfants inclus et de saisir les récoltes et les bestiaux, incendier les villages et les forêts. Ces atrocités coûtent la vie à des dizaines de milliers de personnes et valent aux colonnes incendiaires d'être surnommées « colonnes infernales ». 

Ces troupes qui sillonnent le pays en dévastant tout sur son passage ont marqué la commune de St Amand et notre famille à plusieurs reprises. À la mi-janvier 1794 ont lieu les événements dits du Pont-Mesnard, commémoré par une plaque du Souvenir Vendéen dans l’église de Saint-Amand-sur-Sèvre. La garnison de Mallièvre s’abat sur la paroisse à la recherche, selon la tradition orale, du camp des partisans de Charette. « Les habitants sont surpris au petit matin. S’ensuivent une rafle et un tribunal révolutionnaire. Sur la table est placée une statue censée représenter la Révolution. Les paroissiens devaient lui prêter allégeance. Ils ont été saisis d’horreur à l’idée d’honorer un faux Dieu. On les amène alors à leur supplice », selon l'historien J. Grassin. Quelques jours plus tard, les 24 et 25 janvier 1794, c’est la colonne infernale de Boucret marchant entre Châtillon-sur-Sèvre (Mauléon) et Les Épesses qui arrive à Saint-Amand-sur-Sèvre. Elle massacra 25 personnes en une seule journée. Les fermes et les maisons du bourg furent incendiées. Le même jour la colonne de Grignon marchant entre Cerizay et La Flocellière ravage l’ouest de la commune dans les parages de La Pommeraie, faisant de la localité peut-être la seule dans la Vendée à avoir subi deux colonnes le même jour. L’un de mes collatéraux, Pierre Le Boiteux y fut tué « pour cause de religion » et enterré entre la Pommeraie et Montravers. Selon les estimations, de 1790 à 1800, la population de la paroisse tomba de 1 220 à 767 habitants, du fait de la guerre ou des départs vers des régions moins troublées. 

 

Avec le soulèvement général de la Vendée à partir de mars 1793, et que le pays fut sillonné par les armées Républicaines, l'exercice de son ministère à Chambretaud devient impossible à Pierre Gabard. Dans le bourg, les Bleus ont établi un camp ; les chefs logent à la cure, et l'église sert d'écurie pour leurs chevaux. C'est grâce à cet état de choses que ni l'église ni la curie n'ont été incendiées, contrairement à ce qui se faisait partout ailleurs. La présence au chef-lieu paroissial de cette petite armée, dont les perquisitions et les battues sont incessantes aux alentours, ne permet au prêtre aucun séjour dans la paroisse. Force lui est de se retirer ailleurs. Il trouve une retraite dans la paroisse voisine de Saint-Malo-du-Bois ; son lieu de refuge est ordinairement la ferme du Pré Landais. Là on lui fait une petite retraite sous des fagots de bois, en face de la ferme ; il n'en sort que pour porter à ses paroissiens les secours et les consolations de son ministère de manière officieuse. 

Il court plusieurs fois de grands dangers dont il se tire toujours sain et sauf, grâce à sa présence d'esprit et à son courage. Un jour, surpris dans sa cure par une patrouille de Républicains, qui lui annoncent qu'ils vont le conduire à Nantes, il est sauvé par sa servante qui demande aux soldats de laisser au moins à son maître le temps de changer de linge. Elle les invite à visiter la cave et leur offre à boire si généreusement, qu'à la faveur des copieuses libations, elle peut faire échapper son maître, et s'échapper elle-même après lui. Quand les soldats sortent de la cave, ils sont ivres et déchargent leur rage anticléricale contre un vieux tronc de pommier du jardin que, dans leur vue trouble, ils prennent, peut-être, pour le curé qu'ils cherchent. 

Une autre fois, le vaillant curé est découvert par les Bleus : c’est le 27 février 1794, jour du grand massacre de la Gaubretière. Quelques compagnies de la colonne infernale envahissent soudain Chambretaud. Les cris de mort éclatent avec la fusillade. M.Gabard était encore à son presbytère. Il s'empresse de fuir dans la campagne, poursuivi par les soldats qui hurlent « A mort ! A mort ! » En même temps, les balles sifflent à ses oreilles. Arrivé au pont de Fontaine-Vive, le curé se jette à l'eau, très froide en cette période, la tête seule hors de l'eau, sans avoir été aperçu, et reste là blotti sous le pont. Quelques instants après, les Bleus le traversent en courant et en blasphémant contre le prêtre fugitif dont ils ont perdu la piste. La tradition orale familiale raconte, qu’en sortant de l’eau, il fut pris d’un tremblement nerveux qu’il garda toute sa vie. 

Si l’on se fie aux registres paroissiaux, le curé ne s’éloigne du pays que durant huit mois (octobre 1793/juin 1794), période qui correspond au passage des Colonnes infernales. Selon certaines sources, avec un groupe important d’habitants de sa paroisse il dut suivre l’Armée vendéenne Outre-Loire (mais d’autres l’indiquent à Chambretaud en février, comme on l’a vu plus haut : difficile de retracer son parcours exact en ces temps troublés). 

 

En mars 1794, une autre colonne va entrer en foret de Vezins, où les Vendéens avaient établi leur quartier général. Louis Martineau, fusilier (soldat qui a pour arme un fusil) de l'Armée Royale de l'Ouest y est blessé. Il est âgé de 26 ans au moment des faits. Il a épousé l’une des sœurs de Jean Gabard, Marie, quelques années auparavant. Dès 1816 sa blessure le fait paraître dans les tableaux de secours alloués aux anciens combattants de l'arrondissement de Bressuire : il perçoit une aide annuelle 60 francs pendant plusieurs années. 

 

En juillet 1794, Mathurin Gabard (cousin de Jean) avait, selon la tradition familiale, quitté son oncle curé de Chambretaud pour rejoindre les rangs des insurgés. Il rejoint la ferme de son oncle et parrain au village du Poux, à Saint-Amand, avant de mourir de ses blessures. Il avait 21 ans.


La répression des colonnes infernales provoque une résurgence de la rébellion et, en décembre 1794, les Républicains engagent des négociations qui aboutissent entre février et mai 1795 à la signature de traités de paix avec les différents chefs vendéens, entraînant ainsi la fin de la « première guerre de Vendée ». Mais la situation n’est pas réglée. Une « deuxième guerre de Vendée » éclate peu après, en juin 1795. Le soulèvement s'essouffle cependant rapidement, et les derniers chefs vendéens se soumettent ou sont exécutés entre janvier et juillet 1796. La Vendée connait encore d'ultimes et brèves insurrections avec une « troisième guerre » en 1799. 

 

Pierre Gabard, un autre cousin de Jean, demanda lui aussi une pension, faisant valoir qu’il avait reçu un coup de sabre à « Champ Breteau » (sans doute Chambretaud) en 1799. Les Vendéens y ont attaqués par surprise par les Républicains qui lancèrent une charge à la baïonnette mettant en déroute les Blancs. Le jeune Pierre n’avait que 15 ans au moment des faits. Même si la blessure avait guérie en 1824 (date de la demande) elle le gênait encore pour marcher. Considéré « blessé grièvement et dans l'indigence » il reçu une pension de 100 francs. 

 

Le capitaine Pierre Mathurin Gabard (que nous avons vu plus haut blessé à La Chataigneraie) continue le combat. En novembre 1799 il est aux Aubiers. Les Vendéens assiègent la cité tenue par les Républicains, qui se sont réfugiés dans l’église. Grâce à des renforts venus de l’extérieur, ils tentent une sortie. Peu aguerris et mal équipés, les Vendéens paniquent et prennent la fuite. Les Républicains se lancent à leur poursuite et tuent un grand nombre de Vendéens avant que ces derniers ne parviennent à se réfugier dans les bois. Les pertes furent écrasantes pour les insurgés. « L’ardeur [de Mathurin] pour la légitimité l'ayant poussé à s'enfoncer dans les rangs ennemis, a ôté un drappeau aux troupes Républicaines à [cette] affaire qui eu lieu aux Aubiers » souligne son dossier. Lui aussi souhaite profiter des bienfaits de l'ordonnance royale du trois décembre et dépose une demande de pension. Son action d'éclat lui vaut d’être classé dans la 2e catégorie, c'est-à-dire ceux qui ont été blessés grièvement et un peu moins indigents que ceux de la 1ère catégorie. Compte tenu qu’il a servi dans l'Armée Royale de l'Ouest pendant toute la guerre, qu’il est infirme, journalier, indigent, et qu’il n'est parvenu sur son compte aucun élément défavorable, il est reconnu susceptible, par sa conduite, son indigence et son infirmité, d'obtenir du soulagement particulier : le secours annuel lui est accordé : il reçoit 100 francs. Régulièrement son cas est réexaminé : on s’attache notamment à vérifier « qu’il n'est parvenu sur son compte aucun élément défavorable ». A un moment donné on le soupçonne d’être père d'un réfractaire, mais en 1831 il est confirmé qu'il « n'a point fait partie des bandes et n'a point de fils réfractaire ». Il continue donc de percevoir sa pension. 

 

En 1797, le commissaire du Pouvoir exécutif au canton des Herbiers avait rappelé que « M. Gabard, curé de [Chambretaud], a étez deffendu de faire aucunes fonctions curialles, touchant son ministère, sous pênnes de punitions, de par la loi ». La situation du curé de Chambretaud est toujours délicate.

 

Enfin, après 1799, la pacification religieuse se fit peu à peu et M. Gabard reprit ostensiblement ses fonctions sans être inquiété. Il prononça finalement le serment de fidélité par écrit en 1803 en tant que desservant de Chambretaud. Au Concordat, il obtint une pension de 333 francs. Le saint et dévoué pasteur était resté l'objet de la vénération de tous ses paroissiens. Il s'éteignit pieusement dans sa cure de Chambretaud, le 21 août 1812. 

 

Dans les années 1825/1835 plusieurs Gabard ou apparentés apparaissent dans les sources concernant les anciens militaires de la guerre de Vendée

- Jacques Gabard, un des frères de Mathurin décédé en 1794 : « blessé très méritant, sans fortune, montant secours proposé : 100 fcs » 

- Jacques Gabard, frère du capitaine Mathurin (cousin des précédents) apparaît peut-être dans "Un canton du bocage Vendéen" de Françoise de Chabot : "Contrôle nominatif des Vendéens qui ont servi dans l'armée Royale entre 1793 et 1800 Gabard, Jacques, né à Saint-Amand, 1780, s'est battu en 1799"

- Rémi Vignaud (beau frère de mon ancêtre Jean), ancien soldat infirme par suite des fatigues de la guerre, a lui aussi déposé un dossier de demande de pension, faisant valoir qu’il "a servi en tant que soldat dans l'armée royale vendéenne et que pour se soustraire à la poursuite de troupes Républicaine, il fut obligé de rester longtemps (pendant 24 heures) dans l'eau et qu'il lui est survenu un rhumatisme qui l'empêche de gagner sa vie [...] et avoir couché grand nombre de nuits dans les bois pour se soustraire aux recherches que les Républicains faisaient pour l'arrêter." Ayant besoin de faire constater l’époque de sa naissance, il fait témoigner pour lui 7 personnes (dont son beau frère Louis Martineau et 3 Gabard : Mathurin, Pierre et Jean) ; ils indiquent que Rémi est né dans le courant de février 1777 à la Petite Boissière (bon, à moins qu’il ai eu un frère homonyme, moi j’ai retrouvé son acte de naissance en 1780 dans la paroisse voisine du Pin). Son dossier n’indique pas à quel moment il a dû fuir les Républicains : si c’était en 1793 il avait 13 ans (ou 16, donc) ; si les faits se sont produit plutôt dans la seconde guerre de Vendée il aurait eu 19 ou 21 ans. Bref, il était tout de même très jeune. Quoi qu’il en soit, sa demande a été refusée car il n’a pas été blessé proprement dit (ce qui était exigé dans le cadre de l’ordonnance royale de 1823). Lui et sa femme Louise Gabard mourront sans biens, situation attestée par un certificat d’indigence

- François Guetté : capitaine, blessé par un cheval à la jambe gauche à l'affaire de Châtillon, sans fortune. Secours proposé : 200 francs. Dans un case "observations" il est dit ajourné et dans la case voisine « a bien servi dans l’infanterie ». Ces remarques semblent indiquer qu’une enquête plus complète a été menée à son sujet. Mais je ne l’ai pas retrouvé ensuite dans d’autre tableaux, ce qui indiquerait qu’il n’a pas obtenu son secours. Des investigations complémentaires mériteraient d’être entreprises car, s’il est dit sans fortune, il est aussi maire de la commune de Saint-Amand de 1804 à 1812. Or à cette période pour être nommé il fallait en général faire partie des plus imposés de la commune et lors de son décès il laisse à ses héritiers plus de 500 francs de mobilier et une borderie évaluée à 1300 francs; ce qui est contradictoire avec les secours alloués aux indigents.

 

Martyrologe installé dans l'église de Saint-Amand par le Souvenir vendéen
(6 de mes ancêtres/collatéraux y figurent)



* Alerte homonymes ! Dans cet échantillon d’une vingtaine de personnes appartenant à la famille Gabard je compte 4 Pierre, 5 Jacques, 3 Jean, 4 Mathurin (en 1er ou 2e prénom) !




dimanche 24 septembre 2023

Passer la Révolution

GABARD est le patronyme de ma grand-mère maternelle. Pendant plus de deux cents ans sa famille occupa la même ferme, située au lieu-dit La Gidalière, à Saint-Amand-sur-Sèvre (Deux-Sèvres, commune frontalière avec la Vendée).

Signature d'un de "mes" Gabard, 1813 © AD79
Signature d'un de "mes" Gabard, 1813 © AD79

Selon la légende familiale ils en étaient propriétaires, mais je ne serai pas aussi catégorique. En effet, j’ai trouvé aux archives la mention de baux (par exemple en 1821 : acte passé devant Me Bellin notaire à Châtillon par M. Augustin Dumoutiers propriétaire à Loudun tant pour lui que pour M. Joseph Jerome Dumoutiers son frère à Jean Gabard et Françoise Paineau sa femme [mes sosas 112 et 113] de la métairie de la Gidalière commune de St Amand pour trois, six ou neuf années à grée respectif qui ont commencé à la St George dernière 1820, moyennant 600 fcs, 146 décalitres seigle, la filature d'un kilogramme et demi de fil, de 6 kg de beurre et les contributions.

Les Dumoustier sont une famille de seigneurs locaux, comptant des gardes du corps du roi, président du baillage de Loudun, légion d'honneur, etc. Qui dit bail dit locataire. Qui dit locataire dit pas propriétaire. Il faudra que je creuse cette question.

Bref, ce n’est pas vraiment le sujet du jour. Non, moi ce qui m’intéresse c’est le avant « les deux cents ans ». Car avant, c’est le trou noir.

 

Les GABARD sont nombreux dans la région. Sur Geneanet, en 1800, on recense plus de 650 porteurs du nom rien qu’à saint-Amand. Dans mon arbre j’en ai enregistré au total 144.

 

Selon Tosti ce patronyme aurait pour origine le nom d’une personne d'origine germanique, Gebhard (geba = don et hard = dur). Autre possibilité, selon Morlet, ce serait un dérivé de l'ancien français gab (= moquerie, plaisanterie), surnom d'un joyeux drille.

Le nom est surtout porté en Poitou-Charentes (avec un gros noyau en Deux-Sèvres/Vendée), dans le Centre et dans le Bourbonnais.

 

Côté prénom, mes GABARD ne sont guère imaginatifs : dans mon arbre 16% sont des Marie, 12% sont des Jean, 11% des Pierre et 9% des Jacques. Ça fait beaucoup d’homonymes.

 

Depuis longtemps je cherche à remonter l’ascendance de Jacques GABARD (sosa 224), marié à Anne GOBIN (ou GAUBIN). Il est né vers 1735 et est décédé en 1798 à St Amand sur Sèvre. C’est lui le « premier » aïeul, cultivateur à La Gidalière.

 

Je reprends sporadiquement ces recherches, mais deux difficultés s’offrent à moi :

  • Les registres paroissiaux ont disparus.
  • L’existence de nombreux homonymes.

 

Cette région a en effet subi de plein fouet les guerres de Vendée. Comme le raconte l’abbé Gabard (un de nos lointains cousins) : « les paysans vendéens accueillirent assez mal les changements qui se succédèrent rapidement en France, à partir de 1789. Bientôt la constitution civile du clergé*, le serment des prêtres, la vente des biens ecclésiastiques, les poursuites exercées contre les prêtres fidèles changèrent cette défiance en une vive irritation. Quelques désordres éclatèrent à Châtillon ; ils furent réprimés avec une rigueur imprudente qui ne fit qu'exciter les esprits. En février 1792, la levée de trois cent mille hommes ordonnée par la Convention amena un soulèvement universel; les jeunes gens refusent d'aller défendre à la frontière un gouvernement qui emprisonnait leur roi et opprimait leur conscience. Bientôt toute la Vendée est en insurrection. » Les révoltes paysannes se transforment alors en mouvement contre révolutionnaire. Ce sont les « Blancs ».

D’abord maître de tout le territoire, les Vendéens doivent bientôt faire face aux soldats envoyés depuis Paris (que l’on appelle les « Bleus »). Victoire et défaites marquent les deux camps. « Au mois de janvier [1794], les colonnes infernales commencèrent à sillonner le pays dans tous les sens, brûlant, pillant, massacrant tout ce qu'elles rencontrent sur leur passage. » Loin de pacifier le pays, ces exactions provoquent de nouveaux soulèvements. Plusieurs tueries marquent l’année jusqu’à ce que la Convention rappelle leurs chefs. En décembre 1794 les républicains engagent des négociations qui aboutissent au printemps 1795 à la signature de traités de paix. Quelques désordres perdurent en 1795 et les années suivantes mais globalement la paix est rétablie.

Néanmoins, le bilan est lourd dans le pays : on estime le nombre des victimes à environ 170 000 (dont près de 50 000 rien que pour les colonnes infernales), soit entre 20 et 25 % de la population du territoire insurgé. D’après l’historien Reynald Secher, « les troupes républicaines, et notamment les colonnes infernales, seraient responsables de la destruction de 35 % des maisons du département. »

 

A Saint-Amand on note des troubles dès l’hiver 1789. À la mi-janvier 1794 la garnison de Mallièvre s’abat sur Saint-Amand-sur-Sèvre à la recherche, selon la tradition orale, du camp des partisans de Charette.

Quelques jours plus tard, les 24 et 25 janvier 1794, c’est la colonne infernale de Boucret, ralliant Châtillon-sur-Sèvre (Mauléon) aux Épesses qui incendie Saint-Amand au passage. Le même 25 janvier, la colonne de Grignon marchant entre Cerizay et La Flocellière ravage l’ouest de la commune dans les parages de La Pommeraie. C’est ainsi que Saint-Amand devint sans doute la seule commune à avoir subi deux colonnes le même jour. La mémoire locale désignait ces événements sous le nom de « Grand Brûlement ». Selon les estimations la population de Saint-Amand passa de 1 220 habitants en 1790 à 767 en 1800. Et que les registres paroissiaux ont disparus, hélas pour nous généalogistes.

Saint-Amand reprendra les armes encore en 1799, puis brièvement en 1815.

 

Comme on l’a vu plus haut, les GABARD aiment beaucoup les prénoms Pierre, Jean et Jacques. Au début de ces (nouvelles) recherches, la famille serait composée du père (peut-être prénommé Jacques), qui a deux fils prénommés Jacques, un petit-fils Jacques, trois petit-fils Pierre, et encore des Jean (3), Jacques(5) ou Pierre (5) aux générations suivantes. Bref, un joli sac de nœuds à démêler.

 

Sur Geneanet on retrouve cette famille. Plusieurs généanautes donnent l’identité du père :

- Selon soubise307 il se prénommerait Jacques, marié à Marie BREMAUD (pas de source).

- Selon beraud86 il se prénommerait aussi Jacques, né au Pin en 1699 mais aurait eu deux épouses : 
  • Marié avec une première épouse dont le nom n’est pas connu, dont : 
    • Jacques GABARD /1735-1798 notre ancêtre 
  • Marié avant 1738 avec Marie BREMAUD †, dont : 
    • Mathurin GABARD ca 1735-1797, marié avec Jeanne Marie COUDRIN 
    • Jacques Jean GABARD 1738-1822, marié avec Marie COUDRIN 
    • Pierre GABARD 1740-1812, curé de Chambretaud, 
    • Jean GABARD 1743-1803, marié avec Louise MORISSET 
 
- Selon babbouff il se prénommerait Jean, mariée le 19 janvier 1734, Treize-Vents, avec Perrine ECHASSERIEAU. 
 
- Selon jeangodet il se prénommerait Jacques, marié avec Anne GABORIT, dont : 
  • Jean GABARD ca 1763-1839, marié vers 1789 avec Marianne MORISSET, puis marié avec Marie Jeanne CHARRIER 
  • Marie GABARD ca 1768-1827, mariée vers 1800 avec Louis MARTINEAU 
  • François Marie GABARD 1782-1836, marié le 18 février 1813 avec Jeanne RONDEAU 
  • Jacques GABARD †1798, marié avec Anne GOBIN †1813 
  • Jean GABARD ca 1778-1827, marié avec Jeanne Françoise PAINEAU

 

Bref, on a le choix !

 

Pour ma part, je sais de façon avérée qu’il y a trois frères : deux Jacques et un Mathurin (mon sosa 1012 car je descends de deux des frères). L’un des Jacques n’est qu’un demi-frère. En effet, lors du décès de Mathurin assistent deux Jacques : l’un "frère propre" et l’autre "frère de père".

Fratrie Gabard avérée avant le début de ces recherches
Fratrie Gabard avérée avant le début de ces recherches

Le premier Jacques et sa descendance est cultivateur à la Gidalière (ce sont mes ancêtre directs), Mathurin est installé au Poux (ferme voisine) et l’autre Jacques au Puy Jourdain (à moins de 2 km), toutes des fermes de Saint Amand s/Sèvre.

Carte de Saint Amand sur Sèvre


Mais je ne parviens pas à remonter plus avant : pas de registre paroissiaux, donc, mais aussi pas de notaire avant l’an IV (1796) et rien dans les successions qui n’indiquerait une quelconque ascendance.

 

Après vérification, je ne valide pas l’arbre de jeangodet : si François Marie est bien le fils des parents indiqués, il comporte par ailleurs trop d’erreurs (Jean donné pour frère de Jacques alors qu’il est bien dit fils dans son acte de mariage par exemple).

L’arbre de babbouff, bien que très complet, n’est pas assez sourcé : je ne parviens pas à suivre ses filiations.

 

L’hypothèse la plus probable est la parenté avec Jacques GABARD et Marie BREMAUD. J’ai travaillé un moment sur ce couple. Trois enfants sont identifiés de façon certaine :

  • Pierre, le curé de Chambretaud décédé en 1812,
  • Jacques, son frère témoin au décès,
  • Jean, époux de Louise MORISSET, dont la parenté est signalée lors de son décès.
Arbre Gabard/Bremaud
Arbre Gabard/Bremaud

Ce couple de parents aurait vécu à St Amand, décédé dans les années 1740/1750.

 

Leur fils Pierre est bien identifié car il apparaît dans le Dictionnaire des Vendéens : Fils de Jacques GABARD et de Marie BREMAUD, il était curé de Chambretaud depuis mai 1780, succédant à René LOIZEAU (décédé en 1780). Au début il ne se montra pas hostile au mouvement émancipateur né de la Révolution : il est nommé électeur du canton des Herbiers, envoyé à Fontenay en 1790 pour élire les députés à l’Assemblée législative. Mais il refusa de prêter le serment constitutionnel imposé au clergé*. Caché à Saint-Malo-du-Bois (à 3 km de Chambretaud), il prit part à l'insurrection. Il rédigea un dernier acte sur le registre de sa paroisse en août 1792 mais, en mars et avril 1793, on le voit rebaptiser sous condition** les enfants nés depuis la cessation de ses fonctions. En effet, régulièrement il revient à Chambretaud (où aucun curé n’a été nommé pour le remplacer), afin d’assurer les fonctions de son ministère de manière officieuse. Plusieurs fois il failli se faire prendre par les Bleus (soldats républicains). Il tint un registre clandestin à Chambretaud de mars à octobre 1793, puis de juin 1794 à septembre 1797. Il prononça finalement le serment de fidélité par écrit en 1803 en tant que desservant de Chambretaud. Il reprit son registre en juillet 1803. Il décéda en 1812 en tant que « prêtre et desservant de Chambretaud », dit âgé de 73 ans ; la déclaration en a été faite par son frère Jacques et son neveu aussi prénommé Jacques. L’office aurait été célébré par Macé, curé des Herbiers. La notice précise qu’il serait né le 20 juin 1740 bien qu’il n’y ait pas de registre antérieur à l’an VI.

En fait, j’ai retrouvé dans les registres notariés un acte de notoriété, passé devant Me Bellin, notaire à Chatillon en l’an VI, attestant qu’il était né au Poux de St Amand mais la date diffère légèrement : le 29 juin 1730 (au lieu du 20/6/1740).

 

L’hypothèse est donc que le Jacques, frère du curé Pierre, serait un de « mes » Jacques. Il est vrai que dans l’acte de décès de son frère il est dit de St Amand. Cela exclue toutefois mon ancêtre direct, qui est décédé en 1798 et ne peut, par conséquent, pas être témoin du décès de Pierre en 1812. Reste la possibilité qu’il soit le Jacques époux de Marie COUDRIN (qui ne meurt qu’en 1822).

Le lien reste mince. J’ai donc cherché une autre preuve.

 

Parmi les enfants de Jean et Louise MORISSET d’abord : nés à St Jouin sous Chatillon (aujourd’hui Mauléon), ils se sont installés côté Vendée ensuite (Les Châtelliers Châteaumurs, Les Epesses, Treize Vents). S’ils sont très présents entre frère et sœurs, jamais je ne les vois chez leurs « cousins ». A contrario, les « cousins » Deux Sévriens sont aussi très présents les uns pour les autres mais « ne passent pas la frontière ».

 

Carte des Gabard
Carte des Gabard

 

En cherchant du côté de Marie BREMAUD, j’ai la confirmation que le couple GABARD/BREMAUD demeurait bien à Saint-Amand (confirmé lors du mariage de la nièce de Marie, Jeanne JANNEAU, en 1746). Marie y est dite veuve : Jacques est donc décédé cette date.

Ce fait est confirmé par ailleurs : Jacques GABARD, le père du curé, demeurait au Poux de St Amand de son vivant, selon l’acte de notoriété de son fils Pierre. Ledit curé étant lui-même né au Poux.

Le Poux est une ferme où ne vit qu’une seule famille : le fait que « mon » Mathurin GABARD y vivait, de façon certaine, tendrait à confirmer la filiation entre Jacques et Mathurin.

Marie BREMAUD semble encore vivante en 1797 lors de l’établissement de cet acte de notoriété ; mais elle est décédée en 1806 (décès de son fils Jean). Malheureusement son acte de décès n’a pas été trouvé. Je ne l’ai pas trouvée non plus sur les différentes tables de l’enregistrement (décès, testament, succession) du bureau de Châtillon – dont dépend Saint-Amand.

 

Pendant les guerres de Vendée, on l’a vu, dans la plupart des paroisses il n'a pas été tenu de registres paroissiaux ou bien ils ont été détruits. Ainsi à Saint-Amand il n’existe pas de registre antérieur à 1798. Françoise de Chabot, dans son ouvrage « un canton du bocage vendéen », cite néanmoins un registre paroissial de Saint-Amand rédigés pendant cette triste période, de façon plus ou moins officieuse. « A l'avant-dernière page de cet intéressant registre nous trouvons [la mention suivante] : N. B. Plusieurs actes sont transposés ou imparfaits, parce que je n'ai pu, dans la persécution, les faire à heure et à temps, je les ai recueillis au milieu des déroutes et des combats. Cependant j'ai copié sur des feuilles volantes les noms, les dates fort exactement, et j'ai toujours appelé des témoins dignes de foi, et quand j'en ai manqué, je n'ai mis dans les actes que ce qui est de notoriété publique.... ma connaissance. Signé Feuille ». Elle en a tiré notamment la liste de ceux qui sont morts les armes à la main ou massacrés par les Républicains entre 1793 et 1800.

J’ai eu accès à quelques actes appartenant vraisemblablement à ce registre et à un relevé dactylographié (transmis par un de nos cousins, Robert ***). J’y retrouve deux GABARD : « Gabard, Jean-Mathurin, du Poux, 16 ans, des témoins affirment l'avoir vu sabrer près Chemillé, le 10 mai. Gabard, Mathurin, du Poux, 21 ans, mort de ses blessures, le 10 juillet ». Il s’agit des fils de Jean et de Mathurin; peut-être des cousins ?

On trouve des GABARD dans d’autres listes :

- Listes générales des individus condamnés par jugements ou mis hors la loi par décrets, et dont les biens ont été déclarés confisqués au profit de la République) : « Gabard Pierre, brigand de la Vendée, commission militaire Savenay, 4 nivôse. Gabard Jean, id. 6 nivôse. »

- Contrôle nominatif des Vendéens qui ont servi dans l'armée Royale entre 1793 et 1800 : « Gabard, Jacques, né à Saint-Amand, 1740, commissaire en 1794, 1795 et 1799. Gabard, Mathurin, né à Saint-Amand, 1776, capitaine, 4 ans de guerre, action d'éclat, pris un drapeau. Gabard, Jean, né à Saint-Amand, 1781, 3 ans de guerre. Gabard, Jean, né à Saint-Amand, 1756, 4 ans de guerre. Gabard, Pierre, né à Saint-Amand, 1760, 4 ans de guerre. Gabard, Pierre, né à Saint-Amand, 1778, s'est battu en1799. Gabard, Jacques, né à Saint-Amand, 1780, id. »

Encore beaucoup de Jean, de Pierre et de Jacques. Cependant, compte tenu des homonymies, il est difficile de les identifier avec certitude, encore moins de les utiliser pour en dresser des liens.

 

Grâce à ce registres, je sais que Pierre Mathurin, fils de Jacques GABARD et Marie COUDRIN, et sa sœur Marie Jeanne, se marient le même jour en 1800. Et c’est Pierre, le curé de Chambretaud qui officie lors de la cérémonie. Un des rares liens qui uni les deux familles.

 

Mais je trouve mieux encore, grâce à la transcription dactylographiée récemment confiée par Robert. Il s'agit de la naissance de Marie Victoire GABARD, fille de Pierre et Marie DIGUET, en 1804 (petite-fille de Mathurin). J’avais trouvé en ligne son acte, daté du 1er jour complémentaire an XII (18/9/1804). Sur ce document étaient cités comme témoins « Pierre Gabard, 27 ans et Marie COUDRIN, 31 ans ». Je n’étais pas parvenue à déterminer qui étaient exactement ces témoins. Et j’avais oublié cet acte. Or, dans le relevé des « actes révolutionnaires » de Saint-Amand la transcription de cette naissance est bien différente :

« Le 24-12-1803
GABARD Marie Victoire enfant légitime de sexe féminin, née ce jour, fille de GABARD Pierre, taillandier au Poux et de DIGUET Marie
Parrain : GABARD Pierre, curé de Chambretau, grand oncle
Marraine : COUDRIN Marie Victoire, grand-mère
Acte rédigé par Nicolas LE FRANÇOIS prêtre desservant de St Amand »

La date est différente, ce qui n’est guère étonnant : les actes en ligne sont souvent des actes rédigés à postériori, après les troubles. J’ai ainsi pour sa cousine Marie Anne j'ai deux actes de mariages : un en 1796 et un en 1801.

Les témoins ne sont plus de simples témoins, mais un parrain et une marraine. L’acte est dirigé par le prêtre desservant la paroisse et non par le maire ; là encore ce n’est pas étonnant l’acte de 1804 est fait à la mairie, selon les nouvelles directives post-révolutionnaires, tandis que l’autre a été fait devant le prêtre (d’où les parrains).

Mais ce qui est frappant ce sont les témoins, qui n’ont plus d’âge mais des liens familiaux indiqués sans ambigüité.

 

Le lien entre les deux parties de la famille, la Vendéenne et la Deux-Sévrienne, est ici attesté de façon formelle (si on considère que cette transcription est bien correcte ; ce que j’ai très envie de croire). Je n’ai, hélas, pas eu accès au document original de cet acte (si jamais un lecteur en a une copie et qu’il veut bien me la transmettre, j’en serai ravie), mais c’est la  preuve de la parenté de mes ancêtres directs avec le couple Jacques GABARD et Marie BREMAUD qui est enfin avérée.

Sauf élément contraire, j’ai enfin brisé le plafond de verre de la Révolution et j’ai gagné une génération supplémentaire. Voire plus...

Nouvel arbre Gabard
Nouvel arbre Gabard (cliquez pour agrandir)

 

En effet, tant qu’à faire, j’ai tenté de remonter la piste des ascendants de Jacques GABARD, époux BREMAUD : il serait le fils de Jean et Perrine PEHILIPPON, couple installé au Pin (à une quinzaine de kilomètres à l’Ouest de Saint-Amand – et où les registres vont jusqu’au milieu du XVIIème siècle). Il aurait eu 5 frères et sœurs, tous décédés en bas âge ou jeune, hormis une sœur – mais il n’apparaît pas de son côté. Les généalogies en ligne déroulent les générations de GABARD jusqu’au début du XVIIème siècle avec un couple fondateur demeurant à Nueil les Aubiers, 10 km plus loin, Jean GABARD et Françoise VIOLLEAU.

Carte où l'on trouve des Gabard


De mon côté, il me reste à prouver que Jacques est bien le fils de Jean…

 

 

* La Constitution civile du clergé est créée en 1790 par l’Assemblée constituante, réorganisant unilatéralement le clergé français, instituant une nouvelle Église, l'Église constitutionnelle. Cette réorganisation est condamnée par le pape Pie VI, ce qui provoque la division du clergé français en clergé constitutionnel (les « jureurs ») et clergé réfractaire. La Constitution civile du clergé est finalement abrogée en 1801 par Napoléon Bonaparte.

** Baptisé sous condition : Le baptême efface le pêché originel. Un enfant mort sans baptême est condamné à errer éternellement dans les limbes. C’est pourquoi il faut le baptiser au plus vite (en général le jour même) : quelque soit le temps, il faut se rendre à l'église la plus proche. Un enfant mort-né ou en danger de mort à la naissance est "ondoyé" par la sage femme ; acte qui lui ouvre le ciel en cas de décès (C’est l’une des raisons pour lesquelles la sage-femme était nommée par le curé et prêtait serment). Ensuite, le prêtre baptise le nouveau-né « sous condition » : il suffit que les témoins attestent qu’ils ont aperçu un mouvement du cœur, un semblant de respiration, le tressaillement d’un doigt, un souffle … L’enfant mort, retrouve la vie quelques instants, le temps de recevoir le baptême.

*** Que je remercie d’avoir partagé ses découvertes avec moi.